Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

La douane et les contributions indirectes

Mis en ligne le 1 février 2019

« Troisièmes retrouvailles » par Jean Boyer

 

Le Comité Technique Paritaire Ministériel du 12 décembre 1991 a proposé de transférer à la direction générale des douanes le service des contributions Indirectes à compter du 1er janvier 1993. Le décret 92-1431 du 30 décembre 1992 à officialisé ce transfert de compétences.

 

Avant d’évoquer ces deux premières tentatives, rappelons que le service des contributions indirectes est issu de la régie des droits réunis créée sous le Consulat. En effet, la Constituante, dans sa fièvre réformatrice, après avoir aboli la gabelle (décret du 21 mars 1790) (1), avait supprimé le 2 mars 1791 « tous les droits d’aides sur les boissons ainsi que les droits sur les papiers, cartons et cartes à jouer (et) peu après (avait) décrété la suppression des droits d’octroi, du monopole et du droit sur les tabacs par 372 voix contre 360 » (2).

 

Exception faite des droits d’octroi qui furent rétablis par le Directoire le 27 vendémiaire an VII pour Paris et le 11 frimaire pour la province, le retour aux impôts indirects fut réellement amorcé sous le Consulat et parachevé sous l’Empire. Dans la pensée de Napoléon, écrit Robert Lacour-Gayet, « la seule qualité d’un bon système fiscal était son rendement. Ce qu’il convenait de rechercher, c’étaient des taxes variées, d’une application facile, et d’une productivité automatique. L’impôt indirect devenait, dans ces conditions, l’impôt idéal » (3).

 

De fait, « la loi du budget pour l’an XII rétablit les anciens droits sur les boissons, en tant que droits d’inventaire, que l’on appela « droits réunis », pour le recouvrement desquels on créa la régie des droits réunis qui fut chargée de percevoir aussi les droits de fabrication sur le tabac, sur les cartes à jouer, sur les voitures publiques et sur la garantie des matières d’or et d’argent » (4).

 

Ensuite, la loi de finances du 24 avril 1806 taxa le sel de 2 décimes par kilogramme, ajouta au droit d’inventaire créé par le Consulat un droit sur la vente en gros des vins et boissons alcoolisées de 5% du prix déclaré ainsi qu’un droit de 10 % sur la vente au détail des mêmes boissons. Enfin, le 29 décembre 1810, le monopole du tabac était rétabli (5).

 

 

I. 1814- Suppression de la direction générale des douanes

 

 

« Voulant satisfaire le plus tôt qu’il nous sera possible aux besoins que nous éprouvons de soulager nos peuples de tout ce que les droits réunis ont de vexatoire pour eux, et ne pouvant cependant nous exposer à une privation de revenu, au moment où nous ne pouvons pas encore diminuer la dépense » et pour « préparer le remplacement de cet impôt », Louis XVIII ordonnait le 17 mars 1814:

 

-1- les directions générales des douanes et des droits réunis sont supprimées : leurs attributions sont réunies sous le titre de direction générale des contributions indirectes.
-2 – le directeur général des Contributions Indirectes préparera sans délai de plan d’organisation de l’impôt à mettre sur les objets de consommation… (6)
Précédemment nommé directeur général des contributions indirectes, le comte Berenger réunissait donc sous son autorité les douanes et les droits réunis. Toutefois, dans sa lettre du 23 mai 1814 adressée aux directeurs des douanes, Berenger précisait que « les deux administrations, bien que réunies sous (son) autorité demeureront distinctes et séparées ».

 

Il ajoutait qu’il avait chargé, « jusqu’à nouvel ordre, M. de Saint-Cricq, l’un des administrateurs, de la signature pour les objets dont la connaissance était spécialement réservée au directeur général des Douanes ».

 

La réforme annoncée par l’ordonnance royale du 17 mai 1814 se révéla d’une portée toute limitée. En effet une nouvelle ordonnance du 6 décembre 1814, suivie d’un arrêté du ministre secrétaire d’Etat des finances relatif à la réorganisation de l’administration des douanes, stipula dans son article premier que : « l’administration des douanes, placée (…) dans les attributions de notre directeur général des contributions indirectes, sera régie, sous son autorité, par un directeur particulier, qui aura près de lui quatre administrateurs ».

 

Ainsi était officialisée l’indépendance de fait de la douane dont le poste de directeur particulier était confié à Saint-Cricq.

 

De retour de l’île d’Elbe, Napoléon constituait dès le 21 mars 1815 son gouvernement et le 25 mars un décret impérial décidait que « la direction générale des douanes est séparée de celle des contributions indirectes ». Ferrier, qui avait quitté l’Hôtel d’Uzès au moment où les alliés se disposaient à entrer dans Paris, fut réinvesti dans le grade et les prérogatives de directeur général tandis que Saint-Cricq reprenait ses fonctions d’administrateur. A la fin des Cent-Jours, la seconde Restauration, si elle devait permettre à Saint-Cricq de retrouver sa place à la tête de la douane, n’envisagea pas de recréer une direction générale des contributions indirectes englobant les services douaniers et les droits réunis (7).

 

 

II. 1851 – La fusion de la douane avec les contributions indirectes

 

 

Fin 1851, « dans le double but d’accroître l’énergie de leur action et de procurer une économie au Trésor public », le ministre des finances Achille Fould proposa dans un rapport au Président de la République de « réunir en une seule administration » le service des douanes et celui des contributions indirectes. Cette réforme fut adoptée par le gouvernement et rendue effective par un décret daté du 27 décembre 1851.

 

Par circulaire du 29 décembre, Gréterin, qui venait de se voir confier la direction de ces deux grandes branches du service public, en informait l’ensemble des douaniers, avant d’annoncer le 5 janvier 1852 la réorganisation de l’administration centrale.Le premier semestre de 1852 se passa à rechercher les voies et moyens d’une « association utile et fructueuse » entre les deux services. Ce qui ne se fit pas sans de sérieuses difficultés, ainsi qu’en témoigne la circulaire du 23 août 1852 portant réorganisation du service des douanes et des contributions indirectes.

 

C’est ainsi qu’on organise sur les frontières des directions mixtes, « au nombre de 29″, dans lesquelles, Paris, Boulogne et Alger exceptés, chacun des deux services conservera ses attributions distinctes, sauf les changements dont le temps et l’expérience viendront à indiquer l’utilité ou la convenance ». Les directions des douanes transformées en directions mixtes sont celles de : Dunkerque, Valenciennes, Charleville, Metz, Strasbourg, Besançon, Nantua (transférée à Bourg), Grenoble, Digne, Toulon, Marseille, Montpellier, Perpignan, Toulouse (transférée à Tarbes), Bayonne (transférée à Pau), Bordeaux, La Rochelle, Nantes, Lorient (transférée à Vannes), Brest, Saint-Malo (transférée à Saint-Brieuc), Rouen, Le Havre, Bastia.

 

Parallèlement, des directions mixtes sont créées à : Lille (par prélèvement sur Dunkerque et Valenciennes), Colmar (par prélèvement sur Strasbourg), Napoléon-Vendée, Saint-Lô et Caen. Restent donc directions spéciales des douanes : Boulogne, Paris et Alger. Une direction est supprimée : celle d’Abbeville, dont le territoire est réparti entre Boulogne et Le Havre (8).

 

En 1860, cinq directions mixtes (Marseille, Montpellier, Bordeaux, La Rochelle et Nantes) redeviennent des directions des Douanes pures. La même année, après l’annexion de Nice et de la Savoie, les directions implantées à Chambéry et Nice prennent la qualité de directions mixtes, tandis que la direction de Grenoble est supprimée.
D’autres changements mineurs interviennent dans les années qui suivent (suppressions notamment de directions). Une constante demeura : aucune attribution de fonction ne sera transférée d’un service sur l’autre, chacun opérant dans sa sphère spéciale. « Les services des douanes et des contributions indirectes sont indépendants, non seulement sur le plan du commandement opérationnel (il existe des inspections des contributions indirectes à côté des inspections des douanes), mais même sur le plan comptable (chacun des deux services disposant de son propre réseau comptable) » et, qui plus est, « chacun des deux services conserva son budget distinct » (9).

 

On peut se demander si cette absence de fusion réelle constitue la raison essentielle de l’échec en France d’un système d’organisation fort répandu à l’étranger. Profitant du départ en retraite du directeur général Barbier, le gouvernement décida de séparer le service des contributions indirectes de celui des douanes ; ce fut chose faite par un décret du 19 mars 1869. Un second décret du même jour nommait à la tête de l’administration douanière Léon Amé.

 

 

Michel BOYE

 

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REPUBLIQUE FRANÇAISE
Liberté – Egalité – Fraternité.
RAPPORT AU PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE

Monsieur le Président,
Justement préoccupé du désir de répondre aux voeux du pays et de satisfaire à ses intérêts, vous m’avez invité à rechercher les moyens de simplifier le mécanisme des grands services dont la direction m’est confiée, dans le double but d’accroître l’énergie de leur action et de procurer une économie au Trésor public. Je viens vous proposer aujourd’hui d’appliquer cette pensée féconde à l’organisation des deux administrations des douanes et des contributions indirectes. La première a pour mission de percevoir à la frontière les taxes établies sur les marchandises étrangères dans l’intérêt du travail national et du Trésor. La seconde est chargée d’assurer à l’intérieur le recouvrement des droits sur les boissons, les sucres indigènes, les sels, et Sur certains autres produits, tels que les cartes, les voitures publiques, les ouvrages d’or et d’argent, etc. Toutes deux concourent à la perception de l’impôt indirect, et ce but commun établit nécessairement entre elles un lien et une solidarité. Souvent leur action s’exerce sur la même matière. C’est la douane qui perçoit les droits sur les sucres coloniaux et étrangers et sur la plus grande partie des sels ; c’est la régie des contributions indirectes qui perçoit l’impôt sur les sucres indigènes et sur les sels fabriqués hors du rayon des douanes. Quelquefois l’une des deux administrations est chargée d’un service qui, par sa nature, semblerait appartenir à l’autre : ainsi les douanes ont la surveillance des fabriques de soude ; les contributions indirectes sont chargées des taxes d’octroi qui, pour le recouvrement, offrent, sous certains rapports, une grande analogie avec les taxes de douanes. J’ai donc été naturellement conduit à me demander, pour entrer dans vos vues, si la séparation qui existe aujourd’hui entre ces deux grands services publics ne tient pas beaucoup plus à des traditions anciennes qu’à la nature des choses et à l’analogie des faits, et si leur réunion ne présenterait pas de sérieux avantages.

 

Non-seulement leurs attributions les rapprochent, mais leurs moyens d’action, leurs procédés, les modes de perception qu’ils emploient, soit pour la constatation des produits, soit pour la surveillance de la fraude, présentent, sur un grand nombre de points, beaucoup de similitude. Dans les lieux où fonctionnent, à côté l’un de l’autre, les deux services, la surveillance active pourrait être exercée, dans une certaine mesure, par les mêmes agents. La délivrance des expéditions pourrait être faite dans les mêmes bureaux; les recettes pourraient être centralisées dans les mêmes caisses. Séparées, ces deux administrations perdent une partie de leurs moyens communs d’action, et n’ont pas le sentiment de solidarité qui doit unir des agents concourant au même but. Réunies, elles pourront se prêter un mutuel secours plus efficace et plus étendu ; animées d’un même esprit, elles feront tendre tous leurs efforts vers un but commun et réaliseront une unité d’action favorable à la bonne exécution du service comme à l’intérêt du Trésor, et avantageuse pour les agents eux-mêmes.

 

Je n’hésite donc pas à vous proposer de réunir la direction des contributions indirectes à celle des douanes, et d’en faire une seule administration, sous le titre de Direction générale des Douanes et des contributions indirectes. Il n’entre pas dans ma pensée de vous demander d’appliquer immédiatement les conséquences de cette réunion à tous les détails du service. Ce sera l’objet de règlements ultérieurs, qui devront être étudiés et préparés par le chef unique placé à la tête des deux services réunis. Ces règlements auront pour but d’introduire dans l’organisation administrative toutes les améliorations que la réunion permettra d’opérer, sans méconnaître aucun des titres que les nombreux fonctionnaires et agents des douanes et des contributions indirectes ont acquis par leur activité, leur énergie et leur dévouement. Tout en respectant scrupuleusement les situations acquises, il sera possible de réaliser dans l’avenir une économie considérable. Je ne puis en déterminer, dès à présent, le chiffre avec précision ; mais, pour en faire apprécier l’importance, il me suffira d’indiquer que la simplification du service portera sur deux administrations qui comprennent aujourd’hui un très-nombreux personnel.

 

J’ai la confiance que cette mesure importante aura pour effet de fortifier, dans l’un des plus grands services administratifs et financiers du pays, les principes d’unité et d’autorité. En remettant à une direction unique et puissante le soin d’opérer l’utile transformation dont je vous soumets le projet, vous aurez donné une preuve éclatante de votre juste sollicitude pour le recouvrement de l’impôt indirect, et vous aurez témoigné que, tout en tenant compte des légitimes susceptibilités des populations, tout en recherchant les améliorations et les réformes, vous avez la résolution de maintenir fermement un régime d’impôts qui importe à la fortune et à la prospérité de la France. Si vous adoptez les considérations que je viens d’avoir l’honneur de vous exposer, je vous prie, Monsieur le Président, de vouloir bien signer le projet de décret ci-joint.
 

 

Agréez, Monsieur le Président, l’hommage de mon profond respect.
 

 

Paris, le 27 décembre 1851 Signé Achille Fould

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(1) Voir catalogue du Musée des Douanes, Gabelle, gabelous, 1990.
(2) André Neurisse, Histoire de l’Impôt, coll. Que sais-je ? 1978, p. 94.
(3) Cité par Louis Bergeron, L’Episode napoléonien (aspects intérieurs 1799-1815), 1972, p. 51.
(4) André Neurisse, ouvrage cité, p. 99.
(5) Voir catalogue du Musée des Douanes, Coups de tabac et temps de chien, 1991.
(6) Lois et règlements des Douanes Françaises, Ordonnance du Roi qui supprime les directions générales des Douanes et des Droits Réunis.
(7) Pour plus de détails, voir Jean Clinquart, L’Administration des Douanes en France sous le Consulat et l’Empire (1800-1815).
(8) Cette dernière suppression entraîna la mise à la retraite de Boucher de Perthes.
(9) Jean Clinquart, L’Administration des Douanes en France de la Révolution de 1848 à la Commune, p. 98-99.

 

 

Illustration : Bouton des contributions indirectes, Second Empire.
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