Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes
Avec Pierre Gilloire sur les sentiers des douaniers
Nous avons le plaisir de vous faire partager quelques extraits choisis des ouvrages apaisants et rafraîchissants de notre collègue et ami Pierre Gilloire. Ancien chef de l’inspection des services douaniers à la fin des années 1980, il est aussi l’auteur d’ouvrages salués par la critique littéraire, qui décrivent avec gourmandise le bonheur de contempler les paysages, qu’il s’agisse de la montagne, des vallées, chemins, des contrées désertiques comme des paysages urbains.
Il nous a fait l’honneur d’extraire lui-même certains passages de deux de ses ouvrages, dans lesquels il évoque les sentiers des douaniers : » Cahier du bord de l’eau » (2003) et » la petite collection de paysages » (2009). En le remerciant chaleureusement, nous vous invitons à partir en voyage avec lui sur les sentiers des douaniers…
L’équipe de rédaction
Les sentiers des douaniers
Les sentiers des douaniers ne sont plus ce qu’ils étaient… Le phénomène n’est pas isolé. La progressive disparition des sentiers sur le littoral, comme dans la France profonde, s’est, hélas, généralisée depuis les années 1950. J’ai évoqué cela dans un livre intitulé « Petite collection de paysages », publié dans la collection de L’Arpenteur chez Gallimard. J’en ai choisi quelques extraits.
Chemins et sentiers sont un legs de l’Histoire. Ils étaient utilitaires. Cela n’excluait pas l’esthétique dans le tracé et l’appareillage. Voies intelligemment conçues pour assurer les travaux agricoles, la subsistance, les déplacements, la sécurité. Ce qu’il en reste fait partie du patrimoine. Chemins militaires des pays de montagne, petites routes empierrées des chemins muletiers (fruits e formidables terrassements) menant à des cols perdus, courant le long des crêtes, reliant des forts magnifiques où l’on a cessé depuis longtemps de guetter l’arrivée des Tartares…
Sentiers des douaniers serpentant au plus près des côtes, précieuse ligne de défense d’un littoral aujourd’hui menacé par le bitume et le béton, chemins du facteur, chemins de braconnage, chemin de pèlerinage…
Ce sont d’humbles lieux de mémoire. Leurs noms rappellent qu’ils conduisaient à la forge, à l’écluse ou au moulin, à la fontaine, à la chapelle au four à chaux. (…) Les chemins ont une histoire, un état civil. Ils sont nommés, hiérarchisés, parfois numérotés. Les anciennes cartes routières faisaient soigneusement la distinction entre la route départementale et le « chemin vicinal ordinaire » reliant villages et hameaux. Entre ce vicinal roturier (en fait, une petite route non goudronnée) et le chemin véritable une distinction devait être faite. De même entre le chemin et son petit frère le sentier.
Le statut administratif de ce que l’on appelle encore ici et là le sentier des douaniers varie, semble-t-il selon les régions. Je note que la légende des cartes IGN a tout prévu puisqu’elle mentionne l’existence de « sentiers à continuité aléatoire »…
Trois causes expliquent le déclin de ces sentiers en front de mer : d’une part la vulnérabilité des plages, d’autre part leur urbanisation, et enfin l’érosion des falaises.
La plage est un paysage fragile. Entre l’eau et le sable la lutte est inégale. On construit des digues et des remparts, on aménage plusieurs lignes de défense. Ainsi, à Saint-Malo, la digue bordant la plage est précédée d’énormes troncs équarris, fichés en haut de la grève, magnifiques brises lames sculptés par l’érosion marine. Cela ne suffit pas. Un peu partout, on bétonne, on entasse des blocs, on s’efforce de dissiper l’énergie de la vague, on essaye, coûte que coûte, de protéger les habitations les plus exposées. Voir disparaître une plage est un drame.(…) On a beau construire des épis , grillager les dunes, réensabler, rien n’y fait, la mer s’en moque…
A ce phénomène naturel, s’ajoute un phénomène de société : Une partie de l’Europe a désormais rendez-vous sur certaine de nos plages, noires de monde durant les mois d’été. Le littoral en a été fortement affecté : urbanisation, parkings, avant-plages bétonnées, grèves rognées par les rocades.
Je me souviens d’un espace sauvage à Saint-Jean-de-Monts, joliment appelé La plage des Demoiselles, encore bordée jusqu’à la fin des années 1970 d’un cordon de dunes long de plusieurs kilomètres, sans constructions à l’horizon. Ce lieu est aujourd’hui méconnaissable. Le Conservatoire du Littoral s’efforce désormais de préserver – et si possible de reconquérir – un linéaire côtier de qualité. La tâche est titanesque… Du moins, les grandes plages populaires de l’océan sont-elles accessibles à tous (…). Mais que dire du rivage de la Côte d’Azur scandaleusement – et souvent illégalement – privatisé ?
Je me souviens que cette question avait été évoquée en 1987 lorsque je participais, en qualité de Chef de l’inspection des services des douanes, à une mission interministérielle chargé d’enquêter dans toute la France sur l’organisation de la surveillance des frontières. Certains avaient interrogé le Préfet maritime de la Méditerranée, à Toulon, sur la difficulté d’assurer, là où il n’y a plus de sentier des douaniers, une surveillance rapprochée de plusieurs portions du front de mer, aujourd’hui rigoureusement clôturées et envahies par des alignements de parasols…
Reste le problème de l’érosion des falaises. On aurait pu espérer qu’un sentier des douaniers tracé à distance respectable de l’abîme puisse demeurer à l’abri des colères de l’océan.
Il n’en est rien : Déjà, par temps calme, ça bouge beaucoup au pied des falaises, les vagues se succèdent en séquences régulières : cinq, six ou sept d’ampleur raisonnable, suivies d’une accalmie trompeuse précédant l’arrivée d’une déferlante qui s’effondre, rebondit et se disperse en lessivant des rochers ruisselant d’écume. Devant de tels assauts, les jours de tempêtes, les plus fortes murailles, tôt ou tard, se fissurent. Il faut se rendre à l’évidence. Le paradoxe de l’érosion est là. Le liquide a raison du solide. (Pour illustrer cela, j’ai choisi deux photos prises au sud de Calais, au Cap Blanc-Nez).
Dans un autre livre intitulé « Cahier du bord de l’eau », édité chez Buchet-Chastel, j’ai également évoqué le phénomène de l’emprise de ces eaux maritimes qui ne cessent, depuis des millénaires, d’étendre leur empire, et cela de façon de plus en plus inquiétante avec la fonte accélérée des banquises. Cette inexorable montée des eaux a commencé en des temps très anciens. Lors de la dernière glaciation du quaternaire, le niveau de la mer se trouvait à trente-sept mètres au-dessous de son niveau actuel. Les hommes préhistoriques maudissaient très certainement le dérèglement du climat, puis se résignaient à s’installer ailleurs. C’est ainsi que les trésors picturaux de la grotte Cosquer ont été en partie noyés.
Ces désagréments devaient poser beaucoup de problèmes et pas seulement aux artistes inspirés de cette grotte. Pour ma part, je n’exclus pas qu’une forme de contrebande ait existé à cette époque. Mais je laisse au lecteur le soin d’imaginer ce qu’aurait pu être la raison d’être et la configuration d’un sentier des douaniers paléolithique serpentant au-dessus des calanques de Marseille…
Pierre Gilloire