Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

Insolite – La boite de secours pour les asphyxiés

Mis en ligne le 1 septembre 2024

Les 26 et 27 septembre 1992 ce sont déroulées en France les « Journées du patrimoine ». C’est ainsi qu’à Bordeaux la cour de l’Hôtel des douanes et le Musée des douanes attirèrent près de huit cents personnes.

 

Si la fontaine de Verbeckt et l’architecture de Jacques Gabriel séduisirent les amoureux des « vieilles pierres », parmi les collections permanentes du Musée, une pièce insolite intrigua de nombreux visiteurs : la boîte de secours pour les asphyxiés.

 

En effet, dans la vitrine consacrée au sauvetage la présence de plusieurs éléments de cette boîte paraît incongrue.

 

Objet unique du patrimoine douanier découvert dans les combles de l’Hôtel des Douanes de Bordeaux où elle dormait depuis plusieurs décennies, la boîte de secours pour asphyxiés est un grand coffret de bois rectangulaire (46 x 36 cm), haut de 26 cm et compartimenté, qui renfermait tout le nécessaire de réanimation des noyés, c’est-à-dire des « asphyxiés par submersion ».

 

Le modèle présenté au musée, adopté par le Comité Consultatif d’Hygiène Publique, conçu par J. Charrière fabricant d’instruments de chirurgie (6, rue de l’Ecole de Médecine à Paris) fut mis à la disposition d’un service douanier de la direction de Bordeaux par la Société Centrale de Sauvetage à la fin du Mir siècle, probablement entre 1878 et 1889 (1).

 

Boite de secours pour les asphyxiés (Musée National des Douanes)

 

I. Contenu de la boite de secours

 

 

Les objets nécessaires à la réanimation étaient énumérés sur une liste imprimée, collée à l’intérieur du couvercle, et ventilés en une vingtaine de rubriques (vraisemblablement 24 sur deux colonnes de 12) mais actuellement 17 rubriques seulement restent lisibles et les rubriques 18 et 19 ne sont que suggérées par leur numéro d’ordre.

 

1. – 1 paire de ciseaux longs et mousses (2)
2. – 1 peignoir de laine avec sachet conservateur
3. – I bonnet de laine
4. 2 frottoirs de laine
5. – 2 brosses de crin
6. – 1 cafetière à esprit-de-vin ou caléfacteur
7. – 1 lampe à esprit-de-vin
8. – 1 flacon de fer-blanc pour 1/2 litre d’esprit-de-vin
9. – 1 gobelet en étain
10. – 1 cuiller en fer étamé
11. – 1 bassinoire à eau bouillante
12. – 1 marteau
13. – 1 paquet de plumes
14. – 1 seringue à longue canule avec robinet à double effet
15. – 2 bouteilles d’osier remplies d’eau-de-vie camphrée
16. – 1 flacon d’eau de mélisse
17. – 1 flacon de vinaigre fort
18. (illisible)
19. – (illisible)

 

Si l’on se réfère aux éléments exposés, la boîte de Bordeaux est malheureusement incomplète : manquent la lampe à esprit-de-vin et la bassinoire à eau bouillante.

 

Quant aux rubriques 18 à 24, elles devaient concerner :

 

– deux flacons, l’un d’alcali, l’autre d’eau-de-vie,
– des paquets de sel,
– un boîtier métallique contenant des allumettes,
– un lot de bandes Velpeau,
– une éponge,
– une tige de fer (?).

 

Par contre, a été retrouvé dans la boîte exposée un sachet contenant du soufre.

 

 

II. Règles d’utilisation de la boite de secours

 

 

Avant la lecture des « Instructions pour les postes de sauvetage… » (3), les avis étaient pour le moins hésitants ou contradictoires quant à l’utilisation et à l’utilité de certains instruments. L’instruction sur l’emploi des divers objets contenus dans la boîte, rédigée par les soins du Comité Consultatif d’Hygiène Publique, apporte tous les éclaircissements souhaités :

 

« 1 » Au moment où le noyé vient d’être retiré de l’eau, il faut le placer sur le ventre, la tête pendant un peu sur le bord d’un brancard ou d’une table, d’une fenêtre, d’un plancher, de façon qu’elle soit un peu plus basse que les pieds, ouvrir la bouche avec le manche de la cuiller de fer ou simplement avec le manche d’un couteau ou un morceau de bois quelconque et attirer la langue au-dehors (4) ; maintenir le corps dans cette position pendant quelques secondes seulement, ou un peu plus longtemps s’il continue à s’écouler de l’eau par les narines et par la bouche. On pressera une ou deux fois sur le dos pour faciliter cet écoulement, et chatouillera le fond de la gorge avec la plume.

 

Le corps sera ensuite replacé sur le côté.

 

« 2 » Les vêtements seront enlevés rapidement et coupés à l’aide des ciseaux.

 

« 3 » Le corps sera immédiatement enveloppé dans le peignoir de laine, la tête recouverte du bonnet et fortement essuyée.

 

« 4 » On fera bouillir de l’eau dans la cafetière au moyen d’esprit-de-vin versé dans la rigole inférieure.

 

« 5 » Dès que l’eau sera chaude, on la versera dans la bassinoire, que l’on promènera, par-dessus le peignoir de laine, sur la poitrine, le ventre et les membres.

 

« 6 » Avant ces premiers soins, destinés à réchauffer la surface du corps, on cherchera à rétablir la respiration de la manière suivante : le corps reposant sur le dos, on place sous les épaules un solide coussin ou tout autre support du même genre ; la tête est mise en ligne droite avec le tronc. On attire la langue un peu en dehors de la bouche, on élève les bras à peu près jusqu’à leur rencontre avec la tête, puis l’opérateur les saisit un peu au-dessus du coude, les élève d’un seul coup, puis les ramène d’abord doucement, puis avec force, le long du tronc.

 

Immédiatement après, il exerce avec les deux mains une pression modérée sur le devant de la poitrine. Ces mouvements doivent être répétés douze à quinze fois par minute ; ils ont pour effet de faire entrer et sortir l’air alternativement par suite de la dilatation et du resserrement de la poitrine.

 

« 7 » On maintiendra la température du corps et on excitera la circulation par des frictions faites sur les membres inférieurs avec les frottoirs de laine et les brosses. On brossera doucement, mais longtemps, la plante des pieds ainsi que le creux des mains. On peut imbiber les frottoirs d’eau-de-vie camphrée ou de vinaigre.

 

« 8 » S’il ne survient pas d’efforts respiratoires naturels après l’essai répété des moyens précédents, on cherchera à les provoquer en passant sur tout le corps l’éponge mouillée d’eau très chaude et en appliquant, à cinq ou six reprises, au niveau des dernières côtes et de manière à former une sorte de ceinture à la base de la poitrine, le marteau préalablement plongé dans l’eau bouillante. Chaque application ne durera pas plus de quelques secondes. On peut, en même temps, appliquer sur le devant de la poitrine un linge imbibé d’alcali.

 

« 9 » De temps en temps, on doit varier la position du corps et le replacer sur le ventre, la tête pendante, pour favoriser l’écoulement de l’eau, en même temps qu’on excite avec la barbe des plumes l’intérieur de la gorge et que l’on promène sous le nez le flacon d’alcali.

 

« 10 » Si le noyé donne quelques signes de vie, c’est-à-dire s’il se réchauffe et reprend un peu de couleurs, mais que la respiration tarde à s’établir, si surtout le ventre est tendu et semble gêner le jeu de la poitrine, il faut remplir la seringue d’un demi-litre d’eau tiède dans lequel on aura fait dissoudre la moitié d’un des paquets de sel, et l’administrer en lavement.

 

« 11 » Lorsque la respiration est rétablie et dès que la connaissance est revenue, on fait avaler une cuillerée d’eau de mélisse pure ou d’eau-de-vie ou même d’eau-de-vie camphrée et plus tard un demi-verre de vin chaud ou de grog.

 

« 12 » Quand le noyé est revenu à vie, il faut le coucher dans un lit bassiné et l’y laisser dans le repos le plus complet.

 

« 13 » Si cependant, au lieu de s’endormir avec calme, il s’agite, si la respiration s’embarrasse de nouveau, si son visage devient très rouge, de pâle qu’il était, s’il ne se laisse pas réveiller, il faut recourir, comme on l’a fait déjà, au lavement d’eau salée et à l’application des compresses imbibées d’alcali en dedans des cuisses et aux mollets, peut-être même au marteau chauffé dans l’eau bouillante (1).

 

« 14 » Les secours dont il vient d’être parlé doivent être administrés activement et énergiquement, mais sans précipitation, par cinq ou six personnes au plus. Un plus grand nombre ne pourrait que gêner ou nuire.

 

« 15 » Ils doivent être recontinués avec une infatigable persévérance pendant plusieurs heures. Le succès est à ce prix.

 

« 16 » Enfin il ne faut pas se laisser arrêter par l’état de mort apparente dans lequel les individus peuvent se trouver au moment où on les retire de l’eau : la couleur rouge, violette ou noire du visage, la lividité, le froid du corps, la froideur des membres ne sont pas toujours de signes certains de mort, et l’humanité commande de tenter, dans tous les cas, de rappeler à la vie même ceux qui auraient fait dans l’eau un séjour prolongé.

 

(1) Il est bien entendu que l’on aura fait prévenir, dès le début de l’accident, un médecin qui dirigera les soins ultérieurs et appréciera s’il y a lieu de recourir à la saignée.

 

 

Par la suite, les boîtes de secours, désormais appelées « boîtes de secours pour les noyés et asphyxiés », ont été complétées par :

 

—un double levier,
—deux vessies,
—deux chemises de laine à cordons,
—une couverture,
—une canule munie d’un petit soufflet, propre à être
introduite dans les narines,
—un soufflet,
—un petit miroir,
—une seringue ordinaire complète,
— deux bandes à saigner,
—une petite boîte contenant des paquets d’émétique,
—des compresses et de la charpie,
—un nouet de soufre et de camphre pour la conservation
des objets en laine,
—500 g de séné et 1 kg de sulfate de magnésie.

 

 

III. La pratique douanière

 

 

Un accord intervenu entre la Société Centrale de Sauvetage des Naufragés et la Direction Générale des Douanes aboutit à une instruction co-signée par l’administrateur délégué Doré et le directeur général Amé.

 

Elle prévoyait (article 3) que « les officiers des Douanes sont chargés de la surveillance des stations (c’est-à-dire des postes de secours établis sur le littoral par la Société).

 

Ils doivent se mettre, le plus promptement possible, au courant de la manœuvre de chacun des engins, afin de pouvoir instruire et diriger les hommes de leur division ».

 

Le dépouillement des quelques registres d’évènements conservés au Centre de Documentation de Bordeaux n’a permis de découvrir qu’u seul témoignage sur l’application de l’Instruction sur les soins à donner aux naufragés.

 

C’est ainsi qu’à la date du 7 février 1902 le lieutenant E. Rietsch, de la brigade de Courseulles (direction de Rouen) rendait compte d’une chute à l’eau » en ces ter- mes : « Dans la nuit du 6 au 7 février courant, le sieur Alphonse Anne est tombé accidentellement dans l’avant-port.

 

Les hommes de l’équipage du bateau de pêche Assomption, aidés du brigadier Cronin et du préposé Lepaon, de service sur le port, l’ont retiré environ 10 minutes après la chute à l’eau. Malgré les soins dévoués qui lui ont été pratiqués pendant près de deux heures, tractions rythmées de la langue et frictions énergiques, ce malheureux n’a pu être ramené à la vie. J’ajoute que les soins ont été donnés par nos deux agents pré cités et par le docteur Tourmente (5).

 

 

Michel Boyé  et Nelly Coudier

 

 


 

Notes :

 

(I) La Société Centrale de Sauvetage a été créée en 1865. Un livret l' »Instructions pour les postes de sauvetage de troisième classe et sur les soins à donner aux naufragés », datant de 1878, fait référence à une boîte de secours du même type que celle de Bordeaux alors que « L’Officine ou répertoire général de pharmacie pratique » (édition 1889) donne la composition d’une boîte de secours plus élaborée.
(2) Terme technique signifiant : qui n’est pas aigu, qui n’est pas tranchant.
(3) Centre de documentation, FA 2385 (ed. 1878), FA 2886 (ed. 1888).
(4) La difficulté dans certains cas de tirer la langue de la victime a conduit par la suite à équiper les postes de secours de pinces-tire-langue dont le Musée détient deux exemplaires.
(5) C.D.H., AR 28, p. 25 (verso).

 

 


 

Les cahiers des douanes

 

N° 114

 

Juillet 1993

 

 


 

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