Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

Le Procès-verbal en alexandrins de Jean-Antoine Trimolet

Mis en ligne le 1 janvier 2022

Un peu d’humour et de poésie…

C’est à Jean Clinquart que nous laisserons le soin de présenter « l’amusant exercice de versification » de Jean Trimolet : 

 

« Il y a eu de tout temps (et il y a encore) des douaniers poètes. Ont-ils été talentueux ? Si la réponse à cette question doit obligatoirement être cherchée dans les anthologies de la poésie française, il es difficile de faire preuve d’optimisme! Mais on doit être indulgent à l’égard des poètes : il est rare qu’ils n’aient pas été, une fois au moins touchés par l’inspiration ! L‘un des plus chers au cœur des douaniers est ce receveur languedocien du nom de Jean-Antoine Trimolet qui, « L’an mil huit cent dix neuf », s’amusa à rédiger en alexandrin un procès-verbal ».

 

La courte analyse de texte à laquelle se livre ensuite Jean Clinquart, tirée de son ouvrage «La douane et les douaniers » (Ed. Tallandier, 1990) est disponible en cliquant ici . 

 

L’équipe de rédaction

 

 


 

Procès-verbal de Trimolet

Rapport à l’importation, du ler juillet 1920, contre des inconnus fugitifs

(Loi du 28 avril de l’an 1816, art. 41.)

 

 

L’an mil huit cent dix-neuf et de plus une année,

Ramenant de Juillet la première journée,

Au nom de notre chef, sage législateur,

Des douaniers français suprême Directeur

Et conseiller d’Etat, jugé digne de l’être,

A la requête enfin de Saint-Cricq, notre maître,

Dont le bureau central est de droit à Paris,

Où le sort bienveillant place ses favoris ;

Lequel fonctionnaire élit son domicile

Chez le sieur Jean Turau, d’un commerce facile,

Receveur principal, demeurant a Céret,

Ville du Roussillon de minime intérêt,

Légalement chargé, d’après son savoir-faire,

Des suites du présent, qui devient son affaire,

Nous, Loitis Alaset et Vincent Forigas,

Puis Jérione Robe, Pierre Roc, Jean Forgas.

Mal logés, mal nourris et couchant sur la dure,

Victimes tour à tour du chaud, de la froidure,

Toujours en embuscade et chichement payés,

Le premier lieutenant, les autres employés,

Habitant la Manère (affreuse résidence,

Où chacun de ses maux se fait la confidence),

Prêts à renouveler un fidèle serment,

Nous tous certifions avoir saisi dûment

Sur plusieurs fugitifs, ayant aux pieds des ailes,

Détruisant en détail nos bas et nos semelles,

Contre les droits du fies ardente à conspirer,

Ne nous laissant jamais un instant respirer,

Pour avoir transgressé, se mettant trop à l’aise,

La loi du mois d’avril de l’an mil huit cent seize;

Article trois fois dix, deux fois cinq et plus un,

Nous avons, disons-nous, tous les cinq en commun,

Saisi sur inconnus qui marchaient sans trompette,

Pourvus abondamment de poudre d’escampette,

Les objets ci-dessous clairement désignés,

Pour lesquels ils seront en outre consignés

Deux fois dix-sept kilos tabac de la Havane

Que la fraude subtile importe en caravane ;

Douze kilos d’un fruit serré dans un tonneau.

Et qui, changeant de sexe, a le nom de pruneau ;

Un fusil à deux coups, affranchi de tous vices,

Lequel rend aux chasseurs d’agréables services ;

Quarante-cinq kilos de poivre concassé

Qui relève un ragoût avec art fricassé ;

Un de ces animaux enfantés par Neptune

Et qui des maquignons font souvent la fortune ;

Quarante-cinq kilos d’excellent chocolat

Tel qu’en prend, en Espagne, un riche et saint prélat ;

Vingt kilos deux hectos de truffes marinées,

Dans deux bocaux pareils nageant emprisonnées

Deux altos, une lyre, un fifre et deux bassons,

Instruments délabrés rendant de faibles sons ;

Deux fois vingt-cinq kilos de fine cassonade

Propre à faire boissons, liqueurs ou limonade ;

Huit kilos trois hectos de bien mauvais café

Avarié, tout blanc et sentant l’échauffé;

Deux fois seize kilos de thé vert de la Chine

Aidant à réparer notre faible machine ;

Vingt kilos cinq hectos d’écrits sans nom d’auteur

Que, pour nous diviser, répand l’or corrupteur ;

Et cent litres enfin rhum de la Jamaïque

Qui donnerait du ton au rimeur prosaïque.

En invoquant Bacchus, nous devons attester

Que nous avons eu soin d’un peu le déguster,

Et nous tenons en mains l’irréfragable preuve,

Qu’il n’est point affaibli par un perfide fleuve.

Noue avons estimé ces objets différents

Au chiffre réfléchi de quinze fois cent francs.

Nous avions beau crier jusques à perdre haleine

Au moment qu’ils fuyaient comme des daims en plaine,

Que nous exercions tous notre petit emploi

Et que nous agissions en vertu de la loi ;

Nos cris sont impuissants, la frayeur les emporte

Mais nous que le devoir d’un beau zèle transporte,

Nous courons après eux dans les bois inconnus,

Sans pouvoir arrêter aucun des prévenus

Le vaisseau qui sillonne une mer écumante,

Le flot blanc qui s’enfuit poussé par la tourmente,

Les ailes qu’un mortel adroit, audacieux,

S’attacha pour voler dans la plaine des cieux

Sont un faible tableau de la course légère

D’un fraudeur revenant de la plage étrangère

Essoufflés, demi-morts, n’y pouvant plus tenir,

Il fallut sans captifs sur nos pas revenir.

Cependant les objets délaissés dans leur fuite,

Authentiques témoins d’une vaine poursuite;

Malgré tous les détours que les fuyards ont pris

Pour soustraire à nos soins un légitime prix,

Et pour faire échouer la ruse et la prudence

Ont été transportés à notre résidence,

Et pesés sous nos yeux comme il est toujours fait.

Inscrits sur le registre ouvert à cet effet.

Noue les avons laissés, munis d’une étiquette,

A Monsieur Trimolet, receveur et poète,

Qui, chargé du dépôt à sa foi consigné,

Pour nous en rendre compte avec nous a signé.

Et voulant procéder dans la langue divine

Qu’un génie inspira dès l’enfance badine.

Nous avons fait savoir en terme positifs

Aux susdits inconnus, prudemment fugitifs,

Qu’après être cités ils devront comparaître

A Céret où Thémis se fera reconnaître,

Pour y voir prononcer leur condamnation

Et des objets saisis la confiscation.

(Moyen sûr d’effrayer la désobéissance.)

Afin que le présent aille à leur connaissance,

Et qu’ils soient hors d’état de jamais apporter

Des motifs captieux pour le faire avorter,

Noua l’avons affiché sans aucune rature

A la porte prescrite où l’on en prend lecture.

Fait, clos audit bureau, de l’ère de Jésus,

A quatre heures du soir, jour, mois, an que dessus

Et nous tous préposés que la misère cerne

L’avons signé chacun pour ce qui nous concerne.

 

 

 

Plaque de shako
1852

 


 

 

Journal de la Formation professionnelle

 

N° 49

 

 Juillet-Août 1955

 


 

 

 


 

 

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