Jean Condou, Le douanier (Fleurs de la Neste), 1940 (26/50)
Présenté par Lucien Borgès, directeur-adjoint à Pau, comme un “ancien adjudant-chef des douanes à Saint-Lary (H.P.), Jean Condou est lui-même le poète sensible et délicat de la Vallée d’Aure et ses vieilles églises ; il est l’auteur d’un recueil de poésies, paru en 1940, Fleurs de la Neste”. Son frère, le Révérend Père H. Condou, ancien curé à Ferrières (Hautes Pyrénées) est l’auteur en 1948 d’une brochure intitulée “Un patron pour les agents du fisc… Saint Matthieu, douanier à Capharnaüm”, qui lui dédia son plaidoyer en ces termes : “A mon frère, Jean Condou, brigadier des douanes, dont la haute conscience professionnelle et la piété éclairée m’ont inspiré ce travail.” En adressant un exemplaire de son recueil à l’Ecole Nationale des Douanes, qui est conservé aujourd’hui par le Centre de Documentation Historique du Musée National des Douanes, Jean Condou le dédicaça en ces termes : “Hommage à l’administration des douanes dont j’ai été le serviteur pendant près de trente cinq ans”.
Le douanier (Fleurs de la Neste), 1940*
La tempête au dehors a balayé les rues,
L’éclair étincelant qui sillonne les nues
Menace de son feu. Pas un être vivant :
Tout se cache et s’enfuit. Soulevés par le vent,
Les toits hospitaliers, en sifflements funèbres,
Semblent se déchirer, et, parmi les ténèbres,
Chacun s’en va goûter un tranquille repos ;
La porte est verrouillée et les volets sont clos.
Il sort, lui, cependant, l’humble fonctionnaire,
Celui qui par ce temps garde la frontière :
Le douanier. C’est l’heure où l’austère devoir
L’appelle dans les champs pour y veiller ce soir.
Visage fouetté par la neige durcie,
Son premier ennemi c’est du vent la furie,
Il lutte, résigné, sur le sentier glissant,
Tombe, puis se relève. Oh ! quel drame angoissant
Se déroule en son cœur lorsqu’à l’abri d’un chêne
Il songe tristement : “L’orage se déchaîne
Pour moi seul, car là-bas, le sommeil de la nuit
Berce tous mes pareils puisque le jour a fui ;
Des rêves enchanteurs hantent les rideaux roses …
Loin du froid et du vent doucement ils reposent”.
Soudain, un bruit, des pas, parmi les flaques d’eau,
Il surgit du taillis. “Qui vive ?” – un gros ballot
Vient de choir lourdement et dans son épouvante
Un homme s’est lancé qui dévale la pente.
Le bois craque au passage. Il regarde : Minuit !
Tandis qu’au fond du val où son esprit le suit
Le nocturne fuyard a modéré sa course …
Il contemple la prise, en soupçonne la source,
Puis la tire à l’écart. Il narrera demain
Cet exploit dans l’orage. On serrera sa main …
Les journaux le diront en paroles banales ;
– Mais qui donc comptera tant de nuits cruciales,
Celles des douaniers sous la neige et le froid,
Ces marches sans histoire où se combat l’effroi ?
Qui donc reconnaîtra ces âpres randonnées
Par les chemins fangeux, les pistes ravinées ?
Dieu seul, dis-tu. Pourtant au retour, je crois voir
Du bonheur sur ton front : C’est celui du devoir.

*Source : Jean Condou, Fleurs de la Neste, Imprimerie de la Grotte, Lourdes, 1940, p. 31.
Tous nos remerciements au Centre de Documentation Historique du Musée National des Douanes .