Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes
Le PV de Trimolet vu par Jean Clinquart
« Il y a eu de tout temps (et il y a encore) des douaniers poètes. Ont-ils été talentueux ? Si la réponse à cette question doit obligatoirement être cherchée dans les anthologies de la poésie française, il es difficile de faire preuve d’optimisme! Mais on doit être indulgent à l’égard des poètes : il est rare qu’ils n’aient pas été, une fois au moins touchés par l’inspiration ! L‘un des plus chers au coeur des douaniers est ce receveur languedocien du nom de Jean-Antoine Trimolet qui, « L’an mil huit cent dix neuf », s’amusa à rédiger en alexandrin un procès-verbal ».
Cet acte relate une saisie imaginaire effectuée « Sur plusieurs fugitifs, ayant aux pieds des ailes » et « Contre les droits du fics ardents à conspirer ».
Les faits se passent dans le Roussillon, à Lamanère,
« Heureuse résidence,
Où chacun de ses maux se fait la confidence » (…)
Trimolet vient d’y passer six mois en qualité de receveur et, le 1er juillet 1820 précisément, il débute dans d’autres fonctions (contrôleur aux pesées dans un salin).
Après une poursuite infructueuse,
« Essoufflés, demi-morts, n’y pouvant plus tenir,
…
Les saisissants, pauvres agents subalternes
Mal logés, mal nourris et couchant sur la dure,
Victimes tour à tour du chaud, de la froidure,
Toujours en embuscade et chichement payés, »
Se résignent à récupérer sur le terrain et à remettre les marchandises de fraude « A Monsieur Trimolet, receveur et poète, ».
La description de l’objet du litige n’est pas la partie la moins attrayante du procès verbal :
« Deux fois dix-sept kilos tabac de la Havane
Que la fraude subtile importe en caravane ;
Douze kilos d’un fruit serré dans un tonneau.
Et qui, changeant de sexe, a le nom de pruneau ;
Un fusil à deux coups, affranchi de tous vices,
Lequel rend aux chasseurs d’agréables services ;
Quarante-cinq kilos de poivre concassé
Qui relève un ragoût avec art fricassé ;
Un de ces animaux enfantés par Neptune
Et qui des maquignons font souvent la fortune ;
Quarante-cinq kilos d’excellent chocolat
Tel qu’en prend, en Espagne, un riche et saint prélat ;
Vingt kilos deux hectos de truffes marinées,
Dans deux bocaux pareils nageant emprisonnées
Deux altos, une lyre, un fifre et deux bassons,
Instruments délabrés rendant de faibles sons ;
Deux fois vingt-cinq kilos de fine cassonnade
Propre à faire boissons, liqueurs ou limonade ;
Huit kilos trois hectos de bien mauvais café
Avarié, tout blanc et sentant l’échauffé;
Deux fois seize kilos de thé vert de la Chine
Aidant à réparer notre faible machine ;
Vingt kilos cinq hectos d’écrits sans nom d’auteur
Que, pour nous diviser, répand l’or corrupteur ;
Et cent litres enfin rhum de la Jamaïque
Qui donnerait du ton au rimeur prosaïque.
En invoquant Bacchus, nous devons attester
Que nous avons eu soin d’un peu le déguster,
Et nous tenons en mains l’irréfragable preuve,
Qu’il n’est point affaibli par un perfide fleuve.
Noue avons estimé ces objets différents
Au chiffre réfléchi de quinze fois cent francs. »
L’humour on le voit est largement présent dans cet amusant exercice de versification, mais il grince un peu : le poète ne manque pas d’évoquer la condition peu enviable des « préposés que la misère cerne » et, Parisien de naissance, il oppose son exil en une lointaine province à la capitale,
« où le sort bienveillant place ses favoris ».
Tel qu’il sortit de la plume de Jean-Antoine Trimolet, le procès-verbal aurait pu servir de base à une action judiciaire. Il répond, en effet, formellement, à toutes les exigences de la loi. C’est de ce formalisme redoutable (pour la gent douanière) que le poète s’est sans doute moqué.»
Jean Clinquart
«La douane et les douaniers »
(Ed. Tallandier, 1990)