Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

Les motards de la douane: « une expérience neuve et originale » dit la presse en 1954…

Mis en ligne le 1 novembre 2021

N.D.L.R. 1955 — La presse spécialisée s’intéresse à notre effort de modernisation et nos motards commencent à être connus en France et à l’étranger. Nous sommes particulièrement heureux de porter à la connaissance de nos lecteurs l’étude ci-après, parue dans le numéro de décembre de la « Revue Technique Motocycliste ». Nous ignorons entièrement qui est l’auteur de cet article lequel n’en revêt que plus d’intérêt à nos yeux en raison même de l’impartialité de l’avis d’une personne étrangère à la rédaction de notre Journal. La grande photographie (*) publiée après l’étude est extraite de la revue britannique « Motor Cycling » d’octobre 1954.

 

Les motards de la douane

 

 

Nombreux sont, de nos jours, les administrations et services publics qui font appel à la motocyclette pour l’exécution de tâches ou de services où cet engin se montre inégalable. Chacun a pu voir, lors des cortèges officiels, ou aux carrefours routiers, les « motards » de la Sûreté nationale ou ceux de la Préfecture de police. 

 

Voilà que de nouveaux hommes font leur apparition sur les routes de France : les « motards » de la Douane. Veste de cuir, casque bleu marine, seules les distinguent extérieurement des policiers : la couleur plus claire de leur pantalon bleu à bande rouge et la plaque de poitrine, portant ce simple mot : «  Douane « . 

 

Il importe de dissiper tout de suite une équivoque: cette très ancienne administration, dont les statuts actuels remontent à une loi du 22 août 1791, ne vient pas subitement de découvrir la motocyclette ! Outre les nombreux agents qui utilisent ce moyen de locomotion, ainsi que le scooter, pour se rendre à leur service ou pour les besoins de celui-ci, l’administration des Douanes françaises a depuis longtemps fourni à certains de ses hommes des motocyclettes, pour remplir certaines tâches, telles que : estafettes de liaison, transport rapide de courrier dans les grandes agglomérations, contrôles rapides des chefs locaux, etc… 

 

Ce qui donne à l’expérience que nous allons décrire un intérêt actuel, c’est l’utilisation de groupes moto- cyclistes autonomes dans la recherche et la répression de la fraude, groupes constitués en tant que moyen d’action particulier, et possédant à ce titre une doctrine d’action propre, une formation poussée, et un matériel parfaitement adapté aux besoins de ce nouveau service:

 

Les groupes motocyclistes, nouveau moyen d’intervention

 

Dans la petite guerre qui oppose sans relâche, jour après jour et nuit après nuit, les douaniers aux fraudeurs, les initiatives de ces derniers appellent toujours une riposte de ceux-là. L’expérience encore récente des groupes motocyclistes est née, peut-on dire, des hardiesses de la fraude.

 

Lorsque, après la seconde guerre mondiale, le monde des fraudeurs, « passeurs » aux faibles moyens, « bandes » plus fortement organisées ou « gangs » à ramifications internationales, s’est mis à l’école des techniques les plus modernes, les Douanes de notre pays ont dit chercher à parer chaque coup en employant elles aussi, des moyens techniques sans cesse plus perfectionnés : liaisons radio, vedettes de haute mer, engins d’arrêt perfectionnés, etc… 

 

Les groupes motocyclistes sont nés de cette ambition de riposte aux attaques de fraudeurs, équipés d’engins modernes. Les Douanes ont eu à faire face en effet, dans le Nord, à des franchissements en force, par des voitures rapides, d’une frontière difficile à garder. De même, elles ont dû parer à des débarquements clandestins réalisés inopinément, par des vedettes rapides aidées d’avions légers en guise d’éclaireurs, sur nos côtes méridionales. Les groupes motocyclistes, par la soudaineté de leurs interventions et Ieur rapidité de déplacement, comme par la. vitesse de leurs engins de chasse, sont très précieux contre cette fraude. Mais il y avait certes plus dans l’esprit des créateurs de ces groupes motocycliste, : il y avait aussi le désir de prendre l’initiative dans cette lutte perpétuelle, en dotant l’administration d’un outil moderne, sûr, et bien adapté. De même, on peut y voir le désir d’accentuer le rôle préventif d’une veille permanente, plus mobile, plus déroutante, donc plus propice à inspirer une crainte salutaire. 

 

 

Ces groupes sont constitués, en effet, de huit « motards « , qui servent en cette seule qualité, après une sélection sévère, et dont l’esprit s’inspire à la fois des traditions solides de leur administration, et du moderne esprit sportif des pratiquants de la motocyclette. 

 

L’implantation des groupes est choisie en fonction de la topographie de la zone frontière et des arrières à couvrir : carrefour de routes importante proximité d’un grand centre urbain… Leur emploi est étroitement subordonné aux conditions locales du service, à la disposition sur le terrain des autres unités, aux dangers particuliers de fraude dans la région considérée : il n’y a. donc pas, pour l’instant, de doctrine unique pour leur intervention, mais des essais locaux, dont se dégagent peu à peu des idées d’ensemble et des traits communs.

 

La vie des groupes

 

Dirigés par deux sous-officiers, un chef de groupe et son adjoint, motards virtuoses comme eux, bien entendu, les six hommes du groupe, dont l’un assure en outre les fonctions de mécanicien-dépanneur de première urgence, mènent près des frontières de terre ou de mer une vie passionnante, faite de patrouilles, d’embuscades, de poursuites épiques, et aussi de veilles interminables, par tous les temps et à toutes les heures.

 

Sortant en général par deux, les motards se voient confier des missions très diverses : surveillance d’un point de passage, recherche d’un véhicule suspect, poursuite d’un véhicule qui a forcé un barrage, interventions inopinées doublant les autres services, etc. 

 

La liste de leurs modes d’action serait longue et il conviendrait encore d’ajouter les concours divers qu’ils prêtent, soit aux services douaniers, en période touristique, par exemple, soit exceptionnellement à d’autres services tel le secours routier. Toutes ces missions, qui doivent être accomplies avec hardiesse, mais aussi avec un grand tact et une parfaite correction, gardent cependant un caractère profond d’unité : les motards interviennent toujours là où il faut un élément rapide, arrivant vite sur les lieux, capable, par la décision, le sang-froid, et la valeur professionnelle des hommes, d’initiatives quasi instantanées et d’une action douanière efficace. 

 

Une doctrine d’action se dégage peu à peu de l’expérience quotidienne et, depuis deux ans que celle-ci dure, les officiers et chefs divisionnaires, sous l’autorité desquels travaillent les motards, sont à même chaque jour un peu mieux, d’employer ces unités spéciales. 

 

Leur insertion dans le dispositif traditionnel des Douanes, à côté des brigades de première ligne, des brigades mobiles, des groupes motorisés, pose, on s’en doute, bien des problèmes. Mais l’allant de ces jeunes hommes, l’esprit novateur d’une administration bien plus moderne qu’on ne le croirait par préjugé, ont facilité les choses. Les résultats déjà obtenus donnent raison à ceux qui pensent qu’une administration ne doit jamais négliger les ressources de la technique la plus avancée, dans la mesure des moyens budgétaires dont elle dispose. En effet, les motards de la Douane ont déjà marqué des points : soit qu’ils aient réussi des prises en agissant seuls, soit qu’ils en aient fait réussir par leurs initiatives. 

 

Les liaisons avec les autres services se perfectionnent de jour en jour, notamment avec les vedettes en mer et, sans publicité tapageuse, sans bruit, les Douanes françaises sont en passe de forger un nouveau moyen d’intervention très efficace, et particulièrement rentable. 

 

D’où viennent ces hommes ?…

 

Mais les groupes motocyclistes ne seraient rien s’ils n’étaient composés d’agents qui, par leur recrutement, leur formation et leur tenue, ne constituaient en quelque sorte une élite. 

 

Leur recrutement est sévère: en partie composé de jeunes agents des Brigades (préposés ou sous- officiers des Douanes) déjà en service, en partie composé de jeunes gens qui, ayant passé le concours des Brigades, par lequel on entre dans les Douanes en uniforme, se déclarent volontaires, à leur entrée à l’école, des brigades pour devenir « motard ». 

 

Après avoir suivi à l’école des brigades des Douanes, à Montbéliard, la formation théorique et pratique que reçoivent tous les douaniers, y avoir obtenu de bonnes notes et avoir fait preuve d’une tenue et d’une présentation impeccables, les postulants sont soumis à de sévères tests psychotechniques. 

 

En effet, l’administration des Douanes emploie, depuis plusieurs années, pour la sélection de ses spécialistes, la méthode des tests psychotechniques, particulièrement capable de déceler les insuffisances physiques ou psychiques qui éliminent immédiatement certains candidats déficients. Bien que l’administration se montre très prudente en cette matière, en égard aux traditions libérales de notre pays, il est certain que le futur motard, auquel un service épuisant sera demandé, dans des conditions parfois dures (brouillards du nord, verglas d’Alsace, soleil éblouissant du midi), doit satisfaire à une visite médicale approfondie et à des tests sévères, qui seront sans pitié: état du coeur, des organes internes, du système nerveux, acuité visuelle, vision nocturne, résistance à l’éblouissement, rapidité et sûreté des réflexes, maîtrise de soi, résistance nerveuse, etc.

 

Voici notre candidat admis à suivre la préparation spéciale des motards. Outre les nombreux sports, dont le judo, pratiqués à l’école des brigades, des exercices spéciaux le prépareront à la moto : assouplissement, chutes volontaires, etc.

 

Puis vient le grand jour où on lui confie une machine d’entraînement. Désormais, c’est tous les jours, par tous les temps, qu’il va rouler sous la direction de moniteurs chevronnés. Sur route d’abord, puis en terrain varié, et en terrain de cross pour finir. Alternant avec les séances de théorie (code de la route, dépannage moto et auto, secourisme, etc.), des exercices quotidiens feront du candidat motard un virtuose accompli, franchissant des obstacles très durs, gardant le contrôle de sa machine sur tous les terrains, à toutes les allures, et dans toutes les circonstances. Ces exercices ont lieu, près de l’école, dans un terrain spécialement aménagé (buttes, fondrières, fossés, etc.). Des moto BSA « Special-Cross sont à la disposition des élèves.

 

A ce régime assez dur, convenons-en, certains sont écoeurés et abandonnent. Sans qu’il leur en soit tenu rigueur, ils peuvent servir dans d’autres unités.

 

Ceux qui ont « tenu » et ont ainsi gagné le droit de porter fièrement leur plaque de poitrine, vont rejoindre enfin; sur nos frontières, les unités dispersées auxquelles ils appartiennent.

 

Quelques mois plus tard, un stage de perfectionnement les réunira, avec leurs collègues de la police, à l’École Motocycliste du C.I.A. de la Sûreté nationale, à Sens, où ils acquéreront cette présentation impeccable, cette assiette qui donne aux motards formés dans cette école, le « métier » auquel les pratiquants les reconnaissent, et un esprit de dévouement et de « service public » apprécié de tous.

 

Leur matériel

 

On peut aux douaniers ainsi formés, confier sans crainte un matériel de choix, qu’ils entretiendront eux-mêmes avec amour, dans le petit atelier que possède chaque groupe.

 

Les premières unités furent équipées de motos CEMEC 750 cm3 type L-7 « police routière ». 2 cylindres à plat, soupapes latérales, 4.300 tours minute, 4 vitesses à sélecteur. Très récemment, l’administration des Douanes a reçu des BSA 500 cm3, type A7, 2 cylindres verticaux, 4 temps, soupapes culbutées, 6.000 tours minute, 4 vitesses à sélecteur. Ces dernières équipent, concurremment avec les CEMEC, certaines unités.

 

Ces motos bénéficient d’une mise au point soignée et en particulier leur appareillage électrique est étudié en vue du rude effort qui lui est demandé:  missions de nuit fréquentes. Ajoutons que ce matériel s’appuie sur une forte organisation territoriale (garages de grande révision; postes de transmissions téléphoniques et radiophonique; moyens de transport rapide des unités de soutien éventuel), sans laquelle organisation son efficacité serait nécessairement compromise.

 

Diverses améliorations, croyons-nous savoir, sont à l’étude. Entre autres, l’Administration aurait été intéressée par les liaisons radio à partir de motos spécialement équipées, permettant à tout instant de communiquer sans intermédiaire avec les autres unités et avec les chefs qui dirigent la lutte contre la fraude.

 

Perspective d’avenir

 

Que pouvons-nous penser de cet effort d’amélioration poursuivi, malgré les difficultés que l’on devine, par une de nos grandes administrations ? 

 

En tant que motocyclistes passionnés nous ne pouvons d’abord que nous réjouir de voir la moto conquérir, sans cesse de nouvelles positions dans notre pays. Nous pensons aussi que des dispositifs et moyens d’action modernes, mis sur pied par des services administratifs réputés pour leur prudence devant l’inconnu et le nouveau, doivent constituer un exemple pour la rénovation de notre administration tout entière. Ils devraient aussi alléger notre fardeau de contribuables, s’il est vrai qu’un motard circulant est aussi efficace que plusieurs douaniers à poste fixe.

 

Enfin, si la protection de notre économie s’en trouve renforcée, si la sécurité sur nos routes s’en trouve accrue, nous ne pourrons que nous féliciter de cette expérience neuve et originale. Seuls les contrebandiers s’en plaindront… –

 

NDLR JFP 1955: Les documents qui illustrent le présent article sont tout récents et absolument inédits. Ils proviennent d’un «album de souvenirs » d’un officier des douanes, amateur éclairé de la photographie.

 

(*) « These French Customs Officers in the bois de Boulogne – the Hyde Park of Paris – have just taken delivery of fifteen B.S.A. 500 c.c. model L7 machines. They will be used largely to patrol the Republic’s land frontiers » (Motor Cycling – oct. 1954) (**).

 

 

(**) traduction:  » Ces agents des douanes français dans le Bois de boulogne – le Hyde Park parisien – viennent de prendre livraison de quinze motos B.S.A. 500 c.c. modèle L7. Elles seront utilisées, pour la plupart,  pour les patrouilles le long des frontières terrestres de la République« .


 

Journal de la formation professionnelle 

 

N° 43 

 

Janvier 1955

 


 

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