Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

L’Action Douanière (1920) : l’habillement, préoccupation de l’Union générale des agents du service actif

Mis en ligne le 1 juillet 2019

Le paysage « pré-syndical » du début des années 1920

 

Avant la Première guerre mondiale, les associations professionnelles douanières, l’Union générale des agents du service actif et celle des agents du service sédentaire, avaient manifester le souhait de se constituer en syndicats dès l’après-guerre. Jean Clinquart indique : « Elles avaient réaffirmé cette détermination en 1917. Les hostilités terminées, un fort mouvement se dessina au sein des diverses administrations en faveur de la constitution immédiate de syndicats1. »

 

En mai 1920, l’une et l’autre franchirent le pas, bien qu’alors, la loi applicable – la célèbre loi Waldeck-Rousseau interdisait la création de syndicats au sein de la fonction publique2. Des poursuites judiciaire furent engagées contre leurs dirigeants, pour infraction aux dispositions de la loi de 1884. La dissolution de ces syndicats douaniers fut prononcée en mars 1922.

 

Le Premier Congrès du Syndicat national a lieu dans la « grande salle du Café du Globe » (il peut toujours accueillir actuellement 300 personnes pour des conférences)

 

Malgré cela, et en l’absence d’un statut des fonctionnaires (il fallait attendre la Libération, la IVe République et la loi du 19 octobre 1946), les syndicats poursuivaient leur existence officieuse : « En fait, sinon en droit, ces syndicats existaient bel et bien (celui des douanes actives revendiquait 16 500 adhérents en 1922) ; ils disposaient d’une presse, organisaient des réunions et entretenaient, à travers les conseils de discipline et diverses commissions, des relations très officielles avec l’autorité administrative »3.

 

Les 10, 11 et 12 mai 1920, le syndicat national des agents du service actif tient son premier congrès national. Cet événement se déroule à la célèbre « salle du Globe », au 8 boulevard de Strasbourg à Paris. Actuellement, peu de traces de ce passé subsistent. Pour l’essentiel, il ne demeure que l’allusion au nom mythique et sa nouvelle appellation du lieu : « le Globo ».

 

C’est aussi dans cette salle que s’est déroulée du 23 au 25 avril 1905 la « conférence du Globe », fondatrice de la section française de l’internationale ouvrière (SFIO).

Le numéro 9 de l’Action douanière publié en mai 1920 témoigne justement des revendications du syndicat des services douaniers actifs (l’ancêtre de la branche surveillance), dans une période troublée4. Il démontre aussi le caractère prolififique de la « prose syndicale » : productions abondantes, les deux principales publications nationales (l’Essor et l’Action douanière) sont complétées par des publications locales souvent plus agressives.

 

Jean Métayer, figure du syndicalisme douanier naissant

 


 
Jean Métayer, Secrétaire général de l’Union générale des agents des services actifs des douanes

 

Avec Pierre Neumeyer5, il est l’un des deux principaux animateurs du mouvement syndical douanier.

 

Né à Bordeaux le 25 novembre 1877, fils d’un préposé des douanes décédé en activité de services en 1878, Jean Métayer débute sa carrière douanière dans ce même grade en 1896. Il quitte Bordeaux pour rejoindre sa femme, employée des Postes à Paris.

 

Sous-brigadier en 1914, il est mobilisé de 1914 à 1915.

Secrétaire général de l’Union générale des agents du service actif des douanes à partir de 1920, il s’investit au plan syndical jusqu’à sa retraite en 1933. Il est décédé en 1952.

 

L’habillement, revendication en 1920

 

Le comité de rédaction reproduit ici un extrait de l’adresse de Jean Métayer au directeur général, au sujet des difficultés de l’habillement des douaniers en tenue :

 

« Monsieur le Directeur Général,

Depuis plus de deux ans, nous ne cessons d’intervenir auprès de vous et de vos collaborateurs au sujet du manque de tenue dont se plaignent les agents.

 

 

Première page de l’Action Douanière numéro 9 de mai 1920

Chaque fois, il nous a été expliqué que cette situation était due à la rareté du drap, à la crise des transports et à quelques autres causes moins graves, mais qui, comme les premières, étaient passagères. Et vous avez engagé le personnel à prendre patience, vous avez souligné les obligations qu’ont tous Citoyens de notre pays, dans les durs moments que nous traversons, de se soumettre aux économies les plus strictes et les plus sévères, et d’user jusqu’à la corde leurs vêtements qui maintenant coûtent si cher.

 

Pour aussi sages que soient vos conseils, nous devons déclarer qu’ils sont superflus s’adressant à vos agents qui ne peuvent rien économiser sur leurs dépenses ayant beaucoup de difficultés à se procurer le strict nécessaire et qui sont d’avance obligés de porter jusqu’à l’extrême usure leur tenue à laquelle le règlement a assigné, vous le savez, une durée exceptionnellement longue.

Dans ces conditions, et puisque beaucoup ne recevaient plus rien, il était assez facile de prévoir que les Douaniers seraient bientôt contraints ou de porter des effets de tenue qui ne seraient plus que des loques, ou bien qu’ils devraient renoncer à porter l’uniforme.

 

C’est ce que j’ai pu constater, le 23 mai, dans notre grand port du Havre, où m’avaient amené des obligations corporatives.Si grande a été ma surprise et si profond mon écœurement en apercevant les vêtements uniformes et misérables dont étaient revêtus mes Camarades par ce radieux dimanche de printemps, au milieu d’une foule qui ne paraît point s’être aperçu encore de la crise du vêtement que j’ai cru que j’avais le devoir de vous faire part de quelques unes de mes constatations.

 

A peine débarqué du train, je croise presque à chaque pas un agent bizarrement accoutré. Voici un gros gaillard dont le képi révèle seule la qualité. Sa tenue, par dessus de laquelle il porte son revolver, est une sorte de vêtement de chasse dont l’étoffe a été récemment teinte en noir. C’est loin d’être réglementaire, mais l’homme est propre pour quelques jours. […]

La satire, comme il fallait s’y attendre, s’est emparé de ces faits et pendant plusieurs semaines, au Théâtre local des Folies-Bergère, on a ri aux dépens de la Douane. Dans une revue qu’on y jouait encore ces jours derniers, on montrait un Douanier reconnaissable aux vestiges de son ancienne tenue, occupé à son service sur les quais ».

 

Ces revendications ont conduit l’Administration à réfléchir à l’adaptation des modalités de l’aide financière octroyée aux agents afin de garantir un uniforme de « bonne tenue ». En effet, au système de « compte de masse », qui conduisait avant 1908 à doter les agents d’une tenue en contrepartie d’une mise d’avance sur le compte de masse et d’un prélèvement sur salaire chaque mois, en contrepartie des renouvellements réguliers de la dotation (ce qui au final conduit à renouveler le moins possible leurs effets d’uniforme pour préserver le traitement !), les effets sont octroyés gratuitement à compter de 1908, sur la base d’une nomenclature définie par l’Administration et une durée de vie prédéterminée. L’ouvrage de Christophe Mulé : Uniformes et traditions du corps militaire des douanes en 1914-1918 livre d’intéressants détails sur l’évolution des modalités d’allocation des effets de la tenue douanière. Cet ouvrage est disponible dans la boutique de l’AHAD.

 

Arnaud Picard

 

1 L’administration des douanes de 1914 à 1940, Jean Clinquart, CHEFF Etudes générales

 

2Sans que la loi de 1884 ne le formule explicitement, par son article 3, elle place les fonctionnaires hors champ syndical. Il faudra attendre 1946, pour que ce droit soit garanti aux agents de l’État et que les premières instances paritaires de consultation soient mises en place. Les fonctionnaires pourront alors, et alors seulement « créer librement des organisations syndicales, y adhérer et y exercer des mandats ».

Source : https://www.gouvernement.fr/sites/default/files/styles/portrait/public/galerie/photo/2019/03/a_1428_loi-21-03-1884_page-1.jpg?itok=5J0JQMCY

 

3Clinquart, op.cit.

4« le 1er Mai 1920 fut l’occasion de la première tension grave entre l’administration et les personnels, mais aussi au sein même du personnel. La CGT et les partis de gauche avaient appelé à manifester massivement le 1er Mai, à l’occasion de la Fête du travail qui attendrait l’avènement du Front populaire pour revêtir un caractère officiel. La Fédération générale des fonctionnaires s’était associée à cette invitation. Or, il était interdit aux fonctionnaires d’interrompre le travail […] Le Syndicat du service actif avait conseillé à ses adhérents de s’abstenir, mais les éléments les plus engagés politiquement ignorèrent cette consigne. » (Clinquart)

 

5Pierre Neumeyer, contrôleur des douanes, est l’un des membres fondateurs de la CGT-FO, suite la scission de la CGT de 1947.

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