Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

Quand Jean Clinquart annonçait l’inauguration d’un musée des douanes …

Mis en ligne le 21 mai 2025

Le musée des douanes

 

La douane compte parmi les institutions financières et parmi les structures administratives les plus anciennes de notre pays. Peut-être même en est elle la plus ancienne. Nous n’avons pas la certitude que les « civitates » de l’ancienne Gaule aient perçu des taxes sur les marchandises débarquées dans leurs ports ou franchissant leurs frontières, mais la chose est fort vraisemblable, ce type d’imposition ayant un caractère quasi universel . En revanche, nous savons de source sure que l’Administration romaine introduisit en pays conquis la « quadragesima », cette taxe douanière au taux modéré de deux et demi pour cent qui prit, de ce côté des Alpes, l’appellation de »quarantième des Gaules ».

 

Ainsi la Douane, avec son tarif et bien entendu ses receveurs est-elle indubitablement présente sur notre sol à l’aube de l’ère chrétienne.

 

Elle y est demeurée depuis, à travers les vicissitudes des siècles, non sans connaître bien des avatars. Il lui est arrivé en particulier pendant la majeure partie du Moyen-age, d’éclater en une multitude de douanes provinciales ou locales, sources de revenus d’importance variable, tantôt pour des domaines seigneuriaux ou royaux , tantôt pour des collectivités. Il a fallu attendre la révolution de 1789 pour que l’Etat achève une opération d’unification à laquelle l’Ancien Régime s’était attaqué sans parvenir à la mener  son terme.

 

L’opération était, au demeurant, des plus complexes, puisqu’elle consistait à la fois à supprimer les douanes intérieures (à la survivance près de l’octroi des villes), à uniformiser des tarifs et règlements désormais applicables aux frontières du pays, et enfin à mettre un terme à l’affermage de l’impôt. Cette dernière mesure – véritable nationalisation d’une entreprise privée – tient une place capitale dans l’apparition de la douane moderne: celle-ci est née quand disparurent les Fermiers généraux, ces lointains héritiers des « publicani » de Rome et des « commerciarii » de Byzance.

 

Mais à peine cette Douane « nationale » avait-elle vu le jour que le formidable essor de la « Grande Nation » allait emporter dans l’aventure et la conduire à installer, à Dantzig comme à Rome, à Amsterdam comme à Trieste, ses bureaux et ses brigades, c’est à dire, d’une part, la Duane et ses « employés » (expéditionnaires, vérificateurs et receveurs) qui reçoit les déclarations des importateurs et exportateur, s’assure de leur exactitude, liquide l’impôt et le perçoit, et, d’autre part, la « Douane armée » qui, en uniforme, surveille les côtes et les frontières, pourchasse la contrebande et, en temps de guerre, peut être amenée à combattre. Malgré sa relative brièveté, l’épisode révolutionnaire et impérial a fortement marqué la Douane française. Il lui a donné, à défaut de structures et de méthodes qu’elle possédait déjà, en ayant hérité de la ferme générale, des traditions de type militaire et un esprit de corps qui allaient la caractériser longtemps et dont procède en grande partie son originalité actuelle.

 

Ni la suite du XIXe siècle, ni le XXe siècle n’ont fait subir à cette administration d’aussi vigoureuses secousses. Et pourtant, « la police du commerce extérieur », à laquelle la révolution de 1789 l’avait préposée, s’est vue assigner une telle variété d’objectifs par les régimes ou pouvoirs politiques successifs, que l’histoire de la Douane n’a jamais risqué jusqu’à présent de s’enliser dans la monotonie.

 

Que tout cela, le passé lointain comme le proche, puisse se perdre dans les mémoires et être ignoré des jeunes générations, l’idée en est insupportable à de nombreux douaniers. Ainsi s’explique et se justifie la création d’une Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes dont l’un des buts statutaires consiste à gérer le musée des douanes.

 

Catherine Camboulives, Conservatrice de ce Musée qui ouvrira ses portes en 1983, écrivait récemment dans le Bulletin de l’Association: « On me pose fréquemment, y compris dans le milieu douanier, la question suivante: «Qu’allez vous donc exposer dans votre musée? Il y a parfois une touche de scepticisme chez mes interlocuteurs! Je réponds que c’est précisément pour le savoir ou plus exactement pour le savoir mieux, qu’un Conservateur a été désigné. Là n’est pas son unique travail, mais c’est à coup sûr par là que tout doit commencer ». Il est de fait que les administrations (et la douane ne fait pas exception) sont surtout connues pour être productrices de documents écrits. Ceux-ci peuvent faire le bonheur de l’historien, mais ils ne suffisent pas à celui du muséologue.

 

On ne pense pas assez, de prime abord, au fait qu’une administration est aussi une organisation humaine qui utilise des immeubles et des objets immobiliers de diverses natures, suscite une iconographie, possède ses grands hommes, vit à sa manière les évènements qui font l’Histoire, etc… L’objet – toutes sortes d’objet – peut dès lors la raconter au même titre et parfois mieux que l’écriture. Ainsi, pour raconter la Douane, dispose-t-on de truchements multiples qu’il suffit – mais tout est là! – d’utiliser dans le cadre d’un projet muséographique structuré. Ce peut être une toile d’un élève de lépicié représentant l’intérieur d’une douane au XVIIIe siècle, une balance monumentale jadis utilisée pour la pesée du sel, une borne frontière, la maquette d’une de ces felouques qu’armaient en Méditerranée des équipages douaniers, la première machine à calculer dont on se soit servi pour dresser la balance de nos échanges extérieurs; ce peut être aussi une collection d’uniformes et d’armes, un bronze de Carlier représentant un contrebandier et son chien bâté, le portrait de Lavoisier qui fut non moins actif fermier général que chimiste de génie.

 

Ces exemples cités au hasard prouvent la richesse et la diversité des thèmes que l’objet permettra d’évoquer à l’intérieur du Musée des douanes.

 

Un Musée qu’il a fallu, bien entendu, localiser. Une telle opération n’est jamais chose aisée, qu’il s’agisse du choix de la ville d’accueil, ou, plus encore peut-être, de l’immeuble d’accueil.

 

Au cas particulier, si la ville de Bordeaux a été retenue, c’est certes en raison de la place importante que le port de la Gironde a tenu dans l’histoire douanière, mais c’est surtout parceque l’Administration des Douanes y possède un joyau architectural: l’hôtel des fermes dû à Jacques V Gabriel et édifié de 1735 à 1738.

 

Ce magnifique bâtiment de la Place de la bourse n’a jamais cessé depuis sa construction d’être affecté à la Douane: ainsi (le fait est rare) le contenant se trouve-t-il en parfaite harmonie avec le contenu.

 

Le rez-de-chaussée donnant sur la Place de la bourse et le pavillon d’angle en bordure du Quai servaient au XVIIIe siècle de magasin de dédouanement. C’est r-en cet endroit que les marchandises étaient présentées aux fonctionnaires, déballées, pesées e examinées. Au siècle dernier, on y opéra des transformations qui consistaient principalement en aménagement d’entresols et qui défigurèrent complètement cette partie de l’édifice.

 

Une restauration rigoureuse, menée sous la direction de M. Fonquernie, architecte en chef des Monuments historiques, a permis de ressusciter le magasin tel que Gabriel l’avait conçu; semblable à la nef d’une église, il couvre plus de 800 mètres carrés et s’élève par de larges piles rectangulaires vers de hautes voûtes en « berceau brisé ». Le rose des carreaux de terre cuite d’un sol en cours de réfection tranchera avec la blancheur de la pierre et l’on ne peut douter de la beauté du contenant. Le contenu parviendra-t-il, dans ce cadre admirable, mais d’une exploitation muséographique difficile, à trouver heureusement sa place? Nous faisons plus que l’espérer, mais une réponse définitive à cette question sera donnée par le public, un public qu’on souhaite nombreux mais surtout satisfait et mieux informé de ce qui a été dans le passé et de ce qu’est aujourd’hui l’Administration des Douanes.

 

 

Jean Clinquart

Secrétaire général de l’Association pour l’Histoire de l’Administration des douanes

 

 

L’inauguration du Musée des Douanes aura lieu en juin 1983, à l’occasion de l’exposition Gabriel organisée par les Archives de France.

 


 

 

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