Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes
Le corps militaire des douanes pendant le conflit franco-prussien de 1870-1871 (1ère partie)
Dans le cadre de notre évocation, nous avons le plaisir de présenter l’étude de Rémy Scherer sur le corps militaire des douanes durant ce conflit. En remerciant chaleureusement ce passionné d’histoire militaire pour sa contribution, nous publions ci-après le premier des trois volets de son essai.
L’équipe de rédaction
La mobilisation et l’engagement du corps militaire des douanes
Préambule
Cet essai expose la participation des agents des douanes lors du conflit franco-allemand de 1870-1871. Néanmoins, malgré la consultation de nombreux documents, à cause d’archives lacunaires et parfois discordantes, les éléments présentés doivent être considérés comme indicatifs, essayant seulement de refléter les faits au plus juste.
Introduction
A l’aube du conflit franco-prussien de 1870-1871, la douane possède a déjà derrière elle un passé militaire.
En effet, avec la Révolution disparait la Ferme Générale. Elle est nationalisée par l’assemblée constituante pour donner naissance, le 23 avril 1791, à la Régie nationale des Douanes, qui deviendra ensuite les Douanes Nationales puis Impériales.
Suite aux conflits de la France avec les états européens, la Douane se voit déjà militarisée dès 1792. Pendant toutes les guerres de la Révolution et de l’Empire, sa mission sera d’assurer la surveillance des frontières françaises puis d’assurer le blocus continental.
Le 22 fructidor de l’An IX (16 septembre 1801), la douane est réorganisée par le 1er Consul Bonaparte qui crée la Direction Générale des Douanes sous l’autorité de Collin de Sussy. Bonaparte organise la douane. Sous le 1° Empire, les douaniers se comportent comme une véritable troupe militaire. Ils suivent l’armée au gré des avancées en Europe, installant sans cesse de nouvelles lignes de douanes pour mettre en œuvre une politique protectionniste. L’Empereur attribue aux douaniers un uniforme réglementaire de drap vert.
La douane, organisée militairement, est donc présente jusque dans les « États satellites » de l’Empire car l’expansionnisme français crée un immense territoire aux limites duquel veillent 35 000 douaniers. Lors de la mise en place en décembre 1806 du blocus continental, les douaniers luttent contre la contrebande des marchandises anglaises, souvent de concert avec les militaires.
Les douaniers, alors surnommés les « 35000 baïonnettes » ou « chasseurs verts », se révèlent aussi d’excellents soldats car la plupart d’entre eux sont d’anciens militaires réformés. Ils combattent aux côtés des armées et leur bravoure est saluée par les plus grands chefs militaires français dont l’Empereur lui-même.
Les douaniers s’illustrent dans les états allemands, en particulier lors du siège de Hambourg sous les ordres du maréchal Davout. Ils forment pour la première fois un régiment, le 2° régiment des douanes impériales, créé par un ordre spécial de Davout du 17 août 1813. Lors du reflux de la Grande Armée, les douaniers mènent des combats d’arrière-garde ou prennent position dans les places fortes assiégées. Ils sont parfois les derniers à tenir certaines places et ils s’y battent jusqu’à la dernière extrémité. Par exemple, en 1815, à Strasbourg, le directeur Deu, à la tête de 900 douaniers se jette sur 4 000 hessois et les met en déroute, s’emparant de leur l’artillerie. »
Le corps militaire des Douanes
Ces faits d’armes font prendre conscience aux autorités de tout le parti qu’elles pourraient tirer de l’utilisation des brigades armées des douanes dans le dispositif de défense de la France. Ainsi, Louis-Philippe 1°, roi des Français, décide-t-il par les ordonnances des 31 mai 1831 et 9 septembre 1832 la création officielle du corps militaire des douanes, avec pour unité organique de base le bataillon.
En 1831 et 1832, le Roi Louis-Philippe crée par Ordonnances Royales le Corps Militaire des Douanes formé de bataillons sur le modèle de l’infanterie légère à partir du personnel du service actif, composé surtout d’anciens militaires. Les bataillons des douanes, dépendant du département des Finances en temps de paix, pourront être mis à la disposition du Ministère de la Guerre en cas de guerre défensive et si les circonstances l’exigent.
Le service actif faisant partie intégrante de la direction générale des Douanes, il n’est pas créé une «gendarmerie des frontières », placée sous l’autorité du ministre de la Guerre. La priorité demeure aux missions normales de la Douane et c’est seulement lorsque les circonstances conduiront à lever le contrôle douanier que les « brigades armées de l’administration des douanes pourront être affectées au service militaire ».
Cette affectation doit être en outre subordonnée à une ordonnance royale et elle ne pourra être envisagée qu’en cas de guerre défensive et non pour une guerre sur territoire étranger. L’affectation est réalisée si les opérations militaires ont lieu à l’extrême frontière, afin que les préposés puissent seconder les opérations militaires sur la frontière voisine de leurs lignes. Les préposés sont utilisés soit comme guides ou éclaireurs, soit dans les places-fortes, soit comme garde-côtes. Dans tous les cas, ils restent sous les ordres de leurs responsables administratifs.
Les modalités pour la constitution du corps militaire des douanes sont prises. Dès le temps de paix, les préposés des brigades des frontières terrestres et du littoral sont portés sur un « contrôle de guerre ». Chaque inspection des douanes doit former un bataillon et chaque capitainerie des brigades, une compagnie. Il est créé par bataillon, en prélevant sur les brigades ambulantes et les brigades de ligne, deux compagnies spéciales de 50 à 70 hommes appelées «compagnies de guides des Douanes françaises», chargées d’éclairer les troupes régulières en région frontalière.
Le surplus constituant les «bataillons de réserve des douanes françaises ». Les compagnies de guides sont utilisées par les troupes de campagne, les autres compagnies sont affectées à la défense des places fortes. Les bataillons d’une même direction formeront une légion, sous le commandement du Directeur.
A l’annonce de la guerre franco-prussienne, il est donc fait application pour la première fois des ordonnances de Louis-Philippe, compte-tenu de la menace d’invasion qui plane sur les frontières d’Alsace-Lorraine.
Le 26 juillet 1870, un décret impérial met à la disposition du département de la Guerre le corps armé des douanes dans les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin. Sont concernées les unités des directions de Metz, Strasbourg et Colmar.
Le 27 juillet, un second décret stipule que les brigades armées appartenant aux directions de Metz et de Strasbourg seront chargées de la garde de la frontière contre les incursions ennemies. Cette mesure permet de surveiller la frontière, l’armée du Rhin étant en pleine concentration et pas encore opérationnelle. Mais les événements se précipitent. Dès les tout premiers jours d’août, le dispositif militaire français d’Alsace du nord et de Lorraine, en avant de Metz, est balayé. Des unités de guides de la douane doivent se replier dans les places-fortes à Metz et Strasbourg, bientôt assiégées, tandis que d’autres sont faites prisonnières ou sont en retraite.
Léon Amé
Le 9 août, un nouveau décret mobilise l’ensemble du corps militaire des Douanes pour mettre à la disposition du ministre de la Guerre les corps armés de la douane. Cette liste comprend tous les départements frontières ou côtiers à l’exception de ceux de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin, déjà mobilisés. Toutefois, le directeur général des Douanes, Léon Amé, illustré ci-contre, a anticipé en invitant tous les directeurs à former des compagnies de guides susceptibles d’être déplacées pour la garde des places-fortes. De plus, le ministère de la Guerre souhaite disposer de 3 600 préposés pour renforcer la garnison de Paris dont une partie a été distraite pour venir en aide à l’armée de Châlons. Le jour même où paraît ce décret de mobilisation de tout le corps des Douanes, le directeur général ordonne «de diriger sur Paris, par la voie la plus rapide les compagnies constituées» et de hâter « la formation des autres pour qu’elles arrivent sans retard ».
Il est décidé que les bataillons seront formés à Paris au fur et à mesure de l’arrivée des compagnies. Suite à ces instructions, 10 000 douaniers sont dirigés vers Paris à partir du 12 aout, sans avoir prévu leur cantonnement. Il en résulte une pagaïe bien caractéristique de l’autorité publique en 1870.
Ils sont finalement logés, voire entassés, dans les postes-casernes de l’enceinte, et à la caserne des Magasins-Réunis. Mais l’impéritie est générale, les 10 000 douaniers à peine rassemblés, le ministre de la Guerre décide de n’en conserver qu’environ 3500 pour la défense de Paris. Ne sont gardés pour le service à Paris que les célibataires et il faut renvoyer tous les autres dans leurs directions respectives. Les cinq bataillons, restés dans la capitale, participeront à sa défense, sans toutefois prendre part aux tentatives de percée de la garnison. Ces unités sont groupées dans la Légion des guides de Paris », dénommée aussi « régiment des douaniers de Paris ». Cette unité n’a pas été opérationnelle en tant que telle, les bataillons étant disséminés dans la place de Paris pour la surveillance de certains ouvrages ainsi que le de maintien de l’ordre.
Il faut rappeler que, comme sous la Ferme générale, la douane est constituée de deux entités : les « bureaux » d’une part, service sédentaire chargé de la taxation et de la perception et les « brigades », d’autre part, service actif chargé de la surveillance; les cadres supérieurs de l’administration étant presque tous issus de la première entité.
Les agents des brigades représentent la part la plus importante des préposés de la douane. Ils se distinguent par le port de l’uniforme et des armes. Ils sont organisés militairement et souvent en encasernés. Les brigades comptent dans leurs rangs beaucoup d’anciens militaires et de fils de douaniers embauchés comme demi-soldiers. Ce sont ces agents qui sont requis dans le corps militaire des douanes.
Malgré tout, bien que les douanes soient militarisées, les douaniers garderont, malgré de nombreux débats, le statut de fonctionnaire civil. Néanmoins, leurs faits d’armes leur permettront d’obtenir certains avantages et certaines indemnités réservées aux militaires.
L’engagement des douaniers
Dès le 18 juillet, à la déclaration de la guerre, les brigades de Metz et de Strasbourg sont réorganisées pour renforcer la garde des postes pour assurer l’observation des activités ennemies de l’autre côté de la frontière. Les agents continuent leur mission de surveillance mais ils sont rapidement confrontés à des incursions ennemies effectuées par des patrouilles de cavalerie allemande. Ainsi, le 23 juillet 1870, vers 10 heures du soir à Schreckling en Moselle, les préposés des douanes Mouty et Lejust sont assaillis par une patrouille d’uhlans. Le préposé des douanes Pierre Mouty est tué après qu’il eut refusé de se rendre, faisant de lui la première victime française du conflit. Lejust est très grièvement blessé mais survit. Pour mémoire, ce n’est que le 28 juillet 1870 que tombera au cours d’une reconnaissance le maréchal-des-logis Pagnier du 12° régiment de chasseurs à cheval, à Niederbrönn en Alsace, officiellement premier tué de l’armée.
Douaniers aux avant-postes. Digue du Rhin en juillet 1870. Lithographie de A. Dusch (Source : Gallica)
Le nombre des agents des brigades effectivement engagés en opération n’est pas inférieur au tiers des effectifs globaux. Si les pertes en vies humaines ne sont pas élevées, en revanche les souffrances endurées par ces agents, en particulier au cours d’un hiver dont la rigueur est demeurée légendaire, sont particulièrement lourdes.
Pour le conflit, le corps militaire des Douanes forme l’équivalent d’une quinzaine de bataillons d’infanterie. Sur un effectif d’environ 250 officiers et 17 000 hommes, on peut considérer que près de 7000 douaniers ont participé aux combats avec l’armée française.
Les douaniers vont combattre dans différentes places fortes, comme à Strasbourg et à Longwy où ils font des prisonniers, ou encore sous les ordres du colonel du génie Pierre Philippe Denfert-Rochereau à Belfort qui ne déposera jamais les armes et demeurera française. Les douaniers se distinguent aussi dans Paris assiégé où ils sont venus par milliers renforcer la garnison.
Rémy Scherer
(A suivre)