Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes
La poste au temps des diligences
D’abord au service des gouvernements et des grands de ce monde, la poste fut considérée comme un service « à vendre », notamment à ceux qui commerçaient, à travers, non seulement leur pays, mais dans le monde entier.
C’est en 1474 que Louis XI établit ses Postes sur les grands itinéraires et à la même époque Frédéric III confie à la famille de Tassis le soin d’organiser les siennes. C’est le début du règne de cette famille sur la poste européenne.
Le prolongement des activités commerciales, notamment les échanges avec l’Orient, et les nécessités de la politique vont multiplier les échanges de la France avec l’ étranger.
Des bureaux français ayant pour mission de rassembler et de distribuer le courrier, s’ouvrent à Rome, Venise, Constantinople…
D’autre part, pour correspondre avec la Flandre, l’Espagne doit passer par la France ou par voie de mer – beaucoup plus longue – lorsque la guerre entre la France et l’Espagne rend la traversée de notre pays par les messagers trop aléatoire.
Il faut dire qu’à l’époque, hormis l’insécurité due aux brigands, la route est libre.
Que ce soit les messagers des villes, les chevaucheurs du roi et les messagers des Universités transmettant depuis leurs provinces plis et argent aux étudiants à Paris, tous étaient chargés de porter les messages au destinataire et généralement d’en rapporter une réponse.
En plus de l’éveil des consciences nationales, la place laissée vide par les suzerainetés féodales aux gouvernements centralisés, et les revenus nouveaux apportés par le développement de la poste, vont faire naître un droit régalien dans les États qui s’étendra par la suite au courrier en transit.
Une longue période s’instaure alors, où l’on voit les États instaurer un monopole national, tout en essayant de garder à l’extérieur de leurs frontières leur propre courrier.
Il faut en effet attendre 1740 par exemple pour que la malle de France pour Amsterdam puisse transiter par les Pays-Bas espagnols.
C’est Richelieu qui ajoutera aux services postaux du roi le transfert régulier par convois et messageries particulières du courrier, des marchandises et des voyageurs.
Le transport des messages relatifs à la guerre fut de tous temps le meilleur allié du développement postal. Au XVIIIe siècle on en note un autre, et mieux que quiconque Charles Perrault a su nous l’apprendre en nous montrant un Petit Poucet courrier royal et facteur galant. Que fit son héros sitôt qu’il eût chaussé ses bottes de sept lieues ?
«Il s’en alla à la Cour, où il savait qu’on était fort en peine d’une armée qui était à deux cents lieues de là, et du succès d’une bataille qu’on avait donnée ».
Il alla disent-ils trouver le roi et lui dit que s’il le souhaitait, il lui rapporterait des nouvelles de l’armée avant la fin du jour. Le Roi lui promit une grosse somme d’argent s’il en venait à bout. Le Petit Pouce rapporta des nouvelles dès le soir même, et cette première course l’ayant fait connaître, il gagnait tout ce qu’il voulait car le Roi le payait parfaitement bien pour porter des ordres à l’armée, et une infinité de dames lui donnaient tout ce qu’il voulait pour avoir des nouvelles de leurs amants, et ce fut là son plus grand gain. Il se trouvait quelques femmes qui le chargeaient de lettres pour leurs maris, mais elles le payaient si mal, et cela allait à si peu de chose, qu’il ne daignait mettre en ligne de compte ce qu’il gagnait de ce côté là.
De nos jours, affranchir une lettre, même pour les antipodes, est un acte banal, mais au XVIIIe siècle, on se heurtait à de nombreux problèmes pour expédier hors des frontières un pli en raison des offices postaux différents suivant les pays.
Cela ne sera d’ailleurs réglé qu’en 1874 avec la création de l’Union Postale Universelle.
Pour régler les échanges directs entre deux offices, il fallait déterminer la taxe, qui devait l’acquitter, et surtout prévoir les modalités de partage des taxes, d’où nécessité de comptes entre les signataires des accords bilatéraux.
Pour éviter la concurrence entre offices, c’est-à-dire le détournement de trafic, chaque traité prévoyait avec précision la nature des envois sur lesquels il portait. Cela permettait de fixer facilement la taxation. Dans ce but les plis devaient être timbrés (dans le sens appliquer un «cachet», c’est-à-dire un «timbre humide») du bureau d’origine. Une telle clause se trouve dans le traité entre la France et l’Allemagne signé en 1722.
L’usage du timbre-poste mit du temps pour se répandre car l’habitude était que le port fut payé par le destinataire. Deux exceptions à cette règle : le courrier adressé à la justice, et celui adressé aux hommes d’Eglise. Acquitter le port d’une lettre au départ était une insulte signifiant que l’on considérait le destinataire si pauvre ou si près de ses sous qu’il ne pourrait pas payer cette taxe.
A l’intérieur de nos frontières, pas de problèmes, c’est en distribuant le courrier que l’employé des postes se remboursait du port.
C’était aussi une garantie que la lettre arrivait !
Mais l’affaire se complique singulièrement lorsque la lettre franchit une – ou pire – plusieurs frontières.
En effet l’office destinataire devait reverser à l’office expéditeur une partie de la taxe d’où nécessité de déterminer avec précision les modalités et les conditions du partage.
Bien souvent on ne pouvait s’entendre et il était alors convenu que les lettres devaient être affranchies jusqu’à la frontière, après quoi les solutions variaient suivant les pays et les époques. Pour l’Autriche par exemple, il fallait acquitter la taxe jusqu’à la frontière autrichienne car en vertu d’un accord germano-autrichien, les postes d’Allemagne remettaient gratuitement les lettres aux postes autrichiennes.
Déterminer la taxe était une chose, mais la partager en était une autre. Cet accord revenait à fixer un prix d’achat et de vente des lettres entre offices, généralement à l’unité, plus rarement au poids. De plus il fallait impérativement tenir une comptabilité minutieuse entre offices afin de déterminer les soldes à régler. Généralement, cela se fait tous les trois mois.
Ces opérations commerciales se compliquaient souvent du fait de la politique.
En effet pour acheminer un courrier l’office transitaire devait être lié au contrat aussi bien à l’office auquel il achetait le courrier qu’à celui auquel il le vendait.
Les différents étaient innombrables et avec de telles pratiques les échanges n’étaient pas facilités.
Les mœurs politiques avaient établi d’autres entraves, notamment le viol des correspondances, la douane et la mainmise sur la presse. Les fameux cabinets noirs ne furent pas un apanage français mais une habitude européenne. Courrier diplomatique ou privé, tout était ouvert, lu, et soigneusement refermé, après qu’on eut recopié ce qui semblait digne d’intérêt.
Par contre ce n’est pas toujours sans raison que les douanes surveillaient le courrier mais la Ferme de France dut parfois réagir vivement contre l’ouverture intempestive de ses malles.
Enfin cette même Ferme de France avait le monopole de l’acheminement et de la distribution des «gazettes étrangères ». La censure en était grandement facilitée à une époque où l’on ne parlait pas encore de la libre circulation des idées…
La Vie de la Douane
(Chronique du temps passé)
n°198 – octobre 1984