Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

Boucher de Perthes (3): les origines d’une carrière douanière

Mis en ligne le 1 mars 2019

Boucher de Perthes, 1833 par Henri Grevedon – BNF

Faut-il croire Boucher de Perthes quand il attribue son entrée dans les douanes au souci qu’eurent ses parents de sauver de la conscription l’ainé de leurs fils?

 

 

« Mon père avait de la fortune, mais il avait six enfants dont cinq garçons. A cette époque, la guerre moissonnait bien des familles. J’étais l’aîné de la nôtre; on voulut au moins en conserver un pour la race,  ou, si vous aimez mieux, pour le nom. Dans l’opinion de ma mère, (cette orientation) me sauve des boulets et des balles».

 

 

Est-il vrai par ailleurs qu’à l’époque où débute sa carrière «  les douanes se recrutaient (…) d’ex-nobles, d’enfants d’émigrés et de fermiers généraux morts révolutionnairement et dont les biens avaient été confisqués. De toutes les administrations, c’était, sous le rapport du personnel, la mieux composée »? (1)

 

 

La première de ces affirmations est sujette à caution et la seconde est fort exagérée.

 

 

Il est très difficile d’attribuer à une considération conjoncturelle, si motivante qu’elle puisse paraître, le destin professionnel de Boucher de Perthes. N’oublions pas que lorsque son père le fait admettre dans ses bureaux en qualité de surnuméraire, notre héros est âgé de quatorze ans: il ne risque donc pas d’être enrôlé à court terme!

 

 

La paix aurait-elle été assurée pour une longue période que Boucher de Perthes eut sans doute suivi la même carrière que son père et que son grand-père paternel.

 

 

En faisant inscrire son fils sur les rôles de la douane, Jules Boucher a suivi un usage très répandu dans le milieu auquel il appartenait, comme bien d’autres membres de la petite noblesse. Au temps de la Ferme générale, les employés supérieurs tenaient pour naturelle la transmission des « places » de père à fils, de beau-père à gendre, d’oncle à neveu, etc. En constituant de nombreuses fonctions administratives et judiciaires en «offices » vénaux, l’Etat avait d’ailleurs officialisé cette pratique. Certes, les emplois de la Ferme n’étaient pas de ces « offices », mais on admettait que certains d’entre eux (en particulier ceux de contrôleur général) (2) fissent l’objet de « traités particuliers » passés entre leurs titulaires et des surnuméraires. Sans doute faut-il chercher dans cette situation la justification d’une mesure que le Roi Louis XIV prit en un temps où le Trésor se trouvait en grande détresse: un certain nombre de contrôleurs généraux furent alors contraints, sous peine de révocation, de racheter leur emploi en acquérant des offices d’ « inspecteurs des Fermes » dont la création ne répondait à aucune nécessité et que leur confusion avec les emplois de contrôleurs généraux privait d’ailleurs de consistance (3).

 

 

La disparition de la Ferme générale et son remplacement par une Régie nationale ne pouvaient , en l’absence de volonté politique affirmée, révolutionner les moeurs de hauts fonctionnaires issus de l’Ancien régime. Tous les employés supérieurs de la Régie étaient en effet d’ex-employés supérieurs de la Ferme. Certains connurent, durant la Terreur, des difficultés momentanées: l’émigration, l’emprisonnement furent leur lot. Toutefois, la plupart d’entre eux purent rétablir leur situation sous le Directoire ou le Consulat. Et, sans doute, le retour massif au bercail de victimes de la Révolution explique-t-il que Boucher de Perthes ait pu parler d’un recrutement important d’ « ex-nobles » et « enfants d’émigrés  » . On se contenta en fait de remettre les choses en l’état où elles étaient en 1791 et de reprendre les bonnes habitudes d’autrefois.

 

 

Parlant de son entrée dans les douanes, Boucher de Perthes écrit que « financièrement parlant », elle lui ouvrait une « belle carrière ». Et tel fut, à l’évidence, l’objectif suivi par Jules Boucher qui, un peu plus tard, en usa de la même manière à l’égard d’un autre de ses fils. Ses collègues Turc, Dubois, Hains, Lamar et Magnier (pour ne citer que ceux là) adoptèrent le même comportement.

 

 

Sans doute les choses étaient-elles devenues un peu plus difficiles que sous l’Ancien Régime: il ne pouvait plus être question de ces « traités particuliers » qui assuraient autrefois la transmission des places; désormais, après le surnumérariat, on devait débuter dans la carrière au bas de l’échelle, puis franchir tous les grades intermédiaires avant d’accéder aux emplois supérieurs. Néanmoins, en l’absence de concours de recrutement et d’examens de promotion, le « népotisme » pouvait continuer à régner.

 

 

Il allait, en effet, pendant plus d’un siècle, servir de leitmotiv aux mécontents qui pourraient accuser l’ « aristocratie douanière » de se partager les sinécures rémunératrices (4). Boucher de Perthes n’a pas manqué de stigmatiser cette tare du système administratif, mais il n’en a pas moins profité et, apparemment, sans trouble de conscience. Sa carrière a connu, sous le Premier Empire, un développement rapide qu’il dut en grande partie à des protections dont il n’a pas fait mystère; s’il s’est trouvé écarté ensuite de la direction générale, du « Saint des saints », ses appuis lui ont quand même permis d’obtenir, à trente sept ans, la succession de son père dans un emploi de directeur.

 

 

Ainsi convient-il de considérer la présence de Boucher de Perthes dans l’administration des douanes comme ne devant rien au hasard: il était dans l’ordre des choses qu’il y fit, selon sa propre expression, « une belle carrière ».

 

 

 

Cahiers d’histoire des douanes françaises
N° 6 – Septembre 1988 (Numéro spécial)
Bicentenaire de la naissance de Jacques Boucher de Perthes
« père de la préhistoire » et fonctionnaire des douanes 1788-1988

 

 


  1. « Sous Dix Rois » – Tome 1
  2. Dans chaque direction des Fermes, un contrôleur général exerçait les responsabilités qui furent par la suite confiées aux inspecteurs; il assurait à la fois le contrôle de l’exécution du service dans les bureaux et dans les brigades.
  3. Les offices d’inspecteurs des Fermes furent supprimés en 1716 et leurs propriétaires obtinrent le remboursement du prix d’achat.
  4. Cf Jean Clinquart – Ouvrages publiés par l’Association pour l’histoire de l’administration des douanes relatifs aux années 1815 à 1914 (3 volumes).

 

 

 

 

 

 

MENU