Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

Horizon 93 : craintes et nostalgie

Mis en ligne le 1 novembre 2023

 

C’est à Michèle Poulain, organisatrice du concours autobiographique « Pour la mémoire des douanes  » en 2000 et dont elle a rassemblé et commenté les  morceaux choisis (*), que nous laisserons le soin de présenter ces extraits dédiés au « grand tournant européen de 1993 ». Henry Dhumeau est l’auteur des deux témoignages sélectionnés.

 

L’équipe de rédaction

 

 


(*) Tous nos remerciements  à l’IGPDE – Comité pour l’histoire économique et financière de la France pour leur aimable autorisationsde reproduction des extraits de l’ouvrage «  De la penthière aux nouvelles frontières » Récits autobiographiques de douaniers, 1937-1996_ », Morceaux choisis et commentés par Michèle Poulain, IGPDE – Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2012, plus de renseignements sur: https://emea01

 

C’est, en effet, la signature de l’Acte unique, le 27 février 1986, qui fixe la date butoir du 1er janvier 1993 pour l’ouverture d’un grand marché intérieur européen devant permettre la circulation des hommes, des marchandises, et in fine des capitaux et des services dans les pays de la Communauté. C’est elle qui met sur rails la levée des frontières entre ces Etats. 

 

Quel événement pour les douaniers ! Quels horizons vont s’ouvrir à leur destinée ? Ont-ils encore un avenir dans leur administration ? Les langues se délient… Les conversations vont bon train dans les bureaux et sur le terrain… L’heure est au questionnement. Chacun s’interroge sur le futur, sur ses propres missions, sur son devenir…

 

Une foule de sentiments sont ressentis dans ce contexte. Les réactions divergent selon les sensibilités, les caractères, mais aussi les situations personnelles. (…) Mais, par-dessus tout, c’est l’inquiétude qui s’empare des esprits ! (…) 

 

La crainte la plus grande est assurément la fermeture des services suivie de l’inévitable réduction des effectifs. La perte de l’emploi est une menace douloureuse pour les familles, pour l’agent qui vient d’acquérir un logement, pour son conjoint qui travaille sur place, ou à proximité, ou encore de l’autre côté de la frontière. Certes, les licenciements ne sont pas de mise dans l’Administration. Mais les reconversions ne sont pas faciles, II faut faire le bon choix avant d’être contraints à accepter une mutation d’office. Les réactions sont alors vives parmi les personnels et les grèves déclenchées. Les responsables entament des discussions avec les syndicats, cherchent des postes dans les autres administrations pour reclasser leurs agents Ils cherchent à réorganiser leurs services de la manière la plus sereine possible. (…) 

 

Michèle Poulain

 

 


 

La crainte de l’inévitable réduction des effectifs

 

 

Pour l’instant, je suis immédiatement happé par l’actualité douanière, car toute une série de réunions paritaires m’attend pour mettre au point la réorganisation de la circonscription régionale. Nous arrivons en effet, au temps des vicissitudes I’administration des Douanes qui est confrontée à l’achèvement de la communauté européenne. La frontière intérieure de la Communauté, en Lorraine par exemple est effacée par la mise en place de la libre circulation des personnes et des biens avec nos voisins belges, luxembourgeois ou allemands. 

 

Sans frontière à garder la raison d’exister de la Douane s’effondre et sa présence doit être remise en cause. Les bureaux frontières perdent tout leur trafic de passage et doivent se contenter des échanges à l’arrivée ou au départ de leur secteur géographique ; les voilà ravalés au rang de bureaux de l’intérieur. [..] La purge est sévère car le bureau de Mont-Saint-Martin, par exemple, doit passer de 25 agents environ à 5 employés pour traiter le trafic restant. Les transitaires professionnels aussi perdent l’essentiel de leur activité dans la disparition de l’arrêt quasi obligé à la frontière. 

 

L’émotion est grande partout dans les milieux économiques locaux qui suivent avec attention ce qui se passe dans I’Administration. Les maires des communes frontalières n’ont jamais autant défendu la présence de leurs douaniers.

 

Comment persuader les agents en place de la nécessité du retrait de plus de la moitié des effectifs? Et encore les brigades de surveillance sont relativement épargnées pour l’instant, mais personne ne se fait d’illusions sur l’avenir. Les réactions sont vives dans le personnel et les grèves motivées par les situations particulières difficiles se multiplient. 

 

Les discussions avec les représentants syndicaux restent ouvertes et me paraissent relativement faciles après mon expérience marseillaise. Je consacre une bonne partie de mes efforts à démarcher les diverses administrations pour recueillir les possibilités de reclassement des agents. Les collègues des autres administrations financières font bon accueil, même s’ils n’ont pas grand chose à offrir. Les administrations territoriales, par contre, sont partagées selon leur appartenance politique, sur leur aide au reclassement des agents : tout dépend de leur ligne proche ou opposée au gouvernement. En tout état de cause, la moisson n’est pas fructueuse car la Lorraine est déjà en pleine crise sociale après la fermeture des mines et la disparition d’une bonne partie de la métallurgie. Tous les services publics sont excédentaires et ont du mal à ramener leurs effectifs à l’équilibre. 

 

Devant les propositions de reconversion que je recueille, les choix des agents sont quelquefois douloureux : certains acceptent de changer d’administration pour rester sur place; d’autres quittent la frontière pour rester en douane ; d’autres encore précipitent un peu leurs retraites. Ceux qui choisissent de passer dans les brigades de surveillance en uniforme à la même résidence ne sont pas fort encouragés ; ce n’est que reculer l’échéance, car ils risquent d’être rattrapés un jour par les réductions de personnel. Mais que faire des douaniers qui viennent d’acquérir leurs maisons ? Pire, de ceux dont le conjoint travaille de l’autre côté de la frontière ?  Au bout d’un an, les cas les plus difficiles se sont réduits à quelques-uns qu’un délai supplémentaire permet de conserver provisoirement. L’atmosphère est souvent tendue dans les services de la frontière qui deviennent la bouée à laquelle tous essaient de s’attacher encore.

 

La nostalgie

 

La frontière nationale est-elle condamnée avec la mondialisation grandissante ? Nous n’en sommes pas encore là, mais l’administration des Douanes a d’ores et déjà perdu une bonne part de son importance dans l’affaire.

 

Douane et frontière étaient inséparables jusque-là dans l’opinion publique et une route de vacances sans douaniers est une image sans relief. Comment remplacerons-nous cette merveilleuse source d’anecdotes de vacances au retour de nos voyages chez nos voisins européens ? La présence des services douaniers, limitée aux ports et aéroports de la frontière de la Communauté européenne, n’a plus la même saveur.

 

Henri Dhumeau

 


 

Mémoire

De la penthière aux nouvelles frontières

Récits autobiographiques de douaniers, 1937-1996

Morceaux choisis et commentés par Michèle Poulain

IGPDE

Comité pour l’histoire économique et financière de la France (CHEFF)

2012

 

 

 

 


 

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