Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes
« L’intérieur d’une douane» par Bernard Lépicié (1775)
Nous reproduisons ci-dessous l’article publié en juillet 1975 dans la revue professionnelle « La Vie de la douane » reprenant une présentation de l’auteur et de l’œuvre.
Ce tableau est désormais présenté à Madrid au Musée privé Thyssen Bornemisza, vous pouvez le consulter ici.
L’équipe de rédaction
« L’intérieur d’une douane»
La Vie de la Douane remercie le conservateur de la collection Thyssen-Bornemisza à Lugano pour l’autorisation exceptionnelle de reproduire le tableau « L’intérieur d’une douane » peint en 1775, par Bernard Lépicié et récemment présenté à l’exposition « de David à Delacroix » au Grand-Palais.
NDLR – Juillet 1975
« L’intérieur d’une douane»
Nicolas – Bernard Lépicié
I. L’auteur
Fils de François Bernard Lépicié, graveur du Roi et secrétaire perpétuel de l’Académie, Nicolas-Bemard Lépicié, né à Paris en 1735, élève de Carle Van Loo, obtint le deuxième Prix en 1759 et fut agréé à l’Académie en 1764. Académicien en 1769, adjoint à professeur l’année suivante, professeur en 1777, Lépicié expose régulièrement au Salon à partir de 1765. 11 meurt en 1784, à l’âge de quarante neuf ans, laissant une production importante de la plus grande variété de sujet.
Comme l’a justement remarqué G. Wildenstein (1928, pp. 199-200), Lépicié peint en 1773 son chef-d’oeuvre Le Lever de Fanchon (Saint-Orner) et ce tableau marque l’orientation décisive de son oeuvre. Certes, il présente encore aux Salons de 1775, une
Education de la Vierge (perdu), de 1777, un Courage de Porcia (Lille), de 1779, son immense Régulus partant .pour Carthage (Carcassonne), de 1781, une Pitié de Fabius Dorso (Chartres) et de 1783, le Zèle de Mathathias tuant un juif qui sacrifiait aux idoles (Tours) mais ces tableaux n’ont guère de succès et critique et public leur préfèrent ses Vieillard lisant, Départ de Braconnier et autre Enfant au milieu des amusements de son âge, où il excelle, Lui-même, consacre d’ailleurs, à partir de cette date, l’essentiel de son temps au genre, alors qu’il avait jusqu’alors eu l’ambition d’être avant tout un peintre d’histoire. L’on pourrait s’étonner qu’alors que la peinture d’histoire connaît un incontestable renouveau, un artiste qui tourne délibérément le dos à ce courant rencontre ses plus grands succès dans le genre. C’est qu’alors que ses grandes compositions religieuses ou historiques étalent conventionnelles et sans « invention », Lépicié sait, dans ses petits tableaux au métier fini et minutieux, faire preuve d’une observation fidèle, à la manière des petits maîtres hollandais du XVllè siècle, alors si goûtés par les collectionneurs français.
II. L’oeuvre
Ce tableau fut une des attractions du Salon de 1775 et suscita de nombreux commentaires. Tout d’abord celui de Diderot, réservé : « Ah! voici encore un Lépicié, c’est l’Intérieur d’une douane fait entièrement d’après nature. La principale figure est un portrait, celui du peintre. Encore s’il y avait de la ressemblance et de la vérité ! Il a placé sa tête sur les épaules d’un autre. Le morceau n’a pas le droit de me plaire, et je ne crois pas qu’il captive aucun amateur ; cependant on en a fait grand bruit; il a réuni, dit-on, tous les talens qu’on lui connaît; sa composition naturelle et ingénieuse, dessin correct et fin, couleur lumineuse et vraie, accord harmonieux. Ainsi soit-il « . Selon les Courtes Réflexions (citées par J. Seznec, 1967) : on y distingue à merveille la figure souffrante d’un voyageur dont la malle est visitée d’avec les figures rogues des commis qui en ôtent les effets pour les mieux visiter ». C’est la « vérité » du tableau, sa couleur « douce, lumineuse et d’un accord très harmonieux » que la critique admire avant tout.
Celle-ci ne semble guère se pencher sur l’identification du site. Certes Diderot écrit que le tableau est « fait entièrement d’après nature »,mais faut-il prendre cette indication au pied de la lettre ? Nous ne le pensons pas. M.M. Gallet, que nous remercions vivement ici de son obligeance, a bien voulu nous fournir les précisions suivantes : la douane de Paris était située rue du Bouloir et, à plusieurs reprises, au cours du XVIIlè siècle, il avait été question de la transférer. Ainsi, en 1767, Soufflot « avait été chargé d’étudier l’installation de la Douane et de l’hôtel des Fermes dans les locaux de la Bibliothèque, rue de Richelieu et rue neuve des Petits-Champs ». Ces projets n’eurent, pas de suite, mais « le tableau de Lugano s’y relie par un synchronisme incontestable. La galerie circulaire et ses arcades évoquent d’ailleurs moins Soufflot que la Halle au blé construite en 1763-1766 par Le Camus de Mézières. Le pendant, Vue de l’intérieur d’une grande halle, ajoute M. Gallet, contient des allusions précises aux Halles de Paris: la colonne astrologique de la Halle au Blé et la Fontaine des Halles ». Ainsi, plutôt qu’un tableau topographiquement exact, Lépicié a-t-il voulu représenter un lieu bien connu des Parisiens du temps, en l’idéalisant et en le modernisant. Il l’a animé de divers groupes de voyageurs ou de douaniers. Ainsi, au centre, outre le peintre lui-même (un Autoportrait plus tardif est conservé au musée d’Abbeville, un autre a figuré au Salon de 1777 et est aujourd’hui à la Fondation Gulbenkian à Lisbonne), se distingue le commanditaire de la toile, l’abbé Terray, grand collectionneur de tableaux, dont Roslin nous a laissé un portrait, aujourd’hui à Versailles, qui date précisément de 1774.
Le Salon de 1775 marque un tournant dans la carrière de Lépicié. Il s’est cru peintre d’histoire et ne renoncera pas totalement à ce genre. Mais ii sait que dorénavant, ses plus grands succès, il les devra au portrait (Savant du Salon de 1777, aujourd’hui à Lisbonne, Fondation Gulbenkian) et surtout au genre (l’Atelier du menuisier du Salon de 1775, New York, Galerie Wildenstein). La Douane, qui allie, sous le signe de la vue topographique de fantaisie, portrait et genre, est une sorte de réponse « française’ aux tentatives équivalentes, hollandaises, romaines ou vénitiennes.
Lugano, coll. Thyssen-Bornemisza.
La Vie de la Douane
N° 164
Juillet 1975