Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

Lalla Maghrnia (Marnia), frontière algéro-marocaine (1906-1916) et les brigades à cheval de la douane au temps de l’Algérie française

Mis en ligne le 1 septembre 2024

 

 

 

I. Lalla Maghrnia (Marnia), frontière algéro-marocaine (1906-1916)

 

Avant poste militaire français sur la frontière terrestre algéro-marocaine, en face du village marocain d’ Ouchda (Oujda), le village algérien de Lalla Maghrnia (Marnia) a été créé en 1847, 17 ans après la conquête française de l’Algérie.

 

Une brigade de douane y est implantée à la suite, puis en 1895 un bureau de dédouanement y est installé, et en 1897, un poste de lieutenant.

 

La population a augmenté progressivement passant d’une trentaine d’âmes à 11.000 habitants (dont 2200 européens) en 1954.

 

Entre 1906 et 1916, deux évènements ont marqué la douane locale. Tous deux dans un contexte géopolitique différent : en 1906, l’Algérie est constituée en départements français et l’empire chérifien, bien qu’en voie d’être placé sous observation internationale par la Convention d’Algésiras, n’est pas encore sous protectorat français, (il ne le sera qu’à partir du 30 mars 1912). Le premier fut dramatique et permettra d’évoquer les brigades à cheval en Algérie, le second sanctionnera un progrès économique pour la région.

 

Le premier évènement, rapporté par plusieurs journaux d’époque (1), est l’assassinat de deux douaniers cavaliers, en surveillance des limites de la frontière, par des bandits marocains.

 

Le 10 février 1906 une escouade de douaniers de la brigade à cheval de Marnia en embuscade de nuit sur la frontière repèrent quatre indigènes qu’ils prennent pour des contrebandiers. Malgré les sommations des agents, les quatre individus prennent la fuite. Au cours de la poursuite, ils sortent des fusils de leurs djellabas et tirent sur les douaniers, blessant grièvement les préposés cavaliers Claverie et Meujot, et prennent la fuite sans pouvoir être appréhendés.

 

Malgré les secours de leurs camarades d’escouade, le sous-brigadier Guyon François-Joseph et le cavalier auxiliaire Ben Ameur Ould Moussa Ben Aissa (2) , puis les soins prodigués par les militaires du secteur, les deux agents touchés succombent à leurs blessures à l’hôpital militaire de Marnia.

 

 

Leurs obsèques ont lieu le 12 février 1906. Les honneurs douaniers (par des délégations de brigades venues de toute la région) et militaires (par, entre autres unités, une compagnie du 1er régiment de la Légion étrangère) leur sont rendus. Cités «douaniers tombés en braves, victimes du devoir», ils seront promus dans l’ordre de la médaille d’Honneur des Douanes, de même que les deux agents rescapés.

 

L’un des assassins , Mansour el Kaddour, un marocain, bandit de grands chemins, sera arrêté en 1908 à l’occasion d’un autre méfait.

 

Le 5 mai 1907, un monument élevé par souscription en l’honneur des deux douaniers victimes (3), est inauguré au sein du cimetière de Marnia par le Directeur des Douanes d’Alger, Monsieur Moucheront, en présence des autorités civiles et militaires.

 

Le second évènement intervient dix ans plus tard, alors que le Maroc, tout en conservant théoriquement son indépendance, est sous protectorat français. Ce fut la juxtaposition à Oujda des contrôles douaniers français et marocains.

 

Dans son oeuvre de développement des infrastructures en Algérie, la France avait engagé le projet de création d’ une ligne de chemins de fer , ayant vocation à relier Oran (Algérie) à Fez (Maroc). Le 15 février 1916 fut mise en service par la Compagnie des chemins de fer de l’ouest algérien, la liaison Marnia (Algérie ) à Oujda (Maroc). Le bureau de douane de Marnia traitait déjà, avant cet évènement, quinze mille tonnes de marchandises par an (essentiellement périssables) à destination du Maroc, soit environ 10% en valeur du commerce de l’Algérie avec le Maroc (4).

 

Cette liaison ferroviaire constituait en soi, un progrès considérable par rapport à la situation antérieure où les voyageurs et le fret devaient débarquer à Marnia, les marchandises soumises aux formalités douanières françaises, stockées en entrepôt douanier sur place (entrepôt réel crée par décret du 1er novembre 1901), pour être ensuite acheminées en petites quantités par voitures ou charrettes à Oujda où elles étaient à nouveau visitées par la Régie des douanes chérifiennes.

 

Cette rupture de charge et ces manipulations successives étaient préjudiciables à la conservation de la qualité des marchandises et constituaient un coût pour le commerce.

 

La nouvelle ligne ferroviaire permettait d’éviter ces ruptures de charges tout en assurant le transport de marchandises plus volumineuses jusqu’à destination.

 

Pour que ces progrès soient complets, il convenait de faciliter les contrôles douaniers en frontière.

 

C’est ainsi qu’il a été décidé de concentrer les interventions des douaniers français et celles de la Régie des douanes marocaines en un seul point. Ce sera Oujda qui sera constituée en gare internationale (6) et où seront détachés des douaniers français de Marnia .

 

En mars 1956, à la suite des accords d’Aix-les-Bains marquant la fin du protectorat français, le Maroc, devenu totalement indépendant (et par ailleurs soutien actif de la rébellion algérienne), met un terme à la présence des douaniers français d’ Oujda qui furent alors rapatriés à Marnia.

 

 

 

 


 

 

II. Les brigades à cheval de la douane au temps de l’Algérie française

 

Composées de préposés européens comme maghrébins et d’auxiliaires indigènes, les brigades de cavalerie des douanes assuraient la surveillance des intervalles et exerçaient d’une manière générale, la police du rayon sur les frontières terrestres de l’Algérie.

 

Compte tenu de la longueur de la frontière avec le Maroc d’une part (1300 kms) et avec la Tunisie d’autre part (1200 kilomètres), les patrouilles et interventions à la charge de ces brigades équestres duraient plusieurs jours et nuits d’affilée, obligeant les agents à découcher et à se ravitailler sur le terrain (la chasse était d’ailleurs autorisée aux cavaliers dans ce but).

 

Le service était donc pénible mais il était également dangereux, les cavaliers étant confrontés, en terrain isolé et difficile, à des bandes nomades de tribus insoumises ou étrangères pratiquant la contrebande et s’attaquant aux troupes ou aux populations locales pour les voler ou les piller, comme les «Djich» marocains (groupes armés).

 

La presse locale se faisait régulièrement l’écho des actions des douaniers en rase campagne.

 

L’écho d’Oran du 23 août 1888 titre «Bravo Messieurs les douaniers de Marnia» pour la saisie sur un sentier de 60 mulets chargés de tissus anglais, tapis, babouches, thé en provenance du Maroc en contrebande.

 

La dépêche algérienne du 19/09/1897 rend compte de l’interpellation par le sous- brigadier Colea et le sous-brigadier auxiliaire Quinto en embuscade de nuit dans la plaine des Beni-Ouassia ,de contrebandiers indigènes avec 14 kilos de thé et 55 Kilos de sucre.

 

L’écho dOran du 8 décembre 1908 rapporte que les cavaliers des douanes Robert et Larabi de Marnia ont arrêté le 7 décembre le nommé Embarek porteur de 7 kilos de poivre qu’il présentait comme de l’orge.

 

Le même journal signalait le 8 décembre 1908 l’arrestation le 4 février par les cavaliers Antonelli , Ambroggi, Lautier et Ben Ameur de cinq indigènes porteurs de ballots de thé et de sucre de contrebande.

 

Les régions frontalières étant placées sous administration militaire (comme le secteur ou «cercle» de Marnia), les contrebandiers interpellés sont présentés à la Justice militaire qui prononce les peines d’amendes pour les faits de contrebande et des peines de prisons pour les actes de rébellion :

 

L’écho d’oran du 12 février 908 rapporte la condamnation par le Conseil de guerre d’Oran, de deux contrebandiers Bouzian et Ben Ahmed à six mois de prison ferme chacun pour détention de poudre, rébellion et outrages à agents des douanes. L’écho d’Oran du 16 octobre 1910 rend compte de la condamnation de 7 contrebandiers à des peines allant jusqu’à 10 ans de prison pour avoir, au lieu dit Ain Karmous, dans la nuit du 29 au 30 aout 1909, tiré sur les douaniers (sans faire de blessés) après avoir abandonné 5 ânes chargés de sucre ,thés, cafés tissus et poudre à munitions de contrebande.

 

L’Echo d’Oran du 12 juin 1914 signale que cinq indigènes de la tribu des Khemis, coupables de contrebande de café, thé, sucre, plombs de chasse ont été condamnés par le Conseil de guerre d’Oran du 10 janvier 1914. Les engagements des cavaliers contre ces bandes à l’extrême frontière sont donc souvent risqués. Parmi les attaques subies rapportées par la presse de l’époque : (5)

 

  • – en 1885, les douaniers en embuscade dans le secteur de la tribu des Maaziz, dans la nuit du 7 au 8 septembre, sont visés par des tirs. Un douanier est blessé à la cuisse et au bras;
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  • – en 1899, le sous-brigadier Darne et le préposé Polidori de la brigade à cheval de Nedroma sont blessés lors d’une fusillade de plus de dix minutes à deux heures du matin avec des contrebandiers sur le sentier muletier en provenance de Oujda (Maroc), où ils étaient en embuscade avec les préposés Pasteur, Mary et les auxiliaires Bachir et Nekkache sous les ordres du brigadier Artus .Profitant de la nuit noire, les contrebandiers s’enfuient en abandonnant leurs bêtes chargées de 15 kilos de poudre à tirer ,6 kilos de thé et 60 kilos de sucre, ainsi qu’un tué. Plus tard, à la suite d’une enquête, l’un des fraudeurs sera capturé et poursuivi. Dans la relation des faits , le journal «Le Petit Fanal» du 09 septembre 1899 qualifiera les agents précités de  « vaillants douaniers et braves soldats »;
  •  
  • – en 1901, le préposé Garcia Joseph, de la brigade de Marnia, est blessé grièvement par des contrebandiers (médaille d’honneur des douanes  – JO du 11 juillet 1901);
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  • en 1906, les Préposés Claverie et Mingeaud de la même brigade sont tués en poursuivant des bandits.(voir ci-dessus);
  •  
  • en 1920, la recrudescence des attaques contre les cavaliers de la douane amène le commandant supérieur militaire à faire renforcer les escouades par des militaires des Spahis;
  •  
  • encore en 1949, le cavalier auxiliaire Ghanem Hadidan est mortellement atteint lors d’un engagement contre des contrebandiers sur la frontière tunisienne (c’est en sa mémoire que son nom fut donné à la nouvelle vedette garde-côtes d’Alger mise en service en 1954).

 

Et c’est sans compter les risques d’accidents de cheval comme celui du lieutenant Moine de Marnia qui a dû effectuer une convalescence à Alger avant de reprendre son poste (cf l’avenir de Tlemcen du 28 mai 1913).

 

La pénibilité et la dangerosité du métier de cavalier des douanes avaient été reconnues de longue date par le gouvernement général en Algérie. On trouve dans les délibérations (extraits de 1906) de la délégation financière du GG, le constat partagé suivant des délégués: «les douaniers sur les frontières terrestres du Maroc et de Tunisie font un service extrêmement pénible et dangereux. Ils essuient souvent des coups de feux et courent de grands dangers. On demande l’octroi d’indemnités à l’instar de ce dont bénéficient les agents des Forêts».

 

Pour éviter que les agents ne demandent rapidement à être affectés dans des postes moins difficiles, notamment sur le littoral, des avantages statutaires leur étaient consentis par la direction générale. Ainsi l’obtention d’un grade de sous-officier (sous-brigadier/brigadier/brigadier-chef) n’était pas subordonné à la réussite d’un examen comme pour les douaniers à pied, mais simplement à l’inscription sur un tableau d’avancement.

 

Bien qu’en contrepartie, les préposés cavaliers ainsi promus sous-officier ne pouvaient passer avec leur grade dans les brigades à pied qu’après avoir satisfait aux épreuves réglementaires, les organisations syndicales présenteront à différentes reprises des vœux tendant à la suppression de ce mode de promotion jugé inéquitable, en dépit des conditions particulières de service des cavaliers.

 

Ce régime spécifique disparaîtra à la fin des années 1940 avec la motorisation progressive des unités signant la fin des brigades à cheval. Un décret du président du Conseil en 1947 permettra tout de même, de confirmer dans leurs grades les brigadiers et brigadiers chef précédemment promus par tableau d’avancement en raison de leur statut de cavaliers en Algérie.

 

 

Marc Langlet

 


 

Sources :

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Archives Nationales d’Outre Mer à Aix-en-Provence et archives BnF

 

Remerciements à JF LIORT pour l’accès à son fichier de recensement des publications algériennes conservées à la BnF. et relatives à la Douane.

 


 

Notes :

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(1) Journaux locaux (Echo d’Oran, la dépêche algérienne, la vigie algérienne, l’avenir de Tlemcen…) et presse associative «le douanier» source BnF
(2) Photo «le douanier» du sous-brigadier GUYON et du cavalier BEN AMEUR
(3) Photo «l’Illustration Algérie/Maroc/Tunisie» du monument à la mémoire des deux agents tués .
(4) Journal «GILBLAS du 05/12/1903.L’echo d’Oran du 17/02/1916.
(5) Journaux «La Tafna» du 16/09/1885,«le petit fanal» des 09/09/et 11/09/1899, «l’écho d’Oran» des 15/02 et 26/02/1916
(6) A l’instar des gares métropolitaines de Vintimille et de Modan

 
 
 

 
 
 
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