Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

Georges Pallain, directeur général (1847-1923)

Mis en ligne le 1 janvier 2020

 

 

 

Jean Clinquart résume ainsi la carrière et les qualités de Georges Pallain : « Le parcours est sans faute et révèle une remarquable stratégie de carrière ; que Pallain doive cette réussite à des qualités telles que l’intelligence, le dynamisme et un sens politique aigu, on ne saurait en douter ».

 

 

 

 

Né, le 20 mars 1847, à Liancourt dans l’Oise, d’un père pharmacien et d’une fille de bonne famille de l’Oise et après des études de droit, il débute dans la carrière d’avocat à la cour d’appel de Paris. Au cours de cette période, il fait partie de cette jeunesse républicaine, ardente et généreuse, qui sape l’Empire par la raillerie et aussi par des discours enflammés dans lesquels elle rappelle au peuple de France les fautes et les erreurs du régime et flétrit le pouvoir personnel. Il se lie avec Gambetta et fait un essai dans le journalisme.

 

Pendant le siège de Paris, Georges Pallain est garde au 28e régiment de marche et sert dans la 4e compagnie. À la chute de l’Empire, il est nommé sous-préfet à Sceaux, près de Paris, Distingué par Thiers, qui le recommande au ministre des Finances, Léon Say, il devient chef de cabinet de ce dernier, le 12 décembre 1872. Au départ de Léon Say, le 24 mai 1873, il est nommé Trésorier payeur général des Finances à Chaumont (Haute-Marne). Le 16 Mars 1876, il abandonne les avantages de sa trésorerie générale pour venir à Paris occuper le poste de sous-directeur, chargé de la division du Personnel au ministère des Finances. Mis en disponibilité sur sa demande, le 26 juin 1877, il est nommé directeur du Cabinet, du Personnel, de l’Inspection générale et du Contrôle des régies le 15 Décembre 1877. C’est un poste particulièrement important et regroupant de grands services qui lui échoit, alors qu’il n’a que trente ans.

 

Deux ans après, des coupes sombres sont faites par le ministère de Broglie parmi les fonctionnaires républicains. Georges Pallain n’a pas attendu et a déjà donné sa démission. Au bout de quelques mois, la victoire des Républicains le ramène dans l’administration. Le 28 Décembre 1879, il est nommé directeur du Contentieux, de l’Inspection générale des Finances, de la Statistique et Agent Judiciaire du Trésor, poste qu’il gardera jusqu’au 16 Décembre 1881.

 

Ce jour là, Gambetta le fait choisir comme directeur du Cabinet, du Personnel, des Fonds et de la Comptabilité au Ministère des Affaires Étrangères. Mais son appartenance à ce grand ministère ne durera guère, car il doit le quitter le 26 janvier 1882, après l’échec du cabinet Gambetta. Quelques mois plus tard, le voici à nouveau au département des Finances, où il est renommé directeur du Contentieux, de l’Inspection générale, de la Statistique et de l’Ordonnancement, poste qu’il abandonne pour devenir directeur général des Douanes, le 22 avril 1885. Entre temps, il a été élevé au rang de conseiller d’État en service extraordinaire, le 6 janvier 1882.

 

En Douane, son premier effort porte sur la majoration des retraites des employés du service actif, officiers compris. Pallain veut « fortifier l’action du service en améliorant la condition des employés ». Il précise : « un grand nombre d’agents du cadre secondaire vont obtenir une amélioration de traitement ». Il faut noter, à ce propos, que les relations entre la direction générale et la presse corporative s’améliorent depuis son arrivée en Douane.

 

À l’occasion de l’importante refonte tarifaire de 1892, et prenant texte que « la surévaluation des droits et les classifications multiples vont rendre plus ardue et plus délicate que jamais la tâche du service de la visite », il estime « opportun de spécialiser à nouveau la position des agents chargés de la reconnaissance des marchandises ». Le rétablissement des vérificateurs est accompagné par la création d’une indemnité professionnelle, variant de 100 à 360 francs selon l’importance et la nature des opérations traitées dans chaque bureau.

 

En 1897, Georges Pallain s’est préoccupé d’adapter la découverte des propriétés des rayons X en favorisant l’expérimentation de l’examen radioscopique des voyageurs et de leurs bagages. Près d’un siècle plus tard, cette méthode, abandonnée à cause du risque encouru par les manipulateurs des rayons X, connaîtra l’important développement que l’on sait.

 

C’est au début de 1898, que prend fin un directorat long de presque treize ans. Nous avons vu Pallain, parfois qualifié de « carriériste », assurer des fonctions prestigieuses à la satisfaction générale. Il se sait promis à un bel avenir. À peine quinquagénaire, il est déjà commandeur de la Légion d’Honneur et il est le plus ancien des chefs de service, non seulement du ministère des Finances, mais même de tous les ministères.

 

Grâce à ses appuis au sein du Gouvernement, il est nommé Gouverneur de la Banque de France, le 31 janvier 1898. Le voici donc à l’orée d’un gouvernorat qui va durer vingt-trois ans. Pallain va lui donner une grande dimension. Son successeur au poste de Gouverneur, Robineau, explique ainsi l’évolution de la Banque : « Progressivement, sous son impulsion, elle s’humanise, en quelque sorte, et, sans perdre son caractère propre, sans devenir la rivale des Banques, elle fait sentir plus directement son action au profit du commerce et de l’industrie. Le crédit à l’agriculture a été spécialement l’objet de sa continuelle étude et à trouvé grâce à lui, dans la Banque de France, le plus puissant des soutiens. »

 

À la Banque, comme en Douane, sa personnalité a été si vigoureuse et si simple qu’il a, rapidement, imposé sa marque. Robineau le décrit ainsi : « Énergique et nerveux, l’œil toujours aux aguets, le cerveau constamment en action, préoccupé de l’avenir, s’informant directement de toutes choses, les examinant par lui même avec une conscience et un goût pour le vrai qui ne connaissaient point de relâche, une grande et profonde bonté dominant son caractère vif et sa nature ardente. Il était un des hommes les plus instruits et les plus cultivés qui se puissent rencontrer. »

 

Pallain a été très marqué par la guerre de 1870 et par les difficultés rencontrées dans sa contribution à la renaissance nationale. Dès son arrivée à la Banque il évoque la nécessité d’en faire « en cas de péril national, la garantie suprême du salut de la Patrie ». En effet, sa connaissance des affaires extérieures lui fait redouter que la France ne soit un jour attaquée et contrainte à reprendre les armes. À la veille de la guerre, il peut affirmer qu’il a eu « le souci que les changes peu favorables n’entraînent pas un affaiblissement des réserves monétaires ». Il s’applique à défendre l’encaisse mais encore à l’accroître de 313 millions de francs. Il poursuit : « Des années comme celle qui vient de s’écouler nous offrent l’occasion et le moyen d’assurer la stabilité de notre gestion en nous permettant de pourvoir à des amortissements, dépenses immobilières et autres charges extraordinaires dont l’échéance pourrait bientôt peser lourdement sur des exercices moins favorisées ».

 

Lorsqu’il prend sa retraite, en 1920, l’exposé des motifs du décret qui l’élève presque simultanément à la dignité de Grand-Croix de la Légion d’Honneur, rappelle notamment le concours si utile et si dévoué qu’il a prêté au Gouvernement pendant la guerre, en secondant puissamment l’action du département des Finances.

 

Bien qu’absorbé par ses hautes fonctions, Georges Pallain s’est dévoué sans relâche à son village d’adoption du Gâtinais, Gondreville, dont il a été maire de 1879 à 1923, l’année de sa mort. Réélu sans interruption pendant ces 44 ans, il a manifesté à ses administrés « cette bienveillance, ces qualités de grâce et de séduction, ce charme et cette facilité d’accueil » qui ont marqué toute sa carrière. Il a rempli ses fonctions de maire avec cette conscience minutieuse qu’il apportait dans tous ses actes.

 

Abordons maintenant l’œuvre historique de Georges Pallain. Nous l’avons vu, dans sa jeunesse, s’essayer au journalisme en collaborant avec Ernest Picard au journal « L’Électeur Libre ». Rapidement, il s’intéresse à l’Histoire. et décide d’étudier Talleyrand. Sous la direction et pour le compte de Thiers, il pénètre dans la vie tortueuse et compliquée du prince de Bénévent, Talleyrand. Louis Madelin explique que Pallain se permettait de pénétrer, à force d’études « le plus impénétrable et le plus indéchiffrable des hommes ». Il a publié de 1881 à 1891 plusieurs livres sur le Grand Chambellan : en 1881, la Correspondance, inédite du prince de Talleyrand, avec Louis XVIII pendant le Congrès de Vienne ; en 1889, La mission de Talleyrand à Londres, en 1792 ; puis en 1891, Le ministère de Talleyrand sous le Directoire de 1797 à 1799 et, presque en même temps, l’Ambassade de Talleyrand à Londres de 1830 à 1834 ». Rappelant que deux de ces volumes ont été successivement primés par l’Académie française, Louis Madelin vante « les remarquables textes d’un style à la fois si simple et si noble, d’une tenue si classique, d’une perspicacité si parfaite ». Après avoir regretté que d’autres soucis aient empêché Pallain de donner toute sa mesure en tant qu’historien, il affirme que la figure de Talleyrand sort tout à fait grandie et en quelque sorte simplifiée, de ces belles pages. et il explique que Pallain a été le premier à établir la constance des vues de Talleyrand, celle de l’alliance de la France et de l’Angleterre.

 

Après ses travaux historiques, Georges Pallain a entamé la rédaction d’un important traité intitulé : Les Douanes Françaises. Ce livre, réédité en 1913, alors que Pallain était depuis 15 ans à la tête de la Banque de France, à assuré à son auteur et pendant de nombreuses années, une réputation incontestée de spécialiste des questions douanières.

 

Il décède le 12 mai 1923. Annonçant sa disparition, les très officieuses Annales des Douanes portent ce jugement : « Ce que nous avons le devoir de rappeler ici, c’est le relief qu’il sut donner à l’Administration des Douanes, c’est l’empreinte profonde que laissa son passage dans ce service, c’est la part personnelle qu’il prit à l’établissement de notre régime douanier et à la vulgarisation de notre organisation administrative, c’est le dévouement qu’il suscita chez tous ceux qui furent appelés à son œuvre féconde, c’est sa grande bonté d’âme ».

 

Georges Pallain avait l’art de se concilier tous ceux dont l’approbation lui semblait importante mais il avait du caractère. Et, à l’occasion, il ne se laissait pas intimider. C’est ainsi que, Guy Thuillier évoque le duel qu’il a eu en 1882, à la suite d’une discussion par trop vive avec un attaché au cabinet du président de la république, nommé Dreyfus, par ailleurs secrétaire de Wilson. Si, à la Banque, son long séjour a permis la naissance d’un esprit nouveau, s’il a réussi à en faire un instrument destiné à gagner la guerre qu’il sentait venir, son directorat en Douane, long de treize ans, a marqué les services de son empreinte. Comme les autres directeurs généraux, il s’est préoccupé du sort des douaniers les plus défavorisés et, pour obtenir les crédits nécessaires pour y remédier, il a lutté contre les contraintes budgétaires.

 

Sagesse, esprit fin, remarquable stratégie de carrière, intelligence, dynamisme, sens politique aigu, esprit d’union, perspicacité parfaite, énergique et nerveux, l’œil toujours aux aguets, préoccupé de l’avenir ; connaissances étendues sur le droit, l’économie politique, les lettres, l’histoire ; voici une partie des nombreuses qualités qui ont été prêtées à Georges Pallain.

 

Jean Clinquart

 


Bibliographie

 

Cet article a été extrait du livre de Jean Bordas : Les Directeurs Généraux des Douanes de 1801 à 1939 édité par le Comité pour l’Histoire Économique et Financière de la France — CHEFF — 11 quai Conti — Paris 6 e Collection des Lois et règlements des Douanes françaises. (LRDF).
Jean Clinquart : L’administration des Douanes en France sous la Troisième République. Allocutions de Louis Madelin et du gouverneur Robineau, archives de Gondreville. Annales des Douanes.
Guy Thuillier : Bureaucratie et bureaucrates en France au XIX e siècle.

 

 

 

 

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