Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

Dunkerque – Le 2e bataillon des douanes face à l’invasion allemande (mai-juin 1940)

Mis en ligne le 1 mai 2019

Des guerres de la Révolution au second conflit mondial, les brigades armées de l’administration des douanes ont formé une force militaire d’appoint.

 

En 1939, la mobilisation générale emporta l’appel à l’activité des 26 bataillons des douanes, soit 12.000 hommes. Chaque direction fournissait son bataillon. En raison de son caractère accessoire, la participation des douaniers aux combats ne pouvait retenir que fugitivement l’attention des historiens. Le tribut payé en 1940 par les 558 hommes du 2° bataillon des douaniers de Dunkerque fut, cependant, très lourd : 15 tués, 13 blessés, 104 prisonniers. Les hommes des plus jeunes classes avaient été retirés des bataillons douaniers pour être incorporés dans d’autres unités combattantes. Ils subirent aussi de lourdes pertes. Le monument aux morts de l’hôtel des douanes de Dunkerque, oeuvre de Pierre Ringot, en porte le souvenir.

 

Mobilisé le 2 septembre, le bataillon avait reçu pour mission d’assurer la surveillance de la côte, des ports de Dunkerque et de Gravelines, des bateaux en mer et sur rade, et celle, renforcée, de la frontière terrestre.

 

Le bouclage de la frontière fut décrété le 9 septembre. Dans l’arrondissement de Dunkerque, les passages pouvaient s’opérer uniquement par huit bureaux ou points fixes : Bray-Dunes (gare), Ghyvelde (route et canal de Furnes), Hondschoote (route de Houtem), Oost Cappel (gravier de la Couronne), Steenvoorde, Goderwaersvelde (gare), Boeschepe et le Seau à Bailleul.

 

Le rôle du service actif consistait à fermer hermétiquement la frontière selon les méthodes douanières traditionnelles, c’est à dire au moyen de patrouilles et d’embuscades, mais aussi par la garde permanente des points fixes. Aucune lacune n’était permise.

 

 

 

Comme les troupes n’avaient pas encore pris position, le 2° bataillon mena seul cette opération. Par prélèvement sur les compagnies, en particulier sur la 6°, la plus nombreuse, des « sections spéciales » furent créées. Fortes de 13 hommes, commandées par un sous-officier, elles cantonnèrent dans certaines fermes proches de la frontière, vivant absolument comme des militaires en campagne. La 6° compagnie fournit ainsi cinq sections spéciales implantées de Bray-Dunes à Bailleul.

 

Mais l’obligation de résultat ne pouvait être durablement obtenue par la douane seule. L’autorité militaire prit en charge le bouclage de la frontière à partir du 23 septembre, et les hommes des sections spéciales regagnèrent alors leurs compagnies. Aux points de passage auxiliaires, les militaires relevèrent les douaniers. Ceux-ci, renforcés par les militaires, continuèrent à assurer la garde des bureaux et les patrouilles dans les intervalles.

 

Très vite, cependant, on se rendit compte que les soldats n’étaient pas formés à ce type de travail, surtout la nuit. En conséquence, le 24 novembre, le général commandant le secteur prit la décision de faire diriger ces patrouilles uniquement par un sous-officier du 2° bataillon. Parallèlement, les militaires qui les composaient ne furent plus que des volontaires: douaniers mobilisés, gardes-chasse, chasseurs…fraudeurs et braconniers, composèrent ainsi les patrouilles de nuit avec les douaniers.

 

Rien ne fut changé, en revanche, pour la surveillance de la côte. Cependant l’Amirauté demanda le maintien du poste fixe de Malo Terminus tenu par la 6° compagnie. Enfin, au port de Dunkerque, les douaniers avaient repris leur travail normal de contrôle des opérations commerciales. L’activité y était intense du fait du trafic allié et de l’arrivée de navires neutres arraisonnés, au début détournés sur Douvres puis sur Dunkerque. Car les douaniers participaient aussi très activement au contrôle naval : en mer, grâce à leur vedette, à terre en accomplissant, quand la décision en était prise, les formalités de saisie des cargaisons transportées par les navires neutres. Au port, les marins de la 6° compagnie, dirigés par un lieutenant, formaient une équipe spéciale chargée de la fouille, pour le compte de la Marine, de tous les navires alliés ou neutres qui touchaient Dunkerque.

 

Pendant cette période, les relations entre le bataillon et les autorités militaires furent excellentes, à tous les niveaux, et Albert Soufflet, chef du bataillon, tenait des conférences régulières avec les commandements.

 

Le 10 mai, les allemands entamèrent leur offensive et, le 27 juin, les bataillons douaniers étaient dissous.

 

 

Entre ces deux dates, après une période d’accalmie d’une dizaine de jours où la frontière fut gardée par les seuls douaniers (les troupes ayant fait mouvement vers le Nord), le bataillon s’est trouvé disloqué, chaque compagnie ou même chaque brigade ayant connu un sort particulier. Toutefois, les 2° et 6° compagnies connurent une activité beaucoup plus intense que les autres.

 

Les 1ères, 3ème, 4ème et 5ème compagnies étaient implantées entre le secteur fortifié de Dunkerque et la zone de défense de Lille, c’est à dire dans un secteur pratiquement dégarni de troupes où les allemands arrivèrent très vite et sans difficulté. Sans ordre, les agents accomplirent surtout des actes individuels de courage relatés par des citations inscrites au Livre d’Or ou quelques témoignages : accueil et canalisation des réfugiés, secours aux blessés, lutte contre l’incendie, inhumation des morts, téléphonistes, liaisons entre les villages… Beaucoup d’agents furent faits prisonniers en essayant de gagner Dunkerque. En uniforme, en première ligne, certains furent tués ou blessés. Par contre, restés dans leurs casernes, les brigades de Winnezeele et Killemlinde y furent faites prisonnières au complet.

 

En proportion, ce furent ces compagnies qui eurent le plus de tués et de blessés.

 

 

La 2° compagnie avait la particularité de regrouper deux brigades placées en arrière de la frontière terrestre et trois autres implantées sur la côte. La brigade de Wormhout, restée groupée, fit mouvement et prit position sur le canal de la Colme. Encerclée, cette unité fut faite prisonnière le 30 mai. L’Etat Major de la compagnie et la brigade de de Bergues rejoignirent la 6° compagnie à Leffrinckoucke, puis s’installèrent à Petite-Synthe. A la disposition du Maire, les douaniers furent essentiellement utilisés à la protection civile : secours aux blessés, police, recherche de vivres, inhumation des morts…Déja, à Bergues, sous les bombardements, ils avaient contribué à la lutte contre l’incendie. A Petite-Synthe, ils avaient été rejoints par les brigades de Fort-Philippe et de Loon Plage qui, peu de temps auparavant, effectuaient encore des patrouilles dans la zone des combats.

 

Gravelines était le poste avancé de la défense de Dunkerque vers le sud, direction d’où provenaient les divisions blindées ennemies. L’attaque eut lieu le 24 mai à 10h30. Sur les remparts édifiés par Vauban, les soldats du 310° R.I et les douaniers s’opposèrent aux chars. Le chef de poste, Tristan Berthelom, brigadier à Gravelines, sergent à la 2° compagnie, grièvement atteint, décéda des suites de ses blessures et, pour leur conduite héroïque, 5 agents, sur un effectif théorique de 9, reçurent une citation. Les agents valides rejoignirent ensuite leur compagnie à Petite-Synthe.

 

 

L’Etat-Major du bataillon et la 6° compagnie constituaient la partie la plus importante de l’effectif douanier. Le fait d’être implanté dans une ville et un secteur fortifié entraîna pour eux des activités très diverses, étroitement liées à l’évolution de la situation militaire:

 

  • 20 mai : Du fait des bombardements, commencés deux jours auparavant, et du bouclage du camp retranché, l’Etat-Major perd le contact avec les 1ère, 3ème, 4ème et 5ème compagnies.

 

  • 22 mai : Sur ordre de l’autorité militaire, l’Etat-Major s’installe à Bergues et la compagnie à Coudekerque village. Jusque là, les douaniers avaient continué à assurer un service normal au port et sur la côte. La 6° compagnie occupe des postes de combat au nord du canal de la Basse Colme, puis est relevée par des anglais. La Préfecture ordonne l’évacuation des fonctionnaires civils, sauf ceux des Finances, de la Police et des PTT. Le directeur régional, Léopold Foulc, s’installe aussi à Bergues. La même jour, le préposé Verove, de garde aux entrepôts pétroliers, réussit, sous un violent bombardement et au péril de sa vie, à fermer la vanne de clôture d’un bac d’essence atteint par une bombe, empêchant ainsi la propagation de l’incendie. Par contre, il est envisagé de confier aux dounaiers la police de la ville où le désordre commence à règner.

 

  • 23 mai: Une conférence réunit à Dunkerque les autorités civiles et militaires. Léopold Foulc et Albert Soufflet (*), chef du bataillon, y représentent la douane. L’amiral Platon confirme au directeur des douanes l’ordre de maintenir ses hommes sur place, ordre qu’il réitérera quelques jours plus tard en refusant à un officier de la 6° compagnie l’autorisation de s’embarquer sur la vedette avec des agents de son unité pour rallier  Cherbourg ou l’Angleterre.

 

 

  • 27 mai : Le bombardement de Bergues entraîne, en soirée, le repli du directeur et de l’Etat-Major du bataillon à Uxem, ferme Vandamme. La 6° compagnie rejoint Coudekerque Branche, usine Weill. Avant l’évacuation, des douaniers ont occupé des postes de combat sur les remparts de Bergues, avec des troupes anglaises. On peut penser qu’il y avait là non seulement des hommes de la 6° compagnie mais aussi ceux du 6° bataillon (Forbach), parvenus dans cette ville le 21.

 

  • 28 mai : Ordre est donné à tous les agents de rejoindre Dunkerque.

 

  • 29 mai : Début des tirs d’artillerie allemands. Ils ne cesseront que le 3 juin. Le directeur régional et l’Etat-Major du bataillon s’installent dans les caves de l’hôtel des douanes, rue de Paris à Dunkerque. La 6° compagnie établit son PC rue de Zuydcoote à Rosendaël. A cette date, les douaniers assurent des missions à caractère civil :

* police générale, en particulier répression des pillages;

* garde des détenus à la prison;

* service de planton au bureau de la place;

* transport des blessés.

 

Les agents sont ainsi disséminés dans les communes de l’agglomération, en général aux ordres des maires ou des commissaires de police. Le ravitaillement de ces petits postes est assuré, à partir de la Manutention, par une équipe de douaniers. Les officiers et sous-officiers opèrent des liaisons entre eux. Ce même jour, alors qu’il tente de rallier son bateau, l’équipage de la vedette est pris sous un violent bombardement et subit de lourdes pertes. Célestin Vanhille, sous-patron, caporal à la 6° compagnie, grièvement blessé décédera le lendemain.

 

  • 2 juin : Le PC de la 6° compagnie est transféré de Rosendaël à la direction. Devant l’intensité des tirs d’artillerie, les différents postes se replient à la direction ou à proximité, car de nombreuses familles y sont déjà installées, la caserne ayant brûlé le 27 mai. Cinq douaniers du 4° bataillon (direction des douanes de Valenciennes), en poste à Blanc Misseron et à Crespin, sont tués sur la jetée Est. Trois autres furent blessés. Pris dans la tourmente de l’offensive de l’armée allemande, ils s’étaient retrouvés dans le camp retranché de Dunkerque et avaient participé à sa défense. La jetée Est, lieu d’embarquement réservé jusque là aux alliés, allait permettre d’accélérer l’évacuation des troupes françaises. C’est vraisemblablement avec l’espoir de rejoindre l’Angleterre ou Cherbourg que les douaniers de Blanc Misseron et de Crespin vécurent leur fin tragique. Albert Chatelle évoque la nuit du 2 au 3 juin : « une nuit affreuse. Les détonations des obus dont les Allemands arrosent la ville et le port, le grondement des avions, le tonnerre de nos propres pièces, le hurlement des Stukas se mêlent au vacarme inhumain sous le ciel noir où les flammes des incendies se tordent et celles des canons fulgurent ».

 

  • 3 juin : Dans la soirée, les combats cessent autour du camp retranché.

 

  • 4 juin : Les allemands pénètrent dans la ville et parviennent à la direction vers 8h00. Ils fouillent le bâtiment, s’emparent des armes. Le Sous-Préfet, présent sur les lieux, se présente à l’officier allemand. Ce dernier demande un clairon pour l’accompagner et sonner le cessez-le-feu. Un douanier l’accompagne mais il n’aura pas à utiliser son instrument, les combats étant partout terminés. Au retour de ce dernier, l’officier allemand inscrit à la craie sur la porte cochère « Ici 60 douaniers à ne pas faire prisonniers». Grâce à cette mesure, les douaniers présents, plus de nombreux autres arrivés à la direction les 4,5 et 6 juin, échappèrent à la capture.

 

 

  • 6 juin : Sur ordre des autorités allemandes les douaniers sont mis à la disposition du Commissaire central pour assurer la police de la ville. Ils reprennent aussi leurs postes dans les mairies, les commissariats, la prison et les centres de ravitaillement et continuent à assurer la répression des pillages. Leur service s’effectue en uniforme des douanes avec un brassard blanc portant le mot « ZOLL » en rouge (cf illustration)

 

Brassard « ZOLL » mis en service par les allemands et porté par les douaniers français

 

 

Ci-contre, le soldat Departure Maurice, Brigade de Godewaesvelde, 2e bataillon douanier, septembre 1939 – passage à niveau de Abeele.

 

A noter: la mobilisation, les agents des douanes ont été dotés d’une capote kaki, d’un casque, d’un masque à gaz et de cartouches. C’est sous l’uniforme de douaniers que soldats et sous-officiers ont fait campagne. Seuls les officiers portaient la tenue kaki, qu’après leur mobilisation ils avaient acheté sur leurs deniers. En temps de paix, les agents des brigades disposaient d’un revolver de service et, en sus, ceux de la douane volante d’un mousqueton. Le soir du 1° septembre 1939, tous les agents en furent dotés.

 

  • 24 juin : Un arrêté du Préfet du Nord prohibe toute sortie de vivres vers l’étranger. Les agents vont donc devoir cesser leurs missions de police pour reprendre la surveillance de la frontière.

 

  • 27 juin : La bataillon, comme tous les autres, est dissous.

 

En 1981, le 2° bataillon douanier de Dunkerque était (enfin) reconnu comme unité » combattante. L’action conjointe de Raymond Weisbecker, retraité et président de la Section de la Poche de Dunkerque de l’Association Nationale des Anciens Combattants, et de Michel Bansard, adjoint au directeur régional des douanes à Dunkerque, avait emporté la conviction du service historique de l’Armée de Terre. Une reconnaissance qui faisait écho à l’éloquence grave de citations reçues par les hommes du bataillon:

 

  • (*) Soufflet Albert – Mobilisé le 1er août 1914 comme sergent du 332° régiment d’infanterie, il gagna ses galons de lieutenant sur les champs de bataille. Il fut l’objet de plusieurs citations et reçut une blessure. Chevalier de la Légion d’Honneur en 1923, il commanda le 2° bataillon de douaniers en 39-40 et, à maintes occasions, mérita les éloges des autorités militaires tant françaises que britanniques. Promu directeur à Caen, il fut tué au cours des bombardements de Rouen le 30 mai 1944.

 

  • Dunkerque, « Ville Ardente »

 

  • Kipper Raymond – Capitaine, commandant la compagnie des douanes à Bailleul. Par lettre du 5 mars 1940, le général commandant la 53° division le félicita pour l’heureuse et l’intelligente activité que lui et le personnel des douanes placé sous ses ordres, n’ont cessé de déployer de jour comme de nuit, malgré les rigueurs d’un hiver particulièrement pénible. L’auteur de la lettre ajoute que « grâce à l’étroite collaboration qui a toujours existé entre les unités de la 53° division et le personnel des douanes, les résultats obtenus ont été très satisfaisants ».

 

Bernard Hendricx

 

 

Cahiers d’histoire des douanes françaises
N° 35 – 1er semestre 2007

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