Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

Connaissez vous « La ligne Brunel »?

Mis en ligne le 1 juillet 2020

 

 

Nous saisissons l’occasion de cette « Une » dédiée aux sentiers des douaniers pour mettre à la fois en lumière un douanier passé à la postérité ainsi que l’engin de sauvetage en mer dont il fut l’inventeur. Nous reproduisons ici  l’article de Michel Boyé publié en mars 1990 dans les Cahiers d’histoire des douanes et droits indirects. Nous complétons ce document qui révélait le portrait de Joseph Brunel d’une photo de cette fameuse ligne Brunel (Source: SNSM Le Conquet – photo JP Clochon).

 

L’équipe de rédaction


 

La ligne Brunel

 

Parmi les pièces des collections permanentes du Musée des Douanes, il est un objet qui intrigue les visiteurs, suscite leurs interrogations et plonge dans la perplexité, malgré les explications fournies, nombre d’entre-eux. Il s’agit de la ligne Brunel.

 

Un échange de correspondances – fructueux -, entre un chercheur généalogiste et le Centre de Documentation Historique de Bordeaux, permet désormais de mieux connaître l’histoire de cet « engin de sauvetage du port de Dieppe » (1), qui porte tout simplement le nom de son inventeur, un sauveteur et philanthrope né à Puys (76) (2), le 19 juin 1830 : Joseph, Jean-Baptiste, Alfred Brunel.

 

I. Qui était Brunel ?

 

Attiré dès son plus jeune âge par la mer, excellent nageur, Joseph Brunel est encore écolier lorsqu’il réalise son premier sauvetage dans le port de Dieppe en sauvant l’un de ses camarades tombé dans un bassin.

 

Fils et petit-fils de douaniers (3), il entre, comme il se doit, dans l’Administration des Douanes. Il est d’abord affecté au Tréport où il met à son actif un deuxième sauvetage le 14 octobre 1855. Après son mariage en 1858, il est nommé brigadier et muté au Havre. Joseph Brunel accomplira dans sa nouvelle résidence deux autres actes de sauvetage, tous deux sanctionnés par une médaille d’honneur, l’un le 23 janvier 1859, le second le 16 juillet 1859 au cours duquel il sauve la vie d’un matelot du navire le Marie-Anne en partance pour les Antilles.

 

Après avoir été en poste à Sainte-Marguerite-sur-Mer et Biville-sur-Mer (76) où son courage et son intrépidité lui permettent de porter secours à des personnes en danger de se noyer, Brunel devient Dieppois en accédant au grade de lieutenant, vraisemblablement au milieu des années 1860. 

 

A cette époque, la mise au point d’appareils de sauvetage (lignes, bouées, ceintures) stimule l’imagination des inventeurs. En 1865, M. Torrès, membre médaillé de la Société des Sauveteurs du Havre réalise une ligne de sauvetage dont la Chambre de Commerce havraise reconnaît les mérites dès le 7 décembre 1865. Mise au courant, la Chambre de Commerce de Dieppe décide, le 3 mars 1866, l’achat de 20 lignes Torrès dont le placement est arrêté le 31 mars.

 

C’est alors que Joseph Brunel décide de fabriquer lui aussi des engins de sauvetage. Après de multiples essais, il dispose de plusieurs lignes et baptise la plus petite « La Dieppoise Universelle« ; elle deviendra la ligne Brunel (4). En effet, en 1874, sur la demande de la Marine, il abandonne à l’Etat le droit de faire usage de l’appareil qu’il vient de présenter. Le 22 juillet, le Ministre le remercie et prescrit l’emploi de la ligne Brunel dans les ports français. « Il s’agit d’une ligne de corde brune, embobinée sur une bobine de bois, terminée par un grappin et enfermée dans un étui de cuir qu’une anse permet de suspendre à la ceinture ou à la poignée d’une baïonnette » (5).

 

Le 2 mars 1875, Brunel soumet sa ligne à l’appréciation de la Chambre de Commerce de Dieppe qui décide, le 23 mars, l’achat de 18 lignes qu’on fait confectionner en fil végétal (et non de chanvre) pour ne pas tenter les voleurs! 

 

Quelques mois plus tard, Joseph Brunel reçoit sa troisième médaille pour le dévouement dont il a fait preuve, le 22 décembre 1874, pendant le naufrage du brick anglais Rose of Denmark (6).

 

 

Tandis que la ligne Brunel est progressivement adoptée par l’Etat – et en particulier par l’Administration des Douanes -, la Société Centrale de Sauvetage des Naufragés, les Chambres de Commerce et plusieurs pays – dont l’Angleterre, la Suède, la Russie, la Belgique et la Hollande -, Joseph Brunel accumule récompenses et distinctions.

 

Ainsi, en 1892, reçoit-il un vase de Sèvres offert par le Président de la République Casimir-Périer; le 10 juillet 1893, il est nommé Chevalier de la Légion d’Honneur et, en 1900, il se voit décerner, dans le cadre de l’Exposition Universelle, une médaille d’or.

 

C’est au retour de son séjour à Paris que, le 26 octobre 1900, il s’éteint, entouré de toute sa famille.

 

Ligne Brunel et sauvetages

 

Une rue de Dieppe, dans le faubourg Pollet, perpétue le souvenir du lieutenant des Douanes Joseph Brunel qui a aussi été le fondateur en 1889, à Dieppe, de la Société des Sauveteurs, avant de devenir conseiller municipal.

 

Au début du siècle, il est admis que « la ligne Brunel a sauvé la vie de plusieurs centaines, sinon de milliers de personnes » (7). Sa diffusion sur les côtes françaises a été largement assurée par la Société Centrale de Sauvetage des Naufragés, créée en 1866 pour « porter secours aux victimes des drames de la mer sur toutes les côtes de France, d’Algérie et de Tunisie » (8).

 

Pourtant, l’utilisation d’un tel engin pour sauver la vie de personnes tombées à l’eau étonne de nos jours. Le récit d’un sauvetage, réalisé à Trouville le 20 mai 1900, quelques mois avant la disparition de Joseph Brunel, explique les contraintes inhérentes à l’usage de la ligne, balayant ainsi les doutes de nos contemporains quant à son utilité.

 

« Le 20 mai 1900, vers 8h du soir, le préposé Rocuet, de Deauville, étant en faction au n’ 3, a vu tomber dans le bassin le sieur Legris, fils, âgé de 25 ans, de Trouville, au moment où il débarquait du trois-mâts Drowning. Rocuet a aussitôt lancé sa ligne Brunel après cet individu qu’il a accroché par une manche de son veston et soutenu à ta surface de l’eau. Le père de ce jeune homme, qui était présent et en état d’ivresse, voulut porter secours à son fils, mais, perdant lui-même l’équilibre, il tomba sur son garçon. La secousse produite par cette chute fit céder l’étoffe à laquelle la ligne Brunel s’était accrochée et les deux hommes disparurent. Notre agent lança de nouveau sa ligne et put tes ramener au-dessus de l’eau, tous les deux entrelacés. 

 

A ce moment sont arrivés le préposé Legras qui se trouvait au n° 4 et Les nommés Ciscot et Gontier Louis, employés chez MM. Duval et Poirier. Ceux-ci ont avancé une corde aux sieurs Legris; le fils s’y est désespérément cramponné et a pu être retiré, mais le père, ayant taché prise est retombé dans le bassin. Rocuet a pu de nouveau l’accrocher avec sa ligne mais cette fois par la paume de la main de sorte que cet agent ne pouvait faire aucun effort de crainte d’occasionner une blessure grave, néanmoins il a pu le maintenir à la surface de l’eau. Gontier et Ciscot sont alors descendus à l’aide d’une corde, ont soulevé le sieur Legris de leur mieux et Legras, s’étant couché à plat ventre sur le quai et ayant demandé à plusieurs personnes inconnues de le tenir par les pieds, s’est suspendu dans le vide, a empoigné le noyé par la poitrine et tous ensemble l’ont remonté sur le quai. 

 

Legris père ayant fait plusieurs plongeons était exténué lorsqu’on l’a retiré de l’eau, néanmoins il a pu regagner son domicile, soutenu par son fils et plusieurs amis.

 

Des récompenses ont été demandées pour les préposés Rocuet et Legras » (9)

 

Michel Boyé

 


(1) Extrait de la presse dieppoise (article « La naissance des engins de sauvetage du port de Dieppe ») sans référence, communiqué par M. Chemin.

( 2 ) « Petite station balnéaire (près de Dieppe), où est mort, en 1870, chez son fils, Alexandre Dumas » (V. Barbier, Monographie des Directions des Douanes, Tome I, p. 499).

(3) Joseph Brunel était le fils de Jean-Baptiste Vincent Brunel, né le 20 octobre 1791 à Derchigny (77) et décédé à Dieppe, le 28 mars 1859, et le petit-fils de Jean-Baptiste Brunel. Jean-Baptiste Vincent Brunel, entré dans les Douanes Impériales le 24 novembre 1812 comme cavalier (Direction d’Embden), passe ensuite dans la direction de Dunkerque en qualité de préposé du ler juin au ler octobre 1814, puis dans celle de Nantes qu’il quitte le 1er juin 1815 pour « suivre dans l’inspection de Dunkerque M. Vimont » en qualité de cavalier d’ordre. En 1826, il est en poste dans la direction d’Abbeville (lettre de Boucher de Perthes, Centre de Documentation Historique AR 1177 et registre de Nantes AR 69).

(4) Extrait de la presse dieppoise (article « Dieppe… Dieppois… Dieppoiseries »), sans référence, communiqué par M. Chemin.

(5) Article cité, « La naissance des engins de sauvetage » du port de Dieppe.

(6) Article cité, « Dieppe… Dieppois… Dieppoiseries ».

(7) Article cité, « La naissance des engins de sauvetage du port de Dieppe ». G. Pallain, dans son ouvrage Les Douanes Françaises, écrit pour sa part; « Dans certains ports, les préposés de faction sur les quais, sont porteurs d’un engin spécial, appelé ligne Brunet, destiné à être jeté aux personnes tombées accidentellement à l’eau et en danger de se noyer. La liste est déjà longue des sauvetages qui ont été ainsi accomplis I » (Centre de Documentation Historique, FA 131, édition 1913).

(8) Petit Parisien du 17 mai 1903 dont la première page illustrée est consacrée, sous le titre La Sorbonne, à la distribution annuelle des récompenses aux sauveteurs des naufragés.

(9) Centre de Documentation Historique, AR 593.


 

 

Les Cahiers d’histoire des douanes et droits indirects

 

N° 9 – Mars 1990

 

 

 

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