Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes
Les liens ténus de la douane avec Marguerite Yourcenar
En ce temps là, Marguerite, Antoinette, Jeanne, Marie Ghislaine Cleenewerck de Crayencour ne s’appelait pas encore, par le jeu subtil de l’anagramme et le souci de se faire un nom, Marguerite Yourcenar…
Nous sommes au début du siècle et l’académicienne n’est alors, selon sa propre expression, « …qu’une petite fille apprenant à vivre entre 1903 et 1912 sur une colline de la Flandre française… » « …Des monts Cassel relayés au Nord par la quadruple vague des Monts de Flandre, le Mont des Cats, le Mont Kemmel, le Mont Rouge et le Mont Noir dont j’ai connaissance plus intime que des autres, puisque c’est sur lui que j’ai vécu enfant, bossuent ces terres basses… »
Le décor est planté : du Mont Noir à Bailleul en passant par Cassel s’étale la portion des Flandres, où s’enracinent les ancêtres de Marguerite Yourcenar, qui abrita, et abrite toujours, plusieurs unités douanières.
Mais les rameaux familiaux poussent aussi leurs bourgeons vers Ypres, Nieuport, Ostende et si le français représente « la langue de culture », le flamand constitue « la langue de l’enfance ». Dès lors, il n’est pas surprenant que l’auteur ressente à l’évidence le caractère tout à fait artificiel des limites administratives fixées par le traité de Courtrai de 1820 pour séparer la France des Pays-Bas, « …dans cette région aux frontières fluides… », « …dans la plaine qui va d’Arras à Ypres, puis s’allonge, ignorante de nos frontières, vers Gand ou vers Bruges… ». Pourtant cette barrière, plus ou moins niée, reprend ses droits, et en quelque sorte ses avantages, lorsqu’elle permet à son père, Michel de Crayencour, de se réfugier en Belgique pour éviter les conséquences de sa désertion de l’Armée, dans laquelle il s’était, fort imprudemment engagé.
L’évocation de cet épisode de la vie agitée de son père, offre l’occasion à Marguerite Yourcenar de mettre en scène très brièvement le service des douanes. A cette époque – nous sommes en 1883 – les douaniers arpentaient jour et nuit la frontière et pouvaient de ce fait contrarier l’entrée clandestine en France de Michel de Crayencour qui résistait mal au besoin, ou à la nécessité, de se retrouver pour de courts instants en famille notamment à la demande pressante de son père qui lui précise : « …mais il ne faut pas s’exagérer la difficulté.
Le Mont Noir est à deux pas de la frontière. Tout le monde nous connaît, les douaniers comme les autres. On fermera les yeux sur des visites de quelques heures… ». « …Michel venant d’Ypres faisait à pied ces quelques quinze kilomètres salué ou ignoré selon les cas par les douaniers.
Mais le jeu est risqué : reconnu et appréhendé, le déserteur est bon pour deux ans de forteresse..; ».
Un soir, un petit drame éclate dont les douaniers sont bien involontairement les protagonistes. Le talent avec lequel il est évoqué nécessite que l’on laisse la parole à l’académicienne : « …Par un soir de mars, il (Michel, le père de l’écrivain) se rend pour la dernière fois au Mont Noir avant son mariage, et prend les précautions habituelles. Cette année-là, Michel-Charles s’est installé de bonne heure à la campagne, peut-être pour se rapprocher de son fils. Comme toujours, Michel fait route à pied. Une mince couche de neige tardive s’étend sous les bois dénudés et sur les champs gris. Red comme d’habitude accompagnait son maître, bondissant sur la route, rampant sous les fourrés, soudain hors de vue, puis revenant à cette vitesse de bolide du chien qui veut s’assurer qu’on est toujours là.
Sur cette frontière, pas mal de contrebandiers suspendaient au cou de leurs chiens , de petits paquets de denrées interdites ; les bêtes bien dressées faisaient la navette d’elles-mêmes. Ce soir là, un douanier qui vit se profiler sur la pâle couche de neige un chien en apparence non accompagné, tira : la détonation et le gémissement qui suivit firent courir Michel jusqu’au prochain tournant.
Red blessé à mort eut à peine la force de lui lécher la main. Son jeune maître se jeta à terre et pleura. Il souleva le cadavre et le porta dans ses bras jusqu’au Mont Noir, où il l’enfouit honorablement sous un arbre. L’épisode est trop banal pour que des traces aient pu subsister dans les archives dont on peut encore disposer sur l’exécution du service à cette époque, d’autant que les destructions de la guerre, que nous évoquerons également, ont pu entraîner la perte de bons nombres de documents, notamment les registres des évènements des unités frontalières.
Néanmoins des dossiers existent qui nous permettent encore de faire revivre l’organisation du service de l’époque. Cette portion de frontière, dont la densité en brigades des douanes était plus conséquente qu’aujourd’hui, faisait partie de la capitainerie de Godewaersvelde et dépendait, tout comme en cette année 1988, de la Direction Régionale de Dunkerque.
Le Mont Noir et la frontière qui en coupe le versant Nord étaient compris dans la penthière de la brigade de 1ère ligne de Schaexhen constituée en 1852 d’un brigadier et d’un sous-brigadier, de 9 préposés dont le nombre à la fin du siècle était porté à 19.
Dans un imprimé administratif, descriptif, de 1852 intitulé : « Topographie et statistique du service des brigades », on retrouve tous les renseignements de nature à nous préciser les caractéristiques de cette unité et de son environnement, rubrique par rubrique, dans la forme suivante : « Le Schaexhen n’est qu’un hameau dont l’agglomération se compose de quatre habitations d’ouvriers, de deux cabarets, d’une forge de maréchal ferrant, du bureau des Douanes et de la caserne. Il est situé le long du gravier de Bailleul à l’Abeele, à un kilomètre à gauche du village de St Jans Cappel et à 4 kilomètres de l’étranger.
A l’exception de quelques mois de l’été, le climat y est humide, brumeux et sujet à de brusques variations de température. On trouve parmi les habitants beaucoup de scrofuleux ; les fièvres intermittentes y sont communes.
La population de la commune de St Jans Cappel de laquelle dépend le hameau de Schaexhen est de 1223 âmes. La majeure partie des habitants se livre à l’agriculture ; il n’y a pas d’autre industrie que le tissage des toiles et la fabrication de la dentelle.
Pour la vie quotidienne, on ne trouve aucune ressource à Schaexhen ; toutefois il est possible de trouver au village de St Jans Cappel, les choses de première nécessité. Sous le rapport du logement, les hommes y sont assez bien ; chaque ménage a un jardin permettant de récolter une partie de sa provision de légumes. Cinq préposés mariés habitent au village de St Jans Cappel et un près de la caserne ; ils sont convenablement logés et ont aussi chacun un petit jardin.
La commune de St Jans Cappel a deux écoles, dont une pour les garçons et l’autre pour les filles. Le médecin et le pharmacien de la brigade sont à Bailleul, c’est-à-dire à environ 4 kilomètres de la caserne.
Le village de St Jans Cappel se trouve à un kilomètre à droite de la caserne et, à trois kilomètres et demi de cette localité, se trouve la ville de Bailleul, chef lieu de la Capitainerie.-Sur la gauche se trouve le village de Berthen à deux kilomètres et, à quatre kilomètres, le village de Boeschèpe, chef lieu de la Lieutenance. La configuration de la penthière de Schaexhen a la forme d’un quadrilatère irrégulier. Elle a environ six kilomètres de largeur sur les devants et quatre sur le centre et les derrières. Tous les devants sont très accidentés et couverts par le Mont Noir. La penthière n’est pas accidentée sur les derrières qui sont couverts de pâturages, de fermes et de manoirs.
Sur la droite l’étendue de la penthière est de deux kilomètres ; le terrain est très accidenté sur les devants où l’on rencontre des ravins, des carrières, il est couvert de bois, de pâturages, de fermes et de maisons isolées ; la surveillance y est très difficile même pendant le jour.
Elle a deux kilomètres également sur la gauche. Mêmes renseignements que ci-dessus en ce qui concerne l’état du terrain. La contrebande est praticable sur le poste de Schaexhen, à dos d’hommes, à l’aide de chiens et de voitures. La contrebande est ordinairement assez importante sur la penthière de Schaexhen qui est fréquentée par la bande de Merris, composée habituellement de quatre porteurs marchant en deux pelotons. Il y a encore quelques colporteurs et pacotilleurs de Merris et des environs qui empruntent le terrain de Schaexhen. Ces importations consistent surtout en tabac, café, allumettes et pétrole.
Pendant le jour la surveillance est exercée par des services de rebats, d’observation et de circulation. Durant la nuit, des services de brune, d’embuscades et de circulation sont effectués. Le style administratif conduit rarement à l’Académie Française ; aussi le texte de ce document ne rivalise en rien avec la prose d’Archives du Nord.
Il n’est pas indifférent de constater qu’il précise le décor qui y est évoqué et qu’il confirme la pratique signalée par Marguerite Yourcenar de l’utilisation de chiens contrebandiers, animaux dressés pour se jouer des frontières et des douaniers en transportant à travers les pâtures les ballots de tabac belge. Mais cet épisode de contrebande et les péripéties du passage de la frontière au Mont Noir ne sont pas les seuls éléments où se côtoient les évènements décrits dans Archives du Nord et l’activité du service des douanes dans la région.
En évoquant les méfaits de la grande guerre et les dévastations que subit la région à cette époque, on peut aussi rapprocher à nouveau la famille de l’écrivain et l’Administration. Le Mont Noir est parmi les endroits touchés.
Même si la propriété familiale a été sacrifiée en 1912 à la passion du jeu qui animait son père, les dégâts causés par le conflit sont évoqués par l’écrivain avec tristesse et amertume, car le domaine a été : « …livré en holocauste aux dieux de la guerre… ». « …Le Mont Noir, en particulier, doit son nom aux sombres sapins dont il était couvert avant les futiles holocaustes de 1914.
Les obus ont changé son aspect de façon plus radicale qu’en détruisant le château construit en 1824 par mon trisaïeul… ». Les installations du service, dans le hameau voisin de Schaexhen, ne sont pas non plus épargnées.
Le conflit a, de plus, comme on l’imagine aisément, fait totalement passer au second plan le travail habituel des agents des douanes. L’armistice signé, les préoccupations du temps de paix reprennent leur droit ; il convient dans les conditions difficiles qui sont celles de la région, de réorganiser la vie administrative. Les difficultés nées de cette situation troublée nous sont connues par les rapports adressés par le Capitaine Yvon, Commandant la Compagnie des douaniers de Lille, à son Inspecteur décrivant la situation des différentes unités douanières en frontière et proposant les solutions qu’il conviendrait de mettre en œuvre pour reprendre l’exécution du service alors que l’armée campe encore sur ses positions. Ces rapports sont datés de février 1919 : « …St Jans Cappel : la caserne de Schaexhen pourrait, bien que très détériorée, être utilisée.
Il y a deux ou trois raisons qu’on pourrait rendre habitables avec le matériel nécessaire. Mais la difficulté serait dans le ravitaillement. Il n’y a plus de troupe à St Jans Cappel. Les hommes devraient aller au ravitaillement à Boschèpe, il y a à peu près 5 km, d’où difficultés, pertes de temps et d’effectif. J’ai pensé préférable, comme vous m’aviez dit de faire, de les mettre pour l’instant au Mont Noir à trois kilomètres au Nord de Schaechen, et au bord même de la frontière dont la caserne de Schaexhen est assez éloignée.
Il se trouve là au Mont Noir, une section détachée de la Compagnie de Boechèpe, faisant le service de frontière et ravitaillée tous les deux jours par sa Compagnie. Nos hommes seraient ravitaillés par les voiturettes de mitrailleuses qui apportent des vivres à cette section. Il existe quelques baraques en tôle ondulée qu’il faudrait réparer, mais le matériel ne manque pas sur place.
J’ai demandé au Lieutenant de l’Armée commandant le poste de nous faire réserver une de ces baraques (car les Anglais qui commandent le camp de Chinois qui est au Mont Noir les font démolir)… ». L’inspecteur à Hazebrouck M. Mironneau transmet ce rapport à la direction en rendant compte de sa décision d’approuver ces premières mesures.
Le Directeur Régional à Dunkerque, M. Wacongne adopte aussi cette attitude et souligne le caractère provisoire de ces dispositions : « … D’autre part, en prévision de la cessation prochaine de la coopération de l’Armée à la surveillance de la frontière, je me préoccupe du renforcement des effectifs… Il est bien entendu que d’ores et déjà des pourparlers devraient être engagés avec le propriétaire de la partie de la caserne encore debout pour que les réparations nécessaires soient faites dans le plus bref délai possible ».
M. Mironneau s’exécute. Il propose à son Directeur d’affecter les renforts : « …J’estime que cette 3ème brigade devraient être placée au Schaexhen, préféremment à Flêtre, car elle serait ainsi en première ligne et aussi en considération de ce que les habitants de Berthen: et de St Jans Cappel reviennent à leur ancienne résidence, et que par suite ces pays doivent être surveillés sur leurs avants.
Or à ce dernier point de vue, la brigade de Flêtre serait trop éloignée… ». Le fracas des armes s’était tu, les escarmouches et les embuscades contre la contrebande avaient à nouveau droit de cité. Mais les dégâts immobiliers les plus considérables ont été causés, bien évidemment, au centre urbain de Bailleul. Marguerite Yourcenar y fait référence, avec mélancolie, car la propriété familiale qui s’y trouve, partagée en qualité de résidence principale avec l’hôtel particulier de Lille, a subi également le désastre qui s’est abattu sur la ville :
« …La vieille maison de Bailleul a toujours signifié beauté, ordre et calme. Comme elle a disparu dans les fumées de 1914, et que je n’ai eu que le temps de l’apercevoir tout enfant, elle demeure à jamais dans cet illo tempore qui est celui des mythes de l’âge d’or… ».
Les rapports administratifs de l’époque nous renvoient l’écho de ces destructions sauvages, car à Bailleul, les deux bureaux de douane qui s’y trouvaient, la caserne, le corps de garde, tout est anéanti, et le service fort démuni. Le 24 juin 1919, l’Inspecteur à Hazebrouck fait le point de la situation : « On sait qu’il n’existe plus à Bailleul une seule maison qui soit habitable, ni à proximité. Aucune réparation n’est commencée, aucune construction n’est en cours, il y a tout lieu de prévoir qu’il s’écoulera un long temps avant une réédification quelconque… ».
Tout ce dont dispose l’Administration est un « terrain bouleversé par les obus… ».
Le Directeur à Dunkerque, dès le début de cette année 1919, avait effectué les démarches auprès des représentants du Ministère des régions libérées ou encore auprès du service des Ponts et Chaussées, « section de la reconstitution des régions envahies » afin d’obtenir « des baraquements à provenir de l’Armée anglaise sur le Littoral de la Mer du Nord pour y installer des bureaux, habitations et postes des douanes… »
. L’une des premières recommandations était aussi de sauvegarder ce qui pouvait l’être. Ainsi dès le 26 février 1919 adressait-il des instructions en ce sens au service : « …Il y aurait intérêt à fouiller les ruines de Bailleul de même que celles du bureau de Schaexhen pour y recueillir ce qui peut y rester des archives et de mobilier de bureau. On pourrait à cet effet, faire appel au concours du Commandant Major de Bailleul qui mettrait à notre disposition des prisonniers allemands pour effectuer des travaux de déblaiement sous la surveillance d’agents mobilisés… ».
Pour ce qui concerne les baraquements, l’Armée anglaise s’avère rapidement peu soucieuse de venir en aide à l’Administration française sinistrée et il fallut donc insister vivement auprès des Ponts et Chaussées pour reloger bureau et brigades.
A cet égard le texte de l’une de ces requêtes, datée du 4 juillet 1919, nous dépeint bien la situation à laquelle il fallait faire face, huit mois après l’Armistice : « …Le service de la Brigade des douanes de Bailleul est assuré actuellement par des agents mobilisés des classes encore sous les drapeaux. A la suite de la signature du Traité de Paix, ces agents seront démobilisés dans les premiers échelons et rendus à leurs postes du temps de paix.
Le service de cette brigade devra donc être assuré, exclusivement, dans un avenir peu éloigné par des agents démobilisés. La région de Bailleul a été de tout temps, et est actuellement plus que jamais, exposée aux entreprises frauduleuses.
Il est donc du plus grand intérêt pour le Trésor Public à ce que la surveillance de cette zone ne se relâche à aucun moment et a ce qu’elle puisse, au contraire, y être exercée d’une manière continue et efficace. Or il n’existe à Bailleul aucune maison habitable, l’ancienne caserne est complètement démolie. D’autre part, il ne m’est pas possible de reconstituer la brigade de Bailleul uniquement avec des célibataires.
La nécessité de l’édification des baraquements pour ménages s’impose donc avec la plus grande urgence le nombre de logements devrait être de quatorze… ». Toutes ces démarches devaient finalement aboutir à la livraison gratuite d’une baraque pour abriter la Recette, puis d’une série de constructions provisoires à usage de caserne pour les 14 agents de la brigade, chaque service affectataire devant prendre en charge le montage de ces édifices précaires livrés en pièces détachées.
Pour ce qui concerne le bureau et le poste de garde la description nous en est restituée par les rapports que l’inspecteur adresse à son Directeur : « …Composé à l’origine de deux pièces seulement, une pour le bureau et une pour le logement du Receveur, le local a reçu des améliorations considérables par les soins du Receveur… ». « …Il a été servi de façon permanente et sans frais par des prisonniers de guerre, grâce aux bonnes relations qu’il a su entretenir avec les autorités militaires locales… ». L’Inspecteur souligne l’efficacité du Receveur par qui : « …le baraquement du bureau est devenu une petite villa en bois assez confortable. L’agencement du bureau est lui-même intéressant… J’ajoute que j’ai félicité M. Weydin, Receveur, d’avoir fait édifier sans frais, par les Boches prisonniers, à la suite de son bureau et y attenant, une salle de visite fort convenable et un petit magasin, le tout recouvert de tuile… ».
Malgré le cataclysme qui venait de s’abattre sur le pays et la destruction quasi-systématique de la région, chacun, comme ces fonctionnaires des douanes, recherchait avec fébrilité à reconstituer les conditions matérielles ordinaires de la paix revenue. La caserne, quant à elle, ne paraît pas avoir bénéficié des mêmes sollicitudes, l’aide des prisonniers pour son aménagement avait dû se mesurer davantage.
Un plan joint au dossier, nous permet de nous représenter l’installation des agents : de part et d’autre d’une allée centrale, s’alignent en vis à vis, 7 baraques, dont 6, séparées par un intervalle de 5 mètres, sont mitoyennes. Chaque famille dispose d’un jardinet sur l’arrière de la construction.
Le logement est constitué d’un rectangle de 8,50 m sur 4,50 m et comporte une pièce centrale à usage de cuisine flanquée d’une petite chambre de chaque côté : à l’époque où les familles nombreuses n’étaient pas rares, les surfaces n’en étaient pas moins chichement mesurées.
Doit-on souligner que l’existence de deux chambres et la présence d’un jardin constituaient très certainement un élément de confort relatif non négligeable ? Cette description des installations provisoires du service des douanes à Bailleul semble nous éloigner de Marguerite Yourcenar. Moins qu’il n’y parait : le terrain sur lequel ont été édifiées ces baraques appartient à la famille de Coussemaker alliée aux Cleeneweck de Crayencour.
Cette alliance est ancienne au sein des « quelques douze familles qui se partagent Bailleul », comme le précise l’écrivain.Dans « Archives du Nord » elle fait état du mariage de deux de ses ancêtres, en 1647, Charles Bieswal de Briarde et Jacqueline de Coussemaker.
Plus près de nous, nous sommes dans la période révolutionnaire au niveau des trisaïeules de Marguerite Yourcenar, Joseph Bieswal, Maire de Bailleul, qui émigrera pour échapper à la période troublée qu’il redoutait, a pour épouse Valentine de Coussemaker.
Cette noble dame est la belle-mère de Charles Augustin de Crayencour, bisaïeul de Marguerite, qui construisit, en 1824, le Château du Mont Noir. Tout au plus trois générations la séparent de ses descendants collatéraux de Coussemaker qui signent en 1919 le bail d’occupation de leur terrain par l’Administration des Douanes : ils sont quatre.
Félix de Coussemaker, Docteur en droit et propriétaire, époux de Madame, née Denise Aronio de Romblay, domiciliés à Paris, se porte fort pour ses trois sœurs : Mme Madeleine de Coussemaker, épouse de M. le Baron Pierre d’Esperices et Melles Maria et Clothilde de Coussemaker, célibataires, majeures. L’histoire de la signature nécessaire du bail commence par un gag : le service s’est installé sur un terrain qu’il croyait appartenir à l’ancien propriétaire de la caserne.
Confusion bien compréhensible dans le champ de ruine qu’est Bailleul : « …Lorsque nous sommes venus sur le terrain loué, il était au surplus dans un état chaotique indescriptible causé par les obus ; nos agents l’ont remis en bonne situation, augmentant par conséquent sa valeur… ».
La propriété de Coussemaker se présente sous la forme d’une ancienne pature d’environ 80 ares, située : « …à l’entrée de ce qui fut la ville de Bailleul, sur la route venant d’Ypres, à quelques pas de l’ancien bureau… ». Les transformations qu’a pu connaître Bailleul depuis soixante dix ans ne nous permettraient de situer cet emplacement que d’une manière bien approximative si nous n’avions, en archive, un document de 1925 relatif au renouvellement du bail, qui nous fournit un point de repère existant encore aujourd’hui : « …Un terrain qui prend de plus en plus de valeur, à mesure que se reconstruit, à proximité, presque en face, l’asile départemental du Nord pour les aliénés, qui embrasse des constructions considérables … » .
Le notaire qui défend les intérêts de la famille de Coussemaker, utilise cet argument, qui peut paraître un peu surprenant, pour réclamer un loyer de 1 800 francs, soit près de cinq fois le montant de la location initiale du terrain en 1919. La progression particulièrement spectaculaire de la dépense, ajoutée au caractère provisoire des constructions qui ne pouvaient guère que se dégrader avec le temps, seront les éléments qui détermineront l’Administration à modifier l’installation du service.
La solution de l’époque (elle était très usitée au moins depuis la deuxième partie du XIXème siècle) consistait à rechercher un propriétaire souhaitant effectuer un placement immobilier, à lui exposer précisément nos besoins et à lui louer ensuite cet immeuble construit par ses soins spécialement et selon les nécessités du service. Ainsi fut fait. Le 29 septembre 1927, l’Administration des Douanes procédait à la réception définitive des locaux comprenant le bureau, le logement du Receveur et le corps de garde, construits sur l’emplacement de l’ancien bureau détruit au cours de la guerre, non loin de l’emplacement occupé provisoirement durant huit ans.
Le bail signé avec M. Hewart, comptable à Bailleul, prévoyait un loyer annuel de 5 000 francs. Le contrat passé avec la famille de Coussemaker fut donc résilié, coupant ainsi le dernier fil ténu qui liait le service des Douanes de Bailleul à Marguerite Yourcenar. L’académicienne n’avait encore publié, à cette date, aucune des œuvres qui devaient lui apporter la célébrité et nous tenir sous leur charme.