Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

Rayons X : l’innovation douanière au service d’une chaîne logistique durable

Mis en ligne le 26 janvier 2021

L’Organisation Mondiale des Douanes célèbre chaque 26 janvier la « journée mondiale de la douane » .

 

En 2021, son thème fait écho au rôle majeur des douanes du monde entier pour favoriser la fluiditié maximale de la chaîne logistique, autant que pour assurer la qualité et conformité des équipements de protection individuelle mis à la disposition du public aux normes, dans le cadre de la lutte contre le coronavirus COVID-19.

 

L’AHAD s’associe à cette journée mondiale en évoquant l’histoire douanière des rayons X. Ceux-ci sont découverts par le physicien allemand Wilhelm Conrad Röntgen en fin d’année 1895. Très vite, les applications médicales liées à ces découvertes se développent. L’administration douanière s’y intéresse de très près, puisque ces rayons permettent de rendre visible l’invisible… et de découvrir le contenu des valises, sans même les ouvrir.

L’histoire de ces rayons X (pour rayons « inconnus » à leur origine) mérite d’être mise à l’honneur, cette innovation majeure des sciences physiques ayant permis la diffusion d’innovations majeures pour les techniques de fouille « non intrusive » des marchandises.

 

Très vite en effet, l’administration fiscale voit dans ce progrès technique un objet permettant de concilier fluidité du trafic et transparence accrue, le tout sans intrusion dans l’intimité des effets personnels.

 

Ce qui se produit le 24 juin 1897, à peine 1 an et demi après la découverte des rayons X, fit grand bruit dans toute la presse quotidienne nationale et régionale. Une expérience venait d’être réalisée au sein du Ministère des Finances, en présence de M. Pallain, directeur général des douanes.

 

Le journal Le Temps relate ces événements :

 

« Mardi matin ont eu lieu au cabinet du directeur général des douanes, au pavillon de Rohan, rue de Rivoli, à Paris, en présence du conseil d’administration et des chefs du service de la vérification des marchandises, des expériences du plus haut intérêt tendant à appliquer à la reconnaissance des produits importés la nouvelle découverte du rayon X. Ces expériences ont donné des résultats positifs qui vont permettre au service des douanes d entrer, sans délai, dans la voie des applications pratiques.

A l’aide d’un rapide coup d œil, le vérificateur muni d’un appareil spécial, d’un maniement facile, déterminera le contenu d’un colis quelconque. Cette application d’un procédé scientifique facilitera singulièrement la découverte de la fraude. Il aidera ainsi à la visite des voyageurs puisque, dans la plupart des cas, il permettra de dispenser de l’ouverture des bagages. »

 

 

Le documentaire proposé par l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire (IRSN) met en relief l’application douanière de cette découverte majeure.

 

 

Enfin, il est indispensable de relater ici la manière dont Le Monde Illustré décrit ces événements, sous le titre « Les rayons X et la douane… d’abord une anecdote » :

 

« 

C’était en 1844; M. Gréterin, alors directeur général des douanes, se trouvant à Genève, s’en fut chez un des principaux horlogers de la ville et fit l’achat d’une montre de grand prix.

 

Je suis, dit-il au marchand, le directeur général des douanes de France; il se produit sur les articles d’horlogerie suisse une fraude considérable dont je désirerais étudier les procédés. Pouvez-vous me faire parvenir cette montre, en contrebande, à Paris?

Rien n’est plus simple, répondit l’horloger.

Je vous préviens que, dès aujourd’hui, les ordres les plus précis vont être donnés sur toute la ligne frontière et que la surveillance la plus minutieuse.

L’horloger eut un fin sourire : — Rassurez-vous, fit-il, ce bijou sera à Paris en même temps que vous.

Sans avoir acquitté les droits ?

Sans même que la douane ait eu soupçon de son passage.

 

M. Gréterin rentra à son hôtel, ordonna à son valet de chambre de boucler en hâte ses bagages, fit venir une chaise de poste, et quitta Genève deux heures plus tard. Arrivé au bureau de douane de Bellegarde, il se fit connaître aux employés, manda le chef du bureau, lui ordonna de mettre sur pied tous ses agents, d’exercer la plus sévère surveillance, disant qu’une montre expédiée de Suisse à son adresse devait passer en contrebande et promettant de récompenser grandement l’employé qui saisirait le colis.

Le monde illustré : rayons X appliqués à la douane (24 juin 1897)

Tandis qu’il donnait ses ordres, les préposés transbordaient les bagages du directeur général sur la malle-poste de Paris, prête à partir : après de nouvelles et pressantes recommandations d’ouvrir l’œil, M.Gréterin monta en voiture, respectueusement salué par tout son personnel. Le surlendemain il était à Paris.  Après quelques heures de repos, il entre dans son cabinet, et, sur la cheminée, parmi ses bibelots familiers, il aperçoit la montre, la montre achetée à Genève ! Il sonna le valet de chambre.

Qui a apporté cette montre?

Mais… monsieur, elle m’a été remise avant-hier, à Genève, par l’horloger chez qui vous l’avez achetée. Il m’a assuré que vous teniez beaucoup à ce qu’elle voyageât avec vous, et….

Eh bien ?

Et je l’ai mise, au moment du départ dans la sacoche que vous portiez vous-même, je viens de l’en sortir à l’instant.

 

 Cette histoire, si connue qu’elle en est devenue quasi légendaire, ne pourra plus, désormais, prendre place dans aucun almanach. Elle sera, pour nos descendants, inadmissible, surannée, incroyable : une révolution vient de se produire qui la met définitivement hors de service ; si pareil fait se reproduisait aujourd’hui, les agents de la douane seraient en mesure de dire à leur chef: — Pardon, Monsieur le Directeur général, cette montre sur laquelle vous attirez tous les efforts de notre perspicacité, vous la portez vous-même ; nous la voyons, là, dans votre sacoche fermée.

 

C’est le sortilège mis au service de l’administration, c’est Robert Houdin(1) devenu douanier.

Voici la chose. On sait que les rayons X, invisibles à notre œil, rendent lumineux, dans l’obscurité, un certain nombre de corps, dits fluorescents, parce qu’ils partagent la propriété, autrefois attribuée au seul spath-fluor, d’absorber tels rayons et de les émettre ensuite après les avoir modifiés. Si l’on prend un grand stéréoscope dont on a d’abord enlevé les lentilles et qu’on remplace le fond en verre dépoli, par un écran fluorescent, — c’est-à-dire, par une feuille de papier enduit de gomme arabique et sur lequel on aura répandu un fin pulvérin de tungstate de calcium — on n’aura qu’à fixer, avec l’appareil ainsi disposé, un tube de Crookes en activité, et l’écran s’illuminera aussitôt de rayons fluorescents à la fois très brillants et très doux. Et si quelqu’un, à ce moment, ou quelque chose passe entre l’écran et la source lumineuse, il sera traversé par le rayon X et se projettera en silhouette sur l’écran, les parties molles plus claires que les parties dures, absolument comme dans une épreuve radiographique.

 

***

M. G. Pallain, le très distingué directeur général des douanes, informé de cette découverte, a pensé qu’il y avait là une merveilleuse application du fluoroscope à mettre au service du public : on construisit un appareil de dimensions spéciales, appropriées à son nouvel emploi et les expériences commencèrent.

La première eut lieu jeudi dans le cabinet de M.

 

G. Pallain, au ministère des Finances, en présence de quelques hauts fonctionnaires de l’administration : on la répéta au bureau des douanes de la gare du Nord ; on a, depuis, fait l’essai de l’appareil à la gare Saint-Lazare et à celle de Lyon-Bercy : partout les résultats ont dépassé l’attente et émerveillé les assistants.

 

Tout d’abord on a opéré sur les colis-postaux, qui chaque jour, encombrent par milliers, les tables des salles de visite : on procède ordinairement par épreuve, car une vérification intégrale entraînerait, pour la livraison, des retards dont le public aurait à souffrir : mais ces colis-postaux voyagent seuls, personne n’est là pour les ouvrir, le douanier décloue, coupe, dénoue, décachette., c’est le vieux système. Désormais, plus de couvercle à faire sauter, plus de ficelle à défaire : on braque l’appareil Rœntgen et le contenu du colis apparaît instantanément.

 

Mardi, à la gare de Lyon-Bercy, on prend dans la masse un colis, dûment empaqueté et ficelé. La déclaration portait : une paire de bottines. On dispose l’écran, et tout aussitôt les chaussures s’y projettent, débarrassées de tout leur emballage.

Celui-là était un colis-postal honnête : il fut remis au factage avec tous les honneurs qui lui étaient dus; mais cet autre ? Lingerie usagée affirme la déclaration. l’indiscret stéréoscope dessine une boîte de cigares et un assortiment d’allumettes. Et ce troisième ?

 

Racines médicinales, dit la feuille de route ; et l’on voit apparaître un pot de miel et un gâteau de Savoie !

Voilà donc un fait acquis : la nouvelle découverte permet l’examen approfondi des colis postaux qui, en raison de leur nombre toujours croissant, échappent facilement à la vérification complète des agents des douanes et dont beaucoup sont expédiés sous de fausses déclarations qui portent au Trésor un préjudice sérieux.

 

Qu’on se le dise!

 

 »

  1. Jean-Eugène Robert-Houdin (1805 – 1871) est un célèbre illusionniste du XIXe siècle, qui fonde une salle de spectacle située au 11 rue de Valois, puis transférée en 1854 au 8, boulevard des Italiens. Cette salle cessera ses activités en 1920. Il est surnommé le « père de la magie moderne » et considéré comme l’un des plus grands prestidigitateurs de tous les temps, à l’origine de presque tous les grands « trucs » de la magie actuelle.
 Arnaud PICARD
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