Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes
La musique nationale des douanes de Marseille
Ce mardi 21 juin, Marseille connaît une intense activité. Comme partout en France les préparatifs de la fête de la musique vont bon train. De nombreuses formations ont déjà pris place aux endroits les plus fréquentés de la ville. Au bout de la Canebière, juste devant le Vieux Port, un attroupement retient l’attention. Les touristes, déjà nombreux en cette période de l’année, se mêlent aux Marseillais pour applaudir une formation qui remporte un vif succès. Regards interrogateurs des uns, sourires de satisfaction des autres devant ces musiciens sanglés dans leur impeccable uniforme : les Marseillais ne cachent pas leur fierté de présenter, à ceux qui les questionnent, « la Musique Nationale des Douanes », leur musique. Mais combien connaissent l’origine de cette harmonie douanière et les péripéties de sa longue histoire ?
Les plus anciens documents datent de 1855 : l’ensemble musical des douanes fit partie, le 8 décembre de cette année-là, de l’interminable procession qui défila dans les rues pour l’inauguration de la Vierge Dorée, un monument situé près de la gare St-Charles. Mais l’histoire de cette formation est plus ancienne, elle débute avec l’épopée napoléonienne.
Les bataillons douaniers, comme tous les bataillons ordinaires de chasseurs étaient alors réglementairement dotés d’une fanfare. Elle rythmait les déplacements de la troupe et sonnait le rassemblement des hommes. C’est ainsi que les 16e et 17e bataillons douaniers de Marseille comptaient 20 musiciens et 12 clairons.
Ces derniers étaient comptabilisés à part en raison de leurs fonctions spéciales : l’accompagnement des gardes montantes et descendantes et les sonneries dans les casernements. Pas moins de 17 sonneries ponctuaient chaque jour la vie de la caserne de la Joliette. Elles s’échelonnaient de 4h 1/2 – la sonnerie du réveil – à 22h avec l’extinction des feux. Au cours de la journée elles annonçaient la distribution du courrier, celle des médicaments, les visites médicales (au nombre de 3, car il y avait alors 3 médecins), sans oublier le départ des enfants pour l’école.
Dans une note du 20 mai 1907 encore, le lieutenant de casernement proposait de maintenir « la sonnerie de l’enlèvement du linge aux fenêtres » (à 13h en semaine et 8h le dimanche) afin précisait-il « que tout le monde se conforme au règlement sans pouvoir prétexter un oubli ».
Quant à la fanfare, elle prend progressivement de l’importance. En 1855, le nombre des musiciens est porté à 30, et leur service minutieusement réglementé : « les musiciens et tambours seront, à l’avenir, dispensés de service et autorisés à porter la tenue bourgeoise, les dimanches et jours fériés ».
En 1860, la fanfare se transforme en musique d’harmonie dont l’effectif est porté à 40 musiciens. Tous les dimanches matin elle joue alternativement à la caserne du Vieux Port et à celle de la Joliette. Puis, en fin d’après- midi, elle donne des concerts publics au kiosque municipal des Allées de Meilhan. Elle participe à bon nombre de manifestations officielles : exposition coloniale de 1906, visite du président de la République… Comptant clans ses rangs de très bons éléments et des artistes de grande valeur, la musique de la douane acquiert une estimable réputation à Marseille et dans toute la région.
Victime de son succès et de sa gloire ? Peut-être. En tout cas les premières protestations ne tardent pas à s’élever. En 1893, des pétitions lancées par la chambre syndicale des artistes musiciens de Marseille arrivent à la mairie et sur le bureau du préfet. On reproche en particulier aux douaniers de pratiquer une concurrence déloyale sur la place de Marseille. Ils accepteraient, selon les musiciens civils, des rémunérations inférieures au tarif syndical. Il est vrai que les artistes confirmés que compte la musique des douanes sont à cette époque très sollicités. Certains sont engagés aux Concerts Classiques de Marseille. Les orchestres du Grand Théâtre, du Palais de Cristal ou de l’Alcazar Lyrique font eux aussi appel aux douaniers. Bien plus nombreux encore sont ceux que l’on retrouve dans les orchestres qui animent les bals publics, très en vogues à la Belle Epoque.
Devant cette levée de boucliers, l’administration impose certaines limites. Une note du 14 octobre 1897 précise qu’il est « défendu à nos musiciens de se produire dans les établissements borgnes dits bastringues, situés hors barrière et généralement mal fréquentés ». Sous cette réserve, le directeur de Marseille prend fait et cause pour ses agents. Mais le groupement des artistes professionnels n’en reste pas là et multiplie les interventions auprès du ministre des Finances lui-même. En 1907, ce dernier prend des mesures de réorganisation qui entraînent la dissolution, le 17 juin, du corps de musique de Marseille.
Autorisés à se regrouper en société civile, les musiciens tentent de ressusciter leur formation mais le cœur n’y est plus. Devant les attaques répétées des musiciens civils, « l’Harmonie Douanière » se dissout d’elle-même le 12 mai 1910.
Les années suivantes voient plusieurs tentatives de réorganisation qui restent sans lendemain. Les deux guerres mondiales viennent contrarier les efforts déployés en ce sens: La reconstitution n’intervient en fait qu’après la Libération et la nouvelle formation, rapidement remise sur pieds, se produit à nouveau en public. Les effectifs de la « Musique Nationale des Douanes de Marseille » s’accroissent alors jusqu’à 80 exécutants, parmi lesquels bon nombre de diplômés du Conservatoire.
Malheureusement, depuis quelques années, les effectifs s’étiolent à nouveau. La difficulté de recruter de nouveaux instrumentistes n’a pas permis de procéder aux remplacements des nombreux départs à la retraite et la musique de la douane de Marseille a perdu son rayonnement d’autrefois sans toutefois démériter.
En 1975, elle reçoit les félicitations du Ministre des Finances pour sa prestation lors de la commémoration dû 8 mai 1945 organisée dans la cour du ministère.
Aujourd’hui la formation ne compte plus que 28 exécutants : 12 musiciens pour l’harmonie et 16 pour la batterie (clairons et tambours), regroupés autour de leur chef, Serge Baïsset, qui ne ménage pas ses efforts. « Il suffirait que nous puissions recevoir le renfort de quelques musiciens pour redonner corps à l’harmonie, déclare Serge Baïsset. Actuellement des instruments de la famille des cuivres tels que saxhorns (basse ou tuba, bugle), trombone, cor d’harmonie et cornet, nous font cruellement défaut. A tel point que pour maintenir notre répertoire nous sommes contraints d’adapter les partitions à nos moyens. Une solution qui n’est évidemment pas satisfaisante ».
C’est Jean Bossu, le chef adjoint, un passionné de musique, venu du Nord, sa région natale, pour exercer son art à Marseille, qui procède aux arrangements musicaux. Il transcrit les partitions pour adapter l’orchestration aux possibilités de la formation. Combien de temps pourront-ils tenir ?
Le tambour-major, François Mas, qui dirige et forme les musiciens de la batterie, a dû rejoindre le rang pour remplacer un départ.
Malgré ces difficultés, les musiciens gardent confiance en l’avenir. Ils restent persuadés qu’une solution pourra être trouvée et continuent, dans le cadre de leur service, à se réunir deux fois par semaine pour les répétitions. Au programme, des sonneries, des marches militaires mais également des quatuors de Mozart, Haendel, Bizet,.. et des fantaisies. Leurs prestations sont toujours très appréciées et le succès de la sortie du 21 juin en est la dernière preuve.
Membre de la fédération des sociétés musicales des Bouches du Rhône, la musique de Marseille est très sollicitée : cérémonies organisées par les anciens combattants, remises de décorations, animation de maisons de quartier, arbres de Noël et parfois encore des concerts au kiosque municipal. Sans omettre bien entendu les grandes manifestations qui marquent la vie de notre administration : 8 mai, 14 juillet, 11 novembre et, le 19 décembre 1980, les cérémonies organisées à l’école de La Rochelle lors de la célébration du centenaire de la remise du drapeau des bataillons douaniers. A cette occasion la formation marseillaise avait reçu le renfort des douaniers musiciens venus de toute la France.
Une idée parmi d’autres pour sauver la musique de la douane d’une disparition que personne ne souhaite !