Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes
L’institution de la fête nationale et la remise du drapeau aux bataillons des douanes le 14 juillet 1880
Des actes symboliques
En juin et juillet 1880, la proposition du député Raspail d’instituer le 14 juillet «jour de fête nationale annuelle», provoque de l’agitation à la Chambre, au Sénat et dans l’opinion publique.
La République a été proclamée depuis dix ans. En février 1879, le gouvernement et les deux assemblées ont quitté Versailles pour siéger à Paris. En juillet, la Marseillaise, «chant de guerre pour l’armée du Rhin», est devenue l’hymne national. Les républicains ressentent le besoin de consacrer le nouveau régime. Une grande fête, «où tous les cœurs fraternisent», permettrait de resserrer les liens entre les citoyens, de légitimer le régime et d’en assurer la continuité.
Des dates pour la fête
Sous la révolution, les fêtes nationales s’étaient succédé, nombreuses dans l’année, sans préférence particulière pour le 14 juillet qui n’était pas plus symbolique que le 10 août, jour de la prise des Tuileries et de la chute du roi en 1792, le 21 janvier, jour de la mort de Louis XVI en 1793 ou le 27 juillet, jour de la chute de Robespierre en 1794.
Le Consulat avait institué deux fêtes nationales : le 14 juillet, anniversaire de la prise de la Bastille et de la fête de la Fédération de 1790 et le 22 septembre, jour de la proclamation de la République de 1792.
Napoléon avait fixé au 15 août, jour de l’Assomption, la fête officielle. En effet, il était né le 15 août 1769 à Ajaccio.
Sous la Restauration, comme sous l’Ancien Régime, on avait célébré le jour de la fête du roi.
La Monarchie de Juillet avait retenu le 29 juillet, l’une des trois glorieuses journées de 1830.
La IIe République avait choisi le 4 mai, en souvenir de la réunion des États Généraux de 1789 et de la ratification de la République de 1848.
Le Second Empire avait imité l’Empire. Comment s’étonner, dès lors, que dans cette France divisée par les partis, où les républicains eux-mêmes n’étaient pas unis, d’autres dates encore aient été avancées pour une fête nationale!
Les significations du choix
Députés et sénateurs s’accordent cependant sur la date du 14 juillet. Bien que les assaillants, des artisans du faubourg Saint-Antoine à la recherche de fusils, n’aient trouvé emprisonnés que quatre faussaires, deux fous et un débauché, la prise de la Bastille représente pour tous les républicains la fin de l’absolutisme et de l’arbitraire des rois de France, «la fin de tous les esclavages». Le 14 juillet est ainsi «la fête du peuple, parce que celle de la Liberté».
Mais l’anniversaire de cette journée, célébré en 1790, a une signification plus profonde. La fête de la Fédération, où Louis XVI «père d’un peuple libre» jurait de maintenir la constitution, devant les fédérés des provinces venus à Paris en une marche pacifique, avait transfiguré, sublimé la Révolution.
Une volonté semblable d’union nationale et de concorde anime les gouvernants de la IIIe République, qui font voter, quelques jours après l’institution de la fête nationale, une loi d’amnistie des Communards exilés. L’oubli des crimes de la Commune, c’est aussi l’oubli de toutes les guerres civiles qui ont déchiré le pays et l’espoir que le nouveau modèle républicain consolidera à jamais la communauté nationale.
Le 14 juillet 1880 doit mettre un terme à «cette longue ère des émeutes, des insurrections, des coups de force».
Marianne dans la joie
Pour Gambetta, chef de l’Union républicaine, «une nation libre a besoin de fêtes nationales».
La fête a toujours été un moment exceptionnel de la vie collective. Avec les républicains, elle devient un moment privilégié de l’éducation civique.
Les cérémonies qui se déroulent dans les vingt arrondissements de Paris comprennent des bals, des concerts, des feux d’artifice, des fêtes foraines, des discours et des inaugurations de statues de la République, sous les drapeaux, les bannières et les banderoles tricolores, alors que volent les cloches d’une église désormais soumise à l’État.
Mais la République que l’on représente a cessé d’être révolutionnaire et menaçante ; elle est pacifique et généreuse, et les parisiens découvrent avec allégresse ces bustes où elle apparait sereine, apaisante, couronnée de lauriers.
Jules Guesde peut affirmer qu’«il nous reste ä démolir beaucoup de bastilles» et qu’avant longtemps «le peuple n’aura rien à fêter». Paris lui donne tort. Le 14 juillet 1880 est une magnifique fête populaire.
L’enthousiasme ne fléchit que dans quelques arrondissements, le 7e, le 8e, le 16e où l’on a mal admis les nouvelles lois scolaires qui excluent de l’enseignement certaines congrégations religieuses, les jésuites notamment.
Dans le quartier du Château-d’Eau où Louis-Philippe avait posé en juillet 1833 la première pierre de l’entrepôt de douane de Paris et où l’édification de l’hôtel de la douane et du bureau de Paris avait été achevée en juillet 1841, on inaugure un modèle d’une gigantesque statue de la République qui doit être élevée sur la place. Coiffée d’un bonnet phrygien, elle tient une branche d’olivier dorée et s’appuie sur les tables de la Loi, un lion couché à ses pieds, entourée des statues de la Liberté, de l’Égalité et de la Fraternité.
L’armée à l’honneur
La fête, ce 14 juillet 1880, c’est aussi la grande réconciliation du peuple avec l’armée et de l’armée avec le pouvoir républicain.
Après le désastre de 1870 et les drames de la Commune, les régiments ont été reconstitués et le redressement militaire du pays est assuré.
La République attire les regards vers la ligne bleue des Vosges et remplit les cœurs d’une nouvelle ardeur patriotique. Il est vrai que la France a mal des belles provinces d’Alsace et de Lorraine que l’ennemi lui a arrachées.
L’armée, pourtant peu républicaine, parait alors capable de rassembler le plus grand nombre de Français et de créer une large adhésion autour de la majorité.
Les cérémonies militaires sont organisées dans la plaine de Longchamp, où se pressent plus de 300 000 personnes.
Une tribune officielle a été édifiée, face aux tribunes du champ de courses. Elle est recouverte de toile rose, à raies rouges. Cent fauteuils en velours rouge sont occupés par les ministres qui entourent M. de Freycinet, président du conseil, le corps diplomatique et les hauts dignitaires. Deux autres tribunes sont réservées aux sénateurs et aux députés.
Les troupes d’infanterie sont disposées sur trois lignes de colonnes. Elles sont encadrées, aux extrémités de l’hippodrome, par l’artillerie, alors que les régiments de cavalerie se tiennent en arrière. Les musiques sont en face de la tribune officielle.
Les 436 députations des corps de terre et de mer qui doivent recevoir drapeaux et étendards forment une longue colonne. Chacune d’elles est composée du chef de corps, d’un capitaine, de l’officier porte-drapeau et dé 5 hommes.
La douane présente
Dès l’Empire, où ils servent aux côtés des corps de troupes, des bords de l’Elbe aux rives du Tibre, les bataillons des douanes ont forgé leurs traditions d’honneur. Ils ont participé glorieusement à la défense de Hambourg. Ils ont dégagé la place assiégée de Longwy. Ils ont ensuite défendu Givet, Mézières, Rocroi, Huningue et Montmédy.
En mai 1831, Louis-Philippe a réorganisé militairement les brigades des douanes. Des bataillons de réserve et des compagnies de guides ont été constitués dans les inspections et les contrôles de douanes.
En 1870, à l’est et au nord du pays, les douaniers ont vaillamment combattu avec les unités de l’armée et subi comme elles la captivité. Cinq bataillons ont pris part à la défense de Paris.
En avril 1875, le maréchal de Mac Mahon a fixé une nouvelle organisation militaire des douanes. Chacune des 32 inspections forme, pour la mobilisation, un bataillon de douane qui comprend autant de compagnies, actives ou territoriales, que de capitaineries. Dès leur appel à l’activité, les bataillons font partie intégrante de l’armée et jouissent des mêmes droits, honneurs et récompenses que les corps de troupes.
Aussi, le 19 juin 1880, le ministre des finances, M. Magnin, en accord avec le directeur général des douanes, M. Ambaud, a-t-il demandé au ministre de la guerre de faire participer les bataillons des douanes à la distribution des drapeaux qui doivent être remis pour la fête nationale. Il a souligné que ces bataillons sont «disciplinés et instruits militairement, armés et approvisionnés comme les autres corps, habitués aux fatigues, comme aux dangers, par un service qui les tient constamment en campagne». Il a également indiqué que, comme pour les chasseurs à pied, un seul drapeau serait remis pour l’ensemble des bataillons.
M. Grevy à longchamp
A midi et demie, le président de la République, Jules Grévy, arrive à Longchamp dans sa calèche. Les tambours, clairons et trompettes battent et sonnent «aux champs». Une salve de 21 coups de canon est tirée des bords de la Seine.
Sur l’estrade à laquelle donne accès un large escalier, M. Grévy est accueilli par M. Léon Say, président du sénat, et M. Léon Gambetta, président de la Chambre.
Le ministre de la guerre, le général Farre, entouré d’une brillante escorte, plus de 40 généraux à cheval, vient le saluer et passe au galop sur le front des troupes.
Avant de remettre les drapeaux et les étendards, le président s’adresse aux délégations des unités : «Recevez-les comme les témoins de votre bravoure, de votre fidélité au devoir, de votre dévouement à la France qui vous confie, avec ces nobles insignes, la défense de son honneur, de son territoire et de ses lois».
La foule est enthousiaste. On crie «Vive l’Armée !», «Vive la République !».
La distribution des drapeaux
La délégation des bataillons des douanes fait partie du premier groupe, placé sous les ordres du général Clinchant, gouverneur de Paris.
Ce groupe comprend les délégations de Saint-Cyr, de la gendarmerie mobile, de la garde républicaine à pied, des sapeurs-pompiers de Paris, du 25e bataillon de chasseurs, qui reçoit le drapeau des chasseurs, de deux régiments de pontonniers, de quatre régiments du génie, du 29e bataillon de douaniers, caserné au Havre, des chasseurs-forestiers, de l’école de Saumur, de la garde républicaine à cheval, du 19e escadron du train des équipages, qui reçoit l’étendard du train.
Les colonels montent sur deux files de chaque côté du grand escalier d’honneur et les porte-drapeaux s’avancent dans le même ordre par des couloirs aménagés dans la tribune. Ils se rencontrent sur l’estrade. Le colonel reçoit l’emblème des mains du porte-drapeau, passe devant le chef de l’État et le salue en inclinant la hampe jusqu’à terre. Au bas des marches, il remet l’emblème au porte-drapeau qui va rejoindre la députation de son unité.
Ce mouvement continue pendant une heure, ponctué de demi-minute en demi-minute par les 100 coups de canon tirés du Mont-Valérien.
La revue et le défilé
Alors que le ministre passe les troupes en revue, dans les tribunes on s’arrache des exemplaires de l’Officiel. Le gouvernement républicain, en principe adversaire des distinctions honorifiques, a décerné plus de 600 croix de la Légion d’honneur. Plusieurs officiers des douanes sont d’ailleurs distingués à cette occasion.
Les emblèmes décorés de plusieurs régiments sont chaleureusement acclamés, cependant que les trois présidents saluent les drapeaux qui s’inclinent en passant devant la tribune.
A quinze heures, 21 coups de canon annoncent la fin de la cérémonie. La foule, enchantée, gagne les allées du Bois de Boulogne, et les équipages et les fiacres rejoignent l’avenue des Champs Élysées.
En demandant au ministre de la guerre d’associer les bataillons des douanes à cette fête des drapeaux, le ministre des finances l’avait assuré que le service des douanes, «… troupe d’élite sur laquelle peut compter, en toutes circonstances, le gouvernement de la République …» est digne de cet honneur, et que «son passé prouve qu’à l’occasion il défendrait vaillamment le drapeau confié à sa garde».
En effet, les actions, en août 1914, de la compagnie de douaniers de forteresse de Longwy et des autres unités de la place, ont fait l’objet d’une citation à l’ordre de l’armée et permis de décorer le drapeau des douanes de la croix de guerre avec palme. Au cours de la Grande Guerre, la douane a déploré 1 421 agents morts pour la France et 1 885 blessés.
Après la seconde guerre mondiale, on a inscrit, à nouveau, sur le Livre d’Or du Corps des Douanes les noms de 326 douaniers, morts ou disparus, fidèles à leur devise «Honneur et Patrie».
Claude Pèlerin