Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

Etude de plombs de douane comme éléments de datation d’un naufrage

Mis en ligne le 1 juillet 2022

La découverte d’une épave vers Sète a conduit à des recherches de Laurence Serra qui l’ont conduit en son temps au musée des douanes. Il s’est avéré en effet que les plombs de douane constituaient une source précise d’information sur la date du naufrage, la nature de la cargaison,sa destination et bien entendu sur l’activité des douanes à la période concernée. Les douaniers amateurs d’histoire ne seront donc pas étonnés de l’existence des primes à l’exportation au début du XIXème siècle pour développer les productions nationales!

 

L’AHAD remercie donc vivement Mme Serra de l’avoir autorisée à publier cet article.

 

NDLR  des Cahiers d’histoire des douanes – 2011.

 


 

A la suite de la découverte d’une épave, au large des Aresquiers, une campagne de sondage suivie d’une fouille ont été menées en 2003 et 2004. La mise en évidence d’une cargaison de bouteilles d’huile d’olive va permettre, à partir d’indices matériels et en particulier des plombs de douanes, de tenter l’identification du navire, de retrouver son port de départ et sa destination. Cette étude d’un matériel archéologique inhabituel permet de redécouvrir un patrimoine industriel proche et pourtant déjà si lointain.

 

Une campagne de sondage sous-marin en août 2003, prolongée par une campagne de fouille en août 2004, ont été réalisées par la section bénévole de recherche en archéologie de Frontignan suite à la déclaration auprès des affaires maritimes par Guy Ruggiero, plongeur, d’un gisement de bois au large des Aresquiers.

 

Dès les premiers sondages, nous pouvons en conclure qu’il s’agit d’un navire à la voile d’époque contemporaine. Les pièces les plus remarquables du mobilier remonté en surface sont constituées de caisses estampillées contenant des bouteilles en verre fumées pleines d’huile d’olive. Autour des caisses huit plombs sont apparus en 2003, puis une trentaine en 2004 éparpillés à même le bordé 1 .

 

Ces empreintes douanières représentent l’élément de recherche le plus déterminant afin de répondre à quatre questions essentielles : De quel port partait le navire ? Quel pavillon battait-il ? Vers quelle destination ? Quelle est la datation précise du naufrage ?

 

I. Description

 

Type a :
Tranche : douanes françaises (fig. 1)
Recto : Marseille (fig. 2)
Verso : un coq dressé sur une pâte entouré de la
mention réexportation d’entrepôt (fig. 3)

Type b :
Tranche : douanes françaises (fig. 1)
Recto : Marseille (fig. 2)
Verso : Primes (fig. 4)

 

 

 

 

Deux types de plombs ont été découverts que nous nommerons respectivement type a et type b. Les plombs de type a sont présents en grande quantité, ceux de type b à l’inverse sont au nombre de deux. Les emblèmes et inscriptions gravés constituent un champ d’indices.

 

II. Méthode et recherche

 

Le coq ainsi que les inscriptions constituent nos deux axes de recherche.

 

II.1. Le coq

 

Nous avons en premier lieu interrogé le musée des douanes à Bordeaux et étonnamment le travail d’enquête va s’avérer plus difficile que prévu. En effet, il n’existe pas de catalogue des empreintes douanières et nous pouvons seulement nous référer aux plaques de shakos 2 .

 

Cette absence de monographie des empreintes, nous amène à appliquer les modes de recherche des numismates, plus particulièrement des numismates celtisants : l’animal-emblème comme élément de datation.

 

Nous pouvons remarquer que les plaques de shakos portés par les douaniers reprennent les symboles propres à chaque régime 3 . A l’époque révolutionnaire, par exemple, les douaniers arboraient comme signe distinctif l’œil sur soleil rayonnant. Sous l’Empire des aigles décoraient les pans retroussés des habits, les boutons des célèbres uniformes verts et les plaques de shakos (fig. 5).

 

Dès la Restauration, ces plaques de shakos sont alors ornées d’un caducée, entouré de deux cornes d’abondance et surmonté des armes de France que complète l’inscription « douanes royales ». A la fin du règne de Louis XIII et sous Charles X, trois fleurs de lys occupent toute la partie centrale de la plaque.

 

Louis-Philippe les remplace par un coq fier et altier. (fig. 5). Une couronne de chêne embellit l’inscription «douanes françaises», alors que sur les côtés de la plaque réapparaît le caducée surmonté du pétase 4 ailé d’Hermès. D’après l’illustrateur de l’uniforme douanier, Ernest Fort, deux dessins de coq avaient été choisis :
– un coq sur fond de soleil rayonnant de 1830 à 1838
– un coq proche d’un aigle sans soleil de 1838 à 1845

 

Par conséquent, nous émettons l’hypothèse que ce symbole a été mis en vigueur au moins à partir du 31 juillet 1830. Il nous reste à déterminer jusqu’à quand ?

 

Le musée ne possède qu’un seul nouvel insigne distinctif des unités douanières, celui adopté en 1875 avec le retour de la République. Il s’agit d’une grenade à sept flammes inscrite dans un cor de chasse, en souvenir des troupes d’élite que grenadiers et voltigeurs avaient constituées dans les douanes du premier Empire. Cet insigne n’a jusqu’à aujourd’hui jamais changé.

 

Ces informations nous permettent d’obtenir un premier cadre de datation du naufrage : la marchandise a été scellée avec un emblème douanier particulier, elle n’a donc pu naviguer qu’entre 1830 et 1875. Nous ne sommes pourtant pas totalement satisfaits de cette interprétation. En effet, l’utilisation courante de la vapeur autour de 1850, aussi bien dans la marine marchande que dans l’industrie, est une telle révolution que cela nous amène à penser que le naufrage ne peut appartenir qu’à la période située avant 1850.

 

 

La lecture, en second lieu, de l’ouvrage Les emblèmes de la France (M.Pastoureau 5 , 2001) nous a permis de confirmer cette hypothèse. Selon M.Pastoureau le coq est sans doute le plus ancien emblème de la France. Il accompagne l’histoire de sa présence presque ininterrompue et, contrairement à la plupart des autres emblèmes français, se compromet avec certains régimes monarchiques comme républicains.

 

Ce sont les romains qui ont associé les premiers le coq et la Gaule, en latin c’est le même terme gallus qui désigne l’oiseau et l’habitant de la Gaule. Le plus souvent le coq est associé au culte de Mercure, dieu pour lequel les gallo-romains ont une dévotion particulière. A partir de la révolution, le coq occupe le premier rang de la scène politique et emblématique.

 

Il est l’allié des républicains et fait l’objet d’une violente propagande « anti-coq » par les ennemis de la France républicaine.

 

Même s’il tombe en disgrâce sous la Restauration, son image demeure vivace dans l’art populaire et devient parfois un signe de ralliement pour les adversaires de Charles X (1824-1830). Une chanson intitulée Le vieux drapeau, demande à ce que l’on rende à la France « le bon coq des Gaulois, qui comme l’aigle, sut aussi lancer la foudre » (fig. 6).

 

Cet appel est entendu lors de la révolution de juillet en 1830. A peine nommé lieutenant-général du royaume, Louis-Philippe impose le coq au sommet de la hampe des drapeaux de la garde nationale. Plus tard l’oiseau apparaît sur les plaques et médailles des fonctionnaires, sur certains papiers administratifs, sur l’épée des militaires. Ainsi, Louis-Philippe prend non seulement le coq comme emblème mais il l’applique également à toute l’administration : postes, armées, douanes.

 

La révolution de 1848 continue dans la même voie. Pour elle, le coq ne s’est pas compromis avec la monarchie déchue mais a, au contraire, pendant dix-huit ans incarné la résistance devant la réaction monarchique. Dès le 26 février 1848, le gouvernement provisoire reprend le coq et les trois couleurs (bleu, blanc, rouge). Le coq est promu, il figure désormais sur le grand sceau de la république, adopté en avril 1848. Au milieu des différents attributs symbolisant les fruits du travail et du génie humain, l’oiseau prend place sur le gouvernail de la Nation tenu par la liberté assise (fig. 7 et 8).

Toutefois avant de prendre place sur le grand sceau des trois dernières républiques, le coq connaît une nouvelle éclipse sous le Second Empire. Partout, il cède la place à l’aigle symbole du nouveau régime impérial. Dès lors, le cadre chronologique possible du naufrage se réduit, confirmant ainsi notre hypothèse : le naufrage n’a pu avoir lieu qu’entre 1830 et 1851.

 

II.2. Les marques écrites

 

Que signifient les inscriptions « primes » et « réexportation d’entrepôt »? Nous l’avons découvert grâce à une monographie des directions des douanes de France datant de 1890.

 

Elles nous renseignent, pour la deuxième moitié du XIX e siècle, sur le bureau principal de la douane de Marseille et nous informe que c’est Louis Philippe qui instaura un système de primes à l’exportation afin de relancer une économie lourdement freinée par la révolution et les guerres napoléoniennes.

 

En dehors du receveur principal, le reste du service est sous la direction de l’inspection sédentaire et de cinq sous-inspecteurs. Ils sont chacun chargés d’une division : division de l’Intérieur, division du Vieux-Port, division du Lazaret, division des Docks et division de la Gare- Maritime.

 

Les sections sont au nombre de 10 : Navigation et Cabotage, Débarquements, Entrepôt fictif, Primes et Réexportations, Liquidation, Balance et Archives commerciales, Vieilles Archives, Lazaret, Entrepôt réel (Docks), Gare-Maritime.

 

La section Primes et Réexportations a pour fonction :
– l’enregistrement des déclarations concernant les marchandises expédiées avec réserve de primes et délivrance de permis d’embarquement, des passavants 6 ou acquits à caution,
– l’enregistrement des certificats de réexportation de morue,
– l’enregistrement des déclarations d’admissions temporaires,
– la réception des acquits à caution,
– l’inscription des amputations sur les acquits,
– la décharge des acquits à caution,
– la délivrance des certificats d’exportation pour les sucres raffinés,
– la réception des acquits de transit de l’intérieur,
– la décharge après visite, des acquits à caution de transit,
– le renvoi au contentieux des acquits à caution d’ad- mission temporaire et de transit régularisé.

 

Les Docks de Marseille comprennent deux bassins principaux, celui du Lazaret et celui d’Arenc. Le bassin du Lazaret est le seul affecté aux marchandises d’Entrepôt.

 

 

 

Il est entouré de hangars, parallèles aux quais, où les marchandises sont déposées avant toute opération de douane et qui sont considérés comme la cale du navire.

 

A ces hangars sont attenants des magasins qui constituent l’Entrepôt proprement dit. Les magasins se trou- vent séparés les uns des autres par des cours où les opérations de sortie d’Entrepôt s’accomplissent.

 

Le bassin d’Arenc est entouré de hangars et de magasins où les Docks débarquent toute marchandise non soumise au régime de l’Entrepôt réel, tout en jouissant des mêmes privilèges que dans le bassin du Lazaret, c’est-à-dire que les hangars sont considérés comme la cale du navire.

 

La surveillance est exercée dans les hangars et aux grilles de l’enceinte de l’entrepôt par des agents du service actif. Aucune marchandise ne sort sans être accompagnée d’un permis qui est présenté au sous-officier, chef de poste de la grille des cours ou à celui de la par- tie du Premier-Quart. Les marchandises de réexportation sont accompagnées, jusqu’à leur point d’embarquement, par un préposé d’escorte, qui vise le permis.

 

Le mouvement des entrepôts est fort important : importations, exportations occupent une grande place et se cal- culent en quintaux métriques sans omettre les opérations d’admissions temporaires comme par exemple la réception de céréales et de graines oléagineuses réexpédiées à la sortie sous forme de produits fabriqués, c’est-à-dire des farines.

 

Certaines marchandises comme morue et issues 7 par exemple débarquées en admissions temporaires en entrepôt bénéficient de primes favorisant la réexpédition. Ces primes sont destinées en priorité à l’envoi vers les colonies : Martinique, Guadeloupe, Réunion, … (fig. 9) Nous pouvons recouper cette information avec les con- naissances concernant les autres pièces du mobilier. Les bouteilles vert fumé étaient fabriquées à destination des Antilles, il ne fait donc aucun doute désormais que l’estampille A.F. sur les caisses signifie Antilles Françaises.

 

Cette monographie nous permet de mieux envisager le système de l’entrepôt douanier ainsi que l’attribution de primes par l’État. Les douaniers n’avaient pas seulement un rôle répressif, mais ils appliquaient les lois encourageant l’économie nationale et le commerce maritime. Ils étaient également en charge de la francisation et du jaugeage des navires. Chaque navire français devait payer un impôt annuel afin d’obtenir la nationalité française, il était consigné sur un registre de francisation 8 .

 

En conclusion, nous pouvons dire que l’étude de ces empreintes douanières nous a permis de mieux appréhender cette épave tombée dans l’oubli depuis près de deux cents ans.

 

Le navire est parti entre 1830 et 1851 du port de Marseille battant pavillon français et transportant à son bord une cargaison d’huile d’olive en bouteille qui avait bénéficié du stockage en entrepôt sous douane et d’une prime à l’exportation. La destination du bateau était Les Isles Françaises d’Amérique, destination qu’il n’atteindra jamais.

 

Laurence Serra (*)

 


 

Bibliographie:
BARBIER V. (1890) – Monographie des directions des douanes de France, vol. 2, Paris, Berger-Levrault.
BOULANGER P. (1996) – Marseille, marché international de l’huile d’olive, un produit et des hommes (1725-1825),
Marseille, Institut historique de Provence, Economies modernes et contemporaines.
PASTOUREAU M. (2001) – Les emblèmes de la France, Paris, Bonneton.
PELLERIN C. (1981) – Les cahiers d’histoire des douanes françaises, Bordeaux, Musée des douanes.
SERRA L., PENAULT-MATHIEU T. (2003) – Le gisement Aresquiers 10, notice bilan scientifique DRASSM.
SERRA L. (2004) – L’épave d’un marchand d’huile, Archéologia, n° 415, octobre 2004, pp. 74-81.

 


Notes:
* Laurence Serra, F.A.H.
1 – Plancher intérieur d’un navire
2 . Coiffures douanières
3 . Ceci est particulièrement constaté au XIX e siècle.
4 . Coiffure ailée, à large bord, portée par Hermès et Mercure.
5 . Michel Pastoureau est directeur d’études à l’Ecole pratique des hautes études, il occupe la chaire d’histoire de la symbolique occidentale.
6 . Titres de mouvement délivrés par les contributions indirectes, après paiement des droits, accompagnant obligatoirement des produits imposables au cours de leur transport sur un parcours et pour un temps déterminé. Document nécessaire pour une firme qui transporte ces produits de leur établissement principal à un établissement annexe.
7 . Huiles, foies…
8 . La défense de l’espace maritime et du littoral contre d’éventuelles agressions économiques est une préoccupation très ancienne de l’État et remonte aux origines de la douane elle-même. Déjà sous l’Ancien Régime, les Fermiers Généraux armaient en Méditerranée des felouques et des demi-chebecs, trois mâts qui, pour l’époque, étaient des navires d’un tonnage assez important. Ils rétribuaient également des guetteurs pour arpenter ce qui devait devenir le sentier des douaniers. Le 22 août 1791, peu après l’abolition des privilèges, la Constituante, partageant les dépouilles des Amirautés défuntes et supprimant les charges des intendants de la marine, confie à la Marine devenue Nationale la défense militaire des côtes, la protection des navires marchands et de pêche. A la douane, elle confie la défense économique maritime en lui enjoignant, par l’article 6 du titre XIII du premier code des douanes, de «tenir en mer des vaisseaux, pataches et chaloupes armées». Deux ans plus tard, le 27 Vendémiaire an 2, la Convention attribue à la douane par l’acte de navigation et ses décrets d’application, la responsabilité de la jauge et de la francisation des navires, lui laissant le soin au nom du peuple français, d’accorder aux navires le droit d’arborer le pavillon national, leur assurant ainsi la protection de l’État en mer et à l’étranger. Il s’agit là d’un acte de souveraineté qui dépasse largement l’aspect commercial et fiscal qu’il revêt par ailleurs.

 

 

Cahiers d’histoire des douanes et droits indirects

 

n° 47

 

2e semestre 2011

 

 


 

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