Julien Gracq, La Sieste en Flandre hollandaise (Liberté grande), 1951 (28/50)

Mis en ligne le 30 octobre 2025

Julien Gracq….

 

La Sieste en Flandre hollandaise (Liberté Grande), 1951*

 

Au bord de l’Escaut oriental jusqu’à la banlieue d’Anvers, la Flandre hollandaise allonge une sorte de désert cultivé, une lisière habitable où la vie florale et grasse des bas pays semble se faire plus discrète qu’ailleurs. On n’y va, et on ne le traverse guère. Le pays se relie mal à la Zélande par quelques lignes de bacs qui traversent l’Escaut – du côté de la Belgique, au long des petites routes pavées, surgit très vite la silhouette d’un poste de douane, fleuri et endormi comme un chalet de ville d’eaux à la saison morte, où des douaniers hollandais flambant neuf dans leurs uniformes de surplus de la Royal Air Force somnolent dans une pièce ombragée et dévisagent avec une curiosité sans fièvre le touriste qui s’aventure dans ces solitudes excentriques. On bavarde sans hâte sous les arbres et dans la pièce minuscule comme dans le bureau d’octroi d’une petite ville, et on devine que les douaniers connaissent tout leur monde, car quiconque passe ici la frontière : journaliers hollandais qui vont travailler à Bruges, ou patrons belges du pilotage d’Anvers qui rejoignent Flessingue, ne saurait en général aller guère plus loin. […]

 


*Source : Extrait tiré de Julien Gracq, Liberté Grande (1951) et reproduit avec l’aimable autorisation des éditions Corti