Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

Au nom de la douane

Mis en ligne le 1 janvier 2025

 

 

Dans son édition de septembre 1967, la revue professionnelle « La vie de la douane »  faisait figurer dans ses colonnes, de larges extraits d’un article de Maurice Denuzière sur l’action de la douane paru dans le quotidien « Le Monde  » (6, 7, 8, 9, 10 et 11 septembre 1967).

 


 

En juillet prochain, ainsi que l’ont voulu les signataires du traité de Rome. l’union tarifaire entre les Six du Marché commun sera achevée. Mais il serait vain d’imaginer qu’en cet été attendu ou redouté, suivant que l’on se réjouit ou s’inquiète des confrontations avec nos partenaires, qui demeurent aussi nos concurrents, les douaniers déserteront les frontières et que l’on pourra aussi aisément circuler et commercer entre l’Allemagne et la France qu’entre la Loire et le Rhône.

 

Certes, la douane, dans son action quotidienne de protectrice de la souveraineté économique nationale, devra simplifier ses contrôles et assouplir ses méthodes tout en développant ses interventions positives en faveur du commerce extérieur. mais sa surveillance continuera de s’exercer.

 

Depuis plusieurs années cette administration qui n’est connue de la plupart des Français que sous les traits sourcilleux du fonctionnaire en uniforme qui fait ouvrir les valises aux frontières des vacances, a préparé sa mutation. C’est une administration discrète qui, comme Janus, a deux visages.

 

Si la présence du douanier « préposé à la police du commerce extérieur comme le définissait un arrêté de prairial an XII est nécessaire, elle sera de moins en moins évidente.

 

Ce corps militarisé du ministère des finances a son état-major qui participe à l’élaboration des textes législatifs; il a ses chercheurs, ses ingénieurs. ses juristes, ses statisticiens, ses fantassins ses marins, ses aviateurs, ses éclaireurs skieurs dont quelques-uns sont célèbres, et aussi ses agents secrets.

 

La douane utilise aussi bien l’hélicoptère que l’ordinateur électronique, elle recherche et poursuit fraudeurs et contrebandiers, mais aussi elle iodate, renseigne, protège les négociants et les industriels qui commercent avec l’étranger. comme elle perçoit pour le compte du Trésor certains Impôts et taxes. Sous le signe du cor de chasse et de la grenade. la douane moderne est l’éminence grise du commerce extérieur.

 

I – la contrebande de tradition

 

Ceux qui disent : cré nom, ceux qui disent : macache !

Soldats, marins, débris d’Empire retraités

Sont nuls, très nuls, devant les soldats des traités

Qui taillaient l’azur frontière à grands coups d’hache

F.RIMBAUD (les Douaniers).

 

La belle époque de la contrebande parait révolue, et l’on pourrait dire, parodiant Fernand Raynaud dans l’un de ses plus fameux monologues : « La contrebande… Ça eu payé… Ça ne paye plus… »

 

En réalité, il y a encore de nombreux contrebandiers, mais leurs activités paraissent de moins en moins rentables. Les tolérances que les douanes accordent en matière de tabacs et d’alcools notamment, comme les facilités obtenues par les importateurs spécialisés, font que les produits étrangers sur lesquels la fraude s’exerçait traditionnellement trouvent difficilement des débouchés réguliers.

 

Les professionnels de la contrebande ont découvert d’autres produits dont la vente clandestine est profitable, et ils sont devenus quelquefois les « conseillers techniques » pour des fraudeurs d’une autre envergure, qui pratiquent ce qu’on appelle Rue de Rivoli « les fraudes intellectuelles » basées sur les fausses déclarations en douane, ce qui permet, dans le cadre des règlements du Marché commun, d’obtenir indûment des remboursements de T.V.A. ou des restitutions de fonds de la part du Trésor.

 

L’après-guerre, qui vit se développer la contrebande des cigarettes américaines et du whisky, fut l’âge d’or des organisations bien structurées qui opéraient depuis Tanger et Beyrouth et qui inondaient l’Italie et la France, notamment par l’intermédiaire de grossistes, demi-grossistes et vendeurs clandestins.

 

L’affaire du yacht Combinatie, qui donna lieu à de sanglants règlements de comptes entre gangs rivaux, ne pourrait peut-être pas se reproduire aujourd’hui, alors que les cigarettes étrangères, et le whisky sont vendus légalement en France à des prix acceptables.

 

Il m’a été donné, il y a quelques années, de rencontrer en Sicile, à Trapani, un trio de contrebandiers appartenant à un groupe qui disposait de cargos, de vedettes rapides et d’entrepôts, et qui avait constitué un véritable commerce parallèle du tabac et du whisky. Leur activité est maintenant davantage orientée vers l’Italie, où le tabac d’importation est cher, que vers la France, où les circuits clandestins des maîtres contrebandiers furent un certain temps concurrencés par leurs rivaux locaux, qui s’approvisionnaient dans les bases américaines en France ou en Allemagne.

 

Néanmoins les douaniers français constatent encore des arrivages clandestins de cigarettes, de cigares, et saisissent périodiquement des quantités allant de 5 kilos à des camions entiers.

 

Par contre, depuis plus d’un an, ils n’ont pas surpris de débarquement frauduleux sur les côtes provençales ou sur celles, longtemps accueillantes, de la Corse. En 1966, ils ont récupéré pour plus d’un million de nouveaux francs de cigarettes, mais chaque année les quantités diminuent et la surveillance, qui ne se relâche pas pour autant, ne révèle plus de trafic d’envergure.

 

Il parait loin le temps où les contrebandiers n’hésitaient pas à forcer les frontières à bord de camions blindés, sous le feu des douaniers, ou creusaient un tunnel entre la Belgique et la France par lequel un chemin de fer Decauville acheminait régulièrement le tabac.

 

Les montres importées clandestinement de Suisse sont encore nombreuses et la douane en a saisi en 1856 pour 1 850 000 francs.

 

Elles étaient destinées au marché français, mais aussi à l’Espagne, et dans bien des cas ne faisaient que transiter. En général, les contrebandiers qui « font » la montre utilisent des voitures truquées qui possèdent tune leurs réservoirs, sous leurs ailes et dans les accoudoirs des sièges des cachettes parfois difficiles à déceler. En 1966, plus de trente mille montres ont été ainsi récupérées et l’administration a dû étaler leur vente pour ne pas gêner l’industrie horlogère française, qui pourrait voir là une concurrence déloyale.

 

Transistors, tapis et bijoux

 

Les récepteurs radio à transistors d’origine japonaise étant les moins chers du monde sont aussi des produits recherchés du commerce illégal.

 

Ils arrivent en Europe par grandes quantités dans les entrepôts francs d’Anvers, de Rotterdam, de Gênes ou de Hambourg, et sont acheminés par les passeurs spécialisés. La douane française en saisit quelques milliers chaque année (554 000 F en 1966).

 

Quant aux tapis d’Orient, ils continuent à poser une énigme. On ne sait exactement d’où ils viennent ni par quels chemins tortueux ils aboutissent sur le marché. Longtemps les douaniers ont pensé qu’ils provenaient de butins de guerre allemands ou italiens, mais leur source parait intarissable. Souvent les contrebandiers s’entendent avec des particuliers qui déménagent et passent une frontière pour ajouter au chargement quelques pièces de grande valeur, d’autres fois c’est dans des camions de marchandises anodins, plombés par la douane, mais dotés d’une trappe secrète qui permet d’en échanger le contenu hors des regards Indiscrets, qu’ils sont acheminés par les voies normales.

 

En 1966, la douane française a encore pris aux contrebandiers pour 1 700 000 francs de fourrures, 1 600 000 francs de bijoux et 729 000 francs d’appareils photos et de caméras, c’est dire que la contrebande existe toujours et que les services de renseignements ont sans cesse à rechercher les nouvelles astuces employées par les fraudeurs professionnels pour passer leurs marchandises.

 

L’or, par suite de la différence des taux d’un pays à l’autre, représente également un trafic fort rentable, encore que la valeur stabilisée de la monnaie ait sensiblement fait diminuer le nombre des amateurs français. Les trafiquants spécialistes des métaux précieux sont parmi les plus habiles et les plus audacieux. On cite le cas d’un citoyen suisse dont la douane soupçonnait les activités et qui régulièrement passait la frontière à bord de son automobile. Celle-ci faisait l’objet de fouilles répétées de la part des douaniers, qui n’hésitèrent pas, à plusieurs reprises, comme la loi les y autorise, à démonter le véhicule.

 

Aucun indice n’ayant pu être relevé et l’homme étant en règle, la voiture franchissait la frontière. Or un jour, le trafiquant se confia à son avocat et expliqua qu’ayant achevé ses transferts, il pouvait livrer son « truc ». C’était la plaque minéralogique de l’automobile qui était en or massif. Recouverte de peinture et rendue à l’aspect ordinaire, elle n’avait jamais retenu l’attention des contrôleurs.

 

Il en est de même pour les pierres précieuses, encore plus facilement dissimulables et dont le trafic est l’affaire des aristocrates de la contrebande, qu’on ne peut repérer qu’après des enquêtes dont le style relève davantage des romans de la Série noire que du simple contrôle frontalier.

 

Alerte à l’anéthol

 

Parmi les produits nouveaux venus dans la gamme de la contrebande, où la pilule anticonceptionnelle a une place de choix, il en est un dont le trafic inquiète non seulement les douaniers et les fabricants d’apéritifs, mais aussi les médecins.

 

Il s’agit de l’anéthol, qui est le produit de la distillation de l’anis. Cette essence, qui sert à la préparation de pastis ne fait pas courir de grands risques à la santé de l’homme quand elle est naturelle.

 

Mais depuis plusieurs années des laboratoires en obtiennent par des procédés chimiques et les experts se montrent plus réservés quant à son utilisation.

 

Or il suffit de 2 à 3 grammes d’anéthol pour faire avec de l’alcool un litre de pastis. On Imagine facilement la rentabilité d’une contrebande portant sur ce produit qui permet, avec l’appui de la distillation clandestine encore fort répandue dans certaines régions de France, de confectionner à bon marché des anisettes.

 

Quand on sait qu’il y a 17 francs de taxes par litre de pastis fabriqué et commercialisé loyalement, on peut calculer les bénéfices que procure ce trafic qui va se développant d’année en année. Si en 1965 les douaniers français avaient saisi 600 kilos d’anéthol, en 1966 ils en ont saisi 2 400 kilos, ce qui est une quantité importante révélant l’ampleur de cette contrebande.

 

L’anéthol, qui vient de Suisse et d’Allemagne en bidons ou en bonbonnes, est souvent vendu par des trafiquants en bouteilles-doses pour un litre de pastis. Sous cette forme il est destiné à la consommation familiale. Mais il alimente aussi les fabriques clandestines de faux pastis qui possèdent des ateliers et des circuits commerciaux clandestins.

 

A cet échelon les trafiquants, pour écouler leur marchandise avec la complicité de certains détaillants — patrons de bar, de café ou épiciers — n’hésitent pas à s’abriter derrière une marque connue. Soit qu’ils récupèrent tes bouteilles vides de cette marque qu’ils reconditionnent habilement, soit qu’ils fabriquent eux-mêmes de fausses étiquettes destinées à tromper le consommateur de bonne foi.

 

Les risques encourus sont relativement importants. mais les profits sont tels qu’il est bien difficile de décourager les contrefacteurs.

 

Un contrôleur des douanes de Marseille qui tonnait bien le milieu des fabricants de faux pastis, m’a affirmé qu’il n’avait pas d’exemple à citer au cours de sa carrière d’un trafiquant qui se soit définitivement amendé.

 

« Quand ils vont en prison, m’a-t-il dit, c’est leur organisation qui paie les amendes et qui prend en charge leur famille. Dès leur libération, ils s’empressent de recommencer, même s’ils soupçonnent que nous les surveillons.»

 

Les douaniers savent que l’anéthol entre souvent par la zone franche de Gex, entre la Suisse et la France, que des porteurs traversent les Pyrénées pour en livrer en Espagne, mais il en arrive par d’autres voies difficiles à définir, les trafiquants changeant fréquemment de point de passage à la frontière.

 

Les aléas du billard électrique

 

Autre trafic récent : celui des billards électriques et des juke-boxes qui font l’animation des bars modernes et la distraction des jeunes gens désœuvrés. L’importation en provenance des Etats-Unis de ces appareils étant réglementée, la douane s’attendait à des tentatives de fraude.

 

Il y a quelques mois, après une surveillance discrète les fonctionnaires ont pu déceler un trafic qui s’opérait au moyen de camions. Les billards électriques neufs arrivaient a Anvers, mais étalent déclarés à destination de l’Espagne avec, transit par la Belgique et la France. Les camions étaient plombés et autorisés à traverser les frontières.

 

Or, on s’est aperçu qu’ils effectuaient en France une étape au cours de laquelle les billards neufs étaient déchargés et remplacés par d’autres, usagés, suffisant pour satisfaire les amateurs espagnols. Ainsi, des appareils entraient en France sans payer de droits de douane.

 

Les camions des Transports internationaux routiers (T.I.R.), Sont d’ailleurs dans bien des cas des véhicules de contrebande hautement appréciée par les trafiquants qui savent qu’un véhicule plombé par la douane a peu de chance, ou plutôt de malchance, d’être ouvert et contrôlé.

 

Les chargements – camouflages, les trappes secrètes, les doubles cloisons des cabines, œuvres de carrossiers adroits, permettent bien des échanges commerciaux illégaux. C’est pourquoi ces véhicules font l’objet d’observations particulières. Procédant par sondages — les douaniers disent par épreuves — les agents des groupes d’intervention avec motos-radios et voitures-radio, en prennent souvent en surveillance tout au long de leur parcours, qui doit être fixé et déclaré à l’avance.

 

Par radio, les postes de guet fixes ou mobiles se répercutent les horaires de passage, constatent les retards anormaux ou les modifications soudaines d’itinéraires, ce qui indique bien souvent que le camion a fait une étape non prévue et que son chargement a été modifié.

 

Dans les cas où l’on peut soupçonner des irrégularités, l’alerte est donnée et soudain, au détour d’une route, le camionneur voit apparaitre les douaniers — lesquels peuvent intervenir en tous points du territoire national – et doit se prêter aux vérifications qui s’imposent.

 

Le trafic des stupéfiants mérite une mention spéciale. La douane, dont les moyens d’investigation et de renseignements sont abondants, quoique discrets, joue un rôle important dans la lutte entreprise par les polices spécialisées en liaison avec Interpol contre les gangs de la drogue.

 

Toutefois les opérations demeurent l’affaire de ces organismes et ce n’est qu’avec réticence, rue de Rivoli, qu’on aborde ce domaine particulier de l’activité douanière.

 

Ainsi se poursuit la lutte de la douane contre les trafiquants de marchandises et de produits non déclarés ou faisant l’objet d’une prohibition. En 1988 les amendes et confiscations à la suite d’opérations de douane ont fait entrer dans les caisses du Trésor près de 35 millions de francs pour cinquante-neuf mille infractions constatées, dont quatorze mille hors des bureaux.

 

Comme on le voit, le chiffre d’affaires de la contrebande traditionnelle, réputée en diminution, est loin encore d’être négligeable.

 

II. – Les fraudes « intellectuelles »

 

La réglementation communautaire de l’Europe des Six et l’aide de l’Etat à l’exportation ont ouvert de nouveaux champs d’activité aux fraudeurs et aux escrocs.

 

Il ne s’agit plus de contrebandiers assumant des risques physiques pour faire franchir clandestinement les frontières à des produits prohibés, contingentés ou fortement taxés, mais d’hommes d’affaires jouissant parfois de réputations officiellement établies, qui utilisent les lois en vigueur et qui réalisent, en recrutant comme exécutants des gens du « milieu », de profitables escroqueries dont le trésor publie est la première victime.

 

Des importations ou des exportations irrégulières affectant des secteurs très sensibles de notre économie (textiles, produits chimiques, produits agricoles) sont organisées par des bandes sous le couvert de faux certificats, de fausses déclarations d’origine, d’espèces ou de destination.

 

Des fraudes importantes ont affecté, on le sait, l’exportation des produits agricoles ouvrant droit à des subventions ou aides du F.O.R.M.A. (Fonds de régularisation du marché) ou de l’O.N.I.O. (Office des céréales).

 

Dans le secteur des produits pharmaceutiques, on a constaté des fraudes d’un type particulier consistant, par des artifices, à majorer le coût des produits importés en vue de tourner la législation sur les prix et, grâce au transfert de sommes plus importantes qu’il ne se devrait à l’étranger, d’éluder en France le paiement normal des impôts. Parfois la douane s’est trouvée en présence de circuits tournants, les produits exportés de France étant réimportés au prix fort.

 

D’autres fraudes, très difficiles celles-là à déceler, sont commises à la faveur du régime dit « des exportations invisibles ». Ce système permet la vente de certaines marchandises (fourrures, haute couture, joaillerie) à des résidents ou des touristes étrangers en exonération de T.V.A.

 

En réalité, ces marchandises sont souvent cédées irrégulièrement à des résidents français sous le couvert de fausses identités ou moyennant la présentation de passeports appartenant à des tiers complaisants. On estime, à la direction générale des douanes, que dans certains secteurs, un très fort pourcentage des ventes peut être considéré comme frauduleux, ce qui prive le Trésor de sommes relativement importantes.

 

Enfin, nous a-t-on fait remarquer rue de Rivoli, « malgré le libéralisme qui préside à nos échanges extérieurs, de nombreuses infractions de change continuent d’être signalées ». Si ces infractions restent fréquentes (plus de 100 millions en 1966), on pense que les contrevenants ne recherchent pas un bénéfice de change proprement dit. L’intérêt de la fraude consiste ici, le plus souvent, à tourner d’autres législations (douanes, impôts sur le revenu ou les bénéfices industriels et commerciaux).

 

De nombreuses acquisitions de biens immobiliers à l’étranger — Suisse et Espagne notamment — sont faites en violation de la législation sur les changes, et bien souvent encouragées par une publicité trompeuse.

 

Le manque d’esprit civique, qui atteint toutes les couches de la société, et qui se caractérise chez certains, parmi les plus fortunés, par un total mépris de l’intérêt national et une forme de perversion sociale que développe l’appât de l’argent facile, n’est pas seul en cause. Tous les règlements ont leurs faiblesses, et c’est le métier d’hommes compétents, avisés mais sans scrupules que de découvrir le levier qui peut faire produire des sommes importantes à ce que les douaniers appellent la «fraude intellectuelle », c’est-à-dire celle qui passe par les bureaux.

 

« Voler l’Etat n’est pas voler », telle pourrait être la devise, apaisante pour leur conscience, des hommes d’affaires, des négociants et des industriels qui, par l’intermédiaire des personnages les plus douteux, mais aussi des entremetteurs politiques ou financiers les moins soupçonnables, parviennent à s’enrichir aux dépens de la communauté.

 

L’équivoque suisse

 

La Suisse joue, dans ce domaine, derrière le paravent d’une indépendance chatouilleuse et de principes rigoureux, un rôle bien gênant pour l’Europe. Si les douanes européennes, par l’effet d’accords d’assistance, échangent des renseignements pour protéger leurs intérêts économiques communs, la douane suisse est d’une discrétion que l’on risque d’interpréter parfois comme de la complicité.

 

Ses banques et son négoce sont peut-être des intermédiaires ignorants et de bonne foi, mais certes pas désintéressés. Dans le domaine des fraudes à base de fausses déclarations de destination notamment, certaines entreprises helvétiques ont une activité préjudiciable au Marché commun.

 

Ainsi des textiles venant d’un pays du Marché commun — qui les achète en Extrême-Orient par exemple — transitent par la Suisse, où ils sont refacturés, débarrassés de leurs marques d’origine et exportés en France comme s’ils provenaient d’Allemagne, ce qui leur vaut une exonération de droits de douane et permet de tourner les règlements et restrictions quantitatives applicables à des marchandises originaires de pays tiers. De tels circuits acheminant des produits de l’Est, du Japon et des Etats-Unis. s’ils n’étaient pas désamorcés, arriveraient à pourrir le marché européen.

 

Dans le domaine des produits pharmaceutiques, on constate que certains laboratoires jouissant d’une grande renommée n’hésitent pas à utiliser la méthode dite des « circuits tournants » pour augmenter leurs bénéfices.

 

Après une enquête délicate menées par ses meilleurs agents. la douane a réussi à établir quel était le système de fraude mis au point par un laboratoire français des plus connus et coté en Bourse.

 

L’affaire aura des suites judiciaires qui permettront de situer exactement les coupables. En vérifiant les statistiques de production d’une entreprise française, les douaniers ont constaté qu’un certain produit chimique de base livré depuis des années à un laboratoire pour la fabrication de médicaments avait soudain cessé d’être vendu à celui-ci. Or, le volume des ventes de ce fournisseur n’avait pas changé.

 

Poursuivant leur enquête, les douaniers établirent que les quantités précédemment livrées au laboratoire étaient maintenant fournies à une filiale de celui-ci établie en Allemagne, qui les revendait à une autre filiale établie en Suisse, qui enfin les restituait à la maison mère en France.

 

Chaque fois le prix du produit augmentait d’un certain pourcentage, ce qui avait permis au laboratoire français de faire homologuer à un nouveau taux par la Sécurité sociale le médicament qu’il produisait en s’approvisionnant à l’étranger à des prix plus élevés. Certes, les dirigeants de ce laboratoire payaient des droits de douane, mais l’opération était néanmoins très profitable, car ils gagnaient non seulement sur le médicament, mais obtenaient également, du fait de ces marchés, la possibilité de transférer des capitaux à l’étranger et de soustraire ainsi aux bénéfices imposables en France des sommes élevées. On estime, Rue de Rivoli, que plusieurs dizaines de millions de francs ont ainsi pu être transférés en Suisse.

 

La fraude à la T.V.A.

 

Pour démonter dans le détail la fraude sur la taxe à la valeur ajoutée (T.V.A.) il faudrait y consacrer un fort volume tant l’astuce des bandes spécialisées a compliqué les circuits afin de les rendre aussi hermétiques qu’un labyrinthe aux douaniers et aux Inspecteurs des Impôts.

 

Quand le gouvernement décida, pour encourager la vente à l’exportation et pour rendre plus concurrentiels certains produits, qua la taxe à la valeur ajoutée serait remboursée par le Trésor aux exportateurs qui l’auraient payée à leurs fournisseurs, les fraudeurs professionnels durent se réjouir. Si tous les commerçants-exportateurs pour bénéficier du régime dit « de suspension des taxes » doivent justifier la réalité de l’exportation, les commissionnaires exportateurs eux, par contre, sont habilités à délivrer à leurs fournisseurs un certificat attestant seulement que la marchandise est bien destinée à l’exportation et qu’ils sont responsables du paiement de la T.V.A. si la marchandise devait être revendue sur le marché intérieur.

 

Dès lors le mécanisme de base de la fraude est simple.

 

Quand un commerçant fraudeur veut acheter des marchandises à un fournisseur pour les revendre à un client, il les fait acheter par un homme de paille qui ne paie pas la T.V.A. aux fournisseurs et qui délivre, en tant que commissionnaire-exportateur supposé, un certificat d’exportation L’homme de paille, appelé « taxi » (celui qui taxe, fictivement cela s’entend), facture au commerçant fraudeur, T.V.A. comprise. Celui-ci règle la somme ainsi facturée et le « taxi » paye ce fournisseur. Il ne reste plus qu’à se faire rembourser par le Trésor une qui n’a pas été capée. Quand la complicité est générale, il n’est même point besoin de marchandise, l’escroquerie s’opère uniquement avec des documents de complaisance et de fausses factures.

 

Ce circuit fort simple peut être compliqué, allongé à plaisir par le jeu d’entreprises fictives, des sociétés fantômes dont toute la réalité tient dans un papier à en-tête et une inscription au registre du commerce.

 

Dernièrement, la neuvième chambre correctionnelle du tribunal de la Seine a jugé de nombreux fraudeurs à la T.V.A.

 

Dans la plupart des circuits, qui avaient (puisqu’il s’agissait de textiles) leur origine et leur aboutissement dans le quartier du Sentier, on retrouvait aux côtés des bénéficiaires apparents les mêmes organisateurs. Car il existe de véritables entreprises de fraudes qui payent leurs « taxis » au mois ou au pourcentage, basé sur le montant des fausses factures qu’ils rédigent.

 

Ils ont aussi leurs matamores, recrutés parmi les gangsters, pour impressionner, accompagner et surveiller les « taxis » qui sont parfois tentés, après avoir encaissé pour d’autres de fortes sommes, de s’enfuir avec celles-ci. Certaines morts violentes, certains voyageurs tombés d’un rapide, desquels on ne savait rien, démontrent que le jeu peut être dangereux et que les gangs de la fraude sur papier ont des lois internes qu’il n’est pas bon de transgresser.

 

Toutefois, dans les enceintes des tribunaux, on ne voit jamais ceux qui recueillent les meilleurs fruits de la fraude, soit que la première des lois à observer soit celle du silence, soit que les « patrons » demeurent inconnus aux intermédiaires actifs. Les magistrats qui ont à connaitre de ces gros dossiers savent pourtant, si les « taxis » sont des personnages falots, parfois des prostituées ou des petits employés au chômage, et les organisateurs de la fraude des repris de justice connus, que les mystérieux profiteurs appartiennent à une classe sociale plus élevée, où les casiers judicaires orné sont vierges et les boutonnières ornées.

 

Ces fraudes, qui portent sur des millions et bien souvent sur des marchandises aussi inexistantes que les sociétés qui les négocient, causent un grand préjudice au Trésor qui rembourse des sommes qu’il n’a jamais encaissées.

 

Dans ce genre d’opération, la fraude rejoint bien souvent la contrebande. Pour se faire rembourser la taxe (fictivement payée à des « taxis »), les fraudeurs qui font des ventes en suspension de T.V.A. doivent, en raison des contrôles plus sévères qu’a amenés la découverte de leurs activités, expédier quelque chose à l’étranger, le douanier devant constater le passage de la marchandise pour que le remboursement de la T.V.A. soit effectif.

 

On expédie alors un produit sans valeur à une adresse fictive, hors de France. Par exemple, du plâtre dans des emballages de produits pharmaceutiques, propices à la fraude parce que d’un coût élevé sous un faible encombrement. On a vu ainsi partir vers le Maroc des wagons de lampes radio usagées, achetées en vrac par les fraudeurs, qui les facturaient comme neuves, ou rouler vers l’Allemagne des camions de condensateurs inutilisables, acquis chez un brocanteur.

 

Parfois, pour déjouer le risque d’un contrôle poussé, les fraudeurs expédient le produit véritable et le récupèrent par l’intermédiaire de contrebandiers qui le rapportent, franchissant la frontière par leurs itinéraires familiers.

 

Par exemple, certaines importations clandestines de produits pharmaceutiques venant d’Espagne à dos de contrebandiers pourraient bien masquer une fraude de ce genre.

 

C’est ainsi que du cadmium (un des rares métaux encore soumis à la T.V.A.) voyage entre la France et la principauté d’Andorre, d’où il revient, semble-t-il par des voies détournées pour y repartir très officiellement.

 

Les voyages sans fin des céréales

 

Les règlements financiers agricoles du Marché commun ont aussi inspiré les fraudeurs. Les gouvernements, aux termes de ces règlements, « restituent » aux exportateurs la différence entre le prix des cours mondiaux de ces produits exportés vers des pays tiers et les prix supérieurs pratiqués à l’intérieur du Marché commun.

 

Pour bénéficier de cette ristourne, les exportateurs doivent donc nécessairement expédier leurs marchandises vers des pays situés hors de la Communauté.

 

Les dernières fraudes connues portaient sur les céréales et les produits d’alimentation du bétail. Des exportateurs, pour bénéficier des ristournes, présentaient leurs expéditions comme destinées à des pays tiers, grâce à de fausses factures et de faux documents douaniers, alors que les produits ne quittaient pas le territoire du Marché commun.

 

C’est ainsi que des dizaines de firmes belges hollandaises, françaises et allemandes s’entendaient à la barbe des douaniers pour se renvoyer, d’Anvers à Hambourg, de Hambourg à Rotterdam et de Rotterdam à Anvers, des chargements de céréales prétendument destinée à Stockholm ou à Londres.

 

C’est un marin ivre qui a compromis cette bonne affaire, en racontant dans un café devant un agent secret des douanes qu’il naviguait de port en port, sans jamais décharger sa cargaison !

 

Ses affréteurs touchaient ainsi la ristourne chaque fois que le bateau quittait un port de la Communauté pour un autre, prétendument situé en Angleterre ou en Suède. Les détournements auraient atteint la somme de 50 millions de francs belges.

 

On a découvert aussi une fraude intéressant le beurre et fondée sur un système analogue.

 

Il s’agissait de faire entrer en Italie du beurre hollandais, danois ou américain expédié officiellement mais fictivement à la Suisse, pays tiers, en donnant lieu à la restitution prévue par les règlements communautaires.

 

Plus de 8 000 tonnes de beurre ont ainsi fait l’objet de fraude, ce qui a rapporté aux instigateurs plus de 120 millions de francs belges, Les documents douaniers falsifiés portaient le cachet (faux lui-aussi) du ministre belge des affaires économiques.

 

La présence de la douane aux frontières intérieures du Marché commun se justifie donc pleinement et se justifiera tout autant après le 1″ juillet 1968, quand les nouvelles facilités accordées après la suppression des derniers droits de douane, inciteront peut-être d’autres escrocs et d’autres contrebandiers à tenter dans un domaine élargi, de nouvelles fraudes Internationales, cette fois préjudiciables à l’Europe tout entière et à la caisse commune de la C.E.E.

 

III — Des militaires aux agents secrets

 

Sur les dix-sept mille huit cent cinquante-quatre agents de tous grades et de toutes catégories qui composent l’effectif de l’administration des douanes, moins de sept mille portent un uniforme.

 

On se ferait donc une idée incomplète du métier de douanier si l’on ne considérait comme tels que ces militaires aux pantalons bleus soutaches de rouge qui veillent aux frontières. Car la douane n’opère pas que dans ses trois cent quarante-deux bureaux frontaliers et ses cent trente-quatre bureaux de l’intérieur sur les routes ou en mer, mais encore d’une façon plus discrète sur l’ensemble du territoire national.

 

Le « service des bureaux » est chargé de tous les travaux concernant l’assiette, le contrôle et la perception des droits ainsi que par son contentieux, de la poursuite éventuelle des infractions commises et d’une façon générale de l’application de toutes ces réglementations que la douane a la charge de faire respecter.

 

Le « service des brigades » assume la surveillance et la répression. Son action s’exerce tout au long des frontières et il contrôle toutes les opérations d’importation ou d’exportation où bon lui semble. Il existe en France cinq cent soixante-quatre brigades de surveillance et de recherches.

 

Doté de moyens matériels et techniques importants (voitures-radio, motos-radio, vedettes maritimes, hélicoptères) et d’un remarquable réseau de transmission, supérieur à celui de la police et de la gendarmerie, le service des brigades est le véritable corps militaire d’intervention de la douane.

 

A ces deux catégories de douaniers, il convient d’en ajouter une troisième, dont on ne parle pas volontiers rue de Rivoli et dont le public ignore à peu près tout. Il s’agit du SN.E.D. (Service national des enquêtes douanières) composé d’hommes résolus qui constituent le service secret de la douane. Ils abritent discrètement leurs bureaux hors des Immeubles officiels de la douane, ne circulent qu’en civil et, sans prétendre à être des James Bond, ils prennent parfois des risques considérables sous des déguisements divers pour pénétrer les milieux de la contrebande.

 

On leur doit la découverte de la plupart des « grosses affaires » de fraude, de la fabrication du faux pastis au trafic des stupéfiants. Enfin, pour l’établissement des statistiques, qui constitue une autre activité et non des moindres de cette administration à vocations multiples, les douanes disposent d’un corps spécialisé de mécanographes et de statisticiens.

 

Outre ses deux hélicoptères Alouette II basés à Saint-Mandrier et affectés à la surveillance du littoral méditerranéen, qui fut de tout temps la frontière la plus perméable à la contrebande, la douane et un parc automobile de treize cent soixante véhicules et une flotte de soixante-quatorze bateaux allant du patrouilleur de haute mer à la vedette rapide de surveillance.

 

Quant aux moyens de transmissions autonomes perfectionnés sans cesse par des spécialistes hautement qualifiés, ils font une part importante à la radio et au télex.

 

Les services extérieurs, en liaison permanente avec l’état-major placé sous le contrôle direct du directeur général des douanes, M. Philippe de Montrémy, et installé au ministère des finances rue de Rivoli, sont répartis en trente-quatre circonscriptions regroupées partiellement en sept interrégions dont les centres sont : Paris, Lille, Metz, Lyon. Marseille, Bordeaux et Rouen.

 

C’est à. l’échelon de l’interrégion qu’on a la plus juste idée du fonctionnement de cette administration ai particulière.

 

De l’Espagne à l’Italie

 

L’interrégion de Marseille est chargée notamment de la surveillance de 600 kilomètres de côtes méditerranéennes, de Port-Vendres à Monaco, et groupe cinq directions régionales : Nice, Ajaccio, Montpellier, Perpignan et Marseille-Port. L’importance du trafic du grand port phocéen justifie une direction spéciale. Dans un grand immeuble du boulevard des Dames, tout près de la Joliette, se trouve rassemblée l’équipe de direction interrégionale dont les responsables couvrent tous les secteurs de l’activité douanière de la répression, de la contrebande aux études prospectives sur le commerce extérieur.

 

Le poste de commandement est avant tout un central-radio ultra-moderne où, nuit et jour, des opérateurs se relayent devant un pupitre électronique et une grande carte murale de l’interrégion où des plots lumineux blancs, rouges ou verts situent les postes où les douaniers sont toujours prêts à répondre à un appel.

 

L’émetteur radio V.H.F. de 50 W a des répéteurs au Mont-Aigoual et au Mont-Condon, qui permettent une liaison permanente avec les trois cents stations fixes ou postes mobiles installés à bord des voitures, des motos ou des bateaux de la douane.

 

En quelques minutes, l’alerte peut être ainsi propagée, toute la zone frontière bloquée de l’Espagne à l’Italie et l’on peut aussi bien entrer en contact avec le douanier en embuscade dans la campagne, comme autrefois « le gabelou sous le chêne » des images d’Epinal, qu’avec les motocyclistes en patrouille, l’hélicoptère ou les vedettes garde-côtes. Six fois par jour, en vertu des accords passés avec les douanes italiennes et espagnoles, des vacations radios avec Rome et Madrid permettent d’échanger des renseignements intéressants, si bien que tout le bassin méditerranéen peut être ainsi sous contrôle permanent. Les navires suspects, quelles que soient les eaux dans lesquelles ils naviguent ont peu de chances d’échapper à la vigilance d’une douane ou d’une autre.

 

Cependant, c’est incontestablement la douane française qui, en Méditerranée, est la plus attentive et la mieux équipée. Avec douze garde-côtes qu’assistent deux hélicoptères, le commandement naval de la douane en Méditerranée, confié à un ancien officier sous-marinier de la marine nationale, le commandant Sauveur Cicheri, assume la surveillance permanente du littoral et des côtes de la Corse.

 

Le Lissero, la plus belle et dernière-née des unités navales de la douane, est un bateau de 27,50 mètres doté de deux moteurs de 200 CV pouvant filer à pleine vitesse 25 nœuds, ayant un équipement de toute première qualité : asdic, sonar, radar, et armé d’une mitrailleuse. L’équipage, composé de six hommes, passe en mer de douze à quinze jours par mois, toujours prêt à arraisonner les bateaux suspects, les yachts à bord desquels des espions tentent chaque année de photographier la base de fusées des îles du Levant, les chalutiers étrangers volontairement égarés dans les zones de pêche françaises ou les navires qui voudraient décharger hors des porta des cargaisons illégales.

 

Le radar : douanier auxiliaire

 

Sur mer, la guerre permanente mais rarement sanglante que se livrent douaniers et contrebandiers prend un aspect particulier et devient une sorte de cache-cache sportif. A la ruse et à l’habileté manœuvrière des hors-la-loi répond l’obstination des douaniers qui, par les nuits les plus noires, tous feux éteints, veillent au large des côtes devant l’écran radar auquel rien n’échappe.

 

Pendant le premier semestre 1967, la flotte méditerranéenne de la douane e effectué 169 sorties, reconnu 340 bateaux et visité 87 d’entre eux, Chaque sortie a duré en moyenne trente-six heures. Tous les quinze jours, au poste de commandement, on établit le plan des croisières, la côte étant divisée en secteurs, et chaque commandant d’unité est avisé de ses prochains appareillages par messages codés, ce qui garantit le secret vis-à-vis des navires contrebandiers qui pourraient capter les émissions de radio-douane. Les indicatifs sont changés fréquemment, si bien que toutes les missions de surveillance côtière — la limite des eaux douanières est de 20 milles en mer — sont entourées de discrétion.

 

Mais les douaniers marins n’ont pas seulement pour mission d’empêcher les débarquements clan- destins et de contrôler la circulation maritime. Ils assument aussi le contrôle des pêches. donnent la chasse aux pilleurs d’épaves, récupèrent les amphores indûment remontées par les plongeurs sous-marins à la solde des antiquaires et surtout participent au sauvetage des naufragés et des bâtiments en perdition.

 

Ce sont, en effet, les douaniers qui arment la plupart des bateaux de sauvetage du littoral, et c’est l’honneur de cette administration que de sauver chaque années des dizaines de vies humaines. Les deux hélicoptères Alouette II participent à toutes ces opérations et, grâce aux liaisons radio, peuvent en cours de patrouille guider les vedettes vers les calanques où des chalutiers d’aspect très honnête débarquent parfois des cargaisons qui le sont moins. Un fichier de plus de deux cents navires suspects, indiquant les changements de nom de ceux-ci et donnant leurs caractéristiques, est accessible à tous moments au poste de commandement.

 

La surveillance terrestre n’est pas moins active et vingt-cinq motos équipées de postes émetteurs-récepteurs mis au point par un ingénieur radio des douanes parcourent les routes de l’arrière-pays, prennent en filature les camions des transports Routiers Internationaux (TIR) soupçonnés de trafic. Ce sont d’ailleurs ces motards de la douane qui, en 1954, enlevèrent alors qu’ils y participaient pour la première fois le Rallye européen des motards de police.

 

Le S.N.E.D. abat son jeu

 

C’est dans un immeuble d’aspect bourgeois proche de la gare Saint-Charles que les agents du Service national des enquêtes douanières de l’interrégion de Marseille ont élu domicile. Un commissaire divisionnaire de la police judiciaire est détaché auprès de leur équipe, ainsi qu’un officier de police judiciaire. Ils sont là non seulement pour assister les agents secrets de la douane au moment des perquisitions et des arrestations, mais aussi pour veiller à ce qu’ils n’abusent pas des pouvoirs que le confère la loi.

 

On ignore en effet dans le grand public que la douane a beaucoup plus de pouvoirs que la police ou la gendarmerie. La poursuite à vue, la visite domiciliaire sans mandat, l’examen des écritures comptables, la faculté d’interpeller les citoyens français comme les étrangers sur l’ensemble du territoire national pourraient facilement conduire à des abus. En fait, et c’est tout à l’honneur de la douane, il n’y a jamais eu scandale dans ce domaine. Alors qu’il faut aux policiers le mandat d’un juge d’instruction ou une commission rogatoire pour perquisitionner chez un particulier, le douanier, à condition d’être accompagné d’un officier de police judiciaire, n’en a pas besoin.

 

Les agents du S.N.E.D. ont une complète liberté d’action sur tout le territoire, et il leur arrive de passer les frontières pour poursuivre leurs investigations dans les pays étrangers. Non seulement ils effectuent des contrôles a posteriori sur les déclarations suspectes, mais ils pratiquent aussi la filature, les renseignements, la manipulation des indicateurs. C’est un métier qui comporte certains dangers car les bandes internationales ne reculent pas devant le meurtre pour protéger leurs coupables activités. Le judo et le karaté, plus que le pistolet automatique, sont les armes de ces douaniers très spéciaux.

 

Le jour où je leur ai rendu visite à Marseille dans leur « appartement » bourré d’archives, ils suivaient grâce à la radio la filature d’un gros trafiquant de pastis, assurée sur le terrain par quelques-uns d’entre eux. Ils ne m’ont pas dévoilé leurs « gadgets » : micro-caméras, mini-magnétophones ou autres briquets, mais il est probable qu’ils en possèdent comme tous les agents secrets, les spécialistes de l’électronique des services techniques de la douane étant des plus astucieux.

 

Ce sont les agents du S.N.E.D. qui ont découvert deux usines clandestines où le fuel domestique et le gazoil détaxés étaient décolorés et débarrassés de leurs traceurs chimiques pour être transformés en gazoil ordinaire et vendus comme tel. Car la douane a également le devoir de percevoir les taxes sur les pétroles et carburants, taxes qui constituent avec 11 milliards de francs annuels la troisième recette budgétaire de l’Etat.

 

L’action répressive indispensable que mène la douane pourrait paraître génératrice d’entraves et tracasseries pour les industriels et négociants honnêtes qui animent le commerce extérieur si elle n’était pas compensée par l’aide efficace que la même douane apporte à ceux-ci dans les nouveaux centres de dédouanement intérieurs où sont mises en pratique des procédures simplifiées, et par les précieux renseignements qu’elle recueille et diffuse en permanence sur le commerce international.

 

IV – Le point de non retour du Marché commun

 

L’échéance du le juillet 1968 marquera le point de non-retour du Marché commun qui apparaît comme la fin d’une étape décisive dans le processus de la construction économique européenne.

 

Ce jour-là, en effet, les droits de douane — ou plutôt ce qu’il en reste — et les dernières restrictions quantitatives seront supprimés dans les échanges entre Etats membres, le système fondé sur le jeu des prélèvements et des restitutions en matière agricole disparaîtra entre eux, le tarif extérieur commun sera mis en application. En somme, l’union tarifaire sera achevée. On a un peu tendance à confondre cette dernière avec une véritable union douanière, à laquelle on arrivera un jour ou l’autre, et que seule autoriserait une totale liberté de circulation des marchandises et des personnes entre les six pays de la Communauté.

 

En matière fiscale — et la douane a dans ce domaine des responsabilités importantes — le  1er juillet 1968 n’amènera aucun changement. On sait que deux directives du 2 février 1967 obligent maintenant les partenaires de la France à mettre en place, d’ici à 1970, un système de taxe sur la valeur ajoutée analogue à la T.V.A. française, mais seule l’Allemagne sera prête à l’appliquer en 1968, les autres Etats membres n’envisageant cette modification de leurs fiscalités que pour janvier 1970. Il convient de préciser que, ce nouveau pas franchi, les taux de la taxe ne seront pas identiques dans les six pays et que son champ d’application ne sera pas le même par- tout Ces frontières fiscales entraveront ainsi la circulation des marchandises longtemps après l’abolition des frontières douanières.

 

De la libre circulation des marchandises

 

Il ne faut pas non plus sur- estimer l’importance de la suppression des derniers droits de douane. Depuis 1958, suivant un calendrier sur lequel ils ont à plusieurs reprises anticipé, les six pays de la C.E.E. ont abaisse leurs droits de douane dans la proportion des quatre cinquièmes. Les droits actuels ne sont plus égaux qu’à 20 % de ce qu’ils étaient avant l’entrée en vigueur du traité de Rome, 5 % sont tombés le 1″ juillet 1967, et le le juillet 1968 les 15 % restants seront abolis.

 

Plus importante sera peut-être la mise en application à cette date du tarif extérieur commun, qui créera une véritable frontière douanière européenne derrière laquelle, malgré les disparités nombreuses. les Six feront figure. pour les pays tiers, d’une entité économique distincte.

 

Pour amener les industriels, les négociants et les agriculteurs européens à prendre conscience avec réalisme de l’existence d’un vaste marché communautaire sans entraves, la libre circulation des marchandises s’impose. Or l’expérience et l’analyse démontrent que les marchandises sont arrêtées aux frontières non seulement pour les besoins de la douane, mais aussi pour assurer l’application des lois et règlements concernant la fiscalité, la santé publique, la préservation des animaux et des plantes, etc.

 

Il convenait donc d’harmoniser ces lois et règlements si l’on voulait supprimer les contrôles « aux frontières intérieures » du Marché commun.

 

Des travaux ont été entrepris à Bruxelles. Les représentants des douanes des différents pays se sont rencontrés fréquemment, ont échangé des suggestions, ont participé à l’élaboration de textes communs, niais rien n’indique que ces travaux seront terminés le lm’ juillet prochain.

 

En attendant, l’article 36 du traité de Reine laisse aux Etats membres la pleine et entière liberté d’établir des interdictions, des restrictions d’importation pour des raisons de salubrité, de sécurité ou de morale publique. Les règlements sanitaires et ceux sur les normes techniques et qualitatives, les homologations préalables ou les labels techniques qui varient d’un pays à l’autre fournissent à nos partenaires, comme à nous-mêmes, des occasions de restrictions à l’importation.

 

Dès lors, ceux des pays qui, dans une conjoncture économique Intérieure défavorable, voudraient ne pas jouer le franc jeu communautaire trouveraient dans ces textes la faculté d’établir par des biais réglementaires des protectionnismes abusifs.

 

On conçoit, dès lors, que des contrôles demeurent nécessaires aux frontières intérieures. Ceux- ci ne seront allégés que dans la mesure où l’harmonisation des législations nationales et la mise en place d’un système de protection uniforme aux frontières extérieures de la Communauté le permettront le 1er juillet 1968. Car les frontières européennes, dont la France aura tout au long de ses côtes, de Dunkerque à Menton, aux confins de l’Espagne et de la Suisse, à assurer la garde pour le compte de la Communauté, n’ont pas encore la même perméabilité. Si la nomenclature et le tarif communs sont au point, il reste, dans la pratique, bien des disparités qui peuvent être profitables à l’un ou à l’autre des membres de la C.E.E. et aux tiers.

 

Un esprit douanier et communautaire

 

Pour garantir l’incidence uniforme des tarifs, il faut que l’assiette des droits, l’interprétation de la nomenclature, les franchises douanières, la définition de l’origine, la gestion des contingents tarifaires, les procédures antidumping, soient les mêmes dans chaque pays. « Compte tenu de l’état des travaux, nous a-t-on déclaré à la Direction générale des douanes, on peut raisonnablement penser qu’il en sera ainsi le 1er juillet 1968. » Encore faudra-t-il que les douanes de chacun des six Etats, qui ont actuellement des structures et des préoccupations particulières, œuvrant dans un esprit réellement communautaire aux frontières extérieure s, n’aient pas de ces faiblesse qui avantageraient leur propre économie. Un exportateur d’un pays étranger choisira de préférence comme point de dédouanement européen celui où la manutention ou les redevances portuaires sont les moins onéreuses.

 

Ainsi, pour livrer des marchandises à un industriel français, si le port d’Anvers et la douane belge offrent plus de facilités que le port du Havre et la douane française, le vendeur étranger n’hésitera pas à choisir la Belgique comme point de dédouanement.

 

On imagine quelle serait l’influence de tels procédés, au demeurant légaux, sur les activités concurrentielles des ports, et l’on se rend bien compte que dans ce domaine comme dans d’autres chaque pays sera tenté de jouer son propre jeu.

 

L’administration française ne pourra non plus se désintéresser du problème de l’ajustement des valeurs en douane lorsque des produits d’origine tierce, facturés en dehors des conditions de pleine concurrence, parviendront en France après avoir été mis en libre pratique dans un autre pays du Marché commun.

 

Comment seront opérés par la douane belge, par exemple, les ajustements de valeurs intéressant un concessionnaire exclusif établi à Paris si les marchandises destinées à ce dernier sont déclarées à Anvers ? Il serait inconcevable que la valeur de cette marchandise soit fixée à 100 francs par la douane belge, alors qu’elle le serait à 200 par la douane française du Havre, après ajuste- ment, si ce produit arrivait directement en France.

 

La douane du pays de destination étant la seule à détenir tous les éléments d’appréciation pour déterminer l’ajustement applicable, Il est nécessaire qu’elle puisse intervenir pour fixer le taux de celui-ci.

 

C’est pourquoi la politique de l’administration française, qu’elle s’efforce de faire partager à celle des autres pays de la Communauté, propose le dédouanement sur le lieu de destination finale de la marchandise.

 

Le système, déjà en vigueur en France, a bien des avantages et diminuerait, sur le plan européen, le risque des erreurs d’interprétation de la nomenclature et des tarifs.

 

La douane demeure…

 

Si la frontière extérieure de la Communauté doit être gardée strictement, il est évident que les frontières intérieures ne pourront pas rester grandes ouvertes. Ceux qui escomptent, le 1er juillet 1968, ne plus voir de douanier au Perthus, à Kiel, à Jeu- mont ou à Menton, seront déçus. Les fonctionnaires s’attendent ce jour-là à bien des récriminations car une démagogie puérile a contribué à donner aux citoyens des illusions quant à la portée réelle des modifications douanières annoncées.

 

« Nos services, dit-on rue de Rivoli, ne devront pas céder d un complexe d’infériorité. s’il est vrai que certains contrôles ne seront plus nécessaires, mais d’autres ne perdront rien de leur utilité. L’action de la douane sera plus sélective, plus subtile, mais elle demeurera en place.»

 

C’est naturellement la pratique et l’expérience dans le cadre des nouvelles dispositions qui permettront de nuancer les contrôles en fonction des intérêts économiques qui sont en jeu. En tout état de cause, la douane continuera à assurer le respect des mesures d’ordre public, l’application de la fiscalité — car le douanier est un agent du Trésor, un percepteur volant, — d’établir la statistique des mouvements de marchandises à travers les frontières.

 

Cependant, à partir du 1er juillet, on s’intéressera moins aux valises des voyageurs, à la bouteille d’anisette, à la boite de cigares, au transistor qu’aux camions et aux wagons. Les produits qui se présenteront alors aux frontières se répartiront en quatre catégories :
• Les marchandises d’origine communautaire, pour lesquelles la frontière sera abolie :
• Les produits d’origine tierce en libre pratique dans un autre Etat de la Communauté, mais soumis éventuellement à des restrictions quantitatives en France ;
• Les produits d’origine tierce encore sous sujétion douanière qui seront soumis aux droits, taxes, prélèvements et contingentement, comme s’ils arrivaient directement de l’extérieur du Marché commun ;
• Les marchandises non dédouanées. originaires d’Etats associés, bénéficiant à ce titre d’un régime douanier privilégié.

 

Les fonctionnaires des douanes auront donc à faire le tri de ces produits, à en contrôler l’origine, l’espèce et la valeur. Ils auront, en outre, à enregistrer en statistiques le trafic entre pays membres pour pouvoir alimenter en renseignements le service central qui informe les pouvoirs publics de l’évolution des marchés et des fluctuations économiques inter- nationales.

 

Quant aux voyageurs arrivant d’un pays de la Communauté, ils feront surtout l’objet de contrôles fiscaux. Ceux-ci, effectués par sondages, seront allégés au maximum, mais ils ne seront abandonnés que le jour où les six pays du Marché commun décideront de ne plus accorder de dé- taxe à l’exportation pour les achats opérés par des ressortissants de la Communauté, et à condition que les impôts sur les marchandises n’accusent pas trop de différence d’un pays membre à l’autre.

 

A toutes ces missions que la douane devra continuer à assumer avec dorénavant la souplesse et la compréhension que doit conférer la confiance établie entre membres d’une communauté, s’ajouteront des contrôles nouveaux en matière d’origine, de dumping ou de politique agricole qui, du fait de la complexité des réglementations, ont déjà révélé des fraudes préjudiciables à l’ensemble des Six ou à l’un d’eux. En fait, le 1er juillet 1968 marquera l’avènement d’une douane moderne, dont le Marché commun a accéléré la mutation et dont la France a amorcé la mise en place, pour un meilleur service du commerce extérieur, dès la signature du traité de Rome.

 

V. Servir et stimuler le commerce extérieur

 

L’administration des douanes, qui fut longtemps un organisme de contrôle des transactions internationales à vocation principalement répressive, a depuis une dizaine d’années pris conscience que pour continuer à exercer valablement ce contrôle sur un nombre d’opérations sans cesse croissant, dans le cadre nouveau et complexe des règlements du Marché commun, elle se devait de réformer son organisation et ses méthodes. Dans le même temps et par voie de conséquence se dégageait une nouvelle vocation très positive en fonction du rôle primordial que la douane pouvait et devait jouer dans l’intérêt national pour l’expansion du commerce extérieur.

 

Dans une économie moderne soumise aux poussées concurrentielles, tous les atouts doivent être utilisés en matière d’exportation ; ceux que pouvait abattre la douane concernaient l’accélération de l’acheminement des marchandises et la réduction de l’incidence financière de ses contrôles. Pour cela il s’agissait de briser certains goulots d’étranglement, de faciliter les formalités, d’alléger les vérifications et sur- tout d’obtenir que soit substituée à la méfiance e priori du douanier vis-à-vis de ses « clients » une confiance a priori qui n’excluait aucune des possibilités de surveillance.

 

Au premier abord, ces deux vocations, l’une répressive et l’autre stimulatrice, pouvaient paraître contradictoires. L’expérience a démontré qu’elles étalent complémentaires, les possibilités demeurées intactes de la première garantissant la loyauté et l’efficacité de la seconde.

 

Dès lors que ces principes nouveaux étalent admis, il fallait réviser l’implantation de certains services et modifier les techniques d’intervention.

 

« Pour, à la fois, contrôler et stimuler le commerce extérieur, m’a-t-on dit rue de Rivoli, il faut que le douanier se trouve le plus près possible de l’entreprise, qu’il connaisse ses animateurs, qu’il apprécie ses difficultés, qu’il adapte les nécessités du contrôle aux impératifs commerciaux. »

 

Quand les services douaniers n’opéraient qu’aux frontières, ce qui est admissible en période de strict protectionnisme, les marchandises, tant à l’importation qu’à l’exportation, attendaient dans les dépôts périphériques, et l’assistance du commissaire en douane, cet intermédiaire qui a la confiance des deux parties, était pratiquement indispensable bien que conteuse.

 

La douane à domicile

 

La notion de « la douane à domicile » ne fut pas facilement admise par certains fonctionnaires défenseurs du conformisme douanier, et encore moins aisément par les commissionnaires en douane qui voyaient une partie de leur clientèle leur échapper, bien que leurs services demeurent appréciés dans le domaine des affrètements et du groupage des expéditions.

 

La création des bureaux intérieurs fonctionnant suivant les mêmes principes que les bureaux frontaliers réduisit l’encombre- ment des ports et postes-frontières et permit aux entreprises d’effectuer elles-mêmes leurs dédouanements. Les arrêtés ministériels qui rendent obligatoires le dédouanement des chargements complets à destination ou au départ, suivant qu’il s’agit d’importation ou d’exportation, comme la transformation des offices douaniers classiques en centres de dédouanement régionaux, ont achevé la mutation du système et créé la personnalité nouvelle de la douane. Maintenant, dans un rayon déterminé autour des centres de dédouanement, le douanier se rend à domicile pour effectuer, quand il le juge utile, des contrôles au siège même des entreprises.

 

Ainsi les marchandises peuvent être acheminées par les voies les plus rapides et les plus directes sans arrêts aux frontières. L’exploitation des transports est libre de toute entrave douanière et l’administration, tirée de son isolement, se trouve, par les rapports que ses agents entretiennent avec les représentants des entreprises, en contact direct avec les usagers.

 

Pour faciliter encore les formalités, la douane applique aux exportateurs qui le sollicitent des procédures simplifiées qui leur permettent d’expédier sous leur responsabilité et très rapidement les marchandises à l’étranger. Le passage de la frontière se fait au vu d’un simple document commercial, la déclaration réglementaire à la douane n’étant effectuée qu’en fin de mois sur un document récapitulatif. Il va sans dire que les douaniers peuvent toujours effectuer des contrôles impromptus, les expéditions devant être signalées par téléphone au centre de dédouanement le plus proche. De telles facilités ne sont pas accordées à la légère et une convention spéciale lie les entreprises qui en bénéficient à l’administration des douanes, qui avant d’accorder sa confiance fait une enquête sérieuse.

 

Actuellement, plus de mille entreprises françaises, exportatrices pour un volume d’affaires représentant un quart de nos ventes à l’étranger, utilisent la domiciliation douanière, et cette méthode a retenu l’attention des autres douanes de la C.E.E., qui paraissent dans bien des cas décidées à l’adopter.

 

Le douanier à l’usine

 

Le centre de dédouanement d’Avignon, ouvert en 1961, dont la zone d’influence couvre le Vaucluse, les Bouches-du-Rhône, les Basses-Alpes et l’est du département du Gard, ne compte, en plus du directeur, que 9 fonctionnaires, 3 inspecteurs, 3 contrôleurs et 3 agents des brigades. Quatre-vingt-trois entreprises Industrielles, agricoles ou commerciales se sont, par conventions personnalisées, liées à lui pour bénéficier des procédures simplifiées. C’est là, « sur le tas », que l’on constate combien le métier de douanier à l’échelon des contrôleurs et des inspecteurs exige de compétences technologiques.

 

La connaissance de la nomenclature des produits (elle en comporte actuellement près de dix mille) ne serait rien si une curiosité (la première qualité du douanier, semble-t-il) appliquée à tous les domaines de la production industrielle, agricole, artisanale ou artistique n’amenait les responsables des contrôles à se perfectionner sans cesse pour identifier rapidement ce qu’on leur présente.

 

Certes, l’expérience et la pratique sont le meilleur enseignement, es les nouvelles méthodes qui introduisent le douanier dans les usines ou dans les exploitations le mettant en contact avec les ingénieurs, les chefs d’atelier ou les exploitants, lui fournissent l’occasion d’une formation quotidienne dans un climat le plus souvent confiant.

 

« Il existe quatre mille variétés de riz dans le monde, m’a dit un contrôleur. Heureusement, en Camargue on n’en produit que cinq, et je les connais bien ! » Ce même contrôleur, je l’ai accompagné en Arles dans les ateliers des Constructions métalliques de Provence, où il devait vérifier que des brides en acier importées des Etats-Unis, « en suspension de taxes » parce que destinées à être réexportées en Angleterre pour le compte de la British Petroleum, sur des réservoirs à gaz construits par l’entreprise, étaient bien celles qui avaient passé la frontière sans payer de droits il y a quelques semaines.

 

Un ingénieur nous a montré des pièces soudées sur d’énormes cylindres de tôle. Il fallut, plans en main — la douane les détenait depuis leur entrée en France, — les identifier, retrouver les poinçons de référence, les mesurer, s’assurer en somme qu’elles n’avalent pas fait l’objet d’une substitution, qui, étant donnés les droite de douane, aurait été avantageuse pour l’entreprise. Les brides furent dément plombées .et le soir même les réservoirs de la British Petroleum prirent le chemin de l’Angleterre, l’expéditeur était certain que la douane à la frontière ne retiendrait pas le convoi.

 

Le directeur commercial de l’usine estime que les nouvelles procédures Simplifiées sont avantageuses car elles suppriment tous les aléas des arrêts frontaliers, générateurs de retards parfois importants, de déplacements de personnel quand il y avait des explications à fournir, de pertes de documents.

 

Parallèlement à l’implantation des centres de dédouanement, à la révision des méthodes d’intervention et au développement de la douane à domicile, il fallait, pour aborder le Marché commun dans de bonnes conditions douanières, rénover certains régimes spéciaux, comme ceux de l’admission temporaire des marchandises, permettant aux industriels notamment de mettre en œuvre, dans des conditions concurrentielles, les produits étrangers entrant dans la fabrication des produits finis à exporter.

 

C’est le cas, entre autres, pour la Caravelle, qui est équipée avec du matériel électronique américain et anglais. En assouplissant la procédure, en créant des conventions couvrant un programme complet d’exportation, en autorisant des exportations anticipées, la douane a constaté que les réexportations sont passées de 2 842 millions de francs en 1961 à 3 262 millions en 1966. C’est dans le même esprit qu’a été créé le régime de l’entrepôt temporaire, qui permet à un industriel, suivant les conditions du marché, de réexporter ses produits ou de les placer sur le marché intérieur, en acquittant pour ces derniers les droits de douane au moment de leur commercialisation.

 

Les entrepôts de stockage, les entrepôts industriels, les entrepôts privés ou banaux, ont eux aussi été adaptés aux besoins nouveaux. Enfin, pour favoriser les exportations de produits français. au meilleur moment et dans les meilleures conditions, on a créé un autre type de stockage sous douane : l’entrepôt d’exportation. Il permet aux producteurs fiançais, les céréaliers notamment, de bénéficier dès la mise en stock des avantages attachés à l’exportation, la date de commercialisation et d’expédition effective étant laissée à l’initiative des négociants. Enfin, la douane propose au gouvernement, pour rendre nos installations portuaires concurrentielles, de réduire à deux taxes la vingtaine de celles actuellement perçues dans les ports français.

 

L’appui tactique de l’ordinateur

 

Depuis Colbert la douane tient à jour les statistiques du commerce extérieur. Celles-ci furent longtemps approximatives. Depuis 1921 elles pouvaient être prises sérieusement en considération, mais c’est en 1928 que les déclarations en douane, documents de base, furent traitées mécaniquement, si elles ne furent pas toujours judicieusement exploitées.

 

En 1960, l’électronique fit son entrée dans les douanes, et dans l’immeuble de la rue Saint-Honoré, l’ordinateur IBM 1410 à grande puissance occupe avec ses services mécanographiques tout un étage.

 

A l’heure actuelle, après que les documents douaniers eurent été simplifiés et conçus en fonction de leur mise en cartes perforées, les services statistiques traitent quinze mille déclarations par jour et embrassent l’ensemble des données par lesquelles se mesure le commerce extérieur dans ses divers aspects. La douane établit ainsi périodiquement une gamme étendue de résultats élaborés, adaptés dans leur présentation aux divers besoins de l’information.

 

Les résultats mensuels globaux sont communiqués au ministère de l’économie et des finances le cinquième jour du mois suivant, mais en période difficile le service statistique de la douane peut fournir quotidiennement une feuille de température du commerce extérieur.

 

Le centre de renseignements statistiques, qui veut être une « banque des informations du commerce extérieur », offre par téléphone, télex ou abonnements les données les plus récentes aux industriels et commerçants exportateurs, et publie régulièrement de nombreux documents, dont une brochure trimestrielle comportant l’ensemble des mouvements d’importation et d’exportation ventilés par marchandises et par pays.

 

Ce tableau de l’activité de la douane est bien incomplet. Ii aurait fallu dire qu’en 1986 les douaniers ont vu passer aux frontières plus de trois cents millions de personnes, que leurs missions de surveillance les ont amenés à parcourir plus de 15 millions de kilomètres, que les agents du S.N.E.D. ont fait près de dix mille enquêtes, que l’on a reçu dans les bureaux plus de douze millions de déclarations et que, si la douane a coûté en 1965 à l’Etat 356 millions de francs, elle a fait entrer dans les caisses du Trésor plus de 20 000 millions de francs. Le rôle économique de la douane, m’a dit un jeune animateur des services d’études et statistiques, est de maintenir une ouverture à la vie économique réelle. »

 

C’est à vivre un moment la vie de cette administration qu’on découvre que le commerce extérieur n’est pas une abstraction chiffrée enfermée dans le graphisme des courbes, mais une réalité quotidienne et vivante.

 

Maurice Denuzière

 


 

La Vie de la Douane

N° 136

Septembre 1967

 


 

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