Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

L’école des brigades des douanes de Cherchell

Mis en ligne le 1 mai 2019
Nous reproduisons ici le témoignage de Joseph Hacene publié en mars 1988 dans les Cahiers d’histoire (N°5)  ainsi que les quelques lignes d’introduction rédigées à cette époque.

 

Il y a 25 ans (en 1963 – ndlr) la seule école des douanes françaises qui ait fonctionné hors du territoire métropolitain, fermait ses portes. Il s’agit de l’école d’application des brigades des douanes de Cherchell, en Algérie.

 

En 1973, l’ancien directeur de cette école, Monsieur J. Hacene a consigné par écrit quelques souvenirs que la rédaction des Cahiers a jugé de nature à intéresser les lecteurs de cette revue. Avec la permission de M. Hacene, nous en publions aujourd’hui des extraits.

 

 

Avant d’évoquer, dans ses souvenirs, l’Ecole de Cherchell, M. Hacene situe la douane d’Algérie dans son contexte géographique et historique. « En superficie, rappelle-t-il, l’Algérie représentait environ quatre fois la Métropole… Pour les douanes… c’était 110 kms de côtes et 4 000 kms environ de frontières à couvrir et à surveiller entre Méditerranée, Tunisie, Libye, Afrique occidentale française et Maroc. On est un peu confondu par de telles dimensions ». Après avoir retracé l’évolution des services douaniers de 1830, date de la prise d’Alger par l’armée de Charles X, jusqu’à la seconde guerre mondiale, M. Hacene expose les raisons qui ont justifié la création de l’école.

 

 

 

 

Le trafic d’Alger réamorcé en 1942 ne cessait de se développer avec la France et les principaux ports mondiaux. Au volume considérable des marchandises importées et exportées s’ajoutait le mouvement touristique, industrie alors relativement nouvelle. Outre les cargos, tankers et caboteurs, Alger recevait les plus grands et les plus beaux paquebots long-courriers, des navires de croisière et bateaux de plaisance.

 

Pour faire face dignement à cette situation, il fallait à l’évidence disposer d’un personnel qualifié. La motorisation des brigades devenait aussi indispensable. L’Administration dut donc répondre à ces nécessités. Les unités terrestres et maritimes furent progressivement dotées d’équipements modernes devenus d’autant plus indispensables que la contrebande connaissait un dangereux renouveau dans les ports et sur les côtes depuis les Baléares, Tanger, etc…

 

Mais le renouvellement du système de formation professionnelle s’avérait tout aussi important. Le système ne répondait plus en effet aux besoins des temps nouveaux. L’époque de l’empirisme, de l’autoformation, de l’école par correspondance de la Librairie Oudin était terminée : le moment était venu d’organiser rationnellement une formation collective. On avait compris cette nécessité dès 1938 lorsqu’avait été créée l’école des préposés de Montbéliard…, mais la guerre en avait interrompu le fonctionnement.

 

Lorsque, la paix revenue, cet établissement rouvrit ses portes, on s’aperçut que le budget algérien pouvait difficilement supporter la charge fort onéreuse de l’envoi en métropole, pour des cours d’une durée de 6 mois, des agents recrutés en Algérie. Cette raison était suffisamment déterminante pour inciter les autorités à faire dispenser sur place la formation souhaitée. Mais d’autres considérations tenant aux contingences locales (problèmes de langue, de connaissance de l’environnement) s’y ajoutèrent : en définitive, la mesure devait favoriser l’acclimatation des agents dans le territoire où ils étaient appelés à exercer leurs fonctions.

 

Ma désignation, en 1949, pour assurer l’ouverture de l’école et la direction de ses cours, fut, je crois, quelque peu fortuite. En effet, l’indisponibilité d’un collègue préparé à cet effet, à Montbéliard, en fut la cause. Par la suite j’ai béni cette circonstance qui m’a permis de vivre, peut-être, les moments les plus exaltants de ma carrière.

 

La première caserne de Cherchell, située sur son port même, à 96 km à l’ouest d’Alger, fût construite vers 1850 et remaniée à plusieurs reprises pour accueillir en définitive une recette et une brigade chargée en outre de la surveillance côtière. Longtemps Cherchell, beau port de pêche et de plaisance, fût relié à Alger et à quelques autres ports dont Tinès, par de petits caboteurs, mais, vers 1932, ceux-ci cessèrent d’assurer leurs lignes au bénéfice du transport routier automobile plus rapide.

 

En raison de sa position idéale dans un site privilégié associant mer et montagne et bénéficiant d’un climat doux, mais aussi en conséquence de la disparition du trafic commercial, la caserne de Cherchell fut en partie aménagée pour recevoir la colonie de vacances des services financiers de l’Algérie, dont les Douanes, pendant les étés.

 

Son inoccupation durant les neuf autres mois rendit favorable sa conversion en « École d’application des Brigades ». Le premier contingent qui y fut accueilli était formé d’une cinquantaine de matelots recrutés en Algérie. Cette session, en raison de son caractère imprévu, fut une première expérience qui nous permit de mettre en place les services et de faire démarrer le programme de formation. En me remémorant ces souvenirs, j’ai compris pourquoi le maçon aimait la maison qu’il avait construite. Et l’idée m’est aussi venue que j’avais assisté à une suite de naissances dans un cadre antique et peut-être prédestiné.

 

Après la session des matelots de 1950, de l’école des Douanes de Cherchell, je me suis rendu à celle de Neuilly pour y suivre un cours de recyclage auquel participaient la plupart de mes collègues des directions métropolitaines et d’outre-mer. De retour à Cherchell, je suivis la croissance de l’école d’application qui, exiguë à l’origine, s’agrandit et s’embellit sous l’égide de l’Administrateur des Douanes en poste à Alger, M. Ch. Louwet.

 

Nous, instructeurs et élèves, nous nous souviendrons de la magnifique salle d’étude, si claire, construite au second étage, sur l’ancienne terrasse. Sa situation s’avéra unique pour son ensoleillement, son aération, sa vue. Elle donnait en effet sur le port, qu’elle dominait face au grand phare de l’îlot Joinville, puis sur la côte et l’infini du large. Côté nord, la vue s’étendait sur la ville adossée aux collines, simple et belle. Nous disposions en toute saison de l’air et de la lumière ; nous avions l’espace pour développer jambes et poumons en grimpant et dévalant la montagne avec la possibilité de prolonger jusqu’aux plages et aux rochers de Dzizerine. Après cela l’appétit ne manquait guère aux stagiaires, mais l’Intendance y pourvoyait largement.

 

Dès les débuts, en 1949, la progression des études, qui s’étalait sur six mois associa formation générale et formation administrative. J’avais sollicité et obtenu sans réserves le soutien de l’école militaire voisine d’officiers qui tournait au rythme d’environ 2000 élèves chaque année. Ce parrainage bénéfique nous valut accessoirement de profiter des installations sportives de l’Armée.

 

Nous obtînmes le concours de conférenciers de l’école militaire pour l’enseignement de la géographie et de l’économie de la France, de l’histoire et de la géographie de l’Afrique du Nord. Des visites du port d’Alger et de ses services douaniers, des exercices de service pratique exécutés au port de Cherchell, sur le littoral et dans la campagne avoisinante, de jour comme de nuit, entraient dans le programme de formation. Celui-ci comportait aussi un aspect « culturel », avec la découverte des sites archéologiques phéniciens, romains et musulmans de la région.

 

Bien entendu l’instruction douanière était prioritaire ; elle comportait l’étude de la législation et de la réglementation, de l’organisation des services centraux et des services extérieurs, des contrôles exercés par la douane, du tourisme international, de la répression de la fraude et du contentieux, du statut des personnels, etc … Des épreuves en cours de scolarité et un examen final sanctionnaient le stage à l’issue duquel un classement des élèves était opéré.

 

Lorsqu’en juillet 1958, j’ai quitté la direction de l’école, 550 agents y avaient été formés. En 1962, lors du changement de souveraineté, son nombre dépassait 750.

 

 

Joseph Hacene, Inspecteur central des Douanes honoraire

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