Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

François-Louis-Auguste Ferrier 1777-1861 (2e partie)

Mis en ligne le 1 mars 2021

 

François Ferrier quitte la Direction générale des douanes, début juillet 1815, après la chute de l’Empire et rejoint définitivement la direction régionale de Dunkerque qu’il avait laissé opportunément vacante.

 

Redevenu, une fois de plus, directeur provincial, il rend, alors, un immense service à la douane en publiant, en 1818, la collection des lois et règlements dite Collection de Lille.

 

Il décide, en effet, de réunir et de faire diffuser les lois et règlements douaniers auxquels, bientôt, il rajoute les circulaires d’application émises par la direction générale. Duverger souligne : “Avant cette collection, quelques compilations informes, quelques commentaires incomplets avaient été publiés; mais en fait, le douanier studieux n’avait aucun guide, et l’administration centrale, elle-même, ne possédait pas la totalité de ses ordres et instructions. Il serait hors de propos de chercher à démontrer l’utilité, l’opportunité d’une pareille publication : véritable monument administratif, elle suffirait à préserver de l’oubli la mémoire de M.Ferrier, et elle restera la gloire de sa carrière. 17

 

La collecte de documents a dû être pleine de difficultés : en effet certaines étaient hérités de la Ferme Générale. Par ailleurs il y avait eu dispersion des archives, la douane ayant dépendu successivement des ministères des Contributions puis des Affaires Etrangères, de la commission des Revenus Nationaux, des ministères des Finances et enfin du Commerce; Elle dépendait aussi du ministère de l’Intérieur pour l’approvisionnement en grains. Enfin, n’oublions pas que la plupart des instructions étaient manuscrites.

 

Les Annales des douanes rendent compte ainsi de la sollicitude de Ferrier envers la région de ses débuts : “Les intérêts des populations du Nord le préoccupèrent aussi et sa vive intelligence leur fut si profitable qu’il devint très populaire dans cette région. On lui en donna la preuve lors de la création des Conseils généraux; non seulement il fut toujours élu, mais ses collègues mirent la même constance à le choisir comme président et son souvenir était si vivace dans le département du Nord que sept ans après l’avoir quitté, c’est à dire en 1848, il aurait été élu député s’il ne s’était pas retiré en apprenant la candidature de Lamartine. Au sein du Conseil Général on n’a pas encore oublié cette élocution facile et nette, ce jugement droit et sur, cette impartialité inébranlable”. 18

 

Pendant vingt six ans, il occupe les fonctions de directeur à Dunkerque. “Il les remplit avec une grande distinction, y apportant beaucoup d’indépendance de caractère, une extrême bienveillance pour ses principaux collaborateurs, comme pour ses subordonnés, et surtout un esprit d’équité et de conciliation dont le souvenir est encore vivace”. 19

 

Il refuse, sous le ministère de Polignac, la présidence du Bureau de Commerce. En 1830, il accepte de se présenter aux suffrages des Dunkerquois, mais il est battu par le représentant du parti libéral. Cette défaite ne lui nuit pas après la révolution de 1830 mais il renonce alors à jouer un rôle au plan national, tout en se ralliant au nouveau régime.

 

Il fait un partage équitable de son temps entre ses devoirs administratifs et ses études qu’il poursuit tout au long de sa vie. On sait aussi qu’il donne des réceptions fastueuses dans son château, comme en ont rendu compte les Annales des Douanes.

 

En novembre 1833, comme Les Annales nous l’apprennent, il est élu au conseil général du Nord dont il devient le président en 1834. Son jugement fiable et son habileté dans la direction des discussions amènent ses pairs à lui renouveler leur confiance au cours de sept réélections. Il est promu en 1839 au grade d’officier de la Légion d’Honneur et début 1842, il est nommé à la Chambre des Pairs, en même temps qu’il prend sa retraite. Il quitte à nouveau son cher Dunkerque pour aller siéger à Paris;

 

Tout en continuant à assister de façon suivie aux sessions du Conseil Général dont il demeure le président jusqu’à la Révolution de Février, il prend une part active aux travaux de la Chambre Haute. “Soit comme rapporteur de divers projets de loi, soit dans le sein des commissions dont il fit partie, ou même à la tribune, M.Ferrier se montra à la hauteur de sa nouvelle position et s’attira parmi les collègues de la Chambre des Pairs de nombreuses et vives sympathies. Les discours qu’il prononça à la tribune sont tous profondément empreints de ce ferme caractère, de cet esprit de suite et d’ensemble, de cette logique, de cette netteté de vues qui donnèrent tant de relief à sa physionomie d’homme public et qui en accusèrent si nettement les contours”. 20

 

La révolution de 1848 abolit la chambre des Pairs et réorganise les conseils généraux. Il quitte donc ses fonctions dans ces deux organismes et rentre dans la vie privée. Il peut consacrer encore plus de son temps à des études, et plus particulièrement à la politique économique et douanière de la France.

 

Il a publié, tout au long de sa vie, plusieurs ouvrages économiques. Apprenant que la question des entrepôts intérieurs est étudiée par Saint-Cricq qui envisage d’établir un entrepôt de denrées coloniales à Paris, Ferrier se demande si cela ferait de la capitale un marché européen et penche pour la négative. Il pense en outre qu’il y aurait un risque pour l’armement français. Dans un “Mémoire sur la demande d’un entrepôt de denrées coloniales à Paris”, il met en évidence ces deux aspects de la question et marque sa préférence pour le rejet de cette procédure; cependant, ne voulant pas se montrer péremptoire, il termine ainsi son mémoire : “ Je n’ai pas la prétention de résoudre ces questions. Je n’ai voulu que les poser et en préparer la discussion. D’autres feront mieux; et peut être aurais-je rendu leur tâche plus facile. C’est l’unique but que je me suis proposé”. 21

 

En 1828, la question de l’établissement d’entrepôts intérieurs se posant à nouveau, Ferrier récidive dans une brochure “De l’entrepôt de Paris” qui est particulièrement bien appréciée sur le plan local. Derechef il montre son hostilité envers de telles créations. 22

 

En janvier 1829, il fait paraître son livre : “De l’enquête commerciale” où il se montre opposé à un tel système. La même année, il complète cette étude par un ouvrage traitant : “Du système commercial et maritime de l’Angleterre au XIXème siècle”.

 

En 1831, il rédige un mémoire ayant pour titre : “ Des administrations financières et de leur organisation” et un autre traitant “De l’impôt”. En 1832 il publie un document : “De la responsabilité ministérielle relativement à l’administration des Finances”. Il y défend la place du conseil d’Administration des Douanes après avoir expliqué la nature des attributions de la direction générale des douanes.

 

En 1833, il écrit “La rémunération des services publics” qui fait grand bruit dans le département. A ce propos, un journaliste économiste, Arthur Dinaux, pourtant entièrement opposé à la doctrine de l’auteur, donne cet avis : “Nous nous empressons de rendre hommage à la sagesse et à la profondeur de ses vues comme administrateur, et nous désirons vivement que la future commission du budget prenne en considération les idées saines et élevées, développées dans un écrit remarquable sous tous les rapport. (…) Les employés de toute catégorie doivent un tribut de reconnaissance à l’habile écrivain dont la sollicitude à leur égard contraste d’une façon si tranchée avec les dédains injurieux, la dureté systématique, ou la niaise facilité de ces hommes sans spécialité, sans antécédents, que les hasards de la faveur ou de l’intrigue installent trop souvent aux emplois supérieurs. Nous félicitons sincèrement M.Ferrier; c’est quelque chose qu’un bon ouvrage; une bonne action, c’est encore mieux “. 23

 

En 1838, il réunit dans une brochure “Du port de Dunkerque et de son avenir commercial” une série d’articles parus dans le journal “La Dunkerquoise” dans lesquels il prédit la prospérité de Dunkerque. En 1847, âgé de 70 ans, il rédige encore un mémoire sur “l’Impôt du sel” .

 

Ferrier s’est marié en 1809 avec une Mademoiselle Schuler et n’a pas laissé de postérité. En 1823, il fait l’acquisition d’une propriété à Wez située à Saint-Pierre de Broucq, dans le canton de Bourbourg (Nord). Cette circonstance l’attache encore plus à son pays d’adoption et prépare la carrière politique qui a été la sienne pendant une grande partie de sa vie. Cet homme d’action s’intéresse de près à certains aspects de la contrée où il vit. Il est ainsi nommé Président de la Société d’Agriculture de la région de Dunkerque et de la Commission administrative du Wateringues, organisme s’employant à l’assèchement des marais et terrains inondés par suite de leur situation au dessous du niveau de la mer.

 

Ferrier s’est retiré de la vie publique en 1848 à l’age de 71 ans, il s’éteint, le 11 janvier 1861, dans sa maison de la rue Richepanse à Paris entouré des soins de son épouse. Le conseil municipal de Dunkerque” a rendu hommage envers l’homme distingué dont il déplorait la perte et qui s’était signalé par les plus importants services rendus à ce pays “. 24

 

Bonvarlet raconte la fin de sa vie : “ Réduit à l’inaction et frappé bien plus par les commotions que par l’âge, l’homme éminent dont la carrière avait été arrêtée en 1815 et en 1830, ne put résister à cette nouvelle déception. Sans cependant arriver à s’atrophier complètement, puisqu’à ses derniers moments M. Ferrier put encore recevoir les sacrements, sa puissante intelligence s’affaiblit progressivement. Il vécut encore plusieurs années et ne s’éteignit que le 11 janvier 1861, à l’âge d’environ 84 ans, dans son domicile de la rue Richepanse, à Paris”.25

 

 

Réflexions

 

 

 

Ferrier a grandi à l’ombre du système restrictif dont le blocus continental a été la suprême manifestation. Voici, relevée dans son livre publié en 1804, son opinion en matière de politique douanière, opinion qu’il ne reniait point dans l’édition de 1821 : “ L’institution du système commercial a pour objet la prospérité du commerce. Les douanes servent le commerce, le consommateur et l’Etat.

 

Les douanes servent le commerce :

1°- En empêchant, par la prohibition, à la sortie, que l’étranger ne s’empare de nos matières premières, soit pour nous les revendre telles qu’elles sont, soit pour nous obliger à les racheter manufacturées;

2°- En donnant aux manufacturiers français, par des droits sur les productions de l’industrie rivale, l’avantage de la concurrence dans le marché intérieur,

3°- En écartant absolument cette concurrence par des prohibitions à l’entrée, toutes les fois qu’il serait impossible de la soutenir.

“ Les douanes servent le consommateur en lui procurant, à moindre prix, les marchandises qui se fabriquent intérieurement avec les matières premières indigènes dont l’étranger s’emparerait sans la prohibition. Elles le servent aussi lorsqu’elles l’obligent à se pourvoir, dans l’intérieur, de marchandises qu’il aurait pu acheter de l’étranger à meilleur marché parce que ce léger sacrifice augmente le nombre des travailleurs nationaux, ce qui n’arrive jamais sans profit pour la société entière.

 

“ Les douanes servent l’Etat :

1°- En lui faisant connaître l’étendue du commerce extérieur;

2°- En lui donnant la facilité de le diriger de la manière la plus utile au pays;

3°- En lui permettant de mettre des bornes à la prodigalité de la nation;

4°- En lui procurant des moyens de puissance extérieure fondée sur la marine;

5°- En lui fournissant accessoirement un revenu “. 26

 

Jean Clinquart affirme : “Il ne cessa d’être un protectionniste convaincu et il était lié avec les armateurs dunkerquois et les manufacturiers du Nord dont il défendit les thèses dans divers écrits ainsi qu’au Conseil général du Nord qu’il présida, puis à la Chambre des Pairs “. 27

 

Ferrier, nous venons de le constater, a eu une vie bien remplie. Administrateur et gestionnaire accompli, il doit sa carrière rapide en grande partie à son propre mérite auquel il faut ajouter la chance, notamment celle d’avoir eu l’aide de Fiévée et l’estime de Collin de Sussy qui lui ont valu d’être distingué par Napoléon.

 

Pendant son court passage à la tête de la Douane, il a entrepris d’utiles réformes réalisées dans des circonstances des plus difficiles. On lit, dans le Journal de la formation professionnelle de la direction générale des douanes, ce jugement : “On peut dire de lui, qu’il réunissait toutes les qualités d’un administrateur parfait; que sa sollicitude pour le personnel ne laissait échapper aucune occasion de se manifester; que l’énergie de son caractère et la rectitude de son jugement lui permettaient de résoudre promptement et avec sûreté les questions les plus délicates et qu’aucun abus n’avait réussi à se dérober à son contrôle vigilant “. 28

 

Jean Clinquart n’est pas moins élogieux en rappelant qu’il a un sens aigu de la justice et qu’il possède “les qualités d’un gestionnaire soucieux de perfectionner, en dépit des multiples difficultés dont sera marqué son passage à la tête de la douane, l’immense administration dont il a la charge. Il fera preuve également d’une capacité de travail à la mesure de celle de son prédécesseur et tout à fait comparable à celle des autres grands commis dont l’Empire eut le mérite de s’entourer. Peut être manifesta-t-il une propension excessive à traiter personnellement les affaires.(…) Une telle tendance ne pouvait que condamner le chef de l’administration à un épuisant régime de travail “. 29

 

Il a du caractère, en témoigne cette anecdote, racontée par A. Bonvarlet : Le duc d’Otrante lui ayant signalé le directeur des douanes à Saint Malo comme animé de sentiments royalistes ne permettant pas de le maintenir en place. M. Ferrier répondit, que si les traditions familiales pouvaient laisser présumer un attachement de cet employé supérieur à la dynastie déchue, ce n’en n’était pas moins un homme loyal et qu’il s’en portait garant. Le ministre de la police ayant insisté, le directeur général après avoir répété ses premières opinions, termina ainsi : “Vous pouvez au surplus(…….) en référer à l’Empereur(…..)mais il sera bon de lui faire connaître que, s’il adoptait votre opinion, il aurait à pourvoir au remplacement de M. X et au mien.” Fouché se le tint pour dit et le félicita à leur rencontre suivante. 30

 

Boucher de Perthes dont on connaît le sens très critique, marque une profonde estime à Ferrier mais rapporte à ce sujet “Le directeur général se réserve à peu près toutes les nominations. Les administrateurs proposent mais sont rarement écoutés”. Et de conclure : “A quoi servent des administrateurs avec un directeur général qui fait tout” ?

 

Ferrier a été un très grand directeur général et, n’aurait été la conjoncture, il eût pu être nommé ministre comme l’ont été Collin de Sussy avant lui et Saint-Cricq après. S’il n’a pu influer sur la politique douanière, lorsqu’il était à la tête de l’Administration, ses écrits ont souvent fait grand bruit dans le cercle des économistes.

 

Protectionniste à outrance et ami de Fiévée avec qui il entretient une importante correspondance, il a heurté les opinions d’Adam Smith mais aussi celles de J.B.Say qui n’hésite pas à écrire “A de fausses doctrines, il ajoute des imputations odieuses “. 31

 

Cette dernière accusation laisse entendre que Ferrier aurait reproché à Adam Smith “d’avoir professé ce que lui-même ne pensait pas”. La violence de cette diatribe témoigne de l’importance que les champions du libéralisme attachaient aux doctrines de François Ferrier.

 

Mais ce que l’on sait de lui, c’est que s’il était un adversaire résolu de cette théorie, il ne semble guère envisageable qu’il eut pu utiliser la calomnie pour la défense de ses thèses.

 

Jean Bordas

 

1 – T. Duverger : La Douane français et. p 458.
2 – A Bonvarlet (Président du Comité Flamand de France) : François-Louis-Auguste Ferrier. Lille 1881. Document obligeamment communiqué par monsieur Roland Hendrick.
3 –
4 – Léon Amé : .Etude sur les Tarifs de Douanes et les Traités de Commerce. p. 260.
5 – Les Annales des Douanes : du 3 septembre 1927.
6 – Journal de la formation professionnelle (JFP). N° 42 de 1954. p. 14.
7 – Duverger : op. cit. p. 460.
8 – Jean Tulard : article sur l’uniforme dans Dictionnaire Napoléon.
9 – Lettre écrite par Ferrier, redevenu directeur à Dunkerque à l’Administration et retouvée par Duverger : op. cit. p. 614,
10 – Jean Clinquart : Origine et ambiguité de la création du corps militaire des douanes. p. 343.
11 – Correspondance de Dubois- Aymé,citée par Jean Clinquart : op. cit. p. 346.
12 – JFP : Chronique du temps passé. N°42 de 1954. p. 14
13 – Bonvarlet : op. cit. p. 14.
14 – J FP : op. cit. N° 42. de 1954. p. 15.
15 – Duverger : op. cit. p. 460.
16 – Jean Clinquart : op. cit. p. 351.
17 – Duverger : op. cit. p. 461.
18 – Les Annales des Douanes Du 3 septembre 1927.
19 – Bonvarlet : op. cit. p. 15.
20 – H. Leroy, cité par Bonvarlet : op. cit. p. 27.
21 – Bonvarlet : op. cit. p. 17.
22 – Bonvarlet : op. cit. p. 19.
23 – Archives historiques et littéraires du Nord de la France : citées par Bonvarlet : op. cit. p. 24.
24 – Bonvarlet : op. cit. p. 30.
25 – Bonvarlet : op. cit. p. 28.
26 – F.L.A.Ferrier : Du gouvernement considéré dans ses rapports avec le commerce. p. 572.
27 – Jean Clinquart : L’Administration des Douanes et le contrôle du commerce extérieur. p. 150.
28 – JFP : Chronique du temps passé.N°42.de 1954 p. 16.
29 – Jean Clinquart : L’Administration des Douanes sous le Consulat et l’Empire.p. 168.
30 – Bonvarlet : op. cit. p. 14.
31 – Eugène Daire Note à la page 355 des Cité par Bonvarlet op. cit. p. 18

 

 


Cahiers d’histoire des douanes

N° 30

2e semestre 2004

 

 

 

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