Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

Boucher de Perthes: « De la Ciotat à Morlaix » (18)

Mis en ligne le 1 novembre 2019

D’octobre 1815 à avril 1826, donc pendant dix années environ, Boucher de Perthes va exercer les fonctions d’inspecteur divisionnaire. Initialement affecté dans la direction de Marseille, à la Ciotat, il y restera moins d’un an.

 

La douane vit alors une époque difficile. Très mal vue dans les milieux légitimistes qui l’accusent de fourmiller de bonapartistes, elle doit , selon ces mêmes milieux, être sérieusement épurée. Du moins l’ordre en a-t-il été donné à Pierre de Saint-Cricq, qui n’a pas manqué de le transmettre, non seulement à ses directeurs, mais aussi aux Préfets. L’inspection générale reconstituée est simultanément chargée d’activer sur le terrain la « moralisation » du service.

 

A Marseille, le directeur Desmoulins, légitimiste convaincu, prend certainement la chose au sérieux. L’atmosphère est, à l’été 1815, très tendue en Provence où des bandes de verdets font régner la Terreur blanche. Boucher de Perthes dira de Desmoulins que cet « homme de coeur et de sens » ne porte pas l’entière responsabilité de la facheuse situation dont il fait la découverte à son arrivée à la Ciotat. Il est frappé par « l’exécrable composition de ses brigades. On a, confie-t-il à son père, recommandé comme royalistes… des hommes qui ne valent pas la corde qu’on emploierait pour les pendre. Le principal titre de ces individus est d’avoir figuré activement dans les rangs des Verdets. Pour faire place à ces drôles, on a renvoyé, sous prétexte de bonapartistes, tous les anciens sujets qui servaient bien. » Les anciens militaires qui faisaient la qualité des brigades « ont été chassés comme d’indignes mécréants. » II semble que Boucher de Perthes ait eu tendance à noircir le tableau. Dans un compte-rendu officiel daté de septembre 1815, Desmoulins fait état de 50 révocations d’agents des brigades et de 30 à 40 déplacements d’office. C’est beaucoup, mais cependant moins que ne prétend notre mémoraliste qui se vante d’avoir profité de l’absence de Desmoulins parti pour la capitale afin de faire valoir ses titres à la reconnaissance du Roi, pour se « débarasser d’une partie de (la) tourbe sanglante » que l’on a récemment incorporée : il en aurait révoqué « trente en un seul jour » et se propose de réserver le même sort à cinquante autres! Boucher de Perthes ne cache pas, en toute hypothèse, l’indignation que lui inspire l’épuration dont le service est l’objet : « la chose était faite, écrivit-il, avant mon arrivée, sinon elle n’aurait certainement pas eu lieu, et plutôt que de le souffrir, j’aurais remis ma commission ». On l’en croit sur parole. Les échos de cette expérience se retrouveront en tous cas dans la critique des moeurs administratives à laquelle il se livrera plus tard.

 

Quand il quittera la Provence à l’été de 1816, Boucher de Perthes n’en regrettera que « ce soleil qui brille toujours » et que l’on apprécie particulièrement  » quand on va sous un ciel oà il ne parait jamais.« 

 

Le destin ou plus exactement la volonté de Saint-Cricq, « assez mal disposé » pour ce jeune inspecteur jugé trop « remuant« , réputé pour « chercher les échauffourées » condamne en effet Boucher de Perthes à accepter la résidence de Morlaix où il finira néanmoins par se plaire.

 

La direction de Brest, qui couvre une partie des côtes des départements du Finistère et des Côtes du Nord, jouxte les circonscriptions de Lorient et de Saint-Malo. Sa partie droite forme la division de Morlaix qui s’étend de Roscoff à Saint-Quay-Portrieux. « C’est dit ironiquement Boucher de Perthes, une belle division… si la longueur est une beauté, car elle a 85 lieues de développement de côtes, quelques dizaines d’iles et ilots, 30 cuttters, lougres et canots armés et 600 hommes. » Bien qu’elle compte de petits bureaux installés dans une douzaine de ports de faible trafic, cette division tire son importance (au demeurant fort relative) de ses effectifs en agents des brigades terrestres et maritimes. Ce type d’activité répond mieux que l’inspection des bureaux aux goûts de Boucher de Perthes qui, pendant son séjour à Marseille, s’est plaint de vivre « et de travailler en nègre neuf mois sans mettre le pied dans la rue, écrivant depuis six heures du matin jusqu’à dix heures du soir. » Faut-il réellement l’en croire ? En tout cas, en Basse-Bretagne la vie d’un inspecteur des douanes, au début du siècle dernier, semble à lire notre mémoraliste, plus conformé à ce qu’on imagine aujourd’hui.

 

Lorsqu’il n’est pas en tournée, « ce qui n’arrive pas tous les jours« , il travaille de six heures du matin à une heure. Le reste du temps lui appartient : il s’occupe « de littérature, de poésie…, erre au Parnasse… invite un ami… , fait de la musique » ; selon les saisons, il se promène à pied ou à. cheval, « entre à la chambre littéraire, parcourt les journaux, fait quelques visites« , ou se rend à « des réunions dansantes ou chantantes« . Il dispose donc de la moitié de son temps pour mener la vie d’un notable de province.

 

Durant les tournées, la physionomie des choses change radicalement. A terre, les déplacements se font à cheval, en compagnie d’un cavalier d’escorte. L’état des chemins est tel cependant que Boucher de Perthes préfère emprunter le cutter Le Voltigueur pour voyager entre Brest et Saint-Malo.

 

Les troupes inspectées sont de qualité inégale. « Les brigades… sont aussi composées de gentilhommes… De père en fils ils occupent le même emploi : c’est ordinairement celui de simple douanier à 500 francs ; pauvre comme Job« , mais aussi illettrés, ces curieux fonctionnaires signent n’importe quoi, ce qui limite singulièrement la fiabilité des actes administratifs. Pour porter remède à une situation sans doute fort ancienne puisque, sous la Ferme générale, d’assez nombreux nobliaux bretons servaient en qualité de gardes, mais néanmoins peu satisfaisante, la décision est prise d’exiger désormais que les nouvelles recrues sachent lire et écrire en français.

 

Boucher de Perthes aime la mer. Il écrira un jour : « Il n’est qu’un seul état pour lequel j’ai eu une véritable vocation : l’état de marin; vocation contrariée, mais que je n’ai pas moins conservée toute ma vie« . Aussi, ne s’étonne t-on pas de le voir naviguer fréquemment à bord de son cutter qu’arment 18 hommes. Les embarcations douanières ont à déjouer les entreprises des fraudeurs de tabac venant des îles anglo-nor- mandes. Elles doivent aussi s’opposer, comme au temps de l’Empire, mais pacifiquement, à ce que les bricks anglais ne viennent jusque devant Roscoff, surprendre les smogleurs qui y sont admis par la réglementation française. La Royal Navy se comporte, aux lendemains de la chute de l’Empire, avec l’arrogance du vainqueur et il faut que les autorités françaises fassent preuve.de fermeté pour mettre un terme à des violations de souveraineté insupportables en temps de paix.

 

Mais les croiseurs anglais ne sont pas seuls à rendre dangereuses les eaux bretonnes. La tempête y fait souvent rage, si bien que
Boucher de Perthes peut présenter sa division comme « le royaume des naufrages ». Nous avons peine à réaliser aujourd’hui combien ces naufrages ont été jadis une donnée presque banale de la vie dans les régions côtières les plus exposées : le faible tonnage des bâtiments à voile et l’importance du cabotage suffisent à expliquer cette situation. Qui dit naufrages à proximité des côtes dit aussi épaves, donc intervention des autorités auxquelles la loi confie leur prise en charge, et, au premier rang d’entre elles, la douane. De tout temps, l’appréhension des épaves a été matière à conflit entre l’Etat et les populations riveraines pour qui le pillage de ce que rejetait la mer représentait une sorte de droit naturel. Boucher de Perthes eut l’occasion de mesurer la vigueur
de ce comportement qui le choqua profondément.

 

Après plusieurs années de cette vie, il commença « à avoir assez de l’inspection. Les déplacements continus (lui) faisaient perdre,
bien du temps ; puis, il est une chose qui me coûte », écrivit-il, « peut-être plus que de ne rien faire ; c’est de faire des riens, et malheureusement, c’est à quoi nous sommes condamnés, nous autres gens d’administration ».

 

La retraite bretonne finit par lui peser à tel point qu’il en vint à souhaiter « être arrivé à l’époque de la retraite ». Il était temps qu’il accédât au poste de directeur.

 

Naufrage sur les côtes de Bretagne.Gravure du XIXéme siècle – Musée des Douanes

 

 

Cahiers d’histoire des douanes françaises
N° 6 – Septembre 1988 (Numéro spécial)
Bicentenaire de la naissance de Jacques Boucher de Perthes
« père de la préhistoire » et fonctionnaire des douanes (1788-1988)
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