Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes
Les lectures du douanier
Dans un petit ouvrage de 58 pages intitulé « Les lectures du douanier » édité en 1938, Henri Fequet, Directeur des Douanes à Lille évoque ce qui constitue pour lui les grands principes qui sont à la base du métier de douanier des brigades.
A la veille de sa retraite et après 42 ans de service (1895-1937), il s’appuie sur sa longue expérience professionnelle pour donner des conseils, tant sur la manière dont doivent se comporter les douaniers que sur les méthodes de travail pour déjouer la fraude.
C’est à la fois un guide de déontologie empreint de simple bon sens et un outil technique de lutte contre la fraude.
Je laisse la parole à Henri Fequet en citant quelques extraits de son livre:
Une conduite exemplaire
« Le serment que nous avons prêté le jour de notre entrée en fonctions, et à la suite duquel nous avons reçu notre commission d’emploi, est un acte solennel. Il nous confère des droits d’une grande importance, mais il nous impose aussi de grands devoirs. »
« Le premier , c’est d’avoir une conduite exemplaire, qui nous rehausse vis à vis du public , une tenue parfaite qui nous fasse respecter de tous , une attitude constamment correcte qui renforce notre autorité. » (..)
« Le second, c’est de faire preuve de la plus grande probité et d’une sincérité absolue (…) Sous aucun prétexte, nous ne devons dire autre chose que ce qui est l’exacte vérité. Et cette règle ne s’applique pas seulement lorsqu’il s’agit d’établir des procès verbaux (..) elle est aussi impérieuse dans nos rapports avec nos camarades et avec nos chefs ».(..)
« Nos rapports avec le public seront empreints de la plus parfaite politesse. » (..)
« Nous devons nous appliquer nous mêmes la discipline qui doit régir notre vie administrative comme notre vie privée, l’une et l’autre sont d’ailleurs étroitement liées. »
Rapports avec les collègues
« Nous sommes appelés à travailler côte à côte, la nuit comme le jour; nos sorts sont étroitement liés (….) ; nous sommes entièrement solidaires les uns des autres , dans les circonstances heureuses comme dans les dangers qui peuvent survenir en service. Soyons donc de bons, de vrais camarades toujours unis ».
Rapports avec les chefs
« notre collaboration, notre travail commun ne seront fertiles que s’ils ont pour bases la bienveillance de nos chefs à notre égard, notre attachement et notre respect pour nos chefs. »
Rapports avec les voyageurs :
« Si nous avançons avec empressement, si nous saluons avec assurance, nous faisons impression ; les personnes auxquelles nous nous adressons sentent qu’elles ont devant elles un agent de l’autorité. Il arrive parfois que des voyageurs se permettent de faire des réflexions quelque peu déplacées ; laissons passer leur mauvaise humeur sans nous y attarder. (….) Sachons nous y prendre de telle façon que le voyageur supporte notre contrôle sans qu’il lui apparaisse déplaisant et surtout vexatoire. »
La lutte contre la fraude
« Dans notre métier la curiosité est une grande qualité. » (…) « La fraude est susceptible de s’exercer sur toutes sortes de produits, dès qu’elle peut procurer un réel bénéfice : appareils photographiques, bijouterie, armes, cocaïne, etc..etc.. » (….) les fraudeurs sont gens audacieux (….) Comme le chasseur à l’affût, sachons attendre patiemment et persévérer; les résultats peuvent tarder, mais avec de la patience et de la persévérance, nous finirons par les obtenir. »
La recherche de renseignements
– auprès des aviseurs « le secret le plus absolu doit être observé à l’égard des aviseurs, quels qu’ils soient; car autrement nous les exposerions aux représailles des fraudeurs qui n’hésitent pas à se venger de ceux qui les ont dénoncés; (…..) L’aviseur est lui même souvent un fraudeur qui , en venant nous renseigner , agira par vengeance, ou poussé par l’appât du gain, ou aussi, parfois, dans l’espoir de nous tromper en faisant exercer la surveillance sur une partie de la penthière alors que les porteurs passeront ailleurs « (….)
– par des services d’investigations qui ont pour but de se renseigner auprès des (… ) gendarmes, gardes-champêtres, gardes-chasse, cantonniers, facteurs, commerçants, débitants de tabacs »
– par des services de rebat et de reconnaissance pour découvrir des traces ou des pistes de passages de fraudeurs ». (…) « le service de rebat ou de reconnaissance doit nous passionner autant que la recherche des traces du gibier passionne le chasseur (…) «
La fraude par automobiles
« les automobiles en circulation sont nombreuses; celles qui viennent vers nous ne sont pas toujours, loin de là, des voitures de fraude; et nous concevons de suite combien nous devons être prudents pour éviter les méprises, tout en accomplissant cependant notre mission (….) Nous apprendrons comment il faut faire les signaux d’arrêt , de jour ou de nuit, et comment et avec quels obstacles, herses, chausse-trapes, hérissons, nous empêcherons une voiture de poursuivre sa route, si son conducteur n’a pas obéi à nos sommations (…..) Si un véhicule ne ralentit pas sa marche, nous répéteront les signaux tout en nous portant sur le bas-côté gauche de la routera gauche étant déterminée en faisant face à la voiture qui, elle tient sa droite (…) celui d’entre nous ,chargé de lancer les obstacles, se jettera également sur la gauche. Tous nous serons ainsi du même côté, si nous devons faire usage de nos pistolets au moment où la voiture passe à notre hauteur, pour tirer sur ses oeuvres vives, nous ne risqueront pas de blesser un de nos camarades. »
La fraude par moyens cachés
« ceux qui la pratiquent, aménagent des cachettes dans des véhicules de toutes sortes (automobiles, camions, bateaux, wagons,…), dans des emballages de toutes catégories ( caisses, fûts, valises, malles…), dans les objets les plus divers (pièces de bois, dalles en ciment, blocs de pierre…); ils dissimulent la marchandise de fraude parmi d’autres marchandises qui la masquent à notre vue ; ils la portent sur leur personne, dans des vêtements spécialement agencés (…..), il faut « de l’attention, de l’esprit d’observation, du coup d’oeil, du flair en un mot (….) En procédant méthodiquement, nous deviendrons habiles à découvrir faux plafonds, doubles bâches, faux dossiers, faux planchers, fausses parois, réservoirs truqués (…. ) Pour approfondir nos recherches, nous utiliserons (… )un fil de laiton semi-flexible pour sonder les réservoirs, (. .) une aiguille à repriser pour sonder les parties capitonnées d’une automobile,…une petite vrille pour rechercher des doubles fonds (…. ) Toutes sortes de marchandises peuvent être dissimulées à corps: diamants cousus dans le col ou le revers de la manche d’un pardessus, bijoux dans une fourrure, stupéfiants dans le corset d’une femme, dans les langes d’un enfant, tabac en paquets rangés dans une culotte double ou dans un faux jupon »
Henri Fequet conclu son livret par ces mots : « aidons nous, aidez vous en continuant à remplir votre mission avec dignité, suivant la belle devise « Honneur et Dévouement » qui est celle du Corps des Douanes , avec courage, c’est à dire avec le ferme résolution de ne jamais reculer devant le labeur de chaque jour, devant ses difficultés et aussi, parfois, devant ses dangers. »
En insistant sur l’amour du travail et l’engagement dans le métier , ce recueil peut apparaître , de nos jours , bien solennel et désuet. Il n’en reste pas moins, sur de nombreux points, d’une pertinence toujours valide, notamment en matière de comportement mais aussi de lutte contre la fraude y compris à propos d’actions que l’on croyait définitivement abandonnées comme la fraude de tabac à dos d’hommes à laquelle nos collègues des Pyrénées font la chasse en utilisant à nouveau la méthode des services de reconnaissance de traces et de pistes en montagne.
Marc Langlet