Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes
La carte postale du douanier amoureux
L’âge d’or de la carte postale connaît son apogée tant auprès du grand public que des artistes et des collectionneurs entre 1900 et 1918. Elle s’intéresse à tout : la vie locale, les métiers, les moeurs, les techniques, la politique…
Les pionnières sont les cartes émises avant 1900. On distingue généralement les cartes postales officielles, les entiers, les publicitaires, les dessins, les photographies de sites et d’événements.
Un article du 1″ janvier 1902 intitulé « Nos cartes postales illustrées », publié dans la revue Le Douanier (60 rue Ordener, Paris) créée en 1898, annonce la mise en vente d’une série de 7 cartes postales dénommées « Carte postale du douanier ». Deux séries sont éditées : l’une, en noir (0,45 F la douzaine) et l’autre coloriée (0,70 F la douzaine). On peut estimer à une cinquantaine de modèles les cartes postales ainsi diffusées et qui sont, semble-t-il, parmi les toutes premières cartes postales douanières.
Présentée sous forme de dessins signés par l’artiste et de photographies, « la carte postale du douanier » réunit toutes les caractéristiques des cartes pionnières… La correspondance s’écrit sur la face et l’adresse au dos. Ce n’est qu’après 1904 qu’elles apparaîtront l’une et l’autre au verso.
Un commentaire accompagne la présentation de la collection et incite à l’achat. « Comme on le voit, cette jolie collection comprend à peu près tout ce qui constitue le service des agents des brigades et chacun pourra choisir les sujets qui lui conviendront le mieux… Nous ne saurions trop engager nos amis à faire usage de ces charmantes cartes postales qui feront mieux connaître leur uniforme et le service auquel ils sont astreints. »
Le douanier « Mathieu » met cette offre à profit. Il achète l’ensemble de la série et entreprend une relation épistolaire suivie avec une demoiselle au prénom de Blanche. Le style est naïf mais la méthode employée originale. Il échafaude une mise en scène où les personnages représentés sur les cartes postales se substituent à lui pour établir une sorte de dialogue à trois avec la demoiselle.
Aussi choisit-il chaque fois avec application la carte postale, sans doute en fonction de ses affectations successives et du message qu’il souhaite transmettre à la demoiselle. La relation débute avec la carte postale n° 2 : « Magasin des Douanes à Vatomandry (Madagascar) ». Après une plaisanterie douteuse, inspirée du dessin sur lequel il s’identifie à un noir, il découvre son identité . « Mademoiselle, faites risette à ce nègre. Un ami. Mathieu Daridine. »
Elle se poursuit avec la carte n° 5 : « Défilé du corps des douanes à Alger (14 juillet 1900) ». « Mademoiselle. Faites votre choix parmi ces douaniers sous les armes. Lui fait partie de ce corps. DM. »
Il utilise ensuite la carte n° 6 « Les dames des Entreportes (frontière Suisse) ». Suivant le même principe, il invite la demoiselle à l’embrasser, car elle ne l’a pas fait dans sa précédente correspondance, puis l’aguiche d’un post-scriptum : « Mademoiselle, embrassez ce petit gabelou puisque vous ne m’avez pas embrassé, signé MD. PS .11 vous laissera passer la civil sur le pont plus des caramelles. »
Enfin, le 21 avril 1902, pour annoncer sa venue, Mathieu se sert de la carte n° 7 « Sur les quais de Rouen ». Nous apprenons que la dulcinée qu’il va rejoindre est prénommée Blanche : « Lundi 21 avril. Mademoiselle Blanche, faites bonaccueil à ce gapiant. Un ami. Mathieu. »
On remarque que, dans son dernier message, il se présentait comme un « gabelou » (surnom du douanier trouvant son étymologie dans l’impôt sur le sel, la gabelle); cette fois, il se désigne comme un « gapiant » (employé de la Ferme générale au XVIIe siècle).
Nous n’en saurons pas plus sur cette liaison entre le douanier Mathieu Daridine et la belle dame Blanche. À n’en pas douter, la « carte postale du douanier » et la frontière les ont réunis.
Alain Higounet
Cahiers d’histoire des douanes et droits indirects
N° 22 – 2e semestre 2000