Guillaume Apollinaire, Poème sans titre (incipit : “Tu te souviens, Rousseau, du paysage astèque”), 1914 (22/50)

Mis en ligne le 30 octobre 2025

On doit à l’amitié de Guillaume Apollinaire pour le peintre Henri Rousseau et au surnom de « Douanier » popularisé par Alfred Jarry, alors que l’intéressé gagnait sa vie comme commis à l’octroi municipal de Paris, l’écriture par l’inventeur du surréalisme et des calligrammes de quatre poèmes évoquant la douane, pour le plus grand profit de la présente anthologie et de l’imaginaire de la Gabelle.

 

Poème sans titre (incipit : « Tu te souviens, Rousseau, du paysage astèque »), 1914*

 

Tu te souviens, Rousseau, du paysage astèque,
Des forêts où poussaient la mangue et l’ananas,
Des singes répandant tout le sang des pastèques
Et du blond empereur qu’on fusilla là-bas.

Les tableaux que tu peins, tu les vis au Mexique,
Un soleil rouge ornait le front des bananiers,
Et valeureux soldat, tu troquas ta tunique,
Contre le dolman bleu des braves douaniers.

Le malheur s’acharna sur ta progéniture
Tu perdis tes enfants et tes femmes aussi
Et te remarias avecque la peinture
Pour faire tes tableaux, enfants de ton esprit.

Nous sommes réunis pour célébrer ta gloire,
Ces vins qu’en ton honneur nous verse Picasso,
Buvons-les donc, puisque c’est l’heure de les boire
En criant tous en chœur : « Vive ! Vive Rousseau ! »

Ô peintre glorieux de l’alme République
Ton nom est le drapeau des fiers Indépendants
Et dans le marbre blanc, issu du Pentélique
On sculptera ta face, orgueil de notre temps.

Or sus ! Que l’on se lève et qu’on choque les verres
Et que renaisse ici la française gaîté ;
Arrière noirs soucis, fuyez ô fronts sévères,
Je bois à mon Rousseau, je bois à sa santé !

 


*Source : Les soirées de Paris, n°20, 15 janvier 1914.