Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

Inauguration de l’École de Montbéliard : le discours du chef de cabinet du Ministre (2)

Mis en ligne le 1 avril 2019

L’inauguration des nouvelles installations de l’École des préposés à Montbéliard et les cérémonies de la remise du drapeau des Bataillons de douaniers se sont déroulées le 15 décembre 1951, sous la présidence de Monsieur Véron1, Chef de Cabinet du Ministre du Budget, et de M. Degois, Directeur Général des Douanes et Droits Indirects.

Discours de M. Robert Véron, chef de cabinet du ministre du Budget Pierre Courant

Messieurs les Parlementaires, Monsieur le Sous-Préfet,

Monsieur le Directeur Général, Mon Général,

Mesdames et Messieurs, Mes Chers Amis,

Je représente aujourd’hui, parmi vous, le Gouvernement de la République Française, au nom de Monsieur le Ministre du Budget.

Appelé à des tâches lourds, difficiles, souvent ingrates, M. le Ministre se faisait à la fois un devoir et une joie de présider cette cérémonie, quand, en fin de matinée d’hier, un coup de téléphone de M. le Président du Conseil l’invita, d’une façon courtoise mais formelle, à demeurer à Paris aujourd’hui. La gravité des décisions qui doivent être prises dans les conseils ministériels de ce jour2 ne permettait pas à M. Pierre Courant3 de tenir l’engagement qu’il avait pris, dès longtemps, vis-à-vis de votre Directeur Général et de vous-mêmes. J’ai donc le devoir de vous apporter aujourd’hui, avec ses regrets, ses encouragements personnels et le salut du Gouvernement.

Qu’il me soit permis – puisque nous sommes dans une École – de vous donner, en son nom, quelques consignes. Vous avez rappelé, tout à l’heure, M. le Directeur Général, les fastes historiques et glorieux qui sont inscrits sur le Drapeau des Bataillons de Douaniers. Il semble, en effet, que le premier devoir du Douanier soit de développer en lui le sentiment de l’Honneur et le sentiment du Devoir. Le mot « préposé » a un sens : c’est celui qui est placé devant. Vous avez rappelé qu’en cas d’hostilités le Douanier était le premier à recevoir les coups de l’ennemi et à les lui rendre : c’est vrai ; et le martyrologe des victimes de guerre dans la Douane Française est suffisamment long pour qu’il soit inutile d’y insister. Mais, en temps de paix, la tâche, pour être moins périlleuse, n’en est pas moins difficile et, parfois aussi, il faut bien le dire, pleine de dangers. Les veilles de nuit, les longues randonnées le long de la frontière, par tous les temps, sous toutes les latitudes, dans l’Union Française, tout ceci demande des qualités de dévouement à la Chose Publique que vous avez justement évoquées. Et, si la Douane française possède un drapeau, si elle possède un uniforme, c’est sûrement parce qu’il lui appartient de nourrir en elle des vertus militaires. J’insiste donc, Messieurs, pour que, bien qu’appartenant à un Corps rattaché à un Ministère que l’on qualifie de civil, vous développiez spécialement en vous ce sens de l’Honneur, ce sens du Devoir.

Mais, il est d’autres qualités qui sont requises pour faire un bon Douanier : il y faut de l’endurance, il y faut du courage, du courage physique. C’est pourquoi le programme de cette École comprend justement une éducation physique dans le sens plein du terme. Il ne suffit pas, en effet, d’avoir le goût du risque, comme vous le rappeliez il y a un instant, M. le Directeur Général, pour pouvoir assumer pleinement la charge qui incombe à un Préposé des Douanes, encore faut-il le pouvoir, faut-il en avoir la force physique. C’est donc pour vous, mes chers amis, un devoir de développer en vous cette résistance du corps aux tâches de jour et de nuit, aux intempéries, aux veilles, aux poursuites.

Enfin, vous rappeliez, M. le Directeur Général, que la contrebande invente chaque jour des moyens nouveaux ; que la tâche de la Douane s’est singulièrement accrue et surtout compliquée. Il importe donc que soit développée, chez le Douanier, la compétence. Le temps est désormais révolu où le Douanier n’avait qu’à poursuivre une ou deux marchandises facilement identifiables, comme le sel. Actuellement, le commerce international est en voie, du moins nous l’espérons, de reprise, d’extension, en voie aussi de complication. Les questions monétaires et financières sont passées du domaine des Bureaux et des Techniciens de la rue de Rivoli jusque dans les Bureaux de Douane à la frontière. Le Douanier est actuellement au service de la monnaie française et non plus seulement à la surveillance, je dirai, matérielle de la frontière. Il importe que vous soyez pénétrés – à quelque poste que vous soyez affectés – que vous faites partie d’un grand organisme qui est chargé de veiller sur l’Économie française. Il importe donc que vous accueilliez, avec le maximum d’attention et de mémoire, les enseignements d’ordre général qui vous seront donnés ; que vous développiez en vous cette compétence, et qu’en même temps, vous développiez une qualité humaine qui est particulièrement requise du Douanier : lorsqu’un étranger arrive en France, un des premiers contacts qu’il a avec notre Pays, c’est la Douane ; il importe donc que vous soyez des gens de tact ; que vous sachiez deviner à demi-mot ou parfois même au simple regard, en face de qui vous vous trouvez ; il faut savoir distinguer le fraudeur de celui qui est peut-être de bonne foi. Il faut, d’un mot, développer en vous ce que j’appellerai l’esprit de discernement.

En bref, je vous laisse ces trois consignes, au nom du Ministre : développez le sens du Devoir, développez le courage et l’endurance physique, développez l’esprit de discernement et d’intelligence.

 

Vous êtes dans une École, il faut apprendre, c’est votre premier devoir. Au cours des quatre ou cinq mois que vous allez passer ici, vous ne pourrez, certes, pas acquérir ces différentes qualités, mais les développer ; aussi bien, vos Chefs ne vous auraient pas appelés à entrer dans cette École s’ils n’avaient pas trouvé en vous, plus que des germes, des certitudes qu’elles s’y trouvaient déjà.

Il me semble par conséquent, M. le Directeur Général, qu’en remettant à cette École de Montbéliard le Drapeau des Bataillons de Douaniers, qui était déposé à l’École des Douanes de Neuilly, vous avez tablé sur l’avenir, vous avez fait un geste d’espoir. Le Ministre, le Gouvernement de la République le souhaitent, et il est sûr que cet espoir ne sera pas déçu.

Par conséquent, Messieurs, mes chers amis plutôt puisque nous travaillons tous au service de la même cause, je vous demande, assurant la garde de ce Drapeau chargé de gloire depuis déjà bien des années – vous en rappeliez l’historique, M. le Directeur Général – je vous demande de monter autour de ce Drapeau une garde active, une garde studieuse pour que vous n’ayez pas à démériter vis-à-vis de lui et pour que le Corps des Douanes, qui n’a aucune tache sur son Drapeau, demeure ce qu’il a toujours été, au service de l’Économie française, au service de la République, au service de la France.

1Robert Véron, né en 1914, est né au Creusot. Fils d’un ingénieur des établissements Schneider, il intègre l’inspection des finances après la Seconde Guerre mondiale. Il sert Pierre Coutant de 1951 à 1953 dans ses différents ministères. Adjoint au chef de l’IGF de 1954 à 1957, il devient Directeur de Cabinet d’André Monteil (secrétaire d’État aux forces armées puis ministre de la Santé publique et de la Population), avant d’intégrer les cabinets successifs de Félix Houphouët-Boigny. Chef de service, adjoint au directeur de la Comptabilité publique de 1957 à 1963, il est directeur du service des alcools de 1963 à 1979. Il est l’auteur de deux ouvrages : Le Mal dans la tragédie grecque, et Platon : une introduction à la vie de l’Esprit.

2Au début de l’année 1951, le parlement a adopté la loi de réarmement du pays, de par les tensions internationales (guerre froide, guerre de Corée, guerre d’Indochine). Augmentation de 55 % des dépenses militaires (qui passent à 1 250 milliards). La loi établit de nouveaux prélèvements estimés à 140 milliards de francs et des coupes de 110 milliards de francs dans les dépenses d’investissements. La hausse fiscale se répartit selon une hausse de 24 à 34 % du taux de l’impôt sur les sociétés, une hausse des taux de la taxe à la production de 13,5 et 4,75 % à 14,5 et 5,5 %, une majoration de 20 % de la plupart des droits d’enregistrement, ainsi qu’une majoration de 15 % des droits de douane sur les denrées coloniales et des taxes sur les produits pétroliers, une hausse de 4 points de la taxe proportionnelle de l’impôt sur le revenu des personnes physiques (de 18 à 22 %), la création d’une nouvelle taxe sur les transports routiers. (Source : Wikipédia)

3Pierre Courant (1897-1965) a été élu maire du Havre de 1947 à 1954. Il est Ministre du Budget de deux gouvernements, de 1951 à 1952 (gouvernements Pleven et Faure). En 1953, il est Ministre de la Reconstruction du gouvernement Mayer.

 

 

Article publié dans le numéro 15 du Journal de la Formation Professionnelle (janvier 1952)
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