Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

Le ski et la douane

Mis en ligne le 1 mars 2023

 

 

 

La surveillance des frontières est une des missions fondamentales de l’administration des Douanes qui l’oblige à une présence permanente, à la frontière géographique même, quelles que soient les difficultés inhérentes à la topographie. Cette nécessité revêt une acuité toute particulière en ce qui concerne notre pays dont les frontières terrestres sont montagneuses sur environ les deux tiers de leur longueur.

 

Dans les régions du Jura, des Alpes et des Pyrénées où, en hiver, les voies d’accès à la ligne frontière sont le plus souvent impraticables en raison de l’épaisse couche de neige qui recouvre le sol, il n’existe qu’un seul moyen de déplacement capable de permettre aux douaniers de remplir leur mission le ski. C’est ainsi que l’administration des Douanes françaises a été amenée à former un corps de skieurs spécialement recrutés et entrainés pour assurer leur service en montagne durant la saison hivernale dans les meilleures conditions de sécurité et d’efficacité.

 

Par ailleurs, le niveau technique atteint par certains douaniers-skieurs, consécutivement à l’entraînement sévère que leur procurait l’exécution quotidienne de leur service normal, les a portés tout naturellement vers la compétition où ils se sont signalés par de brillants succès aussi bien en France qu’à l’étranger.

 

Le ski de service

 

Le service qui est exigé des skieurs, pour exaltant qu’il soit, demeure néanmoins un service très exigeant et très dur. Outre la nécessité d’un entraînement physique spécial, d’une bonne pratique du ski, sport difficile à apprendre sur le tard, le sens d’observation et de prudence qu’exige la connaissance de la montagne, ce service demande aux hommes les qualités d’abnégation, de courage et de caractère qu’impose toute fréquentation un peu suivie de la haute montagne, terrain très particulier aux conditions sévères.

 

Il faut se demander par quels moyens l’administration des Douanes qui exige ces aptitudes, ces connaissances et ces qualités de la part des agents désignés pour servir comme skieurs ou volontaires pour cette fonction, aura su les recruter, les former et les perfectionner.

 

En premier lieu, l’effort de recrutement porte surtout sur les jeunes gens de souche montagnarde qui, sans quitter les grands espaces où ils aiment vivre, veulent accéder à une situation matérielle décente tout en continuant à s’adonner à leur sport favori. Ce mode de recrutement a évidemment la préférence de l’Administration, mais il est fait appel également aux volontaires originaires des régions de plaines sous réserve de vérification de leurs aptitudes au service qui leur sera demandé. Dans les deux cas, les candidats doivent satisfaire aux épreuves des concours administratifs d’entrée dans la Fonction publique et peuvent par la suite accéder aux différents grades de la hiérarchie administrative par la voie de la promotion interne.

 

Ensuite, les candidats skieurs sont appelés à suivre des stages dans les écoles régionales des douanes d’initiation au ski où une sélection est opérée après présentation des stagiaires aux différents brevets de skieurs de la F.F.S. Ces écoles de « dégrossissage » sont installées aux Hôpitaux-Neufs pour le Jura, à Seez pour les Alpes. Une troisième école est envisagée pour les Pyrénées.

 

Cette première formation reçue, les douaniers-skieurs sont par la suite dirigés vers des stages de perfectionnement et d’entretien organisés périodiquement au Centre national de ski des Douanes à Seez (Savoie) où l’on parfait leur technique et où ils acquièrent des notions de secourisme en montagne.

 

Enfin les meilleurs skieurs sont désignés pour participer aux stages de perfectionnement technique de ski de patrouille et de montagne prévus annuellement à l’intention des agents des Douanes à l’École nationale de ski et d’alpinisme de Chamonix. 

 

Il convient de signaler au passage que l’enseignement donné dans les écoles de ski des Douanes est professé par des douaniers-moniteurs titulaires des diplômes nationaux de moniteur de ski et de guide de haute montagne.

 

Ainsi recruté, sélectionné, formé et perfectionné dans la pratique du ski pour le service, que devient le douanier-skieur? Quel travail lui est-il demandé?

 

Le skieur est affecté dans l’une des brigades de montagne installées généralement dans des localités importantes situées dans les vallées en arrière de la frontière. Intégré à cette cellule de base du dispositif douanier, il va participer aux missions quotidiennes de surveillance qui lui seront commandées par ses chefs, travail dur par l’effort physique à fournir mais combien exaltant parce qu’exécuté dans le cadre grandiose et sain des champs de neige.

 

Le mode d’exécution traditionnel de ce service est la patrouille coupée de haltes d’observation. La patrouille constituée par trois hommes spécialement équipés est amenée à pied d’oeuvre, le plus loin possible en avant, par véhicule automobile jusqu’à la zone à surveiller. Les patrouilleurs chaussent alors les skis, vérifient leur équipement et partent pour le secteur qui leur a été imparti : cols et crêtes marquant la frontière même. Là, à la suite de relèvements de traces ou bien par observation à l’aide de jumelles, il arrive fréquemment que des déplacements insolites soient détectés et interceptés. Il ne s’agit pas toujours de fraudeurs ou de personnes tentant clandestinement le passage de la frontière. Dans de nombreux cas, on se trouve en présence de skieurs imprudents qui, soit au mépris du danger soit par ignorance, se sont aventurés loin des pistes des stations de sports d’hiver et qui, en fin de compte, se félicitent de la rencontre des douaniers sans lesquels leur course se serait dans bien des cas terminée tragiquement.

 

Ce sont là missions de routine au cours desquelles les douaniers sont couramment appelés, par solidarité humaine, à se porter au secours d’accidentés ou d’égarés. Mais, il arrive hélas que eux aussi n’échappent pas au lourd tribut payé à la montagne. En 1960, dans la région du Mont-Cenis, une avalanche a brutalement surpris une patrouille qui rentrait de service, ensevelissant deux hommes qui n’ont pu être ramenés à la vie.

 

Plus de 400 skieurs servent dans les brigades de montagne, tous en parfaite condition tant physique que morale en raison de l’entraînement permanent que constitue la nature même de leurs fonctions professionnelles qui présentent un aspect sportif évident. Aussi pour entretenir cette condition et susciter un nécessaire esprit d’émulation, l’administration des Douanes a-t-elle été amenée à s’intéresser à la compétition sportive pure.

 

Le ski de compétion

 

Sur le plan exclusif de l’administration des Douanes, une rencontre organisée chaque année réunit à l’occasion du concours national des Douanes les équipes représentatives des circonscriptions douanières. Cette compétition courue suivant la formule de la patrouille, permet de juger des progrès réalisés par les formations de skieurs de service.

 

Sur le plan extérieur à l’Administration, les douaniers-skieurs participent, dans les disciplines nordiques et alpines, aux différentes épreuves officielles organisées par la F.F.S. à l’échelon local, régional, national et international, soit en tant qu’équipes représentatives des Douanes, soit par l’intermédiaire des sélections nationales.

 

Une telle participation aux épreuves officielles, à tous les niveaux, suppose à la base une organisation du ski de compétition dans l’administration des Douanes. A cet effet, il pouvait être séduisant de s’enfermer dans une structure strictement corporative par la force des choses fortement centralisée comme cela peut exister dans d’autres administrations, conception qui aurait abouti à grouper tous les skieurs au sein d’un seul club douanier. Une autre solution extrême aurait pu consister à donner liberté complète aux agents pour se licencier dans les clubs civils de leur choix ce qui aurait certainement nui à l’efficacité recherchée en provoquant un éparpillement des coureurs d’ailleurs peu compatible avec le contrôle que toute administration se doit d’exercer sur ses ressortissants. En définitive, c’est une solution intermédiaire susceptible de satisfaire toutes les parties qui a été retenue.

 

C’est ainsi qu’il a été créé dernièrement 6 ski-clubs des Douanes à Besançon, Chambéry, Briançon, Nice, Perpignan et Bayonne affiliés à la F.F.S. et rattachés respectivement aux comités régionaux du Jura, de Savoie, d’Alpes et Provence, de la Côte d’Azur, des Pyrénées-Est et des Pyrénées-Ouest. Cette organisation, suffisamment décentralisée, s’intègre à celle de la F.F.S. permet de licencier les coureurs et de les engager régulièrement dans les compétitions par l’intermédiaire des clubs et des comités régionaux. Ces derniers ont ainsi la satisfaction bien légitime de voir les douaniers-skieurs continuer à courir sous leurs couleurs. Enfin, elle est conforme à certaines dispositions du règlement français des concours de ski notamment en ce qui concerne la course de relais des championnats de France (épreuves nordiques) dans laquelle ne peuvent être réglementairement engagéesque des équipes de comité régional.

 

Après cette digression nécessaire sur les ski-clubs des douanes, voyons maintenant dans quelle mesure la douane s’intéresse à la grande compétition et quels sont les résultats obtenus. La participation de la Douane porte non seulement sur les disciplines, nordiques (fond et biathlon) qui s’apparentent de très près à la nature du service assuré par ses agents mais également sur les disciplines alpines (descente et slalom).

 

Dans le domaine du ski de fond, les douaniers sont engagés régulièrement dans les championnats de France et aussi dans les grandes courses classiques internationales par l’intermédiaire de la sélection en équipe de France qui compte entre autres pour la saison 1963-1964: Victor Arbez, Luc Colin, Claude Legrand, Serge Legrand, Félix Mathieu et René Mercier. En plus  de ces derniers ont été retenus au titre de l’équipe nationale des Douanes : Philippe Baradel, Fernand Borrel, Fernand Brand, Aimé Griset-Masson, Main Guy, Gilbert Mercier, Francis Mercier, Gervais Poiret, Louis Romand et Paul Romand. Cette énumération de noms situe l’apport des douanes françaises au ski de fond national.

 

Les résultats marquants de la dernière saison sont les suivants :

 

Championnats de France :

Grand fond (30 km). 

– Les Rousses : ler Félix Mathieu (douanes) 2e Victor Arbez (douanes).

Fond (15 km). 

– La Bresse : 2e René Mercier (Douanes) (6 douaniers de la 3e à la 8e place).

Relais (4 x 10 km). La Bresse : ler Douanes-Jura I 2e Douanes-Savoie 3e Douanes-Jura II.

 

Tournoi international de ski des Cinq nations (Zermatt)

ler : Douanes françaises I

2e : Douanes françaises H.

 

Le tournoi international de ski des cinq nations, organisé à tour de rôle par chacune des nations participantes, réunit annuellement les équipes représentatives des administrations douanières de cinq pays : Allemagne (République fédérale) Autriche, France, Italie et Suisse.

 

Depuis 1951, date du premier tournoi, son succès n’a cessé de grandir à tel point qu’il figure maintenant parmi les grandes classiques inscrites au calendrier international de la F.I.S. 

 

Cette rencontre, très complète en ce sens qu’elle comporte à la fois des épreuves de fond (course de patrouille) et alpines (slaloms géant et spécial), met en jeu un trophée qui devient la propriété définitive du pays classé premier pendant trois années consécutives. 

 

Les douaniers français s’y sont illustrés par maints succès, non sans mal d’ailleurs en raison de la valeur des équipes étrangères et notamment des ItaIiens qui ont souvent réussi à l’emporter de haute lutte. A cet égard, nos représentants auront fort à faire pour défendre le trophée dont ils sont détenteurs lors du XIIIe tournoi qui se déroulera les 3 et 4 mars prochains avec un lustre tout particulier à Megève et à Saint-Gervais en présence de M. V. Giscard d’Estaing, ministre des Finances et des Affaires économiques.

 

En ce qui concerne le biathlon, les douaniers constituent l’équipe de France dans son intégralité, A ce titre, ils participent tous les ans aux championnats du monde. Au fil des ans, desprogrès constants sont enregistrés. Il suffit de se reporter aux résultats pour constater que les Français ne cessent de se rapprocher des tout premiers. C’est ainsi qu’en 1962, Paul Romand a obtenu une excellente 9e place faisant jeu égal avec les Soviétiques et les Nordiques qui ont l’habitude de dominer largement les représentants des autres nations.

 

Cette discipline comportant une course individuelle de 20 km et des épreuves de tir en cours de route, demande de la part des coureurs de grandes qualités d’endurance et de maîtrise de soi qui ne peuvent s’acquérir qu’aux prix d’un entraînement très sévère au ski de fond et au tir auquel l’administration des Douanes s’attache à apporter un soin tout particulier. Il serait hautement souhaitable de voir les formations de skieurs à caractère militaire ou para-militaire de l’armée, de la gendarmerie et des C.R.S. s’y intéresser également, ne serait-ce qu’en vue d’instaurer une émulation fructueuse pour le ski français dans cette spécialité.

 

Enfin, de nombreux douaniers-skieurs se sont fait remarquer avec éclat dans les disciplines alpines ces dernières années. Il convient de signaler que figurent dans les sélections nationales de la F.F.S. et des Douanes : Léo Lacroix, Jules Melquiond, Gaston Perrot, Pierre Stamos, Jacques Fourno et Louis Folliguet, tous douaniers qui se sont comportés très brillamment sur la plupart des pistes françaises et étrangères. 

 

Qu’il soit cependant permis de rappeler parmi d’autres succès les performances des douaniers-skieurs dans :

– Le championnat de France 1963 à Barèges

Descente : ler Léo Lacroix 2e Gaston Perrot.

Slalom spécial : ler Léo Lacroix

– Le tournoi international de ski des Cinq nations où Léo Lacroix, une fois de plus, a remporté une triple victoire dans le Slalom géant, le slalom spécial et le combiné alpin.

– Les Jeux olympiques 1964 où la valeur de Léo Lacroix a été concrétisée par une médaille d’argent gagnée dans l’épreuve de descente.

 

Cet aperçu des activités d’une grande administration telle que la Douane dans le domaine du ski montre les résultats qu’il est possible d’atteindre grâce à une politique conciliant les nécessités de sa propre mission et le sport national. Cette action qui se veut productive dans l’intérêt commun s’exerce également sur des plans extrêmement variés notamment par:

— le prêt de moniteurs de ski qualifiés à divers organismes officiels d’éducation sportive et aux services sociaux du ministère pour ses centres de vacances en montagne;

— la mise à la disposition de l’équipe de France féminine de ski d’un entraîneur en la personne de Jean Béranger auquel nous devons une large part des récents succès français aux Jeux olympiques;

— une aide technique apportée à d’autres pays tels que le Maroc qui a demandé aux douanes françaises d’entraîner son équipe nationale de ski

 

 

Guy Bregaint

 

 

 

Extrait du «Bulletin du Ministère des Finances» n° 25 de février-avril 1964.

 


 

La vie de la douane

 

n° 117

 

Mai- juin 1964

 


 

 

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