Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

Médecins des douanes ou le service de santé dans l’administration des douanes

Mis en ligne le 1 janvier 2021

 

Est reproduit ci-dessous un article extrait du numéro 17 des « Cahiers d’Histoire des douanes et droits indirects » (1996) intitulé « Médecins des douanes ou le service de santé dans l’administration des douanes »  qui évoque l’abandon en 1947 du système douanier autonome de santé au profit de la Sécurité Sociale .

 

L’équipe de rédaction

 


Au conseil supérieur de la masse le 2 juillet 1947

 

 

Un Conseil ordinaire (1)

 

«En ouvrant la séance, M. le Directeur Général souligne que ce conseil est le premier qui ait pu être réuni depuis 1939 et exprime sa satisfaction de voir les délégués du personnel participer de nouveau au contrôle des comptes de la Masse et à la discussion des questions concernant cet organisme.

 

Le Secrétaire donne ensuite lecture du procès-verbal de la séance du 27 juin 1939. Aucune observation n’étant formulée, le procès-verbal est adopté.»

 

Après lecture du compte rendu financier de l’exercice 1946, le Conseil passe à l’examen des «vœux» présentés par les représentants de l’Administration comme par les délégués du personnel.

 

Vœu n° 1 : suppression du Service de Santé de la Masse.

 

M. le Chef du Bureau de la gestion des crédits, de la comptabilité et du matériel propose d’adopter ce vœu pour l’essentiel… La suppression du Service de Santé ne souleva ni protestations ni même des questions ; on passa immédiatement à des problèmes plus urgents tels la reconstruction des casernes détruites ou la construction de casernes nouvelles car les besoins en logements étaient particulièrement pressants en cette période de misère.

 

Si quelque membre du Conseil eut à ce moment l’impression de vivre un moment historique ou éprouva une émotion quelconque à mettre fin à un service auquel les agents étaient tant attachés depuis près de 150 ans, le procès-verbal de séance, dans sa sécheresse administrative n’en laissa rien paraître.

 

En réalité l’événement historique était ailleurs mais ne fut pas plus salué que le précédent ; témoin cette NA n° 4424 du 4 août 1947 :

 

« ...Le Service de Santé de la Masse, n’ayant plus de raisons d’être est, sauf les exceptions ci-après, supprimé à compter du 1er janvier 1947, date de la mise en vigueur de la Sécurité Sociale …« (2)

 

Il est vrai que pendant les sept années durant lesquelles le Conseil de la Masse ne s’était pas réuni les événements historiques s’étaient entrechoqués à un point tel que ceux qui siégeaient ce jour-là avaient pour la plupart senti passer sur eux avec une autre force le souffle de l’histoire.

 

Est-il permis aujourd’hui, en saluant le cinquantième anniversaire de la Sécurité Sociale d’évoquer également le Service de Santé de la Masse, cette institution sui generis s’il en fut, héritage d’un passé militaire, conquête sociale du personnel mais aussi résultat d’une politique sociale constante de l’Administration depuis l’aube du 19ème siècle.

 

 

La tradition douanière

 

 

«C’est dans la circulaire n° 568, du 15 juin 1821, que l’on trouve la première trace officielle du Service de Santé. Mais il résulte du texte même de cette circulaire que cette utile institution fonctionnait depuis un certain temps déjà elle date, paraît-il, des premières années du siècle.

 

Quelques brigades placées dans des cantons malsains ont tout d’abord fait un abonnement avec le médecin ou l’officier de santé du pays. Puis, afin d’assurer le paiement régulier de l’abonnement, les agents se sont volontairement soumis à une retenue mensuelle que le Capitaine prélevait sur leur traitement et dont le montant était versé par lui au médecin. Peu à peu l’usage s’introduit de faire figurer ces retenues aux décomptes portés sur les registres des brigades et bientôt les chefs locaux exigèrent la justification des paiements. Ils ne pouvaient pas d’ailleurs ne pas se préoccuper d’une institution qui intéressait à tant de titres leurs subordonnés.

 

Grâce à leurs encouragements et sous leur impulsion, les abonnements médicaux ne tardèrent pas à se développer. Une comptabilité à peu près régulière quoi qu’officieuse fut établie et, de proche en proche, le Service de Santé s’organisa dans la majeure partie des Directions : ce fut alors que l’Administration crut de son devoir d’intervenir.

 

En vue d’arriver à une réglementation du Service de la Santé et d’en assurer le fonctionnement régulier, elle créa en 1821 un emploi de médecin des Douanes à Paris, ce médecin eut pour mission de se mettre en rapport, par l’intermédiaire des Directeurs, avec les médecins des départements à l’effet d’être renseigné sur la situation climatique et sanitaire de chaque circonscription et de prendre ensuite les mesures qui pourraient être jugées nécessaires. Cette création ne donna pas les résultats qu’on en attendait et, en 1824, l’emploi fut supprimé.»

 

Cette introduction d’une publication administrative (3) trouve pour l’essentiel sa source dans l’ouvrage historique de Th. Duverger, «La Douane Française», publié à Paris en 1858. M. Duverger aurait pu lui-même recueillir cette tradition de témoins de la première heure.

 

C’est sans doute pendant les guerres de la Révolution et de l’Empire auxquelles prirent part les bataillons douaniers, que prit vraiment naissance le Service des Masses aux fins de pourvoir au logement et à l’habillement des agents des brigades.

 

Les armées en campagne disposaient également d’embryons d’hôpitaux militaires auxquels les douaniers avaient accès ce qui leur suggéra sans doute de s’organiser pour pouvoir se procurer, à eux-mêmes et leurs familles, les soins de médecins et de pharmaciens. M. Duverger ajoute d’ailleurs «…que les douaniers jouissent depuis 1795 du droit de se faire soigner dans les hôpitaux militaires. Alors même, ils étaient également admis, et toujours gratuitement, dans les hospices nationaux, c’est-à-dire civils;» Dès l’origine le Service des Masses revêtit un caractère de mutualité.

 

On ne trouve cependant aucune trace d’organisation administrative des Masses avant un Règlement approuvé le 18 mai 1813 par le Ministre du Commerce dont relevait alors le Service des Douanes.

 

 

La réforme de 1832

 

 

Des préoccupations comptables … déjà.

 

 

Aucune modification sérieuse ne fut introduite dans le Service de Santé avant 1832. Mais, à cette époque, l’Administration décida (4) que les recettes et les dépenses du service médical feraient l’objet d’un compte annuel qui lui serait transmis après avoir été vérifié et approuvé par le Conseil des Masses de chaque Direction. La mesure fut complétée six ans plus tard, par l’assimilation des opérations du Service de Santé aux opérations de Masses proprement dites, les assujettissant, comme elles, au contrôle de la Comptabilité Publique et de la Cour des Comptes. (5)

 

 

Médecins des douanes

 

 

Des variations locales

 

 

Le Service de Santé n’était, du reste, organisé que sur les points où les Conseils de Masse estimaient nécessaire de l’instituer, et bien que les pratiques fussent à peu près partout les mêmes, chaque Direction avait en fait, son règlement spécial approprié quant aux détails, aux circonstances de lieu, de température et aux habitudes du pays.

 

Les Directions étaient divisées en un certain nombre de circonscriptions médicales et les médecins étaient choisis de préférence parmi les praticiens pourvus du diplôme de docteur ; leur nomination devait être soumise à l’approbation de l’Administration qui fixait leurs honoraires sur la proposition des Directeurs. A partir de 1880, l’Administration exigea que les Directeurs, avant de proposer un candidat, s’assurassent de l’agrément des Préfets.

 

Le médecin était tenu de se rendre au moins une fois par mois dans chaque poste pour s’assurer de l’état hygiénique de la brigade et, en dehors de cette visite mensuelle, il devait se rendre chez les malades lorsque la demande lui en est faite par le chef de poste et renouveler ses visites sans nouvel avis aussi longtemps et aussi fréquemment que la maladie l’exigeait.

 

Entraient également dans les attributions du médecin la visite, en présence du Capitaine, des postulants aux emplois des brigades et agents licenciés pour cause d’infirmités, la délivrance des attestations nécessaires aux employés à retraiter ou en instance de congé maladie, la constatation, par un certificat, du caractère et de la gravité des blessures éprouvées par les agents dans l’exercice de leurs fonctions, enfin, l’envoi d’un rapport annuel au Directeur sur l’ensemble du service médical de sa circonscription.

 

 

Quant à la fourniture des médicaments, elle était faite aux agents et à leurs familles, sur ordonnance des médecins, par des pharmaciens agréés par l’Administration à l’approbation de laquelle était soumise la nomenclature des remèdes avec leur prix. Les pharmaciens étaient payés soit sur mémoire, soit à l’abonnement, les marchés passés à ce sujet devant être approuvés par l’Administration.

 

Les règlements locaux qui nous sont parvenus sont d’une extrême précision et fort analogues à ceux en vigueur dans l’armée.

 

Ainsi le Règlement du Service de Santé de la Direction de Brest du 3 mars 1837 (6)

 

 

Titre IV : Exécution du service médical

 

 

« Article 17 : Tout agent, ou membre de sa famille, malade ou indisposé que le Chef local jugera pouvoir se transporter sans danger et sans frais de transport à la résidence du médecin, ira le consulter à domicile avec une autorisation écrite, Cette autorisation sera rapportée au poste, revêtue d’un visa du médecin indiquant la nature et la gravité de l’indisposition ou de la maladie, le traitement curatif prescrit et le nombre de jours d’empêchement qu’il peut entraîner.

 

A cet effet, le médecin fera connaître aux employés les jours et heures de la semaine, réservés aux consultations. Il sera donné un numéro d’ordre aux autorisations, elles doivent être enliassées et conservées.

 

Les Chefs locaux peuvent, sans l’intervention du médecin, et à charge d’un compte rendu, exempter du service, pour cause de maladie ou d’indisposition. Ces interruptions seront relatées au carnet de santé.

 

Article 18 : Si la maladie, blessure ou indisposition ne permet pas à l’employé, ou au membre de sa famille, de se déplacer, le Chef de poste en informera, sans retard et par écrit, le médecin. Il indiquera les symptômes et la gravité de l’affection, afin que, si le médecin recevait plusieurs avis simultanément, il peut apprécier où sa présence est la plus urgente.

 

Article 19 : Le médecin se rendra aussi promptement que possible auprès du malade. S’il en est empêché par des soins étrangers au service, il se fera suppléer par un confrère aux termes de l’article (9).

 

Si le médecin, ou le délégué, n’était pas arrivé dans un délai moralement nécessaire, le Chef local serait en droit d’appeler un médecin voisin aux frais du titulaire.

 

Article 20 : Dans les circonstances pressantes, les avis seront portés par correspondance extraordinaire et le médecin ou membre de la famille en donnera reçu, indiquant l’heure de la prochaine visite. S’il n’existait aucun homme de l’art dans le voisinage, le porteur de l’avis pourrait même être autorisé, au cas où il trouverait le médecin et son délégué simultanément absents ou empêchés, à s’adresser au premier médecin disponible dont les honoraires seraient pareillement aux frais du titulaire, à moins que celui-ci ne prouvât qu’il était occupé auprès d’un agent des douanes, auquel cas son délégué ou le médecin étranger serait rétribué par le fonds commun.

 

 

Des initiatives locales et méritoires

 

 

(note du Directeur à Montpellier à l’Inspecteur à Aigues-Mortes) (7)

 

 » Montpellier, le 13 juin 1846

 

Parmi les moyens que la Médecine indique, Monsieur, comme préservatifs des fièvres endémiques, l’usage du vin amer est depuis longtemps signalé comme l’un des plus efficaces. Les expériences faites jusqu’à ce jour dans les brigades de ma Direction ont donné à cette indication de la science une autorité incontestable.

 

Les postes où des distributions ont été faites, toutes conditions égales d’ailleurs, ont été moins violemment attaqués que les autres ; les guérisons y ont été plus rapides et les rechutes moins nombreuses.

 

En présence de résultats aussi significatifs, j’ai résolu de généraliser dans toutes les localités malsaines l’emploi de ce préservatif.

 

En conséquence, je vous invite à faire au reçu de la présente, l’achat de deux barriques de vin du pays dont la qualité aura été au préalable reconnue.

 

Une formule que je joins ici fait reconnaître les proportions dans lesquelles la gentiane et l’esprit de vin doivent y être mélangés ainsi que le temps nécessaire à l’infusion pour qu’elle communique au vin ainsi traité les propriétés nouvelles qu’il doit avoir.

 

Le Capitaine à votre résidence devra être spéciale- ment chargé de suivre et de diriger cette importante préparation qui sera mise en bouteilles d’un litre…

 

Chaque matin le Chef de poste réunira tous les employés sous ses ordres et donnera à chacun d’eux une cuillerée à bouche de vin préparé qui sera pris en sa présence. Pendant la journée une distribution pareille devra être faite à tout préposé appelé à passer la nuit sur le terrain ou qui après l’exécution d’un service quelconque rentrerait à la caserne sous l’impulsion d’une chaleur ou d’un froid toujours dangereux et qui dans les climats malsains sont toujours les avant-coureurs des accès de fièvre…

 

Cette médecine avait sans doute des effets bénéfiques puisqu’on la prenait encore le 2 juillet 1864 lorsque M. BLANCHI Inspecteur à Aigues-Mortes dût faire au service ce rappel d’instructions :

 

«Monsieur, la promptitude avec laquelle a été épuisée la provision de vin amer envoyé récemment pour les besoins du personnel de l’inspection me fait craindre que ce fébrifuge ne soit pas distribué avec toute la mesure convenable…. »(7)

 

 

Mais un état sanitaire inquiétant

 

 

Au-delà de l’anecdote l’état sanitaire du personnel était souvent dramatique en particulier dans les régions marécageuses de la Camargue et du Sud de la Corse ; on connaît la description poignante qu’en fit A. Daudet :

 

«En bas, au bord de l’eau, une petite maison blanche à volets gris : c’était le poste de la Douane. Au milieu de ce désert, cette bâtisse de l’État, numérotée comme une casquette d’uniforme, avait quelque chose de sinistre.

 

C’est là qu’on descendit le malheureux Palombo. Triste asile pour un malade ! Nous trouvâmes le douanier en train de manger au coin du feu avec sa femme et ses enfants. Tout ce monde-là vous avait des mines hâves, jaunes, des yeux agrandis, cerclés de fièvre. La mère, jeune encore, un nourrisson sur le bras, grelottait en nous parlant. C’est un poste terrible, me dit tout bas l’inspecteur. Nous sommes obligés de renouveler nos douaniers tous les deux ans. La fièvre de marais les mange…»(8)

 

Voici également le rapport établi en 1858 par le Dr G. .H. Lallemant qui à des titres déjà élogieux ajoutait avec fierté «Médecin en chef des brigades des Douanes du Havre».

 

Rattachant avec une certaine hardiesse la construction de la caserne des Douanes du Havre achevée en août 1847 «aux vues philanthropiques du Gouvernement impérial» ce praticien constate (9) :

 

«En 1844, époque de ma nomination aux fonctions de Médecin en chef des brigades des Douanes de l’Inspection, aujourd’hui la Direction du Havre, et plus spécialement médecin de la Capitainerie du Havre, je trouve les préposés au nombre de 476, divisés en deux catégories : 350 préposés mariés et 120 garçons.

 

 

 

 

Les préposés mariés se logeaient par mesure d’économie dans des communes limitrophes du Havre, disséminés qu’ils étaient sur un espace d’environ un myriamètre d’étendue et par conséquent très éloignés de leur service sur le lieu duquel ils arrivaient souvent épuisés de fatigue. Les environs du Havre (étant) généralement malsains, les fièvres intermittentes y étaient endémiques et prenaient une telle intensité que, malgré un traitement des plus énergiques, les malades atteints étaient sujets à de fréquentes rechutes et beaucoup d’entre eux devaient s’éloigner pour ne pas d’exposer à y succomber.

 

Le chiffre des préposés malades était en moyenne de 65 chaque mois et la mortalité de 10 à 12 chaque année…»

 

le médecin des Douanes passe ensuite en revue les épidémies qui ravagent la ville du Havre de 1849 à 1858 pour attribuer aux excellentes conditions sanitaires qui régnaient à la caserne le peu de mortalité qu’elles entraînèrent : au mois d’août 1849 la rougeole atteint en 31 jours 124 cas dont quatre seulement, des enfants, furent mortels. Dans la ville du Havre cette épidémie qui dura 5 ans provoqua une mortalité considérable.

 

La variole apparut en 1853 et 1854 et 38 douaniers en furent atteints, grâce à la vaccination qu’on avait pratiquée systématiquement, deux seulement en moururent.

 

Le choléra fit également plusieurs apparitions à partir de 1849, provoqua des ravages dans la ville mais épargna largement la caserne grâce aux simples mesures d’hygiène que les installations permettaient et auxquelles veillaient le médecin et d’une manière très autoritaires les officiers des Douanes.

 

 

Le déficit croissant des dépenses de santé

 

 

En contrepartie de la «gratuité» des soins, les agents bénéficiaires du Service de Santé pour eux-mêmes et leurs familles étaient soumis à une retenue mensuelle, sur leur traitement brut et leurs indemnités de résidence fixée à 1% lorsque les soins du médecin étaient seuls assurés et à 1,5 ou 2% quand les médicaments étaient également fournis.

 

Mais de plus en plus les agents se plaignaient des retenues importantes sur leurs salaires qu’imposaient les dépenses de la Masse. Ils demandaient surtout que l’uniforme leur fut fourni gratuitement.

 

Non seulement satisfaction leur fut donnée sur ce point en 1908, mais encore les retenues du Service de Santé furent supprimées à la même époque et le personnel reçut, sans les payer, les soins des médecins et les médicaments. Cette réforme importante fut consacrée par l’Article 6 de l’Arrêté ministériel du 1er février 1908 qui mit ces dépenses à la charge du fonds commun de la Masse.

 

D’une manière générale, le nouvel arrêté maintenait les règles en vigueur en ce qui concerne le Service de Santé, mais il eut surtout pour objet de les faire appliquer partout d’une manière aussi uniforme que possible.

 

La suppression, à partir de 1908, des retenues du Service de Santé, obligea à compenser l’insuffisance des ressources de la Masse à l’aide d’une subvention budgétaire annuelle qui, fixée à 175.000 francs en 1908, s’élevait à 882.000 francs en 1924.

 

Or, les dépenses du Service de Santé accusaient, chaque année, un accroissement sensible : C’est ainsi qu’alors qu’elles ne dépassaient pas 480.000 francs antérieurement à 1908, elles étaient de 673.000 F en 1919, de 1.058.000 F en 1920, de 1.270.000 F en 1921, de 1.434.000 F en 1922 et 1.385.000 F en 1923.

 

Cet accroissement était évidemment dû, en partie, à l’augmentation des honoraires des médecins et du prix des médicaments ; mais il tenait aussi à d’autres causes parmi lesquelles on peut citer, outre les abus que pouvait favoriser un système très libéral et que dénonçait régulièrement l’Administration, le fait que le règlement de 1908 ne spécifiait pas que le droit au Service de Santé cesserait pour les membres de la famille qui ne seraient plus à charge des agents : on conçoit dès lors qu’une telle extension devait aboutir à de lourdes dépenses.

 

Du reste, quelles que fussent les raisons de l’augmentation des dépenses, un fait dominait la question : la Masse, avant qu’il ne fût longtemps, n’aurait pu subvenir aux frais du Service de Santé que si le montant de la subvention budgétaire était relevé ; mais on ne pouvait, étant donné la situation financière du moment, attendre du Parlement le vote de crédits plus importants.

 

 

La réforme de 1924

 

 

Une réforme s’imposait donc, à la fois, parce que les dépenses étaient supérieures aux ressources de la Masse, et parce que le Service de Santé ne pouvait plus fonctionner conformément aux règles qui avaient présidé à l’organisation primitive. En effet, les agents des brigades et les membres de leur famille, on l’a vu, recevaient gratuitement les soins des médecins choisis par l’Administration ainsi que les médicaments délivrés par les Pharmaciens agréés par l’Administration. Or, beaucoup de médecins et de pharmaciens ne consentaient plus à passer des contrats et n’acceptaient de donner leurs soins ou de fournir les médicaments que suivant le tarif appliqué à la clientèle civile.

 

Il en était résulté que, dans un nombre plus ou moins élevé de circonscriptions, les services médicaux et pharmaceutiques avaient dû être suspendus. L’Administration avait dès lors été amenée à décider que, là où le Service de Santé ne pouvait plus être organisé, les agents seraient libres de s’adresser au médecin et au pharmacien de leur choix et qu’ils seraient remboursés trimestriellement des frais engagés par eux.

 

Mais ce mode de procéder présentait l’inconvénient de créer deux régimes différents, de sorte que les agents astreints à faire intervenir le praticien agréé par l’Administration tinrent leurs collègues pour favorisés et formulèrent – à tort ou à raison – des plaintes soit au sujet des soins donnés par le médecin officiel soit au sujet de la qualité des médicaments fournis par le pharmacien soumissionnaire.

 

A l’unanimité des suffrages, le Conseil formula l’avis qu’il convenait de réaliser, sans plus tarder, la réforme du Service de Santé sur la base du projet approuvé par la majorité des Conseils régionaux : cette réforme fut consacrée par l’arrêté ministériel du 26 septembre 1924 qui sauf les légères modifications apportées sur quelques points par l’Arrêté ministériel du 10 novembre 1926, servira de base au Règlement général.

 

Ce règlement plusieurs fois remanié sera enfin codifié dans la Lettre Commune n°1395 du 22 juillet 1930 et demeurera pour l’essentiel en vigueur jusqu’à la suppression définitive du Service de Santé.

 

Ce n’est sans doute pas le fait du hasard que ces dispositions se rapprochent beaucoup de celles de la Loi du 5 avril 1928 sur les Assurances sociales qui furent elles-mêmes très largement reprises par la législation sur la Sécurité Sociale votée au lendemain de la 2ème guerre mondiale.

 

Ce règlement officialisait le libre choix du médecin et le remboursement à l’agent des frais avancés selon un barème qui variait de 40 à 80 % et inversement proportionnel à la situation hiérarchique et au quotient familial de l’intéressé ; un nombre important d’actes n’étaient cependant pas remboursés : honoraires des spécialistes sauf quelques exceptions, les frais de radiographie, les analyse, un certain nombre de médicaments, etc.

 

Il s’agissait donc d’une véritable remise en ordre financière dont les effets ne touchaient cependant qu’indirectement les agents dans la mesure où tout ou partie des frais restant à leur charge pouvaient être compensés par des remboursements de la Mutuelle ou par des secours de Masse.

 

Dans ces conditions l’abandon du système douanier autonome de santé au profit de la Sécurité Sociale ne pouvait en aucun cas être ressenti comme une régression sociale, bien au contraire puisque les nouvelles mesures votées dans l’enthousiasme de la libération étaient bien plus libérales que le Règlement de Santé des Douanes.

 

Les soucis d’équilibre financiers qui avaient inspiré la réforme de 1924 ne troublaient pas encore les gestionnaires du nouvel organisme de protection sociale.

 

Hélas l’avenir établira que souvent les mêmes causes produisent les mêmes effets.

 

 

Roger Corbaux

 

 

avec la collaboration :
du Bureau B/3 de la Direction Générale
de André Cothereau,
de Jean-François Beaufrère,
de Albert Laot,
du Centre de Documentation Historique des Douanes.

 

 


Notes:

 

(1) Procès-verbal du Conseil Supérieur de la Masse – Archives Bureau B13
(2) Registre d’ordre – Brigade de Bassens – CDH : AR 1057.
(3) Extrait d’une publication «La Masse des brigades des Douanes» par A. FOURE, Rédacteur Principal à la Direction Générale des Douanes – Poitiers 1931 – Librairie Administrative A. Gudin.
(4) Circulaire n° 1359 – Année 1832.
(5) Circulaires 1655 – 1686 – 1718 – Année 1838.
(6) Extrait du Registre d’ordre – Brigade de Douanenez – Archives Direction de Rennes
(7) Registre des Evénements de la Direction de Montpellier CDH Bordeaux.
(8) Alphonse DAUDET : «Les Douaniers» dans les lettres de mon moulin.
(9) G.H. LALLEMANT – La caserne des Douanes au Havre et les cités ouvrières – Le Havre 1858 – Imprimerie de CARPENTIER et cie – 20, rue de la Halle.
(10) Du sentiment de l’histoire dans une ville d’eau, Nantes – Editions de FALBARON, 1991 – Société Présence du livre – Thonon les Bains.
(11) Commission de Médecin des Douanes – Collections du Musée des Douanes.

 

 

Cahiers d’Histoire des douanes

et droits indirects

 

N° 17

 

Septembre 1996

 

 

 

 

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