Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes
L’Amphitrite, une épave aux Aresquiers
Ce texte fait suite à l’article sur les plombs de douane paru dans le précédent Cahier.
L’AHAD remercie donc à nouveau vivement Mme Serra de l’avoir autorisé à le publier.
NDLR Cahiers 2012
Une découverte inédite
La découverte en grande quantité de plombs de douane sur le plancher de l’épave constitue une découverte inédite !
En effet le musée national des douanes ne possède aucun des trois types d’empreintes remontées à la surface et c’est la première fois que des plombs de cette période sont découverts en archéologie sous-marine.
Liés au transport de la morue, ces plombs témoignent de la politique protectionniste pratiquée au lendemain de la disparition du système continental, mais également de la politique de relance du commerce voulue par Louis-Philippe avec l’instauration de primes à l’exportation des productions nationales.
L’objectif étant de lutter contre la contrebande et de défendre la production nationale contre la concurrence étrangère. Les emblèmes et inscriptions gravés constituent un champ d’indices déterminant afin de répondre à trois questions fondamentales :
De quel port partait le navire ? Quel pavillon battait-il ? Quelle est la datation du naufrage ? Les mentions « douanes françaises », « Marseille », « primes », « réexportation d’entrepôt », « ordonnance de 1817 » ainsi que la représentation d’un coq nous plongent dans le mécanisme des échanges liés au port de Marseille à une époque où la fraude bat son plein…
Nous pouvons imaginer les douaniers fort occupés à vérifier les marchandises, sourds face aux tentatives de marchandage des négociants qui s’affairent…
Nous développerons dans ce qui suit comment nous en sommes arrivés à penser que l’équipage de l’Amphitrite transportait sans doute une partie de la cargaison de morue salée en fraude…
A propos de l’ordonnance de 1817
Une ordonnance pour lutter contre la fraude par Rémi Seguin, faculté de droit de Montpellier.
L’ordonnance du Roi du 8 janvier 1817 concerne le plombage des marchandises soumises à la surveillance de l’administration. Elle intervient pendant la Restauration, régime monarchique qui succède à la chute de l’Empire de Napoléon Bonaparte.
En 1817, c’est donc Louis XVIII qui règne sur la France, commercialement diminuée par les guerres de l’empire. Le 2 avril 1814, à la suite de la déchéance proclamée par le Sénat et le Corps législatif à l’encontre de Napoléon, le sénat demande à Louis XVIII, alors exilé en Angleterre, de monter sur le Trône et écrit la Charte constitutionnelle du 4 juin 1814.
Ce texte, par sa forme, est un véritable retour à la monarchie. En effet, la Charte est octroyée par la volonté royale. De même, l’ordonnance relative au plombage douanier utilise une forme renvoyant à l’ordonnance royale prise pendant toute la durée de l’ancien régime, de Louis le Gros à Louis XVI. L’ordonnance est « ordonnée » par « Louis, par la Grâce de Dieu, Roi de France et de Navarre », mettant en exergue le pouvoir Royal, avec le rôle prédominant du Roi.
La Charte confie le pouvoir exécutif à Louis XVIII, lui laissant également quelques symboles royaux issus de l’ancien régime, cependant elle inclut parallèlement dans le texte une multitude de principes révolutionnaires comme la liberté de la presse ou la liberté du culte (bien que la religion catholique soit la religion d’Etat). Symboliquement, le Roi garde des sujets et non plus des citoyens. Dans la pratique, Louis XVIII utilisera cette charte de façon très libérale, laissant s’introduire doucement les prémices des futurs régimes parlementaires…
Cette ordonnance est prise en application de pouvoir donné au Roi. Elle précise les texte de loi en vigueur comme le souligne le visa de l’ordonnance :
« Vu la loi du 22 août 1791, titre III, art. 5, et les règlements des 5 brumaire an 20 fructidor an 25 ventôse an VIII et du 20 juillet 1808 »
L’ordonnance de 1817 précise de façon formelle des modalités douanières déjà existantes, ainsi que la forme des plombs et les peines encourues par le douanier corrompu, c’est-à-dire utilisant les outils de plombage à des fins illégales.
Concernant les tarifs douaniers, elle précise le maintien des tarifs existant, posant ainsi le tarif de principe à 50 centimes pour chaque plomb, qui comprend la taxe douanière ainsi que les frais incombant au matériel tel que le plomb ou les instruments nécessaires à son apposition sur la marchandise.
Elle précise également les montants des tarifs particuliers comme ceux concernant les douanes de l’intérieur qui demeurent à 75 centimes et ceux plus bas, et les tarifs exceptionnels comme pour les marchandises exportées vers l’Espagne.
Pour tout le reste, le tarif douanier est donc de 50 centimes par plomb. L’apport essentiel de cette ordonnance est la mise en place d’un plombage particulier assurant une meilleure protection, c’est-à-dire la forme et les fonctionnalités que devront avoir les instruments nécessaires au plombage : ils devront obligatoirement permettre d’empreindre le plomb sur les deux faces, créant ainsi le plombage tel qu’on le connaît.
Elle pose comme principe que « des pinces, appelées Flaon », seront fabriquées pour l’administration des douanes, mais suivant un seul modèle identique permettant ainsi de la rendre dissociable des autres, et donc permettre une reconnaissance des plombages douaniers.
Ces « flaons » sont donc les instruments techniques permettant le plombage des ballots exportés ou importés en France. L’ordonnance met donc en place les modalités de fabrication de ces pinces. La nécessité que l’empreinte se réalise sur les deux faces du plomb permet de ne pas pouvoir modifier, ouvrir ou déplacer ledit plomb sans qu’un contrôle postérieur ne puisse s’en rendre compte. Il s’agit donc de mesure de prévention ou de lutte contre toute fraude.
Sous l’ancien régime, il n’y a pas de véritable administration douanière, elle est incluse dans la Ferme générale. Les Fermiers généraux recouvrent, pour leur propre compte l’impôt moyennant le versement d’une caution préalable au Trésor Royal.
A la Révolution, le 20 mars 1791, les Révolutionnaires suppriment la Ferme Générale pour mettre en place le 1er juin, la Régie des douanes, la dotant d’un code des Douanes (publié le 22 août) et d’un tarif général des droits à percevoir à l’entrée et à la sortie du Royaume. Dés la Révolution, pour éviter tout danger extérieur, on va connaître une politique douanière de protectionnisme, politique adoptée et renforcée par le Consulat puis l’Empire.
Le 16 septembre 1801, un arrêté des consuls crée la direction générale des douanes, empreinte du système centralisateur mis en place par Napoléon. Cette administration va être de plus en plus répressive durant l’empire.
L’objectif étant durant toute la durée du Blocus continental », d’abattre la puissance commerciale de l’Empire britannique, en l’isolant et corrélativement promouvoir la production nationale. Cette politique de protectionnisme engendre un développement de la contrebande.
Pour limiter celle-ci, le consulat, puis l’empire prennent des mesures punitives à l’encontre de tout douanier commettant des actes illégaux. Dès 1803, un douanier peut être condamné à mort en cas de participation à un délit de contrebande. On punit ainsi le contrôleur pour qu’il effectue normalement sa fonction, et on le rétribue en lui offrant des primes, sortes d’intéressement, à chacune de ses prises.
La Restauration a gardé la plupart des structures administratives de Napoléon, qui demeurent pour certaines encore en place dans la même forme qu’à l’origine, ainsi que la plupart des législations les régissant. L’administration douanière n’a pas échappé à cette règle, pourtant la politique protectionniste est moins exacerbée et le gouvernement provisoire déclare : « que le commerce chargé d’entrave reprenne sa liberté ».
Liberté ne veut pas dire non perception de taxe sur les échanges, c’est pourquoi l’administration douanière continue à fonctionner. On passe d’une politique d’entrave du commerce à une politique douanière de perception des taxes, permettant de récolter des recettes sur la circulation de richesses étrangères sur le territoire, aux dépens des autres pays européens.
La perception des taxes a alors pour finalité de promouvoir les productions nationales contre la concurrence étrangère. Afin de récolter ces recettes, l’ordonnance précise la constitution de punition des délits mais également leur répression. Le douanier n’a pas le droit de percevoir des rétributions plus importantes que celles prévues par la loi, en contrepartie de son absence de vérification sur certaines marchandises (on parlerait aujourd’hui de pot de vin).
Il ne doit également pas utiliser le matériel de plombage mis en place par l’administration douanière à d’autres fins que celles prévues par la loi. Le douanier fautif peut alors perdre sa fonction, voir encourir des peines plus fortes, comme par exemple les travaux forcés à perpétuité et la marque au fer rouge sur l’épaule de la mention T.S.F. « Traître, Scélérat, Faussaire ».
Les plombs, emblèmes politiques
Les plombs les plus nombreux retrouvés dans l’épave présentent l’effigie d’un coq. Comme nous l’avons décrit précédemment dans la méthode d’enquêtes en archives, cet animal pris comme emblème politique a permis de préciser une première borne chronologique au naufrage, c’est-à-dire sous Louis-Philippe.
Nous avons en premier lieu interrogé le musée national des douanes et étonnamment le travail d’enquête s’est avéré plus difficile que prévu. En effet, il n’existe pas de catalogue des empreintes douanières et nous pouvons seulement les faire aller de pair avec les plaques de shakos. Ces coiffes portées par les douaniers reprennent les symboles propres à chaque régime.
A l’époque révolutionnaire, par exemple, les douaniers arboraient comme signe distinctif l’œil sur soleil rayonnant. Sous l’Empire, des aigles décoraient les pans retroussés des habits, les boutons des célèbres uniformes verts et les plaques de shakos. Dès la Restauration, ces plaques de shakos sont alors ornées d’un caducée, entouré de deux cornes d’abondance et surmonté des armes de France que complète l’inscription « douanes royales ».
A la fin du règne de Louis XIII et sous Charles X, trois fleurs de lys occupent toute la partie centrale de la plaque. Louis-Philippe les remplace par un coq fier et altier. Une couronne de chêne embellit l’inscription « douanes françaises ».
La lecture de l’ouvrage de Michel Pastoureau, « Les emblèmes de la France », nous a permis de confirmer cette hypothèse. Le coq est sans doute le plus ancien emblème de la France. Il accompagne l’histoire presque ininterrompue et contrairement à la plupart des autres emblèmes français, se compromet avec certains régimes monarchiques comme républicains.
Ce sont les Romains qui ont associé les premiers le coq et la Gaule, en latin c’est le même terme gallus qui désigne l’oiseau et l’habitant de la Gaule. Le plus souvent le coq est associé au culte de Mercure, dieu pour lequel les Gallo-romains ont une dévotion particulière. A partir de la Révolution, le coq occupe le premier rang de la scène politique et emblématique et fait l’objet d’une violente propagande « anti-coq » par les ennemis de la France républicaine. Même s’il tombe en disgrâce sous la restauration, son image demeure vivace dans l’art populaire et devient parfois un signe de ralliement pour les adversaires de Charles X en 1830.
Une chanson intitulée « Le vieux drapeau » demande à ce que « l’on rende à la France le bon coq des Gaulois, qui comme l’aigle, sut aussi lancer la foudre… ». Cet appel est entendu lors de la révolution de juillet en 1830. A peine nommé premier lieutenant-général du royaume, Louis-Philippe impose le coq au sommet de la hampe des drapeaux de la garde nationale. Plus tard l’oiseau apparaît sur les plaques et médailles des fonctionnaires, sur certains papiers administratifs, sur l’épée des militaires… Ainsi, Louis-Philippe prend non seulement le coq comme emblème mais il l’applique également à toute l’administration, poste, armée, douane.
La révolution de 1848 continue dans la même voie. Au milieu des différents attributs symbolisant les fruits du travail et du génie humain, l’oiseau prend place sur le gouvernail de la Nation tenu par la liberté assise. Toutefois avant de prendre place sur le grand sceau des trois dernières républiques, le coq connaît une nouvelle éclipse sous le Second Empire. Partout, il cède la place à l’aigle, symbole du nouveau régime impérial.
Marseille et le régime d’entrepôt
Comme nous l’avons dit précédemment, la restauration tente de relancer le commerce de la France, en favorisant la production nationale en contrepartie de la perception de taxes sur la circulation de richesses étrangères sur le territoire national.
A Marseille où le mécanisme des échanges commerciaux est régi par le port, un régime d’entrepôt fictif est instauré. Les marchandises étrangères non destinées à la consommation nationale mais destinées à l’exportation et transitant par le port, sont stockées dans une zone franche, l’entrepôt, évitant ainsi d’être lourdement taxées.
Le bureau principal de la douane de Marseille, en dehors du receveur principal, est sous la direction de l’inspection sédentaire et de cinq sous-inspecteurs. Il est constitué en cinq divisions et en dix sections.
La section Primes et Réexportations a pour fonction l’enregistrement des déclarations concernant les marchandises expédiées avec réserve de primes et délivrance de permis d’embarquement, des passavants ou acquits à caution, l’enregistrement des certificats de réexportation de morue, l’enregistrement des déclarations d’admissions temporaires ainsi que le renvoi au contentieux des acquits à caution d’admission temporaire et de transit régularisé.
Le bassin du Lazaret est le seul affecté aux marchandises d’Entrepôt. Il est entouré de hangars, parallèles aux quais, où les marchandises sont déposées avant toute opération de douane et qui sont considérés comme la cale du navire. A ces hangars sont attenants des magasins qui constituent l’Entrepôt proprement dit. Les magasins se trouvent séparés les uns des autres par des cours où les opérations de sortie d’Entrepôt s’accomplissent.
La surveillance par les douaniers est exercée dans les hangars et aux grilles de l’enceinte de l’entrepôt par des agents du service actif. Aucune marchandise ne sort sans être accompagnée d’un permis qui est représenté au sous-officier, chef de poste de la grille des cours ou à celui de la partie du Premier-Quart. Les marchandises de réexportation sont accompagnées, jusqu’à leur point d’embarquement, par un préposé d’escorte, qui vise le permis. Le mouvement des entrepôts est fort important, importations, exportations occupent une grande place et se calculent en quintaux métriques sans omettre les opérations d’admissions temporaires des marchandises.
L’Amphitrite cacherait-elle de la marchandise de contrebande ?
Lorsque Louis-Philippe instaure un système de primes, il entend favoriser l’exportation de produits nationaux. Les morues et « issues », de pêches françaises, débarquées en admission temporaire en entrepôt bénéficient de primes favorisant la réexpédition vers les colonies, Martinique, Guadeloupe et ce, depuis le vote du troisième paragraphe de l’article 2 de la loi du 9 juillet 1836.
Les plombs imprimés de la mention prime constituent un inédit pour le transport de la morue salée. En effet, Le quotidien Le Sémaphore daté du 30 octobre 1839, soit onze jours avant le départ de l’Amphitrite, annonce l’application de la circulaire 1722 de la loi du 7 octobre 1839: « …les morues sèches exportées des entrepôts de la métropole à destination de nos colonies et auxquelles à ce titre est accordée la prime supérieure stipulée par la loi du 9 juillet 1836, doivent être soumises à la formalité de plombage.
Cette formalité ainsi que l’explique la même circulaire est nécessaire, tant pour garantir l’identité des morues au départ que pour procurer aux douanes coloniales les moyens de s’assurer que les morues qui leur sont présentées comme provenant des entrepôts de la métropole sont bien celles qui ont droit à la prime supérieure… » Cette mesure devient très intéressante lorsque nous observons les deux types de plombs retrouvés sur l’épave « réexportation d’entrepôt » et « primes ».
Marseille, à cette époque, importe de la morue salée des pêches françaises mais aussi de la morue de pêche étrangère, en particulier de Norvège. Les primes sont destinées en priorité à l’envoi des morues salées de pêche française.
La mention réexportation d’entrepôt s’applique aux morues salées étrangères transitant par le port avant d’être envoyées par exemple vers les colonies. Nous pouvons alors imaginer que l’Amphitrite transportait deux types de morues, identifiables par le mode de préparation lors du salage.
Cependant, l’analyse en laboratoire nous apprend que l’ensemble des os prélevés dans l’épave correspondent à un seul type de morue salée fendue. En ces temps où la contrebande et la corruption des douaniers est monnaie courante, le négociant avant de charger la morue sur le navire n’a-t-il pas fait passer un faux certificat de provenance de la marchandise et de fait, une partie de la morue norvégienne pour de la morue française afin d’éviter de payer des taxes et de toucher quelques primes ?
Surtout lorsqu’on songe comme l’annonce la rubrique des Nouvelles commerciales du Sémaphore du 29 octobre 1839, à propos des morues « …que les prix de vente en France sont plus bas que jamais et que les dernières nouvelles des colonies indiquent aussi des prix très bas et à 5 et 6 mois de terme ».
Laurence Serra
Cahiers d’histoire des douanes
N° 48
1er semestre 2012