Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

Des douaniers héros du sauvetage : l’exemple du  patron Morvan

Mis en ligne le 1 septembre 2024

 

Dans son article  » Les douaniers et le sauvetage en mer : une longue tradition « , Serge Rinkel évoque parmi ces « douaniers, héros du sauvetage » le marin des Douanes Morvan et reproduit son éloge faite par Paul Hervieu, Directeur de l’Académie française au cours de la séance du 24 novembre 1904.

 

L’équipe de rédaction 

 


 

« Dans la personne Jean-René Morvan (1), nous avons à saluer un double type de vertu, tant au sens de la charité chrétienne que selon l’acception antique. II n’a qu’une modeste pension, il est père de six enfants, il assiste ses beaux-parents, et ses exploits de sauveteurs lui ont valu la gloire dans les annales bretonnes…

 

Il ne veut compter que vingt-neuf personnes restées vivantes grâce à son courage. Deux d’entre elles, en effet, sont les mêmes à lui avoir été, en deux circonstances, redevables de leur vie. Pour ne contre dire ni lui-même, ni la vérité, disons qu’au péril de son existence, il a sauvé celle de ses semblables trente et une fois.

 

En 1884 un sloop, pris par le flux, menace de sombrer contre le pont d’Audierne où il cogne. Son mât est cassé. II y a cinquante personnes à terre qui regardent mais nul ne s’avise du moyen de secourir l’équipage: on ne le peut sans risquer de n’en pas revenir.

 

Jean-René accourt. Il enjambe le parapet, descend par l’extrémité du mât qui, tressaillant et couché, ne tient plus au navire que par des cordages. Par une manœuvre qui s’appelle « faire allonger un grelin », Morvan opère le sauvetage, corps et biens…

 

Trois semaines plus tard, il repêche un homme que l’ivresse a fait tomber dons le port. Le mois suivant, il plonge tout habillé avec son sabre, et ramène à nouveau un homme ivre. C’était un autre…

 

Å quelque temps de là, il saute du bout d’une jetée et rapporte encore quelqu’un, également ivre… Ce n’est pas fini: un pilote et un marin conduisent un passager d’une rive à l’autre, reçoivent un pourboire, interprètent la locution au pied de la lettre, et au retour, dans leur inconscience, ils chavirent sur la rivière. Mais le dieu sur lequel ils étaient en droit de compter totalement s’incarna une fois de plus en Jean-René, et les sauva.

 

 

E Fort : Le garde-côte d’après Loubon

 

Il y a treize ans, à Loctudy, trois enfants s’aventurent en périssoire. Un courant les entraîne vers le large. Ils se jugent perdus. Leurs clameurs ont attiré du monde sur place ; et les spectateurs ne savent que pousser ce cri d’un altruisme si ingénu sur les lèvres des hommes : « Il faudrait un homme… ». En voici un : Jean-René Morvan. Il se jette à la mer. Par de vigoureuses brassées, il atteint les petits. Mais pour que le survenant monte avec eux, l’embarcation est trop frêle. Que faire ? Le sauveteur saisit entre ses dents le bout d’amarre qui pend de l’esquif. Et remorquant malgré le flot contraire, toujours nageant pendant des centaines de mètres, cingle droit vers la côte, le col cambré sur les vagues, le front haut. On nous a conservé, après trois mille ans, le renom d’un loup de mer qui aurait eu pareille mâchoire dans la baie de Marathon…

 

Un dernier trait : Par un matin de beau temps, tous les bateaux de pêche sont sortis du port où Morvan est sous brigadier des Douanes. Cela fait six cents hommes, qui sont là-bas à leurs filets. Toutefois la mer s’est mise à grossir. Des vieux sur le rivage se communiquent bientôt l’impression que, depuis longtemps, on ne l’a pas vu déferler avec tant de furie. Il y a un mascaret qui va rendre bien dangereux le retour des barques.. Vers deux heures de l’après midi, on songe à mettre à l’eau le canot de sauvetage. Mais par qui le faire monter ? Son équipage régulier est en mer, dans le nombre des pêcheurs : ce sont les sauveteurs eux-mêmes qui auraient besoin d’être sauvés… On fait appel à des volontaires ; on en trouve sept. Cependant aucun d’eux n’a le crâne d’un chef. Le commandement est offert à Morvan. Vous pensez bien qu’il accepte aussitôt… Le voilà parti ! Et déjà il n’apparaît plus par intervalles dans les embruns, sous les panaches d’écume…

 

Pendant cinq heures, le canot qui lui obéissait resta sur la barre, chevauchant les lames, prêt à bondir à gauche, à droite, au secours des premiers qui feraient le naufrage. Cette présence empêchait que l’angoisse de six cents êtres humains devînt de la folie, alors qu’à demi déshabillés, ils étaient prêts, dons cette perdition, à sauter de leurs bords pour se mettre, tout de suite, corps à corps avec l’eau. Jean-René Morvan n’eut personne à sauver ce jour-là ; mais on peut affirmer que, moralement, il y sauva une flotte, et qu’habitué à voir la mort, il ne I’a pourtant jamais dévisagée de plus près.

 

Ce héros est titulaire de deux médailles d’argent, d’une médaille d’or, de deux médailles d’honneur. Nous allions ajouter machinalement qu’il est décoré. Mais non. Du moins l’Académie se félicite de ce que parmi tant de distinctions si noblement acquises, l’on ne verra pas manquer sa branche de laurier » .

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En décernant au patron Morvan le prix Gémond pour le récompenser des nobles actions qui jalonnent sa belle et rude existence de douanier, l’Académie Française désigne aux pouvoirs publics un homme qui mérite certes les distinctions officielles les plus élevées. Il est à noter qu’en 1930, lorsqu’est institué l’ordre du Mérite maritime, le patron Morvan figure parmi les premiers titulaires de la décoration et qu’il obtient également Ia Légion d’honneur sur proposition du ministre de la Marine marchande.

 

À présent les équipages des vedettes et des avions des Douanes, et les agents des unités du littoral continuent à assister et secourir en mer dans le sillage de leurs anciens, à bord de leurs propres unités ou à bord des canots de sauvetage de la S.N.S.M. Parfois l’équipage d’un canot peut même être intégralement composé de douaniers volontaires, comme c’était le cas à Port-Saint-Louis du-Rhône, dans les années 1980.

 

Serge Rinkel

 


 

Note: 

 

(1) Annales des Douanes 1934: le patron Morvan, marin des Douanes a été affecté dans les brigades suivantes: Port-Manech, Le Pouldu, Quimper, Audierne, Loctudy, Saint-Pabu, L’Aberwrach. Il est ensuite devenu receveur auxiliaire au Conquet. Il quitte l’administration le 1er octobre 1913 pour se retirer à Carantec où il meurt aveugle en 1934.

 


 

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