Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes
Alsace-Lorraine, une frontière mystique
Le Traité de Versailles du 28 Juin 1919 a voulu signifier que les départements d’Alsace-Lorraine n’avaient jamais cessé d’être français, ce qui revenait en d’autre termes à nier quarante-huit années d’annexion et l’existence d’une frontière d’état.
C’est ainsi que les Alsaciens-Lorrains ont été « réintégrés » dans la nationalité française et que leurs députés n’ayant pu voter la loi de séparation de l’Eglise et de l’Etat ils se trouvent toujours sous le régime concordataire.
De l’annexion cependant il a bien fallu s’accommoder et accepter quelques particularités ; le département de Meurthe et Moselle a des contours bizarres, les trains circulent à droite ; la procédure civile et le droit de chasse ont toujours des spécificités locales ; le Vendredi Saint et la Saint-Etienne sont jours fériés…
La « Ligne Bleue » des Vosges a surtout constitué durant toute la période de l’annexion une véritable frontière mystique dont l’exaltation permanente était destinée à entretenir la flamme du souvenir et l’esprit de revanche.
La carte postale véritable tract de propagande a été un véhicule exceptionnel de cette action psychologique avant l’heure.
On vient en pèlerinage sur cette ligne sacrée, on visite les hauts-lieux de la funeste guerre et l’on aime à se faire photographier auprès de la borne des trois frontières qui porte le n° 4056.
Les vainqueurs de 1870 avaient en effet exigé que la frontière soit abornée aux frais de la France – 4056 bornes ont donc jalonné cette nouvelle frontière depuis le Luxembourg jusqu’à la Suisse.
La dernière borne a acquis de ce fait une célébrité particulière.
En réalité. si l’on compte les bornes intermédiaires leur nombre s’élevait à 5500 et elles avaient coûté 25 francs pièce.
Mais cette frontière a été aussi pour les douaniers, une frontière comme ore autre où l’on pratiquait le rebât et le contre-rebât et où l’on faisait la chasse aux contrebandiers. Deux directions NANCY et EPINAL y avaient été implantées dès 1872 et supprimées sans ménagement pour le personnel dans l’exaltation de la victoire.
Sur cette frontière fantôme dont un grand nombre de bornes autrefois oubliées puis aujourd’hui préservées marquent encore le tracé, le randonneur y rencontre parfois un bien anachronique « Café de la Douane ».
Le Musée des Douanes conserve de cette époque un des rares poteaux-frontières sauvé de la destruction.
Roger Corbaux
Cahiers d’histoire des douanes françaises
n°14
Juillet 1993