Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

Bernard, Athanase, Léon Amé – 1808-1892 (2)

Mis en ligne le 1 mars 2019

 

Directeur général Léon Amé

Un des successeurs de Léon Amé, Georges Pallain, rappelle que ce grand directeur général ne vivait que pour ses fonctions et qu’il s’y absorbait complètement. Il le décrit comme un orateur qui, « à force de supériorité ancienne et familière, sans note, traite à fond les questions les plus complexes et les plus ardues. Il donnait, sur l’heure, tous les renseignements sans avoir de recherches à faire. On eût dit, à l’entendre, qu’il avait catalogué dans sa tête, comme dans un répertoire admirablement ordonné, tous les documents, toutes les archives où l’Administration des Douanes, depuis la célèbre loi de 1791, a consigné ses décisions, ses nomenclatures, ses précédents ».

 

 

Bernard, Athanase, Léon Amé est né, le 8 février 1808, à Bayonne. Il est le fils d’un visiteur des douanes. Michel Boyé a pu déterminer que « les Amé étaient de petite noblesse provinciale. « Noble » était Louis, Athanase Amé, grand-père de Léon, bénéficiaire du titre d’ « écuyer ».

 

 

Orphelin de bonne heure, Léon Amé s’oriente naturellement vers la carrière de son père. L’administration accepte sa candidature malgré son jeune âge, il entre en douane, le 1er juin 1823. Il a tout juste 15 ans, et embarque comme matelot sur une patache. Successivement il est appelé aux fonctions de commis, receveur, chef de bureau, d’abord dans une direction  ensuite à la Centrale, puis inspecteur. Plus tard, il est nommé directeur à Colmar puis à Bordeaux et enfin à Paris. Par la suite, il entre au Conseil d’administration où il dirige la division de la Législation. Il participe notamment aux discussions aboutissant à la mise au point des règlements consécutifs aux conventions d’application du traité franco-anglais conclu à l’initiative de Napoléon III. Il doit également assurer la préparation des autres traités et conventions similaires que la France signe avec d’autres pays, notamment européens.

 

 

Le 19 mars 1869, il succède à Pierre Barbier, le jour même de la séparation de la Douane et des Contributions indirectes. Selon Jean Clinquart : « Le Gouvernement est assuré de disposer, en la personne d’Amé, d’un directeur général parfaitement informé des problèmes de politique douanière qui se trouvaient alors posés».

 

 

Mais voici que la tension avec l’Allemagne monte dangereusement. Dès le début du mois de juillet 1870, les brigades des douanes sont en alerte. Des échauffourées se produisent entre douaniers et cavaliers prussiens. Le douanier Mouty a le triste privilège d’inaugurer, le 23 juillet, la longue série des morts de cette guerre.

 

 

Le 9 août, Amé applique les décrets des 26 et 27 juillet mettant les brigades des départements de la Moselle, du Haut-Rhin et du Bas-Rhin à la disposition du département de la Guerre. Il a déjà prescrit la formation de « compagnies susceptibles d’être utilisées pour la garde des places fortes ». Appliquant les décisions gouvernementales, il a recommandé de diriger les autres compagnies sur Paris pour y être formées en bataillons.

 

 

Suite à ces instructions, 10 000 douaniers sont dirigés vers Paris. Ils sont logés dans les magasins généraux réquisitionnés par le gouvernement. Mais l’impéritie est générale, les 10 000 douaniers à peine rassemblés, le ministre de la Guerre décide de n’en conserver que 3 à 4 000 pour la défense de Paris et Amé doit prendre des dispositions pour ne garder dans la capitale que les célibataires et renvoyer tous les autres dans leurs directions respectives. Les cinq bataillons, restés dans la capitale, participeront à sa défense, sans toutefois prendre part aux tentatives de percée de la garnison. A l’Est, dans le Nord et en particulier à Champigny, les douaniers engagés dans les combats font preuve d’un courage unanimement reconnu.

 

 

Sous la Commune, l’Hôtel du Mont-Thabor est incendié, le désastre est total, toute la documentation et les précieuses archives disparaissent dans les flammes. L’ordre revenu, la direction générale s’attache à réunir une documentation susceptible de remplacer celle disparue et à reconstituer les dossiers individuels. Parallèlement Amé et son équipe doivent poursuivre la réorganisation des directions régionales aux marches du Nord et de l’Est; celle-ci semble être réalisée au cours de l’été 1871. Il veille surtout à préparer et à faire appliquer les mesures fiscales adoptées par le Gouvernement pour faire face aux conséquences financières de la défaite. Il va donc s’attacher à faire rentrer les recettes douanières, à mettre en pratique les relèvements de certains droits et taxes et à faire percevoir des taxes nouvelles comme celle destinée à subvenir aux frais de la statistique commerciale sur les marchandises à l’entrée et à la sortie .

 

Sur le plan de l’organisation des services, il obtient, dès 1873, une augmentation sensible des effectifs des brigades :+ 14% par rapport à 1869. Le Gouvernement a accepté cette mesure, malgré les difficultés financières de l’époque, car il attend beaucoup de la Douane. Amé obtient des crédits, non seulement pour le recrutement de 700 agents supplémentaires, mais aussi pour augmenter d’un peu plus de 10% le traitement moyen des brigades. Au cours de son directorat, il réussira à obtenir d’autres augmentations. D’autre part, il a la lourde et absorbante charge de participer aux travaux parlementaires en qualité de commissaire du Gouvernement. Il doit affronter les tenants de l’Ordre moral qui veulent faire la chasse aux républicains. A l’occasion des élections, ils essayent d’imposer leurs candidats aux serviteurs de l’Etat. Amé pense, pour sa part, que le fonctionnaire  » doit être à la fois fidèle au gouvernement en place et non engagé politiquement. Dans le cas particulier, il a le droit d’être contre les candidats officiels mais il a aussi le devoir de ne pas l’exprimer publiquement ».

 

 

Jean Paloc, directeur régional à l’époque, raconte que sous le ministère de M. Magne, le ministre lui ayant demandé de désigner un de ses protégés comme chef de bureau, Amé lui fait observer que la nomination de ce tout jeune homme constituerait une injustice. Au ministre lui ayant dit :  » Si cependant je vous en donnais l’ordre » Amé de répondre  » Monsieur le Ministre, je suis père de famille et j’ai encore besoin de ma place, je m’inclinerais mais il était de mon devoir d’éclairer votre religion à cet égard ». M. Magne n’ osa pas passer outre et son protégé ne fut pas nommé.

 

 

Mais voici qu’à la suite d’un changement de gouvernement, Wilson reçoit le portefeuille des Finances. Or Amé a eu maille à partir avec ce parlementaire lors des discussions budgétaires. Il demande à Léon Say, le ministre des Finances sur le départ, avec qui il a toujours entretenu les meilleures relations, d’accepter sa démission. Amé prend donc sa retraite, le 29 décembre 1879, après un directorat de dix ans.
Jean Paloc le présente ainsi : « M. Léon Amé avait 71 ans, mais il portait allègrement son âge. D’une taille au dessus de la moyenne, les cheveux poivre et sel, la barbe noire à peine striée de quelques fils blancs, encore droit et toujours élégant, il avait fort grand air ».

 

 

Le 17 août 1872, il a été nommé conseiller d’Etat en service extraordinaire. Après son départ à la retraite, il continuera à prendre la part la plus active aux travaux du Conseil supérieur du commerce et du Comité consultatif des arts et manufactures.

 

 

Léon Amé a publié un très important ouvrage : « Etude économique des tarifs de Douane » qui a connu trois éditions.

 

Dans l’avertissement, en date du 28 novembre 1858, il explique : « Notre livre se divise en deux parties, dans la première, nous avons essayé de préciser les causes de l’établissement et de la durée du système prohibitif ; dans la seconde, après avoir exposé les considérations générales qui nous paraissent condamner la théorie de la protection excessive, nous avons examiné spécialement le régime des marchandises prohibées, des fontes et des fers, des matières dites matières premières, des grains, des bestiaux, des denrées coloniales, des vins, des droits de sortie, des primes et de l’industrie maritime ». Dans sa conclusion, il affirme : « Nous dirons que le système protecteur a perdu, en se généralisant, son véritable caractère. Le jour où l’on a voulu tout protéger, on a élevé pour tous le niveau des prix de revient et balancé des sacrifices plutôt que des profits ». Il montre ensuite que les peuples demandent à multiplier leurs échanges et assure que « la France, placée si haut parmi les nations, ne saurait vouloir s’isoler, par son attitude, d’un courant d’idées dont ses écrivains ont principalement l’honneur.(……) Mais il ne s’agit pas de substituer les excès de la concurrence illimitée aux excès de la protection ». Son livre a eu un grand retentissement et a été particulièrement goûté, par l’entourage de Napoléon III et notamment par l’influent Rouher. Il est tout à fait possible qu’il lui a valu d’être nommé directeur général. En 1876, à la demande du ministre des Finances de l’époque, Léon Say, Léon Amé reprend son étude et publie une nouvelle version considérablement remaniée et étendue sous le titre : Etude sur les tarifs douaniers et les traités de commerce. Alors que la plupart des traités de commerce arrivent à échéance, il se prononce clairement pour la prolongation du système de transactions réciproques suivi et appliqué par les divers gouvernements depuis 1860.

 

 

Il décède le 24 janvier 1892. Dans un discours au nom de l’Administration, le directeur général du moment, Georges Pallain, vante ainsi ses qualités :  » Son érudition technique, servie par une mémoire extraordinaire, était sans limites. Sur quelque point des législations intérieures ou extérieures ainsi que des négociations auxquelles il avait pris une part si brillante, sur quelque point de service, en un mot, qu’il fût consulté, ce spécialiste merveilleux était toujours prêt à répondre, et répondait toujours avec compétence, avec courtoisie, et chose plus rare, avec bonne grâce ».

 

 

Si Amé a su se montrer énergique en maintes occasions et notamment dans la gestion de ses personnels, son directorat est marqué par un certain immobilisme en matière de procédures et de méthodes douanières. Il reste sourd aux revendications exprimées par des journaux corporatifs, qui demandent une charte mettant fin au favoritisme et au corporatisme.

 

 

Sur le plan de la politique douanière, nous avons vu que Léon Amé s’est posé en champion du libéralisme, son livre est un véritable plaidoyer pour les idées de Napoléon III en matière de commerce international. Cependant s’il a servi avec enthousiasme la politique libérale de l’Empire finissant, il a appliqué, sans montrer d’état d’âme, la politique conservatrice d’Adolphe Thiers.

 

 

Et, avec Georges Pallain, il est possible de conclure que Léon Amé a été un grand et vrai douanier.

 

 

 

Bibliographie:

 

Cet article à été extrait du livre de Jean Bordas : Les Directeurs Généraux des Douanes de 1801 à 1939 édité par le Comité pour l’Histoire Economique et Financière de la France – CHEFF- 11 quai Conti –Paris 6ème

 

– Collection des Lois et règlements de la douane française (LRDF)
– Léon AME : Etude sur les tarifs de douane et les traités de commerce.
– Georges PALLAIN : Notice  nécrologique dans :l’ Annuaire des douanes de 1892
– Jean CLINQUART : L’administration des Douanes en France de la Révolution de 1848 à la Commune ainsi que L’administration des Douanes en France sous la Troisième République
– Michel BOYE : La Douane de Bordeaux ainsi que Jean Paloc : Souvenirs d’un directeur des Douanes (1855-1904).

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