Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

Boucher de Perthes (1): « Illustre et inconnu » par Jean Weber

Mis en ligne le 1 mars 2019

Avant propos

 

Jacques Boucher de Perthes est l’un des très rares fonctionnaires des douanes françaises qui puissent prétendre à la notoriété internationale. Son titre, aujourd’hui incontesté de Père de la Préhistoire justifie ce privilège. Et pourtant, il n’est pas véritablement célèbre. Ses travaux ont beau être évoqués dans des ouvrages aussi difficilement comparables mais d’aussi large audience que l’Identité de la France de F. Braudel ou l’Histoire de France au jour le jour d’André Castelot et A. Decaux, son rôle dans la naissance de la science préhistorique est méconnu, même de personnes intéressées par cette discipline.

 

 

Si l’homme de science se trouve à ce point oublié, que dire du fonctionnaire? Les douaniers, qui pourraient s’enorgueillir de compter dans leurs rangs un aussi éminent personnage, ignorent pour la plupart jusqu’à son existence: et cependant, l’un des ouvrages publiés par notre association lui a rendu un hommage appuyé. Il est vrai que les sélections opérées par la mémoire collective sont loin d’être toujours heureuses: témoin le fait que, si la plupart des douaniers ignorent Boucher de Perthes, assez nombreux sont ceux d’entre eux qui connaissent encore le nom du capitaine Saint-Jours, auteur d’un Manuel des brigades des douanes, fréquemment réédité dans un passé déjà éloigné.

 

 

Le bicentenaire de la naissance du savant directeur des douanes d’Abbeville nous offre l’occasion de réagir contre une situation aussi anormale.

 

 

Le numéro des Cahiers que nous présentons aujourd’hui est intégralement consacré au fonctionnaire des douanes que fut, pendant un demi-siècle, le Père de la préhistoire.

 

 

Il n’y est pas question de l’invention de l’homme antédiluvien: en cette année 1988, nous faisons confiance à d’autres publications, à cet égard plus qualifiées que la nôtre, pour évoquer le savant. Pour notre part, c’est au serviteur de l’Etat que nous rendrons hommage.

 

 

Si la majeure partie de la vie administrative de Boucher de Perthes s’est calmement déroulée en Picardie, ses débuts se situent aux temps héroïques du Premier Empire. Or, l’auteur des Antiquités celtiques et antédiluviennes est aussi l’auteur de Sous Dix Rois, c’est à dire l’un des rarissimes mémorialistes auquel peut se référer l’histoire de la douane française. Sur les évènements qui ont marqué les dix premières années de sa carrière, puis quatre autres décennies moins agitées, Boucher de Perthes nous a laissé un témoignage irremplaçable.

 

 

Et nous avons cette chance supplémentaire que le mémorialiste se double d’un observateur des moeurs administratives. Essentiels pour la connaissance de l’histoire de la douane, ses écrits ne le sont pas moins  par ce qu’ils nous apprennent sur la condition de l’employé, modeste ou supérieur, durant la première moitié du XIXe siècle.

 

 

Dans les ouvrages tels que Le Petit Glossaire, Hommes et choses, Les masques, le célèbre Abbevillois a brossé une peinture sans complaisance de la bureaucratie de son temps.

 

 

L’humour qui en tempère la férocité n’est pas le moindre charme de ces ouvrages totalement oubliés aujourd’hui. Et cependant ces textes mériteraient considération, car leur auteur n’y apparait pas seulement sous les traits d’un moraliste: sa réflexion sur l’organisation administrative et sur la politique douanière le conduit en effet à manifester cette audace anticipatrice qui, en un autre domaine, constitue son titre de gloire. Allant à l’encontre de l’opinion dominante, il n’hésite ni à préconiser la réforme de l’administration, ni à prôner le libre échange. Des opinions aussi peu conformistes ne pouvaient lui attirer la sympathie d’une haute administration attachée à ses privilèges et favorables aux thèses protectionnistes. Mais Boucher de Perthes était voué, semble-t-il, à susciter la contradiction: contesté au sein de l’Administration, il ne le fut pas moins dans le monde scientifique.

 

 

Ce personnage attachant était, au demeurant, pétri lui-même de contradictions. Son esprit novateur ne l’empêche pas d’être représentatif à son époque, voire d’une aristocratie administrative dont l’existence même constituait un legs du passé

 

 

De cet enracinement de Boucher de Perthes dans son siècle, nous aurions mauvaise grâce à nous plaindre: il confère un surcroît d’intérêt à la découverte de sa personnalité.

 

 

Jean Weber
Directeur général des douanes et droits indirects
Président de l’Association

 

 

Cahiers d’histoire des douanes françaises
N° 6 – Septembre 1988 (Numéro spécial)
Bicentenaire de la naissance de Jacques Boucher de Perthes
« père de la préhistoire » et fonctionnaire des douanes 1788-1988
Illustration: Portrait de Jacques Boucher de Perthes, 1833 par Henri Grevedon – BNF
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