Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

Les douaniers de l’Empereur (Moselle, 1815)

Mis en ligne le 1 mai 2021

Un épisode de l’histoire de la Moselle raconté par Roger Corbaux 

 

Waterloo, l’Empereur a perdu sa guerre et sa couronne. Louis XVIII reprend son trône, le congrès de Vienne ses travaux et ses mondanités. Ainsi prend fin une parenthèse pathétique qui n’aura duré que cent jours…

 

…mais à Longwy, à Rodemack, à Sierck, à Thionville, la Moselle défendait encore son droit à rester française ».

 

 

Tandis qu’à Vienne on dansait, en Moselle, oubliés de l’Histoire :

 

Toutes choses rentrées dans l’ordre, Monsieur de Saint-Cricq est rétabli dans ses fonctions de chef de l’administration des douanes ; l’annonçant lui-même à ses directeurs il leur écrit le 11 juillet : (1)

 

« Je dois croire, Monsieur, qu’au moment où cette lettre vous parviendra, l’autorité du Roi aura déjà été pleinement rétablie dans toute l’étendue de votre direction et que tous les chefs et préposés auront repris avec empressement la cocarde blanche, seul signe de ralliement de tous les français en uniforme…

 

Il résulte des rapports qui me sont faits, que sur plusieurs points, et notamment sur les frontières du Nord et de l’Est, un bon nombre de préposés et même quelques chefs se sont fait remarquer par la violence de leurs procédés et par l’exagération d’un prétendu zèle, qui n’a pu trouver sa source que dans des sentiments incompatibles avec l’ordre des choses heureusement rétabli en France.

 

Je vous recommande de me signaler les employés à ma nomination qui se trouvent dans ce cas, et de faire promptement justice de ceux dont le choix et la révocation vous appartiennent ».

 

C’est peut-être des mains d’une estafette russe que le colonel Clerget, directeur des douanes à Thionville reçut la circulaire de son supérieur mais il est douteux qu’il prit le temps d’en exécuter soigneusement les prescriptions.

 

Le 11 juillet 1815 et pendant de nombreux autres jours très longs, il y avait en effet bien autre chose à faire à Thionville. En Lorraine, en effet, rien n’était terminé ; à Waterloo, l’Empereur avait perdu sa guerre et sa couronne mais à Longwy, à Rodemack, à Sierck, à Thionville, la Moselle défendait encore son droit à rester française.

 

Paris paraissait ,bien loin et l’autorité du Roi bien sujette à caution même et surtout de la part de ses alliés. Les lorrains méfiants étaient sur la défensive. Au vent léger de l’été, insolent, le drapeau tricolore flottait toujours dans le ciel mosellan.

 

Le Baron Ladoucette, préfet de Metz, excusait les mouvements de révolte à l’ordre nouveau en écrivant : Il est un trait caractéristique que les habitants de la Moselle ont hérité de leurs pères et dont rien ne peut les faire départir : ils redoutent extrêmement d’être démembrés de la France ou d’avoir des garnisons étrangères». (2)

 

Il ne s’agissait de rien moins, en effet, que défendre l’intégrité territoriale de la France. En mars 1815, les souverains et les ambassadeurs réunis à Vienne, apprenant le retour de l’Empereur avaient résolu de ne pas déposer les armes tant que Bonaparte ne serait pas mis absolument hors de possibilité d’exécuter des troubles», mais ils avaient pris en même temps l’engagement de ne pas toucher aux frontières de la France telles qu’elles résultaient du Traité de Paris du 30 mai 1814.

 

Mais ceci ne faisait point l’affaire des militaires prussiens qui, rudement étrillés par Napoléon pendant des années, ne cachaient pas leur soif de vengeance et de butin.

 

Leur état-major demandait des réparations et des indemnités fantastiques. Leur ministre lui-même, Hardenberg, se trouvait impuissant à leur résister. Les généraux prussiens réclamaient l’Alsace et la Lorraine, la vallée de la Sarre, le Luxembourg, et la Savoie, une indemnité de guerre de 1 200 000 000 de francs et… la destruction du pont d’Iéna! (3).

Pendant que s’engageait à Vienne une âpre bataille diplomatique qui vit s’allier à Talleyrand contre les militaires prussiens, le Duc de Wellington, Castlereach, le Tsar Alexandre et l’Empereur d’Autriche, le Prince de Hesse-Hombourg s’efforçait d’obtenir sur le terrain des gages militaires incontestables permettant de jouer la politique du fait accompli. Dans ces combats, d’arrière-garde sans doute, mais dont l’enjeu était capital pour l’avenir de la Lorraine, il y avait les douaniers. N’ont-ils pas pour mission de garder la frontière qu’on leur a confiée ?

 

 

Débris d’Empire

 

 

C’était une belle troupe que formaient ces douaniers, rescapés de Anvers, de Nimègue, de Hambourg mais de Mayence surtout d’où la plupart provenaient et qu’ils n’avaient évacuée que dans les premiers jours de mai 1814, avec l’armée. pour venir reconstituer la direction des douanes de la Moselle.

 

On citait ici le nom de Cutsaert qui, pendant la campagne de 1813 avait commandé avec distinction la compagnie d’élite du 1er corps de la douane dans la direction de Hambourg et que l’Empereur avait fait chevalier de l’Ordre de la Réunion mais qui était plus fier encore de cet étrange passepoil couleur de Légion d’Honneur dont s’ornait depuis lors la culotte de sa tenue d’uniforme.

 

 

On savait d’ailleurs que Napoléon aimait ses douaniers qui le lui rendaient bien au point que 700 à 800 d’entre eux l’avaient accompagné à Fontainebleau avec la vieille garde. Un détachement de ces préposés là qui avaient vu l’Empereur pleurer sur ses drapeaux avait quitté Paris le 22 avril 1814 pour venir à Metz où ils étaient affectés. grossir la garnison des anciens de la frontière du Rhin.(5)

 

Pour le seul département de la Moselle, la douane comportait alors 155 brigades à pieds et à cheval fortes de 1 850 hommes solidement encadrés bien armés et aguerris que vinrent rejoindre des employés aux écritures, contrôleurs aux visites, expéditionnaires et commis avides de reprendre du service ainsi que quantité de pauvres diables plongés dans une retraite prématurée avec la fin du blocus continental. Débris d’Empire, rêvant de gloire et rongeant leur frein, les événements de mars 1815 les avaient frappés de plein fouet.

 

Le 12 juin l’Empereur donnait l’ordre de fermer toutes frontières ; on fit appel au patriotisme des préposés des douanes ; c’était bien inutile. Le décret du 10 avril qui avait mis en activité les compagnies d’élite de la garde nationale des départements frontières les avaient déjà mobilisés. Les unités ainsi constituées, de bric et de broc, de volontaires et de retraités étaient destinées à la garde des forteresses car toutes les troupes de ligne avaient dû rejoindre l’armée.

 

La plupart des places fortes de la Moselle constituaient des obstacles insurmontables pour l’envahisseur ; l’on avait coutume de dire d’elles qu’elles gardaient sans doute la province, mais de Metz qu’elle gardait la France. Aussi, Metz ne fut inquiétée ni par les russes ni par les bavarois ; Sarrelouis et Bitche ne furent pas plus attaquées.

 

Mais les prussiens se ruèrent sur Sarrebruck qui ne comportait aucune garnison et qui n’était défendue que par quelques douaniers et gardes nationaux et s’empressèrent d’occuper les villages des cantons de l’ancien département de la Sarre demeurés français en 1814 avec la ferme intention de n’en plus déloger.

 

Le Prince de Hesse-Hombourg qui stationnait au Luxembourg se porta immédiatement sur les forts qui gardaient la frontière nord de manière à occuper le maximum de terrain avant la conclusion du traité de paix. Seuls, Longwy et Thionville pouvaient offrir une résistance sérieuse ; Rodemack encore que bien située n’était qu’une vieille bâtisse ; Sierck, un antique château à l’allure pataude mais qui gardait bien cependant la route de Thionville ainsi que la Moselle à un point de son cours qui n’était pas alors tout au bout de la France.

 

 

«Ils étaient cent, les douaniers de Rodemack…».

 

 

Témoin d’un passé mouvementé, les armoiries de la Sarre ont conservé les aigles argentées de Lorraine, désormais unies aux lions du Comté de Sarrebrück et du Palatinat ainsi qu’à la croix épiscopale des Electeurs de Trèves.

Longwy était commandée par le Maréchal de camp, Baron Ducos, Sierck et Rodemack par Joseph Léopold Sigisbert Hugo, lorrain de vieille souche moins connu cependant que son fils Victor. La nouvelle du désastre de Waterloo ne parvint que vers le 25 juin et sur le moment ne modifia en rien les dispositions des troupes qui, suivant l’exemple du général Belliard commandant en chef la place de Metz, s’étaient alors immédiatement ralliées à Napoléon II.

 

A ce moment là, les douaniers ne constituaient certes pas le contingent le plus important des troupes de forteresse mais au fur et à mesure que les nouvelles par- venaient dans les places assiégées, la désertion faisait fondre les garnisons comme beurre au soleil ; des régiments entiers s’enfuyaient avec armes et bagages ; il n’y resta bientôt plus, solidaires jusqu’à la mort que les gardes nationaux sédentaires qui défendaient leurs fa- milles et leurs cités, quelques militaires retraités des Vosges et les douaniers qui, fors l’honneur, n’avaient plus rien à perdre.

 

Ils étaient 100, les douaniers de Rodemack (mais qui connaît le nom de Rodemack ?) qui le 24 juin 1815, avec trois compagnies de gardes nationaux sous les ordres du Comte de Varda, gouverneur du fort, infligèrent un cruel échec aux troupes prussiennes fortes de plus de 10 000 hommes avec 10 pièces d’artillerie et de la cavalerie. On en parla à Vienne, on exigea le démantèlement de cette forteresse. Ni Rodemack, ni Sierck (où se trouvaient 38 douaniers et un officier) ne se rendirent jamais à l’ennemi.

 

Le 18 juillet, l’emblème royal flottait sur Thionville ; le 22 sur Longwy ; le 23 sur Sierck et Rodemack ; le 24 enfin, le drapeau blanc était déployé sur la cathédrale de Metz. On ne se battait désormais plus que pour la France. Les premières attaques contre Longwy avaient débuté le 1er juillet. Les douaniers de Mont-Saint-Martin, Piedmont et Longlaville surpris, se retirèrent dans la citadelle sauf une trentaine d’entre eux qui furent fait prisonniers. Dès lors, l’ennemi ne cessa de s’acharner sur cette petite cité de 2 500 âmes qu’il écrasa sous plus de 30 000 bombes et obus pour obtenir sa reddition. Les faits d’armes de ce siège sont si nombreux qu’ils mériteraient tous d’être racontés.

 

Le 22 juillet cependant on avait hissé le drapeau blanc à fleurs de lys sur la principale tour de la ville et les troupes avaient changé de cocarde. Fin août, les habitants de Longwy envoyèrent une députation renouveler à Louis XVIII leur attachement inviolable à sa personne et à son auguste famille.

 

On allait à Canossa, on revint Français. Le ministre de la guerre manifestait que «l’intention du Roi était que les habitants conjointement avec la garnison fissent tous leurs efforts pour conserver la place et ses armes à la patrie». Le Prince de Hesse-Hombourg rompit l’armistice précaire qui s’était instauré, envoya en une journée plus de 1 600 bombes et obus sur la cité martyre et obtint sa capitulation. Le Baron Ducos négocia une convention fort honorable qui stipulait entre autres choses que la garnison sortirait avec les honneurs de la guerre, que les gendarmes et les douaniers conserveraient leurs armes, leurs chevaux et leurs bagages, ces objets étant leur propriété personnelle. Le Prince accepta, et grand seigneur, ajouta de sa main au bas de la convention :

 

«La garnison de Longwy s’étant défendue avec la plus grande bravoure et opiniâtreté, je me ferai toujours un plaisir de prouver à tous les individus qui la composent, mon estime particulière. Toutes les troupes qui sont sous mes ordres lui portent la même admiration».

 

 

Monsieur Clerget colonel des douanes

 

A Thionville cependant se jouait une partie non moins importante. Après avoir commandé la place en 1814, Hugo est réinvesti dans ses fonctions dès mars 1815 ; au début du siège, ne connaissant pas les douaniers, il en ignore même le nombre, se contentant de remarquer que la garnison de Thionville compte 3 848 hommes «plus les douaniers».

 

Mais il apprend vite à les connaître et se plaît à reconnaître leur dévouement au dessus de tout éloge à Sierck et Rodemack où la désertion prenait des proportions dramatiques. «Déjà les commandants de ces dernières places note-t-il se trouvent malgré leurs derniers renforts réduits aux officiers à quelques , sous-officiers ainsi qu’aux préposés des douanes ; et malgré le dévouement admirable de ces braves, ils demandent de nouveaux renforts».

 

Ce sont les douaniers d’ailleurs qui, avec les gendarmes assurent les communications du général avec ces deux places. Mais c’est à partir du 14 juillet 1815 que le général observa qu’il n’était parfaitement secondé que par monsieur Clerget, directeur des douanes, et les préposés à ses ordres.

 

Le 18 juillet, apprenant que l’armée de la Loire a fait sa sou- mission au Roi, il convoque le conseil de défense et la garnison décide de faire la sienne. Tout naturellement, c’est le colonel CLERGET que le général chargea d’aller à Paris, porter aux pieds de sa majesté la soumission de la place. Il partit accompagné de Malye et de Boulan, chefs de bataillon commandant respectivement le 3ème bataillon de la Moselle et le 1er bataillon de la Meurthe.

 

Reçus par Louis XVIII, ils revinrent avec l’ordre du souverain de continuer à défendre la place contre ses propres alliés. Cependant l’ordre de licencier la garde nationale est intervenue et la désertion prend des proportions considérables ; le 8 août, le général constate qu’il ne lui reste plus pour défendre Thionville que 33 canonniers de ligne , 574 préposés des douanes et la garde nationale sédentaire qu’il espérait pouvoir porter à 500 hommes.

 

En même temps qu’il défend la citadelle, le général a une double obsession : empêcher les prussiens d’occuper en permanence la rive gauche de la Moselle et rétablir aux frontières la ligne des douanes comme symbole de la souveraineté nationale. Monsieur Clerget emploie tous ses efforts dans le même sens et tente dès le 12 août de rétablir cette ligne du côté de Longwy mais il se heurte au Prince de Hesse-Hambourg et rentre à Thionville.

 

Le 29 août, le général reçut l’ordre de désarmer Sierck et Rodemack et n’y laisse qu’un petit détachement de douaniers. Le 9 septembre, Hugo invite le général russe avec lequel il a toujours entretenu les meilleures relations à venir passer la journée avec lui et le colonel Clerget. «Il ne repartit que le soir, enchanté de l’accueil qui lui avait été fait. Une escorte de douaniers à cheval l’accompagna jusqu’à son quartier général. cette jolie troupe prouvait ainsi que les douaniers rivalisaient pour la valeur, la discipline et la tenue, avec les plus beaux corps de l’ancienne armée française.

 

La belle conduite de ses chefs fut constamment au-dessus de tout éloge». Le général avait cependant profité de l’occasion pour passer une convention se- crète avec les russes stipulant qu’ils occuperaient tous les villages de la rive gauche de la Moselle dans le seul but d’empêcher les prussiens de le faire et afin de soutenir la ligne des douanes qu’il voulait voir rétablir coûte que coûte. Cette ligne des douanes ne faisait évidemment pas l’affaire de l’ennemi.

 

Le 10 septembre, des officiers prussiens se heurtant à des préposés des douanes leur témoignent leur étonnement de voir la ligne rétablie et leur lancent qu’ils ne connaissaient pas de paix avec Louis XVIII ! Seuls les ordres qui leur avaient été donnés, de ne jamais chercher la provocation, rapporte le chef d’escouade, empêcha que l’on châtiât cette insolence.

 

Le général s’efforce de renforcer son artillerie et il félicite monsieur le directeur Clerget d’a- voir organisé une excellente compagnie d’anciens canonniers parmi ses préposés. Une tentative de convention d’armistice échoue sur la question du rétablissement de la ligne des douanes. La pression des prussiens se fait de plus en plus forte et les mauvaises nouvelles affluent de partout. Le 19 septembre, On apprend que Longwy a succombé ; les troupes prussiennes se préparent désormais à marcher sur Thionville. On cherche des expédients désespérés.

 

Le général parle de s’ensevelir sous les ruines plutôt que rendre la place sans ordre du Roi ; et l’ordre suspendu aux délibérations du congrès ne vient pas. «Monsieur le directeur Clerget, excellent français, écrivit pour obtenir la permission de ne laisser qu’une compagnie de préposés à Bitche et deux à Sarrelouis ; il mandait qu’il ferait alors venir ici le surplus, ce qui nous donnerait deux cents hommes de renfort».

 

On désespère de l’avenir. Le 21 septembre un officier des douanes est venu apporter à son directeur la nouvelle de la capitulation de Montmedy. La place se serait rendue sans tirer un coup de canon. Mais plus dramatique encore, entre Aumetz et Longwy les prussiens ont concentré leurs troupes. Se prépare-t-on pour l’assaut final ? Le général renforce autant qu’il le peut ses défenses et interdit même de laisser sortir les convois de vivres destinés à ses amis russes.

 

Un officier prussien vient affirmer que la paix est conclue. Il assure qu’il était chargé par son général de faire savoir aux nôtres que l’on pouvait rétablir la ligne des douanes ; qu’il avait un ordre de la protéger ainsi que les autorités civiles. Est-ce un piège pour faire sortir les douaniers ?

 

Le général est circonspect et souhaiterait obtenir des ordres de ses supérieurs français. «Les douaniers formant encore la seule garnison d’une place grandement développée, on dut penser que leurs chefs et le général Hugo ne songeraient pas à rétablir la ligne avant d’être bien certains de la paix, à moins cependant que les ordres supérieurs ne vinssent couvrir leur responsabilité à cet égard». Octobre s’achève, dans un climat de drôle de guerre faisant alterner les trêves fugitives et les canonnades, alors que la pression des ennemis est au plus fort ; les prussiens arrivent de Sarre et interdisent définitivement aux préposés des douanes de circuler avec leurs armes.

«Cedant arma togae»

 

Cependant la vie administrative reprend dans le pays. Thionville semble bien oublié de la France. Monsieur Clerget n’est plus directeur des douanes mais simple colonel sans solde. Le général songeant sans doute à l’avenir de son ami supplie le ministre de la guerre «d’écrire à monsieur le conseiller d’état, directeur général des douanes pour lui faire connaître avec quel zèle quel dévouement et quelle fidélité le directeur Clerget et le corps des préposés à ses ordres, avaient servi à Thionville pendant la durée du blocus.

 

Les valses du congrès s’achèvent le sort de l’Europe est fixé ; on attend des détails sur le traité de paix mais il est officiel que les prussiens entreront le 21 novembre. On assure que beaucoup de places seront confiées aux troupes alliées pour garantie du traité de paix. On dit que les pertes sont considérables : que la Savoie est abandonnée, que la frontière du Nord est rognée ; qu’en Lorraine, avec Sarrelouis l’invaincue, c’est toute la vallée inférieure de la Sarre qui est donnée à la Prusse ; mais on dit aussi que le pire a quand même été évité.

 

Et c’est ainsi que le jour même où Thionville fut livrée, le Duc de Richelieu, la mort dans l’âme apposait sa signature au bas d’un traité qui laissait à la France une frontière «jetée comme un haillon sur la carte de l’Europe».

 

Ce jour là également, monsieur de Saint-Cricq signait une circulaire qui fut peut-être la seule réponse jamais faite à la supplique du général : «J’étais à peine rentré en fonction, monsieur lorsque le 11 juillet dernier, je vous ai enjoint d’opérer promptement dans les brigades de votre direction, une réforme dont j’avais pressenti la nécessité et d’en écarter tous les préposés qui, pendant l’interrègne avaient volontairement donné des gages de leur attachement de préférence à la personne et au gouvernement de l’usurpateur. Je suis fondé à craindre que les ordres que j’ai donné dès cette époque, n’aient pas été exécutés avec la juste sévérité que j’avais recommandée, et j’ai droit de m’étonner que plusieurs directeurs ne paraissent pas avoir suffisamment senti l’importance de cette mesure…»

 

Le général Hugo et la garde nationale, le directeur Clerget et ses douaniers de Longwy, Thionville, Rodemack, Sierck ont-ils par leur opiniâtreté empêché l’annexion de la rive gauche de la Moselle ?

Leur courage eut sans doute été de peu de poids si le solide corset de défenses installé aux frontière de l’est par Vauban n’avait découragé les entreprises des militaires prussiens. et l’opposition de l’Angleterre, de l’Autriche et de la Russie les ambitions de leurs ministres.

 

Mais à un moment où l’ennemi se contentait de lambeaux de dépouilles il est raisonnablement permis à un autre douanier de croire que sans ceux-là peut être un autre morceau de Lorraine eut cessé d’être français. La paix revenue, la raison d’état exigeait pourtant qu’ils fussent châtiés et l’on oublia qui c’était par ordre du roi de France qu’ils avaient gardé à la France la pentière qui leur avait été confiée. L’inspecteur d’Eu fut le seul dont le nom reparut plus tard dans les tableaux d’organisation du service ; les autres se sont-ils évanoui dans les brumes de la Moselle comme dans celles de l’histoire.

 

Roger Corbaux


Bibliographie : 

 

1 – Lois et règlements des douanes – année 1815
2 – Henri Contamine – Metz et la Moselle –
3 – Le congrès de Vienne – Haroldt Nicolson – Paris- Hachette 1947
4 – Au pays de la Sarre – Sarrelouis et Sarrehrück – E. Bahelon
5 – Journal du département de la Moselle – année 1815 (Verronnais)


 

 

 

La Vie de la Douane

 

N°168

 

Juillet 1976

 

 

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