Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

(Vu d’hier), le douanier de demain

Mis en ligne le 1 janvier 2023

 

Est reproduit ici l’éditorial de Philippe de Montrémy, Directeur général des douanes et droits indirects publié dans le Journal de Formation Professionnelle en Janvier 1961 (Extrait du Moniteur officiel du commerce international No 6 du 28 Février 1961)

 

NDLR

 


 

Le douanier de demain

 

Philippe de Montrémy, 1968. Photo A. Pommier

Un sondage d’opinion sur l’avenir de la douane ferait probablement ressortir l’idée que la douane doit disparaitre, comme jadis l’octroi. Cette réaction traduit à la fois un désir justifié de suppression des contraintes et également une erreur d’optique assez fréquente sur le rôle de cette Administration.

 

La douane a pour mission de contrôler les mouvements internationaux de marchandises et de capitaux. A cette occasion elle perçoit des taxes : droits de douane proprement dits, ou taxes intérieures de consommation. 

 

Elle peut également s’opposer à la circulation de certains produits, soit pour des raisons économiques et cela est le cas pour les produits qui sont soumis aux restrictions quantitatives, soit pour de simples raisons de sécurité, de santé ou de salubrité.

 

Enfin, elle dresse les statistiques des échanges extérieurs.

 

Cette Administration est articulée en deux services : le service sédentaire qui conçoit et applique la législation économique et fiscale et le service actif, en uniforme, qui exécute des contrôles matériels afin de s’assurer du respect des prescriptions légales.

 

Bien évidemment son rôle varie suivant la conjoncture politique et économique. En régime protectionniste, comme depuis Colbert et Napoléon, la douane avait essentiellement pour mission de protéger l’économie nationale contre la concurrence étrangère et, en fait, elle apparaissait comme l’Administration qui multipliait les obstacles aux échanges internationaux. En régime de monnaie et d’économie dirigées de 1940 à 1958 avec des moyens plus importants, elle devait réduire au minimum les échanges ; depuis 1958 elle doit les faciliter pour arriver, dans une conjoncture de concurrence internationale, à diminuer les prix de revient des produits importés et exportés et dans le cadre de l’union douanière qui est celui du Marché Commun pour maintenir et si possible attirer  le trafic commercial sur le territoire national.

 

Tant que des disparités existeront entre les différentes économies et surtout entre les politiques dans les différents pays, son rôle d’écluse restera. Même lorsque le Marché Commun aura fait disparaitre les droits de douane proprement dits entre les Six Pays, il continuera à être nécessaire de faire fonctionner les douanes sur les frontières extérieures du Marché Commun. Le contrôle ne pourra être totalement supprimé entre les participants que si la fiscalité indirecte est harmonisée.

 

Depuis plus de dix ans le Benelux vit en union douanière; or si le cordon douanier est supprimé entre les trois pays, il subsiste un cordon fiscal. L’harmonisation des fiscalités indirectes est sans doute prévue par le Traité de Rome, mais elle pose un problème politique important, puisqu’elle aurait pour résultat, indépendamment de certaines incidences économiques sur le niveau des prix, de dessaisir les Parlements nationaux et les Gouvernements de foute action sur une part importante des recettes budgétaires : 40 et 60 % selon les pays. Tant que ce pas ne sera pas franchi, l’existence d’un cordon douanier, qui sera en fait un cordon fiscal, restera indispensable.

 

Sans doute est-il souhaitable dans cette perspective de concevoir une simplification plus profonde de la fiscalité entre les Six qui permettrait de supprimer tout contrôle. Il n’y aurait plus comme actuellement de détaxe à l’exportation et chaque Etat percevrait à la production les droits sur les produits qui seraient libérés sur son territoire, la circulation restant libre.

 

Mais cette étape suppose, indépendamment des aspects politiques évoqués ci-dessus, une adaptation des méthodes administratives qui demandera plusieurs années. Il y a en effet entre les techniques d’assiette des droits indirects une très grande diversité de méthodes entre les Six. L’expérience prouve que les Administrations sont longues à s’adapter à des innovations. D’autre part, cette transformation donnerait lieu à de très violentes controverses entre les Etats qui produisent et les Etats qui commercialisent un même produit.

 

Quoi qu’il en soit et tant qui y aura dans les différents systèmes fiscaux des taxes sur les produits, la douane continuera à exercer son rôle fiscal.

 

L’expérience des pays étrangers et l’examen du système fiscal français, montrent en effet qu’un système fiscal équilibré doit comprendre, à côté d’impôts sur le capital, d’impôts sur le revenu et sur les transactions qui s’assoient sur des situations juridiques et se vérifient par le moyen de la comptabilité, des impôts spécifiques qui atteignent certains produits à la production ou à la circulation et qui se contrôlent matériellement. Or la douane dont l’action est fondée sur les constatations matérielles concernant la nature et l’espèce des produits, est seule à pouvoir jouer ce rôle.

 

Il existe d’autre part, au fur et à mesure que se compliquent les réglementations et que se perfectionnent les systèmes fiscaux, une fraude très productive qui se caractérise par des transactions entièrement parallèles. II ne s’agit pas du procédé fréquemment utilisé par les conmerçants et qui se traduit par des omissions de prises en recettes ou par des minorations mais de véritables commerces clandestins à ramifications internationales : des bandes de trafiquants achètent les produits hors taxe dans les pays où ils sont bon marché et les acheminent par leurs propres moyens de transports et en contrebande dans les pays où ils se vendent cher. Ils les commercialisent ensuite par leur propre réseau.

 

Quel que soit le régime économique, ces transactions qui varient dans le temps et dans l’espace subsisteront. Les douaniers, parce qu’ils sont les seuls à pouvoir effectuer des contrôles matériels en matière économique et fiscale, peuvent s’y opposer.

 

Ceci dit, la poursuite d’une politique d’expansion dans le monde et, en Europe occidentale, l’institution du Marché Commun, obligent dès maintenant les différentes Administrations douanières à abandonner des méthodes jugées rétrogrades parce que traditionnellement restrictives pour s’adapter aux nouvelles exigences de l’économie.

 

Les contacts étroits qui existent entre les différentes Administrations douanières dans le cadre du Traité de Rome permettent à chaque Administration de prendre chez les autres les méthodes les plus adaptées. Traditionnellement, les douanes françaises se sont imposées par le souci d’ordre et de classement scientifique des différents produits dans une nomenclature qui permet de suivre l’évolution des techniques de production et d’avoir un langage commun.

 

La Nomenclature de Bruxelles adoptée par plus de 40 pays et d’où est dérivée; la Nomenclature du Tarif Extérieur Commun sont des créations françaises. L’adaptation des procédures douanières aux nécessités du commerce et de l’industrie est depuis longtemps en usage dans les douanes du Benelux et peut être très valablement transposée. Enfin, l’utilisation de moyens très modernes de contrôle matériel bien mis au point par les douanes allemandes permet de lutter efficacement contre la fraude tout en rendant l’action de l’Administration plus tolérable pour les usagers. 

 

Ainsi est en train de se modeler un nouveau type de douanier, artisan de l’expansion et garant de la régularité des transactions.

 


 

Journal de Formation Professionnelle

 

N° 97

 

Janvier-février 1961

 


 

 

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