Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

Jean Dorval (1906-1944) 

Mis en ligne le 1 janvier 2020

Vérificateur au SRFD (future DNRED) Paris (1940-42) puis Lyon (1942-44) 

 

 

 

Le nom de Jean Dorval n’évoquera pas grand chose pour nombre de nos jeunes collègues de la DNRED. Certains anciens se souviendront d’une salle « Jean DORVAL » au 4ème étage d’une adresse parisienne glorieuse de la DNRED, le 35 rue du Louvre. Et pourtant… ce nom devrait être connu de tous les douaniers, de la DNRED et d’ailleurs, car il est celui d’un collègue qui a été au bout de ses idées pour défendre son pays et qui fut fusillé par les Allemands à Lyon le 11 janvier 1944. Il avait un peu plus de 37 ans… On verra, à travers le récit de son action dans la Résistance du sud de la France, l’action secrète du SRFD. 

 

 

Jean Louis DORVAL est né le 21 octobre 1906 à « Kernéatret » au bord de l’Aulne, non loin de Châteauneuf-du-Faou. Son père et sa mère étaient cultivateurs et il n’a eu qu’un frère, Yves-Marie né le 26 août 1909. Après quelques années passées à l’école primaire de son village de Châteauneuf-du- Faou, Jean DORVAL a brillamment poursuivi ses études à l’école Saint-Louis de Brest. 

 

Il entre le 21 octobre 1929 dans l’administration des douanes en qualité de contrôleur. Il est affecté dans la Sarre, et dès 1934, il fait part à sa famille de ses craintes devant la montée du nazisme. En 1935, il est muté à Nantes et une promotion le mène à Grosbliederstroff près de Forbach en Moselle. Une nouvelle affectation le ramène à Paris et du 25 octobre 1937 au 7 mars 1939, il est affecté avec son collègue du SRFD, Raymond BIZOT à Latour-de-Carol (Pyrénées-Orientales) à la frontière espagnole afin de mettre en « pratique » la politique du gouvernement français du front populaire pris entre le désir d’aider les républicains espagnols en vertu d’un accord de décembre 1935 et l’opposition des autres pays, en particulier de la Grande-Bretagne. 

 

Le gouvernement français refuse officiellement d’aider les républicains espagnols. Toutefois, un approvisionnement discret en armes et en pièces détachées aéronautiques est mis en place. Cette aide de la France est organisée selon une doctrine appelée « la non-intervention relâchée » et au cours de laquelle les services douaniers ont eu une action déterminante. Jean DORVAL a été un de ces douaniers en lutte contre le fascisme. 

 

« La non-intervention relâchée » 

 

Violant un accord de décembre 1935 entre la France et l’Espagne, le gouvernement français refuse de livrer des armes à la République espagnole… officiellement du moins car une aide furtive se mit discrètement en place. 

 

Nous verrons le rôle joué par nos collègues douaniers et plus particulièrement par Jean DORVAL durant la guerre d’Espagne à travers les récits de deux acteurs de premier plan, Pierre COT (« Le Monde » du 21 novembre 1975 et « Le Monde magazine du 7 juillet 2007) alors ministre de l’air et Gaston CUSIN (1) (son discours du 26/05/77 à la DNRED), adjoint au chef du cabinet de Vincent AURIOL, ministre des finances, puis nommé par Léon BLUM (chef du gouvernement) délégué pour les relations interministérielles avec la République espagnole.

 

Gaston CUSIN, douanier militant syndical, promoteur de la grève du zèle, est l’auteur d’un rapport en 1930 qui émet pour la première fois en France l’idée d’un organisme de liaison (entre des services alors répartis en cellules autonomes tout au long des frontières) et de recherche des fraudes douanières, dont l’activité pourrait s’étendre à l’intérieur de tout le territoire à l’image d’un service de renseignements. Ce service a été créé et s’est appelé Service de la recherche de la fraude douanière (SRFD). 

 

Le 26 mai 1977, lors de l’inauguration de la salle Jean DORVAL, celui que l’on peut  donc considérer comme « l’inventeur » de la DNRED raconte : 

« C’était en 1936, un mois à peine après l’installation du gouvernement du Front populaire, que l’insurrection militaire menée par le général FRANCO, qui devait renverser la République espagnole vint poser des problèmes… Il faut rappeler qu’après quelques semaines d’action militaire de l’Italie appuyant l’insurrection, toutes les grandes nations, préoccupées d’arrêter l’expansion du conflit, décidèrent une politique de non-intervention. Telle était du moins la position officielle prise par les gouvernements. Mais, bientôt, devant l’aide massive apportée par les Italiens, puis par les Allemands, à l’insurrection militaire franquiste contre le gouvernement légal, le régime de la non-intervention devait apparaître comme une duperie. » 

 

Pierre COT poursuit : « De la fin du mois d’août jusqu’à celle du mois de septembre, la frontière (franco-espagnole) demeura hermétique. Mais le 30 septembre, à Genève, la délégation espagnole apporta à la SDN (Société des Nations) des preuves si évidentes des violations répétées par Hitler et Mussolini des accords de non-intervention qu’ils avaient signés les 21 et 25 août que la question se posa de définir l’attitude du gouvernement français… L’orientation qui fut prise alors fut ce qu’on a appelé la non-intervention relâchée. Elle n’était pas satisfaisante, mais, du moins, permettait-elle à ceux qui voulaient aider l’Espagne de le faire, d’autant plus que l’Union soviétique avait demandé à la France la faculté de décharger ses navires dans les ports de la mer du Nord et de la Manche. » 

 

« Rarement situation fut aussi singulière. J’étais membre d’un gouvernement qui avait signé les accords de non-intervention et mon rôle, durant toute la période où je fus responsable de l’air, allait consister à tourner ces accords ! Je fis de mon mieux pour que  le matériel de guerre et tout ce qui pouvait aider la République espagnole, quel que soit le pays d’origine, transitent par la France. L’opération reposait sur le ministère des finances, où Vincent AURIOL avait la haute main sur les douanes… Deux hommes prirent également une part considérable dans cette organisation. D’abord, Jean MOULIN, qui était mon chef de cabinet et qui présida plus tard le Conseil national de la Résistance, ensuite, Gaston CUSIN, mon compatriote savoyard, qui était au cabinet de Vincent AURIOL et appartenait au corps des douanes. On ne dira jamais assez les services que cette équipe a rendus à la cause républicaine. Le transit du matériel soviétique déchargé dans les ports français s’effectuait par convois de camions plombés, accompagnés par des douaniers triés sur le volet ; le contrôle à la frontière était aussi fait par des douaniers surs. La même procédure « souple » s’appliquait aux exportations de France, théoriquement destinées au Mexique et à la Lituanie et qui allaient, en fait, en Espagne… Notre organisation fonctionnera jusqu’à la fin de la guerre civile. » 

 

« C’est sans doute, en raison d’une bonne connaissance de notre législation… nous dit Gaston CUSIN, que je devais être choisi pour coordonner l’action des divers ministères intéressés par les opérations de transit de matériel de guerre à destination de l’Espagne. Je me trouvais alors en bonne compagnie et parfaitement en règle avec mes convictions nationales… Je devais tout de suite entrer en relation avec Jean Moulin, au Ministère de l’air, sans imaginer que, plus tard… A Bordeaux et à Perpignan, je téléphonais chaque nuit aux chefs de cabinets des préfets pour régler les incidents imprévus…

 

 » « Dans les ports de l’Atlantique et de la Méditerranée, aux frontières du Nord et dans les entrepôts de l’intérieur, des agents discrets, parfaitement maîtres de leurs connaissances, devaient sans incidents, interpréter une réglementation aux multiples ressources… Ce fut d’abord, au départ des ports de Méditerranée, l’envoi vers des destinataires fictifs, de matériels exportés sous caution vers le Mexique ou le Moyen- Orient. Mais pour traverser la frontière d’Espagne, fermée à l’Ouest dès le recul des Basques républicains, on dut chercher un point de sortie échappant aux investigations des services de renseignements de l’Axe (Allemagne et Italie) et des journalistes trop curieux. 

 

D’où la sélection, au sein de votre service, du tandem Raymond BIZOT (2) et Jean DORVAL, affectés à Latour-de-Carol. Grâce à cette organisation, on put faire face aux tâches les plus inattendues. Au départ de Bordeaux, Georges PE se tenait en étroite liaison avec les services de la SNCF. De Honfleur, du Havre, de Dunkerque et aussi de l’entrepôt de Pantin des envois, sous contrôle de SWERY (3), étaient, dans les mêmes conditions acheminés en transit par fer ou par route. Plusieurs centaines de cargaisons parvinrent ainsi à leurs destinataires, apportant du matériel de guerre, malgré la prohibition. Nous exportions, en outre, temporairement des matériels militaires en cours d’essai, tels que notre canon antichar 47. Au moment de la retraite, il fallut reprendre en compte la large masse de ce matériel ramené par les Républicains et ne pas laisser derrière eux les preuves de cette intervention militaire. C’est ainsi que nos camarades durent remplir des missions dangereuses. Pierre BERTHELOT, chef de cabinet du ministre des transports, m’a prié, après avoir craint les pires incidents diplomatiques, de féliciter les « acrobates douaniers »… 

 

On ne peut comprendre le rôle de Jean DORVAL sans recréer l’atmosphère qui régnait autour d’une action plus dangereuse chaque jour. Et pourtant cette mission, il était extraordinairement qualifié pour la remplir dans les meilleures conditions. Dans la sélection sévère de nos agents, il avait répondu positivement à toutes les épreuves. Trois qualités le caractérisaient. D’abord une discrétion absolue excluant toute confidence sauf aux responsables, peu nombreux, qu’il était appelé à rencontrer. Cela lui était facile, car, c’est avec humour, souriant, qu’il éludait toute question indiscrète. Il tenait son sang- froid de ses origines bretonnes, il restait maître de toutes ses réactions devant le danger et la douleur. Enfin, son idéal désintéressé et son courage tranquille en faisaient un modèle de lucidité. » 

 

Gaston CUSIN, afin de montrer la véritable personnalité de Jean DORVAL, relate dans son discours du 26 mai 1977, un exploit accompli par notre collègue dans cette période d’aide à l’Espagne : « Un exemple me revient en mémoire. Afin de créer un incident international, l’aviation allemande chercha un jour à intercepter, sur le territoire français, un train chargé d’explosifs pour l’Espagne, stationnant dans la gare de Latour-de-Carol. Aux premières bombes de l’Axe tombant en terre française – c’était en 1938 -, devant la panique qui se déclenchait, aussitôt Jean DORVAL bondit sur la locomotive et, avec le seul concours d’un cheminot volontaire, fit aussitôt démarrer le train, qui, bientôt, roulait sur le territoire espagnol. C’est encore volontairement qu’il s’engagea à ramener des prototypes militaires français, essayés par les Espagnols et abandonnés lors de leur retraite. » 

 

Les années de guerre 

 

« L’offensive allemande de mai 40 devait bientôt balayer tous ces services sans qu’à aucun moment la solide équipe constituée, n’abandonnât la lutte. Après l’Armistice, la préoccupation naturelle, au contact des militaires patriotes, fut de camoufler ceux des services de renseignements qui pouvaient entreprendre une action clandestine ou se réfugier en zone sud. Dans le même moment, notre ami anglais, au service du blocus, Hugh DALTON devenait ministre dans le cabinet de guerre de Winston CHURCHILL. C’est à ce civil que l’on doit l’idée de créer, dans tous les territoires de l’Europe occupée, à côté de l’I.S., chargé de renseigner nos alliés, le Service des Opérations Spéciales (S.O.E. – Special operation executive) pour entreprendre des sabotages et pour préparer l’insurrection, à l’appui du débarquement. Pour cette action, tout notre service fut aussitôt, sans réserve, sur la brèche. A la frontière d’Espagne tout d’abord, où les filières s’organisaient en liaison avec le service actif. A Canfranc, c’était LE LAY et à Pau, son complice, BORGES (4). A Hendaye, on retrouvait PE. Sur la frontière suisse aussi, les contacts pris par BIZOT lorsqu’il était contrôleur de zone dans le pays de Gex, se révélaient précieux pour assurer les liaisons avec les services anglais… 

 

Dès la déclaration de guerre, Jean DORVAL est rappelé sous les drapeaux et il est affecté, avec le grade de sergent-chef au 19 ème régiment d’infanterie de Landerneau (Finistère). 

 

En août 1940, il rejoint son poste au SRFD à Paris où il avait été nommé « vérificateur hors classe » (5). Mais, en raison même des qualités qu’il avait montrées avant guerre, il ne devait pas tarder à entrer dans la clandestinité pour continuer la lutte. 

 

C’est sans hésitation, nous dit Georges DEGOIS (6) – dans son discours du 11 janvier 1948 lors de la commémoration, à Châteauneuf-du-Faou, du martyr de Jean DORVAL – et tout naturellement que son patriotisme ardent a poussé DORVAL vers les organisations de résistance, dès le début de l’occupation allemande… Aussi, avec son camarade BIZOT, présent lors de cette cérémonie, il appartint au mouvement de résistance « Libération ». 

 

Georges DEGOIS poursuit en révélant que « l’activité de ces deux bons amis avait, pour des motifs ignorés, été découverte et, en juillet 1942, la Gestapo recherchait BIZOT qui était heureusement en mission. Il me fut possible de le faire rejoindre par son chef monsieur ILLY que je suis heureux de voir à mes côtés, qui n’hésita pas à l’héberger chez lui. Je me souviens que le lendemain, la Gestapo qui croyait nous surprendre, vint à mon bureau pour m’intimer l’ordre, avec sa manière bien connue, de lui donner les fichiers du personnel. Lorsque je demandai, de façon ingénue, qui elle recherchait, les deux sbires me dirent brutalement qu’ils n’avaient pas besoin de mes services. Je pus me rendre compte qu’il s’agissait de BIZOT et, si nos appréhensions étaient confirmées, les précautions prises le mettraient, tout au moins lui personnellement, à l’abri des recherches de l’ennemi. L’administration, sur ma proposition, affecta BIZOT en zone libre, au SRFD de Lyon. 

 

Mais, BIZOT étant recherché, DORVAL devait l’être également et il était indispensable, pour sa sauvegarde et pour lui permettre aussi de continuer son action, de le nommer également à Lyon en juillet 1942. Tous deux partirent avec des précautions particulières et ils ne purent franchir la ligne de démarcation que dans la région de Bazas (7). A Lyon, où j’eus la satisfaction de les voir en septembre 1942, ils eurent vite fait de contacter d’autres organismes de résistance et c’est au service « Action » que DORVAL et BIZOT exercèrent désormais leur activité. Cette activité n’était pas exempte de difficulté, elle les exposait au surplus aux périls les plus graves. Ils ne l’ignoraient pas et leur mérite fut de continuer à assurer au risque de leur vie les missions qui leur étaient confiées.

 

Jean DORVAL, au mois d’août 1942 fut chargé d’assurer la liaison entre le chef du réseau « Action » et Thonon-les-Bains d’où partaient les courriers pour Londres. En même temps, il fut mis en relation avec MARTINET, chef du parachutage et du sabotage de la région de Bourg-Lyon. Il a assuré la liaison entre les opérations de parachutage et de sabotage des régions de Lyon, Bourg, Grenoble et Toulouse. » 

 

Dans son livre « Résistant à Lyon, 2 824 engagements », Bruno PERMEZEL écrit en parlant de Roger MORANDAT (8) : « L’appartement de Roger MORANDAT, qui est situé 93, rue Masséna à Lyon, sert de point de rencontre aux dirigeants du mouvement « Libération ». Responsable du réseau « PIMENTO » pour la région de Lyon, il y est arrêté le 15 mars 1943. Jean DORVAL réussit à se rendre dans l’appartement pour y détruire les documents compromettants avant l’arrivée de la Gestapo. » 

 

DORVAL et BIZOT, après quelques précautions élémentaires, continuèrent leur activité qui s’avérait pourtant de plus en plus dangereuse. 

 

Gaston CUSIN explique que « BIZOT et DORVAL, particulièrement recherchés en raison de leurs activités durant la guerre d’Espagne, furent mutés en zone sud par la direction générale des douanes, préoccupée de les voir échapper aux poursuites de la Gestapo. Naturellement leur service, à Lyon, entra en contact avec nos postes frontières. A Bellegarde, avec COMART, avec JAQUET, avec DIDIER ; à Annemasse, avec LUC ; à Saint Gingolph, avec GIRAUD et BELLEVILLE ; à Thonon, avec le receveur FOURRE et avec LAVILLA. Ainsi s’étoffait le réseau, qui entrait en relation avec les filières anglaises en Suisse. Ils retrouvaient Pierre BERTHOLET (correspondant suisse de l’Intelligence service britannique), organisateur, à la Croix-Rouge, du « Colis suisse », qui rassemblait les dons bénévoles pour assurer des vitamines et des aliments énergétiques aux enfants et aux vieillards. 

 

Bientôt ce trafic portera sur plusieurs milliers de colis dédouanés à Bellegarde, assurant le passage régulier du courrier des réseaux. Une autre filière s’appuyait sur « Résistance-Fer », représentée par Marius FLORET à Annemasse, tant pour le courrier que pour le passage de la frontière par les agents et les réfugiés… » 

 

« Mais notre service devait bientôt intervenir plus directement. C’est lorsque le plus important réseau du Service des opérations spéciales (S.O.E.), « Pimento » (9) animé par Tony BROOKS (nom de guerre : Alphonse) fut organisé entre la frontière suisse, la frontière espagnole et la frontière italienne, pour le contrôle des trafics ferroviaires, ainsi que pour le sabotage et pour l’armement des groupes de résistance. A l’origine, le sabotage portait sur les boîtes de graissage des wagons dans lesquelles on versait de la graisse mélangée à de la poudre d’émeri, afin de provoquer l’échauffement et l’incendie au bout de quelques dizaines de kilomètres de route. Beaucoup de transports furent ainsi retardés. On peut même dire, aujourd’hui, que le transit d’Allemagne et d’Italie, à travers la Suisse, donnait lieu aussi, systématiquement, à la « vaccination » des boîtes de graissage, car nos amis suisses, en dépit d’une neutralité courageuse, avaient dû consentir à ces trafics, au moment où le front de Libye causait des soucis à Rommel. Plus tard, nos interventions sur le matériel, wagons ou camions, se firent en recourant aux grenades magnétiques et au plastic… » 

 

Anthony BROOKS, haut fonctionnaire au Foreign Office britannique en 1977, s’est d’ailleurs excusé de ne pouvoir venir à l’inauguration de la salle « Jean DORVAL ». Dans ses souvenirs (10), Tony BROOKS raconte : « Après avoir quitté mon QG de Chambéry, le 16/08/1943 au matin, où j’avais donné des instructions à mon commandant en second, Georges (André MOCH fils de Jules, ancien ministre) avec toutes les précisions pour maintenir PIMENTO opérationnel pendant mon absence. Après l’arrestation de « Plouc » (Jean DORVAL) (11) et la fuite en Suisse de Lucien (Raymond BIZOT), mon premier commandant en second, je reçus des instructions de Londres via Genève, pour retourner au Royaume-Uni pour un peu de repos après 14 mois sur le terrain. » 

 

Gaston CUSIN poursuit : « J’aurais pu aussi demander à une autre personnalité d’apporter son souvenir à Jean DORVAL : il s’agit de l’ancien président de l’Assemblée nationale, mon ami Achille PERETTI, maire de Neuilly et membre du Conseil constitutionnel. Fonctionnaire de la ST, PERETTI, alias Ajax, assurait une dangereuse mission… il s’agissait d’interdire l’accès des espions allemands en Afrique du Nord, à travers la zone sud. L’élimination pure et simple de ces agents était la règle, et plusieurs dizaines d’entre eux furent neutralisés définitivement. Adjoint de PERETTI, Simon COTTONI… était entré en contact avec nos amis du SRFD, pour organiser une utile coopération. 

 

Tel était le réseau complexe des relations du SRFD, fondé sur le principe du cloisonnement mais, que la longue activité de nos agents avait, en définitive, fait connaître dans un large cercle. » 

 

Le 8 août 1943, Jean DORVAL fut arrêté à son domicile lyonnais. 

 

Raymond CHARRE, le fils de la voisine de Jean, témoigne, lors d’une visite en 1992 à Châteauneuf-du-Faou sur la tombe de notre collègue : 

 

« Quand on a 19 ans, qu’on vous braque une arme sur le ventre, on s’en souvient, presque 50 ans après ! Ce jour là, Barbie, suivi de ses hommes, procédait à l’arrestation de Jean DORVAL, en ma présence, dans l’immeuble, au 39 de la rue Raulin, Lyon 7ème, où ma mère et moi habitions. Il fut emmené, à proximité, au siège de la Gestapo, avenue Berthelot, qui deviendra par la suite, en octobre 1992, le musée de la résistance. » 

 

Jean DORVAL, qui effectuait des déplacements constants, partageait à Lyon, une chambre avec un camarade de la résistance, qu’il rencontrait à peine et dont il ignorait, en fait, l’activité précise. La règle du cloisonnement faisait que chacun demeurait très discret sur les missions qu’il remplissait. Au retour d’une mission, la Gestapo l’attendait à son domicile. Les Allemands avaient arrêté, dans un contrôle de routine, son camarade, spécialiste du sabotage. Ce dernier avait emprunté une valise à DORVAL, qui portait le nom et l’adresse de celui-ci, mais ne contenait que des vêtements ; aussi était-il sans inquiétude. Mais, les Allemands, en ouvrant cette valise, sentirent l’odeur caractéristique du plastic. 

 

La perquisition, faite à son domicile, ne permit pas de découvrir d’explosifs, mais l’odeur pénétrante et caractéristique du « 808 » était restée dans l’armoire et dans les valises vides de Jean. 

 

Devant cette preuve accablante, DORVAL ne put nier. Mais ce que l’on voulait savoir, c’était comment il s’était procuré les explosifs et quels étaient les autres membres du réseau. 

 

Dorval fut donc interrogé, martyrisé au cours de ses interrogatoires. Il résista héroïquement. Non seulement il ne révéla rien qui put faire suspecter ses camarades, mais encore, il fit en sorte de mettre hors de cause ceux qui pouvaient être soupçonnés et dont les noms lui étaient donnés. Ce calvaire, au bout duquel il fut traduit devant le tribunal militaire de Lyon, dura plus de cinq mois. 

 

Gaston CUSIN témoigne : « Il faut juger Jean DORVAL, comme j’ai pu le faire personnellement, au récit que nous fait FOURRE, receveur à Thonon, FOURRE souffrait d’une grave maladie osseuse qu’il avait soignée durant un congé de longue durée, lorsqu’il fut arrêté avec des centaines de patriotes, soupçonnés simplement d’opposition systématique à l’occupant. Interné à Compiègne, il allait être transféré en Allemagne, et il ne serait sûrement pas revenu du camp de concentration, dont il n’aurait pas supporté le régime. 

 

Un jour, à Compiègne, il fut très surpris de se voir remis à la Gestapo et il crut, un moment, qu’il allait être libéré ; mais, au contraire, après un simulacre de fusillade, probablement à Dijon lors de son transfert, il fut incarcéré au fort Montluc à Lyon. C’est là qu’à sa grande surprise il devait retrouver DORVAL. Il se retrouva par un matin de janvier, très tôt, en présence de son collègue dans la cour du fort. Sans paraître le reconnaître, il manœuvra dans le groupe de prisonniers qui devaient être transférés au tribunal militaire, pour se rapprocher de lui. Les prisonniers allaient être enchaînés deux par deux, et c’est ainsi qu’il fut lié à notre ami durant le transport, assez bref, dans la voiture cellulaire. Je tiens de FOURRE le récit de leur conversation. Jean DORVAL s’accusa d’abord d’avoir compromis FOURRE au cours de son interrogatoire : « Tu étais celui de nos camarades que je connaissais le moins et je savais que tu avais été déporté, te croyant hors d’atteinte des services de la Gestapo en France ; je t’avoue que, si j’avais dû subir d’autres épreuves, j’aurais certainement dénoncé d’autres amis. Il est temps encore de te disculper. En effet, j’ai affirmé aux allemands que, correspondant, à la frontière de nos informateurs suisses, au sujet de la fraude douanière, tu recueillais sous pli les avis de fraude que je venais chercher pour les soumettre à mon service à Lyon ; tu ignorais complètement le contenu de ces plis ; et j’ai abusé de ta confiance, car, ces plis contenaient le courrier de la Résistance. Mais, tu l’ignorais complètement. »

 

« Sans que FOURRE ait pu répondre, ils furent introduits devant le tribunal. Le colonel allemand, qui présidait, jugea inutile d’interroger plus longtemps DORVAL. « Il a avoué et je demande qu’il soit condamné à mort ; mais nous avons aujourd’hui, un de ses complices. Monsieur FOURRE, voulez-vous nous dire dans quelle mesure vous avez participé à ce réseau d’informations ? » C’est alors que FOURRE présenta la thèse que lui avait suggérée Jean DORVAL et qui correspondait aux déclarations de ce dernier devant la Gestapo. Devant cette confirmation, le colonel allemand persuadé qu’ils n’avaient pu se concerter, décida de libérer FOURRE. 

 

C’est pour lui procurer des papiers d’identité que je me suis rendu à Lyon, avant de l’orienter vers Limoges où son beau-frère devait lui assurer asile. C’est ainsi que j’ai recueilli son témoignage qui fait revivre Jean DORVAL. » 

 

La dernière lettre 

 

Jean DORVAL, patriote convaincu a subi lucidement son martyr, sans implorer ses bourreaux et sans prétendre, à aucun moment, à la reconnaissance de la Nation. Comme chaque condamné à mort, il fut autorisé à écrire une dernière lettre. Il choisit de l’envoyer au secrétaire de la mairie de sa commune d’origine, Châteauneuf-du-Faou, afin de ménager ses parents. 

 

Voici cette lettre : 

 » Mon cher Laurent, 

Je viens te demander de me rendre un grand service, ce sera le dernier. J’ai été condamné à mort par le tribunal militaire allemand le 31 dernier et je vais être fusillé tout à l’heure à 16 h 30. Il faudrait annoncer la nouvelle avec tous les ménagements possibles, je compte sur toi pour cela et je te remercie. 

Je viens d’entendre la messe et de communier et j’affronterai la mort avec calme la tête haute et fière. Je leur demande pardon de ne pouvoir être là pour subvenir à leurs besoins dans leur vieillesse, qu’ils reportent toute leur affection sur Yves à qui je demande de les entourer à l’avenir dans tous leurs besoins et de toutes ses forces. Qu’ils continuent à s’aimer de toutes leurs forces et le temps effacera petit à petit toutes les douleurs. 

Je demande pardon à tous mes parents et amis à qui je pense également dans mes derniers moments. 

Pour mes affaires personnelles que mes parents demandent à Le Leap de venir à Lyon pour tout régulariser, les amis d’ici l’y aideront. 

Mes chers bons parents ne croyez pas que je sois un criminel ou un bandit mais les lois de la guerre sont terribles. Je souhaite la fin rapide de cette tuerie et qu’Yves vous revienne en bonne santé. Ne vous quittez plus, vivez les uns auprès des autres et aimez-vous bien. Que papa se contente désormais de finir ses jours dans la tranquillité, il a bien gagné ce repos. 

Mon cher Laurent tu les embrasseras bien fort pour moi, ainsi que tous les nôtres et merci pour ce service que je me permets de te demander. 

Mes adieux à tous de tout cœur.

Jean 

Je ne puis écrire à Yves, préviens-le également avec ménagements il ne mérite pas un tel chagrin dans sa situation (12) » 

 

Jean DORVAL a été fusillé par les Allemands le 11 janvier 1944 à 16 h 30. 

 

Son corps fut retrouvé par les équipes de la Croix Rouge de Frère Benoît, le 20 septembre 1945, parmi 91 fusillés dont 78 Français et 13 Luxembourgeois. 

 

Raymond CHARRE nous précise que le corps de Jean DORVAL, retrouvé dans le charnier de « la Doua » (13), a été reconnu par sa maman grâce à la paire de chaussettes qu’elle avait tricotées à Jean. 

 

Les 29 et 30 septembre 1945 une cérémonie eut lieu à Villeurbanne et à Lyon en hommage aux victimes de la Doua. 60 familles françaises choisirent de récupérer les cercueils de leurs disparus. 18 corps reposent dans des tombes dans l’ancien champ de tir, devenu aujourd’hui la nécropole de la Doua. Jean DORVAL quant à lui repose depuis le 6 mars 1946 dans le cimetière municipal de Châteauneuf-du- Faou. 

 

Le 11 janvier 1948, une cérémonie commémorative organisée par la direction générale des Douanes en présence de Georges DEGOIS, directeur général, eut lieu à Châteauneuf-du-Faou. 

 

Jean DORVAL, devenu vérificateur principal, cité à l’Ordre de la Nation, fut décoré de la Légion d’honneur (2/06/46) et de la médaille de la Résistance française avec rosette (25/04/46 et 23/02/59). Il est également inscrit depuis le 31 mars 1948 au registre de sa Majesté le Roi d’Angleterre pour services rendus. 

 

Il figure également au livre d’or du corps des douanes publié en 1949 par l’Imprimerie Nationale en compagnie d’une autre grande figure de la DNRED, René NAVRAULT. 

 

Jean-Marie FLEURY (14) 

 


 

Illustrations:

 

Lors de sa mutation à Grossbliederstroff, Jean DORVAL voit de près la montée du nazisme

 

 

Les douaniers de Latour-de-Carol : Jean Dorval est premier en partant de la  droite

 

 

Derniers instants de détente : pot entre collègues à Latour-de-Carol (Jean Dorval est le 5ème à partir de la droite)

 

 

29-30 septembre 1945 : Les cérémonies du souvenir des martyrs du charnier de la Doua – 1

 

 

29-30 septembre 1945 : Les cérémonies du souvenir des martyrs du charnier de la Doua – 2


Livres où il est question de Jean Dorval 

  •  « Vie et mort de Jean MOULIN » par Pierre Péan, 
  •  « La France résistante, Histoires de héros ordinaires » par Alain Vincenot (Ed. Syrtes page 455) paru en 2004, 
  • « Résistants à Lyon, 2 824 engagements » par Bruno Permezel (page 215). 

 

 Remerciements pour leur précieuse aide à : 

– François Hallouët, ancien adjoint au D.I. de la DNRED, 

– Jean-Paul Karagheuzian, contrôleur au service des recherches à la DNRED Paris, 

– Georges Le Meur, ancien maire de Châteauneuf-du-Faou, 

– Maurice Liermann, ancien chef de l’AAMI à la DNRED, 

– Richard Marie, ancien chef d’échelon à Nantes DED, 

– Jean-Michel Pillon, ancien chef des recherches à la DNRED Paris, 

– et plus particulièrement à Nicole Steffler, nièce de Jean Dorval. 

 

Renvois:

(1) Gaston CUSIN, ancien douanier, fils, deux fois petits-fils de douaniers, devenu haut fonctionnaire de la République française, prononcera le 26 mai 1977 l’hommage à Jean DORVAL lors de l’inauguration de la salle qui lui fut consacrée au siège de la DNRED du 35, rue du Louvre à Paris. Un prochain article lui sera consacré. 

(2) Raymond BIZOT : on le retrouve en tant qu’inspecteur central dans les annuaires douaniers à Paris SRFD, 48, boulevard des Batignolles en 1950 et comme receveur à Lavera en 1957. 

(3) SWERY : entre 1950 et 1962, il est en poste à la division des aéroports-nord au Bourget comme inspecteur central. 

(4) Le Lay et Borges, toujours en poste en douane d’après les annuaires douaniers entre 1950 et 1957. 

(5) Ancien grade correspondant aujourd’hui à celui d’inspecteur. 

(6) Georges DEGOIS a été directeur général des douanes de 1947 à 1958.

(7) Bazas : agglomération à 70 km environ au sud-est de Bordeaux. 

(8)  Roger Morandat : résistant du mouvement « Libération Sud », déporté à Dachau, Auschwitz et Mathausen où il est libéré en mai 1945.

(9) Voir note d’une page en fin d’article

(10) Revue « Libre résistance » du 3ème trimestre 2005 

(11) Selon une autre source le nom de code de Jean DORVAL était « Plouc poulet ».

(12) Yves a été déporté en Allemagne dans le cadre du STO 13 La Doua : ancien camp militaire (aujourd’hui campus universitaire) sur la commune de Villeurbanne bordé par le Parc de la Tête d’Or et le Rhône.

(13) La Doua : ancien camp militaire (aujourd’hui campus universitaire) sur la commune deVilleurbanne bordé par le Parc de la Tête d’Or et le Rhône.

(14) Enquêteur 3ème division DNRED (1974-1994), Adjoint DRD-ANASU (1994-2000), Chef d’échelon DED Belfort (2000-2006), Chef 3ème division DED Paris (2006-2007).


(9) Anthony Brooks, né le 4 avril 1922, à Orsett (Essex, Angleterre), fut élevé en Angleterre (Felstel School), en France et en Suisse (Chillon Collège). Tony Brooks était parfaitement bilingue. En 1940 (il avait alors 18 ans), il travaillait chez l’un de ses oncles dans une entreprise de bois, dans le Jura français. Un soldat britannique, replié sur Dunkerque où il n’avait pas réussi à embarquer, vient à passer par là. Tony Brooks le prend en charge et le conduit jusqu’à Marseille, où il lui trouve une filière de passage. Il travaille pour la filière d’évasion PAT (réseau Pat O’Leary) sous Ian Garow, et, en juillet 1941, il l’emprunte lui- même. Après quelques mois passés dans une prison espagnole, il arrive en Ecosse dans le courant du mois d’octobre 1941, est repéré par les recruteurs du SOE et, envoyé dans les Special Training Schools, se fait bientôt remarquer par les instructeurs. Au printemps 1942, il est prêt. On lui fait suivre un cours particulier de quelques jours sur le syndicalisme français. 

Mission SOE en France 

Sa mission fait suite au rapport d’Yvon Morandat suggérant l’utilisation des mouvements syndicaux comme support d’organisation de la résistance. Il doit approcher les cheminots CGT, et voir avec eux ce qui pourrait être entrepris pour former des groupes susceptibles de saboter le trafic ferroviaire entre Marseille, Lyon et Toulouse, pour réceptionner des parachutages, recruter, former et équiper des groupes indépendants. 

Le 1er juillet 1942, il est parachuté non loin de la propriété de Philippe de Vomécourt. Son parachute ne fonctionne pas normalement et il n’échappe à une mort certaine que grâce à l’arbre dans les branches duquel il tombe ! Il se retrouve chez un fermier, Jean Citerne, qui l’héberge et chez lequel il rencontre le lendemain Philippe de Vomécourt, qui lui donne des indications précieuses sur le secteur et un vélo pour rejoindre la gare la plus proche et se rendre à Toulouse, où un « contact » lui a été désigné par Londres dans un café… Arrivé sur place, il voit, parmi les consommateurs installés, un ami de sa famille, René Berthollet. Il en est encore à se demander comment il va bien pouvoir lui expliquer sa présence quand celui-ci s’approche : c’est lui,  (un Suisse) le « contact », et il travaille depuis longtemps avec la section DF (évasion) ! Berthollet installe Brooks : il lui trouve un emploi de couverture chez Michel Comte, garagiste à Montauban, et c’est là qu’il installe son PC pour le sud-ouest. 

Fin juillet 1942, Brooks rencontre à nouveau Berthollet dans la région de Lyon. Celui-ci le met en relation avec les deux personnalités importantes qui formeront le point de départ et l’ossature de son organisation : 

  • Yvon Morandat : c’est l’auteur du rapport sur la Résistance en zone sud, qui est à l’origine de la mission PIMENTO. Les deux frères d’Yvon Morandat, Roger (qui sera arrêté en mars 1943) et Henri, ont organisé des groupes agissant parmi les cheminots des gares de La Part-Dieu et La Guillotière. Avec ceux-ci, il recherchera des terrains pour recevoir des parachutages, et c’est le 26 octobre 1942 que le premier d’une longue série sera reçu sur un terrain à Polliat dans l’Ain ; il ne comportera modestement que trois conteneurs, mais sera suivi, jusqu’à la fin des hostilités dans ce secteur, de 74 autres parachutages, qui quant à eux, comporteront jusqu’à 72 conteneurs.
  • Raymond Bizot : il dirigeait le service des douanes à Lyon, et offrit ainsi le moyen d’obtenir facilement de vrais faux papiers et d’utiliser les communications avec Londres par les liaisons normales dont disposait ce service avec le consulat général de Grande-Bretagne à Genève. C’est dans les bureaux de ce service, 5 rue Jarente, que Brooks établit son PC pour la région lyonnaise. Ainsi Brooks et Berthollet mettent sur pied une filière de messagerie vers Londres et en provenance de Londres, par Genève et avec l’aide des cheminots qui assurent le service sur la ligne reliant Lyon à la Suisse. Cette liaison fonctionnera jusqu’à la libération et sera utilisée même lorsque Brooks disposera des services d’un radio, Roger Caza, alias « Emmanuel », à partir de février 1944. Puis Tony Brooks commence à recruter… 

Ses contacts en France le mettent en relation avec le mouvement Nap Fer, les Amitiés chrétiennes, les Eclaireurs Israélites, divers groupes syndicaux dont celui de Roger Morandat, le groupe de chasseurs alpins d’André Moch (le fils de l’ancien ministre Jules Moch), le fondateur de « Libérer et Fédérer » à Toulouse? Gilbert Zaksas. 

Le 16 août 1943, Brooks est rappelé à Londres pour y recevoir les consignes pour le jour J. Dans la nuit du 19 au 20, il est rapatrié. Les instructions qu’il reçoit sont de concentrer ses efforts dans la région de Montauban-Toulouse afin d’immobiliser la circulation ferroviaire dans ce secteur de manière à forcer les unités allemandes à utiliser les routes, ce qui les rendait vulnérables aux Forces françaises de l’Intérieur et usait prématurément les chenilles de leurs chars. 

C’est en 1944, grâce aux nouveaux Halifax IV et à leur plus grande autonomie que les parachutages vont se multiplier dans le sud- ouest et alimenter les maquis qui se sont constitués dans la région. C’est aussi à cette période que, en vue des opérations de débarquement, le lieutenant Roger Caza « Emmanuel », de nationalité canadienne, sera parachuté sur un terrain d’Henri Morandat. Après un court temps d’acclimatation, il sera dirigé vers le Tarn, où il opérera dans la région de Lavaur au sein de la Résistance locale jusqu’à la libération. A l’approche du débarquement en Normandie, puis de celui de Méditerranée, les groupes PIMENTO entreront en action et participeront aux opérations de libération du pays. Les multiples sabotages de voies ferrées, des supports de téléphone, des usines d’armement, aboutiront à un ralentissement important de l’acheminement des unités ennemies vers les points de débarquement. 

Tony Brooks eut de la chance : 

  • Descendant un jour à Lyon- Perrache, d’un train en provenance de Toulouse, il constate que des contrôles (SS et police française) sont en place à toutes les sorties ; il est avec l’un de ses adjoints qui est fonctionnaire de la police des douanes ; celui-ci lui passe les menottes et tous deux sortent sans encombre par l’un des passages réservés à la police; 
  • une autre fois, il est arrêté, en ville, pris dans une rafle ; il remarque que, comme par hasard, tous ceux qui sont retenus sont, comme lui, petits et, comme lui portent moustache ; il figure encore parmi ceux qui, après un premier tri, sont emmenés à la prison Montluc. Il a sur lui plus de 70 000 francs… Il déclare aux Allemands qu’il allait prendre livraison d’un costume commandé à un tailleur après avoir gagné un pari… et le bookmaker ainsi que le tailleur, tous deux membres de son réseau, évidemment interrogés, confirment ! 

A la fin de la guerre, Brooks fut chargé de faire, en France, un relevé des sabotages industriels réalisés par les réseaux de la filière F ainsi que des résultats des plus importantes opérations montées par la section RF6. Après la guerre, il servit au Foreign Office, fut un temps à Paris, un temps consul général à Genève, puis il fut affecté à des postes plus discrets ; agent du MI6 à Sofia (1947 à 1952), à Chypre, Paris, Londres et Genève de 1956 à 1977. 

Tony Brooks est décédé le 19 avril 2007, à l’âge de 85 ans. C’était hier et pourtant, déjà l’histoire.

 

Cahiers d’histoire des douanes françaises
N°53 – 2e semestre 2013
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