Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

Charles Sauvageot : Un douanier collectionneur

Mis en ligne le 1 juillet 2023

Charles Alexandre Sauvageot, eau-forte par Edouard Lièvre, publiée dans le catalogue des collections de 1863

En 1989 fut présentée au Louvre une exposition de 350 œuvres et objets d’art provenant de dons faits à cette institution depuis plus de 200 ans. Parmi les donateurs, un nom attira l’attention des rédacteurs des Cahiers d’Histoire de la Douane qui rédigèrent un article à son sujet dans l’exemplaire n°8 d’octobre 1989 : « Charles Sauvageot (1781-1860), douanier et Conservateur honoraire du Musée du Louvre ».

 

Le présent article met à jour les informations disponibles sur ce personnage et sur ses collections d’objets et d’ouvrages. Pour faciliter l’exploration, des liens sont insérés sur la plupart des visuels afin d’accéder directement au site des institutions qui les conservent.

 

 

BIOGRAPHIE

 

Jean-Pierre Dantan (1800-1869), dit Dantan le Jeune. Buste du violoniste et collectionneur, Charles Sauvageot (1781-1860). Plâtre patiné terre cuite, ronde-bosse. 1833. Paris, musée Carnavalet.

Ce personnage a en effet fait montre d’une originalité étonnante. La notice bibliographique rédigée par A. Sauzay, conservateur-adjoint du Musée des Souverains, du Moyen Age et de la Renaissance au début de son « Catalogue du Musée Sauvageot » de 1861 nous donne des éléments détaillés sur sa vie.

 

Fils de négociants, Alexandre Charles Sauvageot naît à Paris le 6 novembre 1781 et suit des études classiques au collège des Quatre-Nations. A quatorze ans il se présente au Conservatoire de musique où il est reçu en classe de violon. Il obtient le premier prix de violon décerné depuis l’organisation du Conservatoire. Il entre à l’Orchestre de l’Opéra en 1800 comme second violon où il jouera jusqu’au 1er juillet 1829.

 

Deux de ses collègues musiciens, eux-mêmes collectionneurs, vont l’initier à l’art et à la numismatique et c’est à leur contact qu’il va commencer sa propre collection, qu’il va consacrer essentiellement à la Renaissance qu’il affectionne particulièrement. Il achète lors de ventes publiques ou bien auprès de marchands réputés. La faible valorisation de cette période lui permet d’acquérir de nombreux objets. C’est à cette époque que parallèlement à sa carrière artistique, il intègre les douanes en 1810, où il travaillera jusqu’en 1847.

 

Sauvageot n’est pas un grand voyageur, ses quelques déplacements connus se font en Normandie où il a pour ami M. A. Pottier, conservateur du Musée et de la bibliothèque de Rouen.

 

Son expertise le conduit par exemple le 12 janvier 1843 à assister M. Mérimée, inspecteur général des monuments historiques, pour dresser le catalogue descriptif et estimatif de la collection d’objets d’art et d’antiquité de M. Du Sommerard, acquise par l’État pour la formation du Musée des Thermes et de l’hôtel Cluny. En 1852 il est membre d’une Commission formée pour la création au Louvre d’un Musée réunissant des objets ayant appartenu aux souverains qui ont régné sur la France. Le 20 janvier 1855 il est membre du jury d’examen et d’admission des œuvres d’art présentées à l’Exposition universelle de 1855 (section de sculpture).

 

 

Louis Auvray (1810-1890), « Sauvageot 1833 », buste en marbre blanc, Musée du Louvre RF3872

Le 15 janvier 1856 il organise la donation au Musée impérial du Louvre « d’une belle et nombreuse collection d’objets d’art, recueillie pendant quarante ans, et acceptée par S. M. » selon ses propres notes personnelles. Evaluée à un million de francs, c’est cette donation qui fait sa notoriété en ce qu’elle constitue les premières collections d’objets d’art du Louvre. Dans l’article qu’il lui a consacré, Philippe Malgouyres(1) n’hésite pas à le désigner comme « l’un des pères fondateurs du département des objets d’art au Louvre ».

 

Le 4 mars 1856 il est nommé conservateur honoraire et il commence le déménagement de sa collection au Louvre le mois suivant. Il est nommé chevalier de la Légion d’honneur le 16 juin 1856. Le 20 juillet 1858 il emménage au Louvre.

 

Le 27 mars 1860 il est opéré « de la pierre » (calculs rénaux) et il décède trois jours plus tard, le 30 mars 1860. Le directeur général des Musées, intendant des Beaux-Arts de la maison de Sa Majesté l’Empereur, M. le comte de Nieuwerkerke, déclarait sur la tombe de Sauvageot, inhumé au cimetière de Montmartre : « La mémoire de Charles Sauvageot restera chère, non-seulement à ceux qui l’ont connu, qui ont pu apprécier les qualités de son esprit et de son cœur, mais encore aux amis des arts, à tous ceux qui comprennent les dévouements nobles et désintéressés. » Le Roux de Lincy, bibliothécaire et historien français, publiait quant à lui un article à son sujet intitulé « Mélanges » dans le Tome 8 de 1860 de la Revue Européenne (lien ici).

 

 

L’HÔTEL SAUVAGEOT

 

Sauvageot a résidé au 56 rue du Faubourg Poissonnière dans le 10e arrondissement de Paris. Le peintre Camille Corot (1796-1875) a résidé à cette adresse à la fin de sa vie. Si l’immeuble sur rue date du 1er Empire, au fond de la cour se trouve un bâtiment construit sous Louis Philippe. Initialement composé de deux étages, trois niveaux supplémentaires en briques, nettement visibles à l’œil nu, ont été rajoutés ultérieurement. C’est sans doute dans cet appartement que Sauvageot constitua son cabinet de curiosité, conduisant à ce que l’immeuble porte désormais son nom.

 

Sa renommée dans le milieu culturel semble établie puisque Balzac le mentionne en 1846 dans son tome VI de « La comédie humaine » dans le « Cousin Pons » où il évoque « la célèbre collection Sauvageot ». Il aurait même inspiré le personnage de Pons : « « Entre Pons et monsieur Sauvageot, il se rencontrait quelques ressemblances. Monsieur Sauvageot, musicien comme Pons, sans grande fortune aussi, a procédé de la même manière, par les mêmes moyens, avec le même amour de l’art, avec la même haine contre ces illustres riches qui se font des cabinets pour faire une habile concurrence aux marchands. »

 

 

LA COLLECTION SAUVAGEOT

 

On connaît l’étendue et la diversité de sa collection grâce au catalogue des collections édité en 1861 par le Musée Impérial du Louvre, rédigé par A. Sauzay, conservateur-adjoint du Musée des Souverains, du Moyen Age et de la Renaissance. Les objets sont rigoureusement indexés par typologie, on en dénombre en tout 1 424. Ils se répartissent en plus de 300 sculptures (marbre, albâtre, bois, os & ivoire), en orfèvrerie, horlogerie, médailles, faïences, des tableaux et miniatures, quelques dessins et gravures, verrerie et vitraux, instruments de musique, porcelaines et objets divers.

 

Un second tome sera édité en 1863, celui-ci est illustré par 120 dessins et gravures à l’eau-forte par Edouard Lièvre, et toujours commenté d’un texte historique et descriptif par A. Sauzay.

 

Aiguière et bassin d’aiguière : la métamorphose de Daphné

Statuette « Vénus sortant du bain », bois de poirier, XVIe siècle

 

L’exploration des collections numérisées du Louvre nous permet de retrouver nombre des objets collectés et données par Sauvageot.

 

Par exemple l’aiguière et le bassin, ainsi que la statuette de vénus qui figurent sur les gravures représentant Sauvageot lui appartenaient bien, on les retrouve dans le catalogue des collections illustré de 1863, ainsi que dans la base numérique publique du Louvre.

 

Patanazzi (atelier des), Musée du Louvre, Département des Objets d’art du Moyen Age, de la Renaissance et des temps modernes, OA 1247

Patanazzi (atelier des), Musée du Louvre, Département des Objets d’art du Moyen Age, de la Renaissance et des temps modernes, OA 1249

 

Certains de ses instruments sont désormais conservés au Musée de la Musique situé à la Philarmonie de Paris, notamment un très beau clavecin datant du 17e siècle.

 

La constitution de sa collection d’objets va de pair avec celle d’une bibliothèque très fournie. Nous en connaissons le contenu grâce au catalogue constitué à son décès pour sa vente qui se tiendra du 3 au 15 décembre 1860. Intitulé « Catalogue des livres manuscrits et imprimés composant la bibliothèque de M. Charles Sauvageot,… avec une notice biographique par M. Le Roux de Lincy. », il est conservé à la BNF depuis la vente du 3 décembre 1860, maison Silvestre.

 

Philippe Malgouyres a publié un article (1) sur cette collection « La bibliothèque d’un « véritable amateur », Charles Sauvageot (1787-1860) », il y écrit : « Le catalogue comporte 1681 numéros, dont une grande quantité d’ouvrages en plusieurs volumes, et est divisé en sections d’importance variable : théologie (55 numéros), sciences et art (230), belles lettres (300), histoire et archéologie (1039). » Cette variété est à l’image de la curiosité de son créateur qui s’intéresse à la poésie comme aux ouvrages d’histoire, nouvelles, romans ou encore écrits burlesques.

 

La BNF conserve des documents lui ayant appartenu, deux lettres de lui, et sept œuvres musicales le mentionnant soit comme ancien possesseur, soit comme interprète.

 

Ses ouvrages lui servent également à documenter ses collections d’objets où il place de nombreuses notes et références à ses recherches. La démarche de Sauvageot peut donc être considérée comme totalement muséale puisqu’il étudie et contextualise les objets, en allant au-delà de leur pur aspect formel ou utilitaire, en leur redonnant une histoire et un environnement pour mieux les comprendre. C’est sans doute en cela que son approche scientifique est remarquable.

 

Il est intéressant de noter que le « Catalogue du Musée Sauvageot » de 1861 et le « Catalogue des livres manuscrits et imprimés composant la bibliothèque de M. Charles Sauvageot » de 1860 peuvent tous deux être achetés de nos jours. En effet, dans une politique de conservation patrimoniale des ouvrages de la littérature française mise en place par Hachette Livre et la BNF, un catalogue de titres indisponibles est proposé à la vente, la BNF ayant numérisé ces œuvres et Hachette Livre les imprimant à la demande. Pour plus d’informations à ce sujet suivre ces liens : Catalogue du Musée Sauvageot | Hachette BNF et Catalogue des livres manuscrits et imprimés composant la bibliothèque de M. Charles Sauvageot | Hachette BNF.

 

 

CARRIERE DOUANIERE

 

Etats de service de Sauvageot, Extrait d’un Registre du Personnel. Fac-similé fourni par le MND ©douane

 

Extrait Cahiers d’Histoire de la Douane n°8 d’octobre 1989 « La carrière administrative de Charles Sauvageot »:
« Alexandre Charles Sauvageot né à Paris le 6 novembre 1781, est entré dans l’administration des douanes le 15 février 1810 donc à l’âge relativement avancé pour l’époque de 28 ans. Son « signalement » lui assigne pour « occupation avant l’emploi » : « aux études » ou encore : « chez ses parents ». Il nous apprend par ailleurs qu’il était et serait demeuré « garçon ». On y découvre même que sa taille s’élevait, si l’on peut dire, à 1 ou 2 pouces au-dessus de 5 pieds !
Affecté à l’entrepôt des sels de Paris, puis à « la douane », c’est-à-dire à « l’entrepôt du Marais », il semble avoir, en fait, été détaché dès 1813 dans les bureaux particuliers du directeur.
En fin de carrière, Charles Sauvageot n’avait pas dépassé le niveau de commis principal au traitement annuel de 2000 francs.
Il fut admis à la retraite le 1er avril 1847. »

 

 

REPRESENTATIONS

 

De fait, outre les deux bustes présentés en haut d’articles, nous disposons de plusieurs représentations de Sauvageot :

 

Delaroche, Paul, Musée du Louvre, Département des Arts graphiques, RF 3348

 

 

 

– un dessin au crayon de Paul Delaroche (1797-1856) de la collection Delore conservé au Louvre (n°inv RF3348), non daté.

 

 

 

 

 

 

 

Charles Sauvageot dans son appartement du 56 rue du faubourg Poissonnière – Musée du Louvre, RF 24032

– une aquarelle de James ROBERTS (1796-1864) « Charles Sauvageot dans son appartement du 56 rue du faubourg Poissonnière » de 1856 conservé au Département des Arts graphiques du Louvre n°inv RF24032. Peintre et aquarelliste, James ROBERTS mène une carrière artistique en France et expose régulièrement à Paris au Salon. Cette aquarelle a été reproduite dans l’Illustration (vol. 31, 1858, p.141), elle accompagne un article de Darcel sur la donation Sauvageot.

 

 

 

 

Intérieur du cabinet de Monsieur Sauvageot, Roberts, Arthur Henry, 1856, Musée du Louvre, MI 861

 

– un tableau de son cabinet par Arthur Henry Roberts (1819-1900), « Intérieur du cabinet de Monsieur Sauvageot », 1856, huile sur bois, n°inv MI861. Peintre d’origine anglaise, fils de James Roberts (1796-1864) dont il fut l’élève. La notice indique : « Acquis sur la liste civile de Napoléon III au Salon de 1857; donné par l’empereur à Charles Sauvageot, et dès lors adjoint à la donation Sauvageot, précédemment effectuée en 1856 […] Sauvageot est représenté ici, en curieux typiquement balzacien (Le cousin Pons), dans la salle à manger de son appartement du 56, rue du Faubourg-Poissonnière à Paris, juste avant le transfert de sa donation au musée. »

 

 

 

 

 

 

– une lithographie de 1827 par Henri Grévedon (1776-1860) intitulée « Alex.dre Ch.les Sauvageot, de l’Acad.mie Royale de Musique et de la Société Acad.que des Enfants d’Apollon » conservée à la BNF.

 

 

 

HENRIQUEL Louis Pierre, Musée du Louvre, Département des Arts graphiques, RF 3349

 

– On trouve un dessin à la mine de plomb de 1839 de Louis Pierre Henriquel « Portrait de Sauvageot » dans les collections du Département des Arts graphiques du Louvre (n°inv RF3349), annoté « H. Dupont 1839/ à son ami Sauvageot. »

Une variante de cette œuvre est présente sous forme de gravure conservée sous le n°inv SN831 dans le Département des Objets d’art du Moyen Age, de la Renaissance et des temps modernes du Louvre. Datée de 1852, cette estampe porte l’inscription « Dessiné en 1833 et gravé en 1852 par son ami Henriquel Dupont ».

Enfin, ce motif apparaît également dans le catalogue des collections de Sauvageot, référencée comme publiée dans le Tome 1 mais sans doute plutôt dans le tome 2 édité en 1863, réalisée par Edouard Lièvre (1828-1886) (en tête d’article).

 

 

 

Renata Pstrag

 


 

BIBLIOGRAPHIE

 

(1) Philippe Malgouyres , « La bibliothèque d’un « véritable amateur », Charles Sauvageot (1787-1860) », Encyclopédie d’histoire numérique de l’Europe [en ligne], ISSN 2677-6588, mis en ligne le 22/06/20, consulté le 11/05/2023. Permalien : https://ehne.fr/fr/node/12206

Wiggishoff, Jacques Charles, « Les grands bibliophiles. Ch. Sauvageot, son ex-libris, sa bibliothèque et ses collections », Archives de la Société française des collectionneurs d’ex-libris et de reliures historiques, 1908, p. 136-139.

 

Malgouyres, Philippe, « Augustus Pugin (1812-1852) en visite chez Charles-Alexandre Sauvageot (1781-1860) », Bulletin de la Société d’histoire de l’art français, à paraître.

 

Catalogues de la collection Sauvageot en 2 tomes, 1861 et 1863
Collection Sauvageot. Tome 1,  1861 (inha.fr)
Collection Sauvageot. Tome 2, 1863 (inha.fr)

 

Le Roux de Lincy, Antoine, Catalogue des livres manuscrits et imprimés composant la bibliothèque de M. Charles Sauvageot, Paris, L. Potier, 1860.

 

Sur l’hôtel Alexandre-Charles Sauvageot rue Faubourg Poissonnière : hôtel Alexandre-Charles Sauvageot rue Faubourg Poissonnière (paris-promeneurs.com)
source : Duclert Ariane, Guide du promeneur 10e arrondissement, Paris, Parigramme, 1996

 

 


 

 

 

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