Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes
Le Brexit : le Royaume-Uni fait-il partie de l’Europe ?
Laurent Warlouzet, professeur d’histoire à l’université de la Sorbonne, était invité par le Comité pour l’histoire économique et financière de la France (CHEFF) pour évoquer la place du Royaume-Uni dans la construction européenne, à partir d’une perspective historique.
Spécialiste de la construction européenne, il a notamment publié un ouvrage publié par nos confrères historiens des ministères financiers en 2011, intitulé Le choix de la CEE par la France, les débats économiques de Pierre Mendès-France à Charles de Gaulle (1955-1969).
Le 10 septembre 2019, le centre d’action sociale et culturelle de Bercy accueillait un public venu nombreux. L’AHAD y était représentée et livre son bref compte-rendu de cette séance très instructive.
Pour le professeur Warlouzet, le Royaume-Uni (RU) se situe « sur les marges de l’Europe », considéré parfois comme un « outsider après avoir longtemps été au centre du continent ».
Ceux qu’on identifie parfois mal en parlant d’Anglais (qui se limite géographiquement à une partie du RU) ou de Britanniques (excessif puisqu’incluant les irlandais), se sont toujours considérés eux-mêmes comme ayant une position particulière vis-à-vis de l’Europe : habitant une île, ils n’ont jamais connu d’invasion depuis 1066 et se considèrent différents de par leur géographie, mais aussi leur tradition parlementaire et une histoire moins violente que sur le continent depuis le XVIIIe siècle.
Ils se voient aussi plus « libéraux », au sens des libertés individuelles et collectives plus tôt consenties et garanties, depuis l’Habeas Corpus.
Dotés d’un Empire présent sur tous les continents, même les européanistes de l’entre deux-guerres ont considéré l’empire britannique en dehors ou à côté de la construction européenne, comme l’atteste le projet de 1923 Coudenhove-Kalergi… L’ « Europe » c’est alors autre chose que l’empire britannique, ou que les ensembles américains et russes.
Lorsqu’en 1946, Churchill appelle aux Etats-Unis d’Europe, il s’adresse au continent, sans y inclure son propre pays.
D’ailleurs, la première Europe de 1957 est analysée souvent comme l’Europe des vaincus de la Seconde guerre mondiale, voire comme l’Europe Carolingienne et catholique, par opposition aux sphères d’influences anglo-saxonnes et à l’anglicanisme qui refuse le caractère supra-national de l’allégeance à la papauté.
Le Royaume-Uni a-t-il toujours été « isolé » ?
Durant les années 80, Thatcher se retrouve isolée par rapport à l’Europe de Kohl / Mitterrand… toujours un RU « outsider » de l’Europe. Mais le professeur nuance cet isolement : d’une part, le RU n’est pas le seul Etat isolé en Europe : la France s’est isolée dans les années 60 et la Grèce peine à raccrocher le mouvement après son intégration. D’autre part, le RU a toujours été vu comme un partenaire différent, parfois maladroit, dans la construction européenne, de par sa tradition différente.
La série « Yes, Minister » est évoquée, dans laquelle le ministre Hacker est manipulé par le haut fonctionner Sir Humphrey, qui lui indique que pendant 500 ans la politique extérieure britannique a consisté à se battre de l’extérieur pour avoir une Europe (du continent) désunie, sans succès… et que désormais, de l’intérieur, cet objectif serait plus facile à atteindre !
Le Royaume-Uni est-il entré trop tard dans la construction européenne ?
Cette thèse souvent énoncée est réfutée par le professeur Warlouzet : il y eut certes de nombreux malentendus dans les années 50 et 60, du fait des britanniques comme du fait des européens, mais on ne peut considérer qu’ils aient raté le départ… « missing the boat » comme disent les Anglais. Dès 1955, le Traité de Rome négocie avec le Royaume-Uni, dont les exportations vers l’Europe des 6 ne représentent que 10% du total de ses exportations.
Pourtant, dès 1973, l’entrée du RU débute de façon originale : les britanniques font voter par référendum leur participation à la CEE. Pour les partisans du « NON », l’Europe est déjà la puissance affublée de tous les maux : chômage de masse, coût de vie élevé, déficits commerciaux et crises économiques…
En 1988, au Collège d’Europe à Bruges, Thatcher avance un discours très agressif, comparant même la CEE à l’URSS, sans pour autant renier son attachement à une construction européenne à laquelle le RU imprime sa marque plus libérale, pragmatique et tournée vers la politique des régions.
C’est enfin le Royaume-Uni qui impulse une « Europe à la carte » ou qui impose une différenciation entre zone monétaire unique (hors zone Euro), zone de libre circulation des personnes (hors Schengen) ou qui bénéficie des premières exemptions réglementaires, Thatcher s’opposant aux « paquets législatifs » impulsés par Delors.
En conclusion, l’historien fait part de sa perplexité face à des événements actuels très rapidement évolutifs et qui bouleversent les lignes de continuité britanniques : jugés souvent pragmatiques, et capables d’une prise de décision effective et réfléchie, ces partenaires se montrent désormais versatiles, et plus réactifs vis-à-vis de la mondialisation et de ses conséquences, notamment migratoires. Le RU se distingue-t-il ou témoigne-t-il d’une montée de l’antiparlementarisme ?
En guise de conclusion, M. Warlouzet pense que le Royaume-Uni fait bien partie de l’Europe, reste pour autant à savoir sous quelle forme et de quelle Europe il s’agira.
par Arnaud Picard