Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes
L’école de ski de Morzine: un élève-skieur témoigne…
Tribune libre
L’Ecole de ski de Morzine égrène chaque année sa petite provision de skieurs tout au long des frontières de montagne; c’est elle qui produit ces minuscules points noirs qui glissent sur les flancs immenses des Alpes ou des Pyrénées, passant d’un col à l’autre, s’embusquant derrière un rocher pour examiner à la jumelle la grande pente blanche qui déboule sous leurs pieds.
Les services en montagne sitôt qu’arrive l’hiver, font du douanier une sorte de naufragé encerclé par la grande mer blanche; les escouades arpentent durant de longs jours les routes monotones et désertes, services pratiquement sans espoir, terriblement longs, on attend l’illogique.
Puis un jour, c’est Morzine, c’est ici que la chrysalide doit trouver ses ailes. Les premiers contacts sont diablement saturés de mauvais sorts, on a l’intention bien arrêtée de faire du ski et on s’aperçoit que ce sont plutôt eux qui font de nous un peu ce qu’ils veulent, ces deux volontés résolument opposées sont à l’origine du coup de foudre, premières surprises … et vous êtes conquis… On se trouve en présence de moniteurs évoluant avec une grâce toute naturelle et pourtant … le naturel pour le débutant, c’est la bûche. Le moniteur vient alors exécuter sous votre nez un christiana écoeurant de perfection pour vous demander s’il y a du dégât, comme si c’était de cela qu’il s’agissait. Le novice serre les dents, empoigne ses cannes et rageusement regrimpe la pente, de bûches en.bûches, il finit par réussir un léger arrondi, celui-ci diminue tous les jours et un beau matin l’élève skieur peut, sans crainte du ridicule, lui donner le titre de christiana pur arrêt. Le résultat justifie toujours l’effort, cet effort rageur où le jeune skieur doit mettre toute sa volonté. Il semble impossible d’atteindre le but et pourtant on doit se répéter à chaque instant: « Ils le font, je le ferai ».
Par un bel après-midi, c’est la première piste; le téléphérique, tous ces skieurs élégants et joyeux créent une ambiance de facilité a laquelle tous se laissent prendre; ce n’est que sur la mystérieuse piste B que notre modestie « ressurgit » avec violence, notre petite colonne est jetée sur la pente comme un gamin vide un sac de billes. On ne trouve même pas le temps d’avoir honte lorsqu’une jeune fille gracile vous frôle le visage dans un enchainement d’irréels pur avals. Enfin, c’est le plat de l’arrivée, avec elle on oublie tout, il ne reste que le plaisir d’avoir livré une petite bataille et d’en être.sortis, seulement à moitié vaincus; vivement l’autre empoignade; le ski est une école de courage; après une pente raide, une plus raide encore doit lui succéder; il faut avoir peur du vide et s’y jeter car les autres le font; chaque jour doit être une petite victoire; bien qu’ignorant l’étendue de sa science, il faut avoir confiance en soi, pas de timorés sur la piste, ceux-ci on les retrouve au bar; à travers le skieur on distingue toujours l’homme; on ne devrait jamais concevoir un douanier montagnard qui puisse voir une paire de planches sans que ses yeux ne se mettent à briller de joie. Quand tout est blanc, alors que les pentes semblent dessiner des schuss magnifiques, il serait anachronique pour un douanier de nos régions de déambuler le long d’une route, frileusement enroulé dans sa pèlerine, en montagne durant l’hiver Le piéton doit éprouver la gêne d’un cavalier désarçonné.
Je ne regrette pas mon enthousiasme , il me fait peut-être voir une vérité déformée, mais malgré cela je suis sûr d’avoir raison, il n’y a que ceux qui luttent qui vivent; nous avons besoin de ça, ce serait une hérésie que de vouloir freiner notre élan; n’est-il pas beau ce jeune gaillard qui surgissant de l’ombre d’un rocher file vers le fond de la vallée, son visage bruni est éclairé d’une expression qui n’est pas autre chose que la joie de vivre, le bonheur d’être là et de faire ce qu’il fait.
C’est cela que l’Ecole de Morzine m’a fait découvrir, je ne puis que remercier de tout coeur les moniteurs Emin et Valomy, l’élégance de leur style nous a charmés. II est toujours plus facile d’aimer le beau. Je remercie également le lieutenant Le Can; sa volonté communicative fait accomplir des prodiges; mon séjour à l’Ecole fut pour moi, une sorte de révélation; au fond de tout homme, il y a un peu du primitif; la bataille est pour lui un mouvement naturel, on a besoin de se prouver une dignité sans laquelle on ne peut rien concevoir de bon, et le ski prouve un peut tout ça.
Lorsqu’en montagne je connaîtrai des instants pénibles, je saurai me souvenir de Garnier, un douanier de Modane, un ancien. Un matin, nous montions au col de Coux, la tourmente bouchait la vue à cinq mètres. Garnier aurait pu rester au cantonnement, je le vois encore malgré ses quarante sept ans, hisser ses skis jusqu’en haut du col, si je n’avais craint le ridicule je lui aurais furieusement serré la main, pour la leçon. Ces anciens de l’Ecole nous ont mené la vie dure, là plupart étaient d’anciens chasseurs très fiers de leur arme et sachant se servir d’une paire de planche, leur cranerie me plaisait, Michaud n’hésitait jamais à lancer ses quatre vingts kilos dans une pente si raide soit-elle, il filait en hurlant comme un indien, nous donnant le spectacle d’éclatements sensationnels, mais sans se démonter pour autant il se remettait sur ses skis et reprenait sa dégringolade en hurlant encore plus fort. Il n’est pas honteux de se faire battre par un Giraud ou un Anselme, ces anciens-là furent à l’origine d’une émulation fertile en résultats positifs.
L’Ecole de Morzine forme des skieurs mais elle ne fait pas que cela, elle peut créer un esprit nouveau, déclencher un ressort qui fera d’eux des agents en pleine forme physique tout imprégnés d’une volonté axée sur l’effort afin d’obtenir le mieux.
Di Sandro, Préposé à Nevache
Elève-skieur
Journal de formation professionnelle
N° 26
Février 1953