Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

« Contrebande » en un roman, trois films et trois « Maisons »

Mis en ligne le 21 septembre 2022
1ère mise en ligne le 1 septembre 2022

 

Nous célébrons, en 2022, les 90 ans du grand roman sur le commerce illicite de tabac le long de la frontière franco-belge, que l’auteur souhaitait initialement publier sous le titre « Contrebande » et le pseudonyme de « A. Denis ».

 

Plutôt que de céder aux conventions du polar et au confort de l’anonymat, le titre et l’auteur sont finalement entrés dans l’histoire en célébrant la mystique des paysages côtiers et l’onomastique du Nord. En 1932 paraissait donc « La Maison dans la dune », premier roman signé Maxence Van der Meersch et premier pas sur le sable littéraire du futur lauréat du prix Goncourt pour « L’Empreinte du dieu » (1936), comme le rappelle Térèse Bonte dans sa biographie intitulée « Van der Meersch au plus près » (2002).

 

Le titre finalement retenu correspondait en effet bien davantage au projet de Maxence Van der Meersch de peindre une histoire d’amour et de fraude dans les Flandres, de Bray-Dunes à Menin, au détour de postes de douane et d’estaminets à l’origine de lieux-dits significativement baptisés « Risquons-Tout », « Marlière » ou « Mont-à-Leux », comme l’écrit Paul Renard dans l’étude intitulée « Maxence Van der Meersch, auteur et témoin » publiée en 2007 à l’occasion du centenaire de la naissance de l’écrivain roubaisien le 4 mai 1907.

 

Comme tant d’autres grands romanciers, Maxence Van Der Meersch avouait être dépourvu d’imagination mais déterminé à ancrer pleinement sa prose dans son vécu, si bien qu’il dût se faire contrebandier pour parvenir à la description du morceau de bravoure de son roman, le Golgotha de son héros, Sylvain. Comme le raconte Térèse Bonte, Maxence Van der Meersch vécu cette « nuit de contrebande en gros, avec une auto qui franchit le ruisseau de l’Espierre sur un pont improvisé, quand on passe deux tonnes de tabac en un seul coup », grâce à une connaissance, Edouard, du Mont-à-Leux.

 

Si l’expérience en fut fraîche pour l’auteur, quoique moins tragique que celle de son héros, l’accueil du public fut chaleureux pour le roman dont les tirages successifs atteignirent 600 000 exemplaires, et qui bénéficia d’une première adaptation cinématographique deux ans à peine après sa publication. Tourné en neuf jours sur les lieux du crime de contrebande décrits par Maxence Van der Meersch, qui assista à certaines prises de vue, le film de Pierre Billon, avec Madeleine Ozeray, Pierre-Richard Willm et Thomy Bourdelle, sortit en effet dans les salles françaises le 3 août 1934.

 

Ces lieux de tournage, voire de pèlerinage pour la famille Van der Meersch, avaient été arpentés par l’auteur en 1925 pendant ses vacances à Blankenberghe, Ostende, La Panne, qui lui firent découvrir les douaniers et les fraudeurs, ainsi que l’auberge près du canal qui allait devenir le site éponyme du roman. Si le titre est au singulier, il existe en réalité trois « Maisons dans la dune » : l’idéalisée, qui vient d’être évoquée, petite maison flamande située à Adinkerque, sur la commune de La Panne en Belgique ; la romancée transférée pour les besoins de l’histoire à Furnes, toujours côté belge, le long du canal de Dunkerque ; et la propriété, grande villa anglo-normande située en pleine forêt, à 3 km du Touquet, acquise par l’auteur en 1947 où il finit ses jours comme son héros sylvestre. Comme l’écrit Térèse Bonte, « sur l’un des murs, invisible de la route, une plaque de marbre se souvient : « En cette « Maison dans la dune », M. Van der Meersch est mort le 14 janvier 1951 après une vie consacrée à la recherche du vrai ».

 

A la demande de sa veuve, cette maison fut toutefois débaptisée sous le nom de « Sand hill » lors de sa vente en 1952, l’année de la seconde adaptation du roman par Georges Lampin, avec Ginette Leclerc, Roger Pigaut et Jean Chevrier. Cette histoire de l’impossibilité de « recommencer », de l’échec d’une quête de rédemption, dans laquelle une figure christique tente de sauver la prostituée, Germaine, de mériter la sainte, Pascaline, et de protéger l’innocent, le chien Tom, ne pouvait qu’inspirer les cinéastes de part et d’autre de la frontière, à l’image de Michel Mees qui réalisa en 1988 son ultime adaptation à ce jour, avec Tchéky Karyo, Jean-Pierre Castaldi et Nathalie Dauchez.

 

Roman de la « guérilla perpétuelle qui divise les douaniers et les contrebandiers » selon les mots de Maxence Van der Meersch, « La Maison dans la dune » alterne les plans larges de gabelous fondus en silhouettes menaçantes gardant la frontière, surnommés « les noirs » par les fraudeurs, et les gros plans du douanier Lourges de la « brigade mobile », figure à la fois antagoniste et gémellaire du héros en sa qualité d’ancien contrebandier aimant fréquenter « les maisons borgnes réputées comme des coupe-gorge », qui n’est pas sans évoquer les vers d’un autre écrivain du Nord, Francis Carpentier, dans son recueil de sonnets « Douanes » (2018) :

 

« Les gabelous chassent des hommes
Dont ils partagent les talents
Mais qui jouent dans un autre camp. »

 

 

Kevin Mills

 

 


 

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