Guillaume Apollinaire, poème sans titre (incipit : “Trente ans debout à la frontière”), 1907 (19/50)

Mis en ligne le 30 octobre 2025

On doit à l’amitié de Guillaume Apollinaire pour le peintre Henri Rousseau et au surnom de « Douanier » popularisé par Alfred Jarry, alors que l’intéressé gagnait sa vie comme commis à l’octroi municipal de Paris, l’écriture par l’inventeur du surréalisme et des calligrammes de quatre poèmes évoquant la douane, pour le plus grand profit de la présente anthologie et de l’imaginaire de la Gabelle.

 

Poème sans titre (incipit : « Trente ans debout à la frontière »)*

 

Trente ans debout à la frontière,
J’arrêtai le contrebandier.
Je palpai la contrebandière :
Puis quand je devins brigadier,
Un soir, dans le train de dix heures,
D’un homme correctement mis
Voyageant avec un permis
Je tâtai les gibbosités postérieures.

 

Ô temps lointains ! Lointaines gares
Que le gaz éclairait bien mal !
Le monsieur transportait quatre mille cigares.
Je lui dressai procès-verbal.
Ce temps passa. Des noms : Gauguin, Cézanne
Me hantaient. Pour leur art, je laissai la douane

 

Et gardant ce surnom : le douanier,
Je ne suis pas, des peintres, le dernier.
Or, dans mon souvenir, une fenêtre
S’est ouverte. Je viens de reconnaître
L’ancien voyageur fier de s’être vengé
Parce que par ma faute il a mal voyagé.

 


*Source : Je dis tout, n°19, 19-26 octobre 1907.