Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

Historique des débuts de la douane en Corse – 1768

Mis en ligne le 18 mars 2018

Lorsque conformément aux dispositions du traité de Versailles conclu le 15 mai 1768 avec la sérénissime République de Gênes, le Roi Louis XV aura pris possession de l’île de Corse pour y assurer « l’exercice de la souveraineté entier et absolu », il convenait en tout premier lieu de rétablir l’ordre, de mettre fin aux troubles, afin « que la nation Corse acquière les avantages du rétablissement de la paix dans l’intérieur du son pays ». Ensuite, il importait d’asseoir l’organisation administrative de manière à assurer la justice, la police générale, la finance au nom du Roi.

L’article XV du traité fait d’ailleurs précisément référence à notre propos en soulignant : « Sa Majesté établira en Corse, aussi longtemps que les places, forts et terres de l’île se trouveront sous domination, les droits de gabelle et d’aides et en général tous les droits de ses fermes générales, ainsi que les impositions qu’elle jugera convenable… ». La démarche pouvait se concevoir de la manière la plus simple qui soit, et qui n’aurait nécessité aucun effort d’imagination, en plaquant sur la nouvelle région où s’exerçait désormais la souveraineté royale, les structures et les moyens d’opérer utilisés dans l’ensemble du royaume.

Ce ne fut pas la voie choisie et cette attitude s’explique par au moins deux motifs principaux :

-le Roi et ses Ministres, notamment Choiseul, étaient animés du souci, non contesté par l’histoire, de gérer la Corse avec le minimum de contrainte pour ses habitants qu’il convenait de séduire plutôt que de heurter. A cet égard il paraissait plus judicieux de maintenir en partie l’organisation administrative telle qu’elle existait localement, plutôt que d’instaurer en Corse ce que connaissaient les autres États du Royaume. Ceci était aussi vrai en matière de justice qu’en matière fiscale.

-en outre, nous sommes au siècle des lumières d’où naît un foisonnement d’idées et de théories notamment en matière économique. La tentation est alors naturelle de vouloir faire du neuf, d’utiliser à certains égards l’Ile comme « laboratoire » des idées nouvelles et de rechercher un système plus souple et mieux accepté que celui de la Ferme générale dont l’impopularité ira croissante jusqu’à son abolition après la Révolution de 1789.

Dès lors l’organisation des administrations fiscales et Douanières ne pouvait que se distinguer du reste du royaume et revêtir en Corse un caractère original marqué. Les impôts et droits de Douane n’étant pas affermés, il convenait d’en assurer la perception à travers les canaux de l’Administration monarchique, organisés en régie des domaines, droits et revenus royaux.

Le personnage clé de qui dépend tout particulièrement l’ensemble du domaine du Roi est l’Intendant, il supervise notamment le recouvrement de toutes les impositions : la régie lui est confiée. L’intendant, dont la charge est particulièrement lourde et la puissance redoutée, a pour collaborateurs un subdélégué général, homme de confiance assurant éventuellement les fonctions en son absence et un certain nombre de subdélégués qui sont ses représentants locaux et a qui appartiennent-les contrôles au premier degré des impositions et de la bonne marche des services dans les différents bureaux. Les deux premiers, Chardon et de Colla de Pradines, dont les séjours respectifs s’étaleront de 1768 à 1771 et de 1771-1775, auront la tâche ingrate d’innover pour mettre la machine sur les rails. Ensuite leur succédera Bertrand de Boucheporn, qui au cours d’une longue gestion (1775-1785) accompagnera les efforts de Marbeuf, Commandant en Chef du Roi pour développer l’économie de l’île. Enfin La Guillaumye succèdera à de Boucheporn jusqu’au 22 décembre 1789 date à laquelle la fonction d’Intendant est supprimée, l’organisation Monarchique cédant le pas aux réformes administratives déclenchées par la Révolution.

Quelle était la situation que rencontra le premier Intendant en 1768 lorsqu’il eut à se pencher sur la réglementation du commerce extérieur, à décider de la situation de la Corse vis-à-vis de la France à cet égard, à fixer les droits de Douane et à en assurer la perception ?

Le régime mis en place par Paoli pour contester la juridiction génoise sur l’Ile présentait des caractéristiques démocratiques et populaires encore inconnues en Europe dont les mérites ont été salués notamment par Voltaire et Rousseau. L’une des pièces maîtresses de l’organisation politique était la Consulte Générale, assemblée élue à deux degrés par tous les Corses âgés de plus de 25 ans. C’était elle qui était compétente pour fixer le régime des échanges commerciaux et de déterminer le niveau des droits de Douane qui pouvait leur être appliqué. C’est aussi auprès de cette Assemblée représentative de l’Ile que le Comte de Vaux, Commissaire du Roi en Corse de 1768 à 1770, se propose d’évoquer l’organisation administrative, les mesures économiques et fiscales qu’il convient d’arrêter en Corse. Pour ce faire, il rédige à l’attention des Ministres et du Roi un mémoire (Archives Nationales K1226), fruit de ses réflexions en la matière. Il y évoque notamment la fiscalité, en soulignant la nécessité d’y apporter de profondes réformes car « les recouvrements sont tout au plus suffisants pour payer les gages des employés ».

Par ailleurs « l’île n’exporte que de l’huile mal préparée, du bois de sapin et du corail, le tout ne dépassant pas 100.000 écus. C’est sur cette exportation et sur les entrées des étoffes et autres marchandises de luxe qu’il sera possible au Roi d’établir en Corse quelques revenus. Ces droits qui sont de 50.000 livres, doubleront chaque année lorsque les communications seront facilitées avec l’intérieur » (Cf. Louis VILLAT, la Corse de 1768 à 1789).

En fait, le pouvoir royal promulguera trois tarifs douaniers en 16 ans ce qui marque le souci évident des questions économiques relatives à la Corse, la volonté d’y modifier les choses en ce domaine. Incontestablement cette démarche tâtonnante et mesurée, ces remises en question, ces modifications de l’état des choses par touches successives soulignent aussi que la matière n’est pas simple dans la mesure où il convient de rechercher la possible conciliation de plusieurs objectifs.

Le tarif des Douanes

1) L’Ordonnance du 24.12.1768

 

Ce double souci, fréquemment souhaité par les administrateurs de toute époque, de tenter de ménager le volet fiscal et le volet économique du tarif des Douanes, en assurant d’une part la perception de l’impôt et d’autre part en recherchant les moyens de soutenir la production locale, ne tarde pas à se concrétiser dans les textes. Guère plus de sept mois après le Traité de Versailles, la première ordonnance royale concernant le sujet est publiée : l’Ordonnance concernant les droits du Roi dans l’Ile de Corse est datée du 24 décembre 1768 (Cette ordonnance figure au Code Corse, tome 1er page 163 – Archives départementales).

Son préambule en défini l’esprit :

« Les sentiments de bonté paternelle dont le Roi est animé pour les sujets de l’Ile de Corse, ayant déterminé Sa Majesté à nous ordonner de ne rien négliger de ce qui pourrait dépendre de nous pour procurer leur bonheur et favoriser leur industrie et leur commerce, nous avons jugé qu’un des objets les plus importants dont nous puissions nous occuper, était de prescrire des règles justes et stables, tant pour l’importation et l’exportation des denrées et marchandises, que pour le paiement des droits d’entrée et de sortie auxquels elles devront être assujetties.

C’est dans la vue de remplir les intentions bienfaisantes de Sa Majesté, que nous étant fait rendre compte de ce qui s’est pratiqué jusqu’à présent à cet égard, nous avons jugé que si plusieurs objets de consommation pouvaient sans inconvénient continuer à payer les droits ci-devant établis, il en était d’autres sur lesquels il était nécessaire de les diminuer Considérablement vu les ressources que leur travail procure aux habitants ; quelques-uns même qu’il serait avantageux d’en exempter absolument quant à présent ; A ces causes et en vertu du pouvoir à nous donné par Majesté, nous ordonnons ce qui suit… ».

En signant ce relevé d’intentions, l’intendant Daniel, Marc, Antoine Chardon résume parfaitement et avec l’élégance du temps la politique à suivre : ne pas rompre avec le passé et assurer les rentrées fiscales, l’infléchir afin d’aider la production locale. Force est de reconnaître que la protection des produits Corses relève plus du vœu pieux que des dispositions inscrites dans le texte. Il est vrai, que si l’on en croit le Comte de Vaux cela représentait comme nous l’avons indiqué, fort peu de chose « ne dépassant pas 100.000 écus ». L’une des raisons de cette situation est à rechercher dans l’attitude de la Sérinissime République de Gênes qui, si elle ne dédaignait pas de capter à son profit quelques produits agricoles locaux (vins, huile, blé, lorsque la récolte le permettait), était pour le moins aussi intéressée à vendre aux corses les produits manufacturés dont elle faisait commerce, qu’à tenter de faire naître et à protéger une production locale.

A travers son premier tarif Douanier la France de Louis XV ne s’écarte guère de cette politique que l’on peut résumer, suivant ce texte, en deux préoccupations :

  • ne pas entraver la circulation des denrées comestibles, afin d’assurer les approvisionnements et ne pas aggraver les risques de disette qui ne pourraient qu’entretenir et développer le mécontentement, obstacle supplémentaire et de taille à une rapide assimilation que souhaite le Roi. Aussi l’exemption des droits d’entrée est accordée à toutes les denrées comestibles quelque soient leur origine et le pavillon des bâtiments assurant leur transport, à l’exception du sel sur qui pèse la gabelle.

  • Accorder un avantage aux échanges en provenance ou à destination de la France et au pavillon français :les draperies, étoffes de laine et de soie, la bonneterie, toilerie, toiles peintes et le savon, seront exemptes de droit si elles remplissent ces conditions mais acquitteront 15 % si elles proviennent de l’étranger.La réciproque était vraie à la sortie de Corse vers le continent, mais gageons que peu de ces produits étaient fabriqués localement.Par contre, toutes les autres marchandises étaient frappées d’un droit de 7 % à l’entrée quelque soit leur origine.A la sortie les quotités anciennes en vigueur jusque là étaient maintenues avec néanmoins une réduction de moitié, non négligeables, dans les échanges vers la France.

Ce tarif est donc des plus simples : à l’évidence il convenait de parer au plus pressé en marquant rapidement le changement d’autorité et en amorçant le renversement des courants commerciaux en faveur de la nouvelle puissance en place.

On peut noter néanmoins que ce tarif des Douanes revêt un caractère moderne dans la mesure où les droits ne sont pas spécifiques mais exprimés ad valorem à l’exception des droits sur la « matière de la minière de feu » ainsi que tous les fers fabriqués, qui restent frappés de 120 livres par quintal, le droit pour les importations en provenance de France de ces produits étant traduit en « 7 % sur l’estimation de quatre cents livres de Gênes le quintal » ce qui traduit l’avantage tout à fait protectionniste qui est ainsi accordé à cette matière première.

2) L’Ordonnance du 14.12.1771 (Code Corse tome II)

Trois ans se sont écoulés essentiellement occupés à organiser la nouvelle province. L’Intendant n’est plus Chardon, mais Colla de Pradine qui le 14.12.1771 signe le nouveau tarif annulant le premier.

L’exposé des motifs confirme et appuie les intentions déjà déclarées auparavant : faciliter le commerce notamment en exemptant de tout droit le cabotage autour de faire en sorte que « l’exportation des denrées du cru de l’Isle soit très favorisée » et naturellement que les marchandises introduites en Corse « soient toutes entières à l’avantage de la Nation, au moyen de la distinction qui sera faite pour la fixation de ces droits, selon le lieu d’où viendront ces marchandises et denrées et suivant le pavillon sous lequel l’importation s’en fera ».

Ce nouveau tarif est tout aussi simple que le premier, il marque néanmoins une certaine évolution : le risque de disette semble estompé : dans le domaine de l’alimentation on ne prévoit plus que le manque éventuel de grains, récolte trop souvent soumise aux aléas climatiques. Aussi dorénavant seuls les blés, seigles de toute sorte de gros et menus grains, mais à l’exception des farines et des pâtes, sont exempts quelque soit leur origine. Néanmoins en cas de surproduction, l’expédition vers la France est favorisée, elle n’acquittera que 2 % de droit de sortie contre 15 % pour les exportations vers l’étranger. En dehors des grains, il n’est établi qu’une seule taxation à l’importation pour toutes les marchandises, qu’il s’agisse de comestibles ou d’objets manufacturés : elles paieront 7,5 % si elles sont d’origine française et transportées sous ce pavillon, le double soit 15 % si elles sont d’origine étrangères y compris celles qui proviennent du port franc de Marseille.

La différence est donc bien nette, il convient d’accentuer la pression en faveur des marchandises françaises.

A contrario la volonté exprimée d’aider à l’exportation des produits corses est marquée par la fixation d’un droit de sortie très modeste qui ne pèsera pas trop sur le coût des denrées locales : il est fixé uniformément à 2 % pour toute destination et ce pour la très grande majorité des produits.

Seuls échappent à cette règle :

  • les bois de mâture, de construction de charpente, de chauffage, le goudron, le fer sous toutes ses formes, matériaux dont la sortie est prohibée, s’agissant de matériel « stratégique », mais qui doivent acquitter 15.% de taxe à destination de la France. Le niveau élevé de cette taxation permet de penser à un essai de favoriser la mise en œuvre en Corse de ces produits afin d’épauler une industrie locale possible, le bois notamment étant en quantité et en qualité dans les forêts de l’Ile.
  • Pour les produits agricoles tels que huile, soie, cire et miel, le droit de sortie est de 2 % vers la France, 15 % vers l’étranger, le souci est évident d’orienter ces productions de qualité vers le marché français.
  • Les vins et châtaignes par contre sont frappés uniformément de 7,5 % à la sortie pour toute destination.

Ainsi ce tarif reste encore timide en tant qu’instrument de politique économique, les tendances se confirment et se précisent néanmoins pour rattacher l’économie corse à l’économie française et pour aider, même Modestement, l’exportation de quelques productions locales.

3) L’Ordonnance du 12 mai 1784 (Code Corse tome V)

A cette date, la France est présente et administre la Corse depuis 16 ans.

13 ans se sont écoulés depuis le dernier texte en matière douanière et depuis 1775 l’Intendant de Boucheporn travaille avec vigueur pour traduire concrètement la pensée et les efforts du Commissaire du Roi, le breton Louis-Charles-Rémi Comte de Marbeuf, pour assurer le redressement économique de la Corse.

Le Comte de Marbeuf a beaucoup insisté dans ses mémoires (Archives Nationales K 1226) adressés au Roi et à ses ministres sur cette nécessité du développement économique de la Corse, maintenant que la paix est instaurée. Grand administrateur qui n’est pas toujours écouté à Paris avec l’attention nécessaire à faire prévaloir ses vues, il a vite compris que l’essor économique de l’île est le garant de son attachement solide au royaume et use de toute son influence pour faire partager son point de vue, sans oublier de souligner que la richesse de la Corse ne peut que se traduire par des rentrées d’argent, bien aléatoires jusqu’ici, au profit du trésor royal.

Par ailleurs ses arguments se nourrissent du renouveau de la pensée économique qui exerce une influence largement répandue. Les physiocrates, et notamment Quesnay, ont suffisamment insisté sur la prépondérance des revenus de l’agriculture qui doivent irriguer tout le corps social pour que ces idées d’extension des cultures, surtout dans une terre quasiment vierge comme la Corse, se retrouvent en fait en un puissant mouvement d’idées présent chez tous les auteurs. L’auteur anonyme des mémoires d’un Officier du régiment de Picardie 1774-1777, décrit la Corse en soulignant « la dûreté des gênois cause du dépérissement de son commerce » et l’inconvénient « que ses habitants ne tirent aucun parti des productions de son cru » mais il insiste sur le fait que « cette 11e soit située, on ne peut plus avantageusement pour le commerce » et vante les avantages considérables qui pourraient être tirés de ses productions agricoles et de son bois.

L’Abbé Gaudin — futur député de la Vendée en 1791, et auteur du « Voyage en Corse et vues politiques » publié en 1787 — déplore que « les terrains délaissés se couvrirent de plantes nuisibles et d’eaux croupissantes » cause d’une insalubrité qui limite la production, mais il en propose drôlement le remède « que l’on plantoit des allées régulières d’arbres utiles qui se coupant dans tous les sens laisseroient librement circuler l’air qu’ils agiteroient par la mobilité de leur feuille, il n’est pas douteux que l’air ne fut promptement assaini ». Cette salubrité assurée il se persuade que les paysans retranchés à l’intérieur, dans les villages de montagne, descendront dans les vallées et notamment dans la plaine orientale pour mettre en valeur une terre riche et fertile dont il décrit longuement toutes les productions à venir. Les études et les rapports sont nombreux pour introduire des cultures nouvelles porteuses de prospérité : le murier et le ver à soie qui y viendraient mieux qu’en Piémont, où la France s’approvisionne à prix élevé, le lin et le chanvre pour ajouter aux matières premières de nos manufactures, le tabac dont on ne peut plus se passer, les arbres fruitiers et l’activité de pépiniériste, le coton…

A lire tous ces ouvrages savants, la Corse ne peut être que le pays de Canaan où coule le lait, le miel et bien d’autres productions de grande valeur dont rien ne devrait contrarier le développement prochain.

***

Il n’est donc pas surprenant que le nouveau tarif des Douanes publié par l’ordonnance du 12 mai 1784 reflète quelque peu une partie de ces préoccupations et de ces idées. Il présente une évolution marquée par rapport au texte de 1771, par un caractère plus développé, plus précis et en quelque sorte plus « interventionniste ».

A la vérité il ne constitue pas une rupture avec une politique antérieure ni un caractère radicalement nouveau, il se contente, dans beaucoup de ces dispositions, de codifier en un ensemble cohérent de nombreuses dispositions ponctuelles, visant tel ou tel produit, qui avaient été prises au fil des années qui séparent les deux textes : il marque une évolution lente et considérée comme aboutie plutôt qu’il ne présente un changement politique. Nous verrons d’ailleurs que ses orientations survivront à la Monarchie qui en est l’auteur. La première caractéristique qui apparaît à son examen est qu’il distingue beaucoup plus de catégories de marchandises que ne le faisaient les deux textes précédents. On y retrouve l’exemption des grains dont il convient d’assurer la plus libre circulation, tant la denrée est précieuse. Pour accentuer ce caractère vital, le nouveau tarif en prohibe lui aussi l’exportation vers l’étranger. Pour ce qui concerne les autres denrées comestibles, elles subissent à l’entrée en Corse une faible taxation lorsqu’elles proviennent du continent (5. % en général) mais un droit beaucoup plus lourd, de nature à peser sur les circuits commerciaux, lorsqu’elles sont originaires de l’étranger (15% en général mais 30% pour les vins afin de soutenir la production locale).

En dehors des dispositions relatives à l’approvisionnement direct en denrée; l’élément nouveau dans ce tarif est bien l’aide qu’il entend apporter au développement de la culture en Corse :

  • les instruments servant au labour et au moulin sont admis en franchise quel qu’en soit l’origine.
  • il en est de même des bovins dont on envisage d’augmenter les troupeaux. Les animaux de trait, les porcs, moutons et brebis qui ne font pas: défaut, sont taxés à 5 ou 15 % selon leur origine française ou étrangère. Les chèvres, par contre, qui ont mauvaise réputation, et que l’on accuse de tout détruire, ruinant l’agriculture, paieront 25 % du droit d’où qu’elles viennent.
  • Afin de favoriser les pépinières et la récolte de la soie, les arbres fruitiers et les mûriers sont admis en franchise, de plus et la décision est cohérente, les cocons de ver à soie, sont prohibés à l’exportation. Si l’on examine le cas des produits manufacturés, il semblerait que le souci de favoriser leur production dans l’Ile soit moins marqué et à cet égard il est bien difficile de se prononcer sur le point de savoir s’il s’agit d’éviter une concurrence aux établissements continentaux fournisseurs ou si les velléités ont échoué.

On peut noter néanmoins que les soudes et autres matériaux servant à la fabrication du savon sont admis en franchise : la fabrication de ce produit dans l’Ile était donc souhaitée, il en est de même pour les matériaux servant à la construction des maisons (souci de réhabiliter l’habitat ?) Le bois et les différents matériaux nécessaires à la construction navale restent prohibés à destination de l’étranger : point n’est besoin de concurrencer le pavillon ni la marine royale en fournissant à l’étranger une source d’approvisionnement.

Pour le reste qui constitue la majorité des produits fabriqués, la taxation représente 7,5 % pour les produits français, ce qui constitue une rentrée fiscale non négligeable, mais s’élève selon les produits à 20, 25 voire 30 % lorsqu’ils sont étrangers ce qui marque sans ambiguïté le souci de faire échapper le marché aux fournisseurs extérieurs à la France. Les droits de sortie vers la France sont en général relativement modestes, de 2 à 5%. Ils sont un peu plus élevés pour les matières premières produites dans l’Ile, 7,5% pour les cuirs non apprêtés, 10 à 15% pour les bois selon l’usage. En outre, dans les mois qui suivront la publication de l’ordonnance, les droits de sortie sur la cire, les chanvres, lins et toiles fabriquées seront supprimés. Par contre et toujours dans le même souci de favoriser l’échange avec la France, la quotité des droits de sortie vers l’étranger est nettement plus élevée, atteignant dans certains cas 20 et 25 %.

L’organisation du service

Dans l’organisation originale de la fiscalité en Corse, la Ferme Générale n’avait pas étendu dans l’Ile le privilège, qui lui était concédé pour l’ensemble du royaume, de percevoir les différents impôts pour le compte du Trésor Royal. Ce rôle était dévolu en Corse, pour ce qui concerne les impôts indirects, à la Régie des domaines et droits du Roi. Elle avait compétence, sous l’autorité de l’Intendant et de ses collaborateurs, pour percevoir : les taxes sur le sel et le papier timbré, les droits d’entrée et de sortie, le droit d’ancrage. Elle gérait les terres dont s’était approprié le Roi, s’assurait de la rentrée des frais de justice et de la vente des biens confisqués. Au sein de cette Régie, la Douane constituait une entité compétente en matière d’application des droits d’entrée et de sortie des marchandises, du paiement du droit d’ancrage perçu sur les navires. D’une manière toute traditionnelle, elle assurait, par conséquent le contrôle du mouvement des marchandises et la surveillance générale des côtes pour réprimer les faits éventuels de contrebande.

Néanmoins si cette compétence bien cernée était exercée par un personnel spécialisé faisant carrière dans cette branche d’activité, la Douane en tant que telle, ne constituait en rien une administration autonome, ne bénéficiant ni d’une organisation propre, ni d’une hiérarchie particulière.

Le service était totalement intégré dans la Régie qui en gérait le personnel et le matériel, lui adressait des instructions et assurait le contrôle de ses activités.On retrouve les caractéristiques de cette organisation et les modalités de son fonctionnement à la lecture du « journal de travail de l’Inspection des domaines et droits du Roi en Corse » (Arch. départementales 1 C 186 et 1 C 187 de 1778 et 1789). Ce journal est en fait le cahier d’enregistrement du courrier de l’Inspecteur, où l’objet des correspondances nous permet de préciser les compétences exercées à ce niveau. ‘Elles soulignent la dépendance complète du service des Douanes à qui n’est manifestement demandé que la simple exécution, sans pouvoir d’initiative, des instructions et décisions qui lui sont adressées.

Ainsi, en matière réglementaire, l’Inspecteur traite des demandes d’exemption des droits (essentiellement les franchises qui lui sont soumises par les différents régiments stationnés dans l’Ile, plus rarement pour le cas des marchandises en retour). Il examine les requêtes relatives à l’estimation de la valeur des marchandises, base de la taxation. Il instruit et donne les suites nécessaires aux procès verbaux dressés par le service. Il gère le matériel et le personnel. A travers sa correspondance nous apprenons qu’en 1778, les gardes des Douanes, ancêtres des brigades de surveillance, disposaient d’une felouque pour assurer la surveillance des côtes. En 1787, L’inspecteur propose à l’Intendant, l’achat d’une chaloupe ou gondole pour la Douane de Bastia « afin qu’ils puissent veiller avec plus de facilité aux embarquements et débarquements frauduleux, qui se font, tant tout le long de la côte que dans le port de Bastia ». Les brigades gardes-cotes actuelles voient ainsi consacrer l’ancienneté de leur fondation.

Pour ce qui concerne le personnel, on peut noter, parmi les correspondances diverses relatives à ce domaine, dont beaucoup ont trait au recrutement ou à la mutation des agents, une décision traitant de la pension des veuves. Le 16 mars 1787 la supplique en ce sens, de la veuve du visiteur Celani de Bonifacio est repoussée : « la pension est accordée seulement aux veuves d’employés supérieurs et l’Administration est déjà venue à son secours en lui accordant un regrat (Autorisation de revendre le sel à partir des magasins du Roi notamment dans les localités éloignées de leur implantation, à un prix de revente fixe qui permettait une rétribution minime de la charge) et la survivance de la place de son Mari à son fils ». La pension de réversion fera encore couler beaucoup d’encre avant de devenir un droit décent, mais il est vrai, l’anachronisme est une tentation permanente en matière historique.

Parmi le nom des Receveurs des Douanes qui apparaissent comme destinataires des correspondances de l’Inspecteur, certains se retrouveront encore après la révolution ainsi de Le Goff, Bessancourt, Delarossat, Stephanopolis. Le pouvoir disciplinaire exercé à leur égard permettait sans doute de ne conserver que les meilleurs, ainsi en 1771 le Receveur Vial d’Ajaccio fait l’objet d’un rapport du Subdélégué pour « avoir trouvé le même désordre dans (ses) registres et le public plus aigri et plus indisposé que jamais », il est même accusé de prévarication pour « s’être fait une: caisse d’étoffes arrivée de Gênes, sans déclaration, pour favoriser une personne de ses amies.»

L’Administration saisie de l’affaire ne tergiverse pas et fait connaître ses conclusions à l’Intendant : « … il manque d’ailleurs de l’intelligence et de l’esprit d’ordre et de sujétion… Dans ces circonstances, j’ai trouvé qu’il n’y avait plus à balancer sur le parti de le révoquer ». Ce qui fut fait.

 

La comptabilité des recettes

L’Inspecteur était également chargé d’accorder son visa aux comptes des Receveurs des différents bureaux. Ces Receveurs ne bénéficiaient pas non plus de la moindre autonomie en matière comptable. Ils étaient tous dans la situation de Receveurs subordonnés dont la comptabilité était intégrée dans les comptes du Receveur des Domaines retraçant les entrées des différentes ressources de sa circonscription appartenant au Roi, qu’il reversait appuyées des pièces comptables au Receveur Général des Domaines. Nous disposons à cet égard des comptes rendus du Receveur des Domaines d’Ajaccio recouvrant les provinces d’Ajaccio, Vico et Sartène, soit quasiment le quart Sud-Ouest de la région (Arch. Départementales I C 192 à 196).

Ce dernier, le sieur Souiris, qui cumulait sa fonction de Receveur avec celle de subdélégué de l’Intendant, exercera sa charge pendant plus de dix ans : il sera toujours subdélégué dans les mois qui suivent la Révolution, avant que l’organisation administrative nouvelle ne soit en place.

Parmi les différentes recettes que ce comptable centralisait pour sa circonscription entre 1774 et 1779, les recettes douanières dont une très forte proportion provenait d’Ajaccio, s’élevaient entre un maximum de 38.968 livres, un sol, dix deniers en 1774 et 25.360 livres en 1779. S’agissant de chiffres partiels, il est difficile de situer la progression des recettes douanières dont le Comte de Vaux estimait le niveau à 50.000 livres pour toute l’Île lors de la mise en place de l’administration royale. Sans mésestimer les recettes certainement plus élevées des autres régions, notamment du Cap et de Bastia, il est probable que son pronostic, tablant sur une progression doublant chaque année, ait été exagérément optimiste.

Les bureaux des douanes

Les premiers textes de la Monarchie ne nous éclairent pas sur le nombre, ni la localisation des bureaux de douane. L’ordonnance du 24 décembre 1768, toute de prudence, n’envisage pas de réorganisation et se contente à cet égard de préciser que « les droits continueront à être perçus tels qu’ils l’ont été jusqu’à présent ». Le nouveau tarif de 1771 est par contre plus précis dans ce domaine, en établissant une liste des bureaux des douanes où les formalités doivent avoir obligatoirement lieu sous peine de considérer « les marchandises et denrées, de contrebande, et comme telles sujettes à la confiscation ».

Les bureaux que l’on pourrait appeler « de plein exercice » où s’effectuent à la fois les opérations d’importation et d’exportation sont : Bastia, La Padulella ou La Prunetta, Aleria, Bonifacio, Ajaccio, Calvi, Algajola, l’île Rousse, Saint Florent, Nonza et Macinaggio.

En outre, sont compétents pour contrôler uniquement les opérations de sortie, les bureaux de : Foce di Golo, San Pelegrino, Porto Vecchio, Golfe de Valinco, Golfe de Sagone, de Porto, Canari, Centuri, Barcagio, Luri et Porticiolo, ce qui au total accorde une importance particulière au Cap Corse en fonction de l’activité maritime dont la région s’était fait une spécialité.

L’ordonnance du 12 mai 1784 ne modifie pas fondamentalement cette énumération si ce n’est pas quelques adjonctions et suppressions.

Au nombre des bureaux d’entrée et de sortie s’ajoutent en effet Propriano et Marbeuf (il s’agit de Cargese, dont le Commissaire du Roi avait fait un marquisat portant son nom et où il avait élevé un château depuis disparu). Aux bureaux de sortie sont ajoutés Aleria et Favone sur la côte orientale, mais sont supprimés dans le Cap : Canari, Centuri, Barcagio, Luri et Porticiolo.

Le nombre important de l’ensemble de ces bureaux, dans certains cas très voisins les uns des autres, démontre le caractère indispensable que pouvait revêtir à l’époque, en l’absence de routes, le cabotage et le transport maritime pour l’approvisionnement de l’île. Le même phénomène produisant les mêmes effets nous retrouverons durant une longue période une diffusion des bureaux relativement proche de celle-là et ne comportant guère que quelques modifications entre ports très voisins. Bien évidemment, et ceci est également constant, le trafic de ces bureaux est d’importance très inégale, un nombre non négligeable d’entre eux ne comportant guère qu’un ou deux agents (un receveur et un garde). Les plus importants disposent d’un personnel approprié aux mouvements, comportant outre le receveur, un visiteur, un estimateur et plusieurs gardes.

La procédure douanière

Dans ce domaine également, le remplacement progressif des usages et coutumes en vigueur par un droit d’inspiration plus royale, plus française, s’accentue avec le temps. La première ordonnance royale de 1768 n’y consacre que peu de développement : on y retrouve le souci d’assurer la prise en charge des marchandises par l’obligation qui est faite aux capitaines de n’aborder que dans les ports pourvus de bureaux de douane, de manière à y déposer « le manifeste détaillé de leur chargement, lequel sera par eux signé et certifié véritable » dans les dix heures de leur arrivée.

On y précise également le droit pour le service de contester la valeur des marchandises « que chaque marchand sera tenu de fournir à la douane ». Il lui sera toujours possible « de prendre ces marchandises sur le pied de l’estimation qui lui en aura été présentée, en payant seulement au marchand dix pour cent en sus de ladite estimation ».

Par ailleurs l’ordonnance impose la formalité du plombage aux armes du Roi pour toutes les marchandises dédouanées afin d’attester leur situation régulière.

Pour assurer à la mesure toute son efficacité, cette obligation du plombage revêt un caractère rétroactif car « seront pareillement plombées de la même manière, celles desdites marchandises étant actuellement dans les boutiques et les magasins ; à l’effet de quoi le Directeur et les Gardes de la Douane seront tenus de se transporter dans lesdites boutiques et magasins ; et seront celles qui ne se trouveront pas garnies dudit plomb, sujette à confiscation ». Ce droit de suite et de visite devait encore faire parler de lui bien longtemps !

Les premières dispositions réglementaires sont reprises dans l’ordonnance de 1771, mais à travers ce texte le droit douanier se précise et s’élargit.

Ainsi est mis en place, à la sortie, le régime des acquits à caution utilisé par la Ferme Générale dans les provinces continentales : afin de s’assurer de la destination finale et du bénéfice des droits réduits accordés aux sorties à destination de la France : les capitaines et patrons doivent prendre « des acquits à caution, dans lesquels ils seront tenus de faire décharger au port indiqué pour la destination, et pour rapporter en celui de l’embarquement dans les délais qui auront été fixés, à peine contre eux de payer à titre de confiscation tant la valeur des bâtiments, que celle de leur chargement ». Ce système de l’acquit à caution est également étendu aux opérations de cabotage d’un port de Corse pour un autre port de l’île, les marchandises transportées sous ce régime étant exemptes de tous droits dans le cas où le transport s’effectue sous le pavillon national.

Novation également : le régime de l’entrepôt est instauré, contre paiement d’un droit de deux pour cent et la consignation du droit d’entrée remboursé lors de la réexportation. Il aurait été intéressant de pouvoir vérifier si ce « régime économique », destiné à favoriser ce type d’activité dans l’île et à accroître l’importance du trafic maritime, a effectivement connu un succès pratique.

L’ordonnance du 12 mai 1784 est encore plus précise : elle reprend les dispositions inscrites dans les textes précédents mais elle les affine et aborde d’autres aspects du droit douanier de manière à constituer un véritable code des douanes. A l’évidence, le temps a passé, la paix est retrouvée, la présence de la France n’est guère dangereusement contestée ; l’Administration royale peut aller plus loin dans l’assimilation qu’elle ne l’avait osé jusque là. Ce code des Douanes est bien proche, sinon identique, à celui dont dispose la Ferme Générale sur le continent. En fait il est directement inspiré de l’ordonnance de février 1687 « sur le fait des cinq grosses fermes » œuvre de Colbert, bien que publiée après sa mort.

Pour la première fois par conséquent les obligations et les devoirs des « clients » de la Douane, les prérogatives du service, sont en Corse définis et calqués selon le modèle en vigueur sur le continent. Pour ce qui concerne la procédure du dédouanement proprement dite les principes sont simplement précisés. Ainsi pour la prise en charge lorsque le navire accoste après le coucher du soleil et que le bureau est fermé, le Capitaine dispose du délai jusqu’au lendemain matin pour déposer le manifeste. Il devra y ajouter un manifeste reprenant les marchandises appartenant aux passagers et aux marins du bord. Le service a la faculté de procéder à la visite du navire avant le débarquement des marchandises et tout excédent au manifeste est puni par la confiscation. La marchandise étant prise en charge, il appartient aux marchands, commissionnaires, capitaines, patrons ou particuliers propriétaires des marchandises, de déposer au bureau des Douanes une déclaration écrite relative aux marchandises. Cette déclaration doit comporter les quantités, poids, nombre, mesure et prix des marchandises, les marques et numéros des colis. En cas de fausse déclaration de leur part ils peuvent être sanctionnés de la confiscation des marchandises et d’une amende. La déclaration déposée, il est interdit au signataire d’en modifier les termes. Ensuite, la marchandise déchargée sur autorisation écrite du service des Douanes, il appartient à celui-ci d’effectuer les vérifications en assurant la pesée, le dénombrement, la mesure. Les droits de Douane sont alors établis sur la base de l’estimation fournie par le déclarant, néanmoins si le service considère cette estimation comme trop faible, la marchandise sera prise pour le compte du Roi sur la base de cette valeur déclarée. Le paiement des droits est constaté par un reçu ou acquit dont la délivrance n’est pas gratuite : il en coûte 5 sols pour l’établir.

La marchandise est ensuite, suivant sa nature, plombée ou marquée à la cire gratuitement par le service, chaque bureau dispose à cet effet de « ses coins, poinçons, marteaux et cachets de manière à ce que l’on distingue ceux de chaque douane ». Cette formalité est particulièrement importante afin de prouver le dédouanement, car toute marchandise susceptible d’être plombée et trouvée sans plomb sera confisquée, son possesseur acquittant au surplus une amende.

L’existence du cabotage, des relâches ou escales, est confirmée, mais en cas d’escale le Capitaine devra payer un gardien — 20 sols par jour afin d’assurer qu’aucun débarquement de marchandises n’est opéré.

L’entrepôt est aménagé suivant la durée de séjour des marchandises, au cours. des trois premiers mois il convient d’acquitter une taxe d’entrepôt de 5 sols par quintal, au-delà de ce délai les droits doivent faire l’objet d’une consignation. La pratique de l’acquit à caution se retrouve également dans le nouveau texte, mais le régime ne bénéficie plus de la gratuité : il se paie 10 sols pour: les expéditions vers la France, 5 sols pour le cabotage insulaire. Le domaine où le texte innove le plus néanmoins, n’est pas celui de la procédure de dédouanement stricto sensu, mais plus précisément celui des prérogatives des agents et de la procédure contentieuse. Tout d’abord le droit de perquisition et de recherche est confirmé : « Sa Majesté autorise le Receveur des domaines et autres Préposés de la Régie de ses droits ayant serment en justice, à faire telle visite et descente qu’ils jugeront nécessaire, toutes les fois que le besoin du service l’exigera, chez les marchands et particuliers et y saisir les marchandises introduites en fraude, assisté d’un officier municipal. »

En fait il s’agissait d’un représentant de la piève placé ainsi dans la position de défendre l’intérêt des populations. Ce rôle ne devant pas enthousiasmer les intéressés, l’éventualité de son refus était évidemment envisagée mais sans que cette circonstance n’entrave l’action décidée, puisque dans ce cas il suffisait de noter son refus au procès-verbal, d’y passer outre et d’effectuer néanmoins la visite prévue. On comprend sans peine que l’exercice de ce droit ait parfois été difficile, dans toutes les régions et à toutes les époques pourrait-on ajouter. Aussi, le texte précise-t-il que « les employés sont sous la sauvegarde spéciale de Sa Majesté, chacun étant tenu de leur prêter main-forte. Par ailleurs, le port d’arme leur est accordé et le trouble comme l’opposition à leurs fonctions sont poursuivis. »

L’ordonnance arrête en outre les bases juridiques de constatation et de poursuite des infractions à travers les dispositions qui concernent le procès-verbal de saisie des marchandises, dispositions qui se retrouvent encore pour partie dans le code des Douanes actuel. Ainsi, de la description des marchandises saisies en présence du contrevenant, de la copie du procès-verbal qui lui est remise, de la mention qu’il a ou non signé, de la main levée possible contre caution, de la constitution du Receveur comme gardien des marchandises saisies… Incontestablement, ce texte tranche par ses précisions sur les dispositions en vigueur précédemment, il confirme par l’ensemble de ses développements que l’assimilation est faite avec la procédure en vigueur dans l’ensemble des provinces exercées par la Ferme Générale.

Ainsi, quelques années avant la fin de la Monarchie, alors que les bouleversements révolutionnaires se feront également sentir en Corse, à un moment de l’histoire où petit à petit, mais avec une certaine accélération, l’organisation du commerce extérieur de la Corse est en place : un certain nombre de dispositions arrêtées par l’ancien régime lui subsisteront longtemps, les meilleures comme les plus discutables.

Incontestablement, la Monarchie a innové, notamment en n’imposant pas à la Corse, le système archaïque de la Ferme, mais en assurant la mise en place d’une Administration que la France ne connaîtra que plusieurs années plus tard. Par contre, on peut s’étonner de sa timidité en matière de tarif des Douanes, les incitations économiques qu’il recèle sont restées modestes, l’intérêt fiscal et le souci de faire rentrer l’argent dans les caisses royales l’ont conduit à instaurer une barrière entre la Corse et le continent.

Quelques raisons peuvent justifier ce choix : de nombreuses barrières fiscales séparaient la libre circulation des marchandises entre les provinces avant l’unification révolutionnaire : les premières années d’occupation n’avaient pas totalement écarté une éventuelle restitution à Gênes et cette fiscalité imposée pouvait représenter une sorte d’acompte sur le remboursement des frais de stationnement des troupes royales en Corse.

Quoiqu’il en soit la Monarchie n’ayant pas fait le choix d’une absence de frontière économique entre l’île et le continent, les régimes qui lui succéderont, par paresse ou par esprit de facilité, ne reviendront pas sur cette situation artificielle et unique pour l’ensemble des régions françaises il faudra attendre la veille de la Grande Guerre pour abattre ce tarif douanier.


 

Extrait de l’ouvrage d’Albert LAOT :
L’histoire de la douane et des droits indirects en Corse de 1768 à nos jours;
Editions La Marge (1987)
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