Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

Conférence de Jean-Marc Berlière autour des forces de sécurité sous l’Occupation

Mis en ligne le 1 avril 2019

Le 26 mars dernier, l’association ouvrait un cycle de conférences historiques autour de la douane et des douaniers, en partenariat avec le pôle soutien général, le service de communication et le centre de documentation de la direction générale. Cette première séance a permis à une cinquantaine d’amateurs d’histoire et collègues douaniers de recevoir Jean-Marc Berlière, auteur d’un livre très dense « Polices des temps noirs », fruit de 4 années de travaux et recherches sur les forces sécuritaires sous le régime de Vichy.

 

Si Jean-Marc Berlière est universitaire, spécialisé dans l’histoire contemporaine et plus spécifiquement en matière d’histoire de la police, il n’en est pas moins très pédagogue. Il intervient régulièrement depuis 1992 à l’école des commissaires de police de Saint-Cyr au Mont d’Or et a permis progressivement d’intégrer l’histoire de l’institution policière dans ses programmes de formation professionnelle initiale, pour tous les grades.

 

Après s’être félicité de la dynamique douanière autour des thématiques historiques, l’intervenant s’est étonné du peu de recherches et de sources existantes sur l’histoire de la douane et des douaniers pendant l’Occupation.

 

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De manière générale, la période étudiée, de 1940 à 1944 est très brève dans l’Histoire des institutions sécuritaires. Pour autant, elle doit demeurer dans les mémoires comme riche en enseignements sur ce qui fondait la légitimité d’un Etat autoritaire et liberticide, parvenu démocratiquement au pouvoir : quasi-dépourvu d’armée et privé d’une diplomatie autonome, les institutions sécuritaires et la Police en premier lieu constituaient un levier majeur pour asseoir la légitimité de Vichy. Le régime instituait ainsi un « ordre nouveau », se voulant révolutionnaire, marqué par une réelle fascination pour les forces de l’ordre.

 

Les policiers, loyaux, ont largement rempli leurs devoirs professionnels. Mais JM Berlière a souligné qu’en cette période, il faut se départir d’une lecture totalement manichéenne : il n’y avait pas les collabos d’un côté et les résistants de l’autre… Nombre de policiers ont préféré rester « dans la machine » pour pouvoir conserver des leviers leur permettant aussi d’agir selon leur conscience personnelle et leurs « devoirs humains ». Il indique que si à l’origine le régime déteste les Allemands, car il est bâti par d’anciens de la guerre de 14-18, il est peu à peu frappé du syndrome du pont de la rivière Kwaï : en voulant écarter les nazis de la politique nationale, l’État français (qui n’a que peu d’influence sur la zone occupée) veut lui montrer qu’il peut être meilleur dans l’application de mesures barbares, notamment dans la ségrégation religieuse (à l’égard des juifs), ethnique (à l’égard des roms et des tziganes) ainsi que politique (à l’encontre des communistes et socialistes).

 

Les forces de l’ordre constituent pour Vichy l’instrument de réalisation de sa politique d’exclusion et de répression. Il faut pouvoir contrôler la ségrégation et l’exclusion des emplois publics ou de lieux publics.

Vichy – qui veut une police fort, professionnelle, nombreuse, loyale – nationalise en avril 1941 la myriade de polices municipales, afin de les régénérer, car considérées comme corrompues par le syndicalisme, la franc-maçonnerie et la politique.

 

Seule la Préfecture de Police de Paris conserve son autonomie, situation qui évoluera tardivement en 1966 par la loi Frey.

Au sein de ces forces de sécurité, Vichy a été accueilli très favorablement à l’origine, de 1940 à 1941/42 : le nouveau régime promet des effectifs, des moyens, des carrières améliorées et un prestige national.

 

Pour autant, peu à peu, avec l’évolution des instructions de plus en plus divergentes d’ordres habituels, « normaux » ou correspondant à une éthique et une morale civique, comme les arrestations sur fiches à domicile (communément appelées les « rafles »), les policiers jusqu’aux gardiens de la paix comprennent dans leur grande majorité qu’ils se situent hors cadre déontologique. L’adhésion initiale s’efface ainsi progressivement au profit d’une passivité, les services traînent les pieds. Fin août 1942, certains services de police arrêtent 5 à 10 % des objectifs de juifs fichés qu’on leur demande de ramasser. A Nancy, le service chargé des questions juives arrête moins de 3 % des Juifs ciblés, à tel point que le chef de la dizaine d’agents concernés se retrouve lui-même arrêté par les forces d’occupation et interné1. Selon JM Berlière, il y a beaucoup plus de résistants qu’on le croit au sein de ces polices, mais la plupart ne s’en est jamais vanté, pour préserver leur carrière. Car vis-à-vis de l’institution, avoir aidé des Juifs (même après la période sombre de l’Occupation) c’est avoir désobéi, trahi, donc avoir manqué de loyauté.

 

Quid de la douane… ce « trou noir » dans l’historiographie…. ?

 

Les douaniers se retrouvent bouleversés à l’été 40. Après avoir été mobilisés comme pendant le premier conflit mondial en bataillons militaires, les douaniers français perdent la garde de la plupart des frontières : l’Alsace et la Moselle sont rattachés à la région de la Sarre et du Palatinat dans le « Gau Westmark ». Les deux départements du Nord et du Pas-de-Calais sont rattachés au Militärbefehlsaber de Bruxelles. Une bande de départements du Sud du Pas de Calais à la Bourgogne est constituée en zone interdite aux forces françaises. A partir de 1941, les Allemands créent une zone côtière de Dunkerque à l’Espagne interdite, afin de créer avec l’organisation Todt le mur de l’Atlantique militarisé. Les douaniers français sont concurrencés par la Grenzpolizei allemande, qui prend la garde de certains points frontaliers comme à Bellegarde.

La frontière italienne est également repoussée dans l’intérieur des terres, les italiens souhaitant occuper une bande de plusieurs départements frontaliers. A la frontière espagnole, les douaniers français sont vus comme trop marqués « Front populaire » et soupçonnés d’actes de résistance. Ils sont cantonnés aux seules Pyrénées Orientales.

 

Il ne leur reste ainsi que le contrôle de la ligne de démarcation entre France libre et zone occupée, le contrôle des trains et des marchandises, dans une période de pénurie et de marché noir.

 

Les douaniers sont éclatés dans plusieurs administrations, mais demeurent payés par le ministère des Finances et par la direction générale des douanes. On retrouve 1500 douaniers au contrôle des prix, pour traquer le marché noir… Ils travaillent avec une « police économique » du ministère des finances. 9 fois sur 10, leurs investigations les amènent vers des Allemands, maîtres du marché noir.

2000 douaniers sont reversés dans la Police nationale, que le régime va porter à 96 000 agents en 1944. Les archives policières permettent de retrouver 200 douaniers dans les services de police de Lyon, et 700 à Marseille.

 

Plus de 600 douaniers sont confiés aux services pénitentiaires, notamment pour prendre la relève des gendarmes dans la garde des camps d’internement et de transit de Pithiviers et Beaune la Rolande.

Un grand nombre se retrouve dans la « Garde des communications » qui compte plus de 10 000 hommes pour surveiller les réseaux ferrés, de télécommunications. Cette difficile mission assurée en uniforme les expose aux bombardements, aux sabotages et coups de force des résistants.

La question de l’armement des douaniers est tranchée par les nazis, qui consentent à leur confier des armes de poing 6.35 et des mousquetons.

 

Enfin, pour JM Berlière, il est établi que les douaniers ont participé localement à des « arrestations à domicile sur fiche » (rafles) en zone Sud, non occupée en 1942-1943.

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Il reste à rechercher des sources, des archives, et écrire des monographies de centres douaniers tels que celui de Bellegarde, de bureaux, de direction comme celles d’Épinal, sous l’Occupation.

La conférence s’est prolongée par une séance de dédicace au centre de documentation de la direction générale, en compagnie des membres du bureau de l’association.

Arnaud Picard
1JM Berlière a coopéré au téléfilm Le Temps de la désobéissance, diffusé en 2006 sur France 2
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