Association pour l’Histoire de l’Administration des Douanes

Pierre de Saint-Cricq (1772-1854) par Jean Bordas – 2ème partie

Mis en ligne le 1 février 2019

Dans le cadre de l’évocation des anciens directeurs généraux des douanes, nous vous invitons à découvrir la seconde partie de l’article de Jean Bordas consacré à Pierre de Saint-Cricq et publié dans le numéro 33 des Cahiers d’histoire des douanes.  

 

 

Saint-Cricq prépare une nouvelle loi tarifaire en 1829 et fait référence, dans son exposé des motifs, à la volonté du gouvernement de tendre vers la liberté commerciale.

 

Le Ministère est renversé et Saint-Cricq quitte le gouvernement, à l’arrivée à la direction du gouvernement de Polignac qui, par son intransigeance, précipite l’effondrement de la dynastie. Il n’hésite pas à se rallier au nouveau gouvernement et vote la charte ratifiée le 9 août 1830 par Louis-Philippe. Saint-Cricq est nommé rapporteur de la commission qui présente à la Chambre la première loi douanière de la législature et relative au droit d’entrée sur les grains étrangers et à leur mise en entrepôt. Sur sa brillante intervention, ce texte est adopté en une seule séance, le 20 octobre 1830.

 

 

En 1831, le bureau du commerce, dont Saint-Cricq est président, est remplacé par une commission provisoire. Jean Clinquart précise :  » Le Gouvernement fait appel pour la présider à celui que tout le monde reconnaît comme l’homme de la situation, c’est à dire Saint-Cricq une fois encore. Tout naturellement l’ex-ministre du commerce du gouvernement Montignac va présider le Conseil supérieur du commerce « . Cette nomination, intervenue le 29 avril 1831, le consacre « Conseiller du Gouvernement pour les projets de lois et les ordonnances concernant le tarif des douanes et leur régime en ce qui intéresse le commerce, les projets de traités de commerce ou de navigation, la législation générale des colonies, le système des encouragements pour les grandes pêches maritimes, les vœux des conseils généraux du commerce et des manufactures et du conseil d’agriculture ».

 

L’organisme qu’il préside peut procéder sur les sujets de sa compétence à des  » enquêtes orales « , Saint-Cricq, enfin, peut « être appelé au Conseil des ministres pour prendre part aux discussions des projets délibérés par le Conseil supérieur du commerce ».

 

 

Il prend une part prépondérante à la préparation et à la discussion sur la loi du 27 février 1832 qui étend aux villes frontières et de l’intérieur la possibilité d’obtenir le régime de l’entrepôt. Les débats longs et vifs n’occupent pas moins de 36 pages du Moniteur .
En 1831 et au cours d’une discussion à la Chambre, Saint-Cricq impressionne la majorité en affirmant à la tribune : « Ma conviction profonde est que le jour où la Chambre et le Gouvernement auront abandonné la protection de l’industrie agricole, ce jour sera la veille de celui où ils abandonneront la protection de l’industrie ».

 

Elevé à la dignité de Pair de France le 27 juin 1833, il continue de s’occuper de politique douanière. Ses interventions à la tribune et ses avis dans les commissions « sont écoutés avec attention par la haute assemblée qui lui marque le prix qu’elle attache à son expérience et à la science approfondie qu’il possède de toutes les ressources du pays « .

 

 

Sous la monarchie de Juillet, ses compatriotes des Basses-Pyrénées lui donnent, chaque année : « une noble marque d’estime et de considération en le nommant à l’unanimité, président du conseil général ».
Saint-Cricq, quitte tout à fait la scène parlementaire en 1848. Marié à Jeanne, Clémence Lenain de Tillemont, il a eu deux fils et deux filles dont l’une est connue pour son idylle avec Liszt.

 

Il meurt à Paris le 25 février 1854.

 

 

Un homme aussi influent et dont la situation en a fait l’égal d’un ministre a eu, bien sur, des détracteurs. Il n’est pas utile de s’étendre à nouveau sur ses démêlés avec les parlementaires et les représentants des groupes d’intérêts économiques. Il a, rappelons le, toujours défendu les thèses gouvernementales et n’a cédé que devant le vœu public. Par contre, il faut signaler que ses contemporains lui reprochent le faste qu’il déploie dans sa vie administrative et privée.

 

Boucher de Perthes, irrespectueux mais non agressif, présente ainsi l’une des inspections du directeur général en Bretagne :  » J’ai quitté M. de Saint-Cricq dimanche dernier à Lorient après 19 jours de promenades pendant lesquels nous avons dîné 30 fois au moins; M. le Directeur général, voyageant en Ministre pour ne pas dire en Prince, avait 3 ou 4 voitures de suite, plus celles des survenants. M. D’Eu était admirable pour les soins qu’il prenait de son Directeur général. Lorsqu’on ne pouvait trouver le soir à la couchée une chambre sur le derrière, on matelassait les fenêtres…On coupait le cou à tous les coqs du voisinage. « 

 

Mais il tempère la causticité de cette description par ce jugement :  » M. de Saint-Cricq, à part cette affectation à faire le prince, est un homme de manières fort distinguées, s’exprimant avec grâce, facilité et convenance. (…) C’est, au total, un homme d’esprit; quant à son instruction, elle me semble superficielle et, soit comme douanier et économiste, soit comme homme d’Etat, je ne le crois pas à la hauteur de M. de Sussy, ni de M. Ferrier. Tout le monde rend d’ailleurs justice à sa probité : c’est un honnête homme dans toute l’acception du mot. Il deviendra ministre je n’en doute pas, et je souhaite que, sous ce rapport, tous ses collègues le valent « .

 

 

Un fonctionnaire des douanes révoqué, Jules Paulmier, s’exprime ainsi en 1823 :  » Fatigué sans doute des serviles adulations et de l’encens journalier que lui prodiguaient ses créatures de Paris, M. de Saint-Cricq résolut dans un moment où il venait de jeter un coup d’œil sur la carte de France pour y mesurer l’étendue de sa juridiction suprême, de se faire connaître de sa personne à ses subordonnés des frontières et choisit la direction de Valenciennes composée d’environ 1.200 hommes.

 

 » M. le Directeur général fit, dès son arrivée, dégarnir toutes les lignes au point qu’il ne resta dans la brigades que les malades et les estropiés. Pendant ce temps les contrebandiers agirent en toute liberté. L’Etat en éprouva des pertes considérables. Mais, en revanche, la France apprit que M. de Saint-Cricq avait passé en revue une partie de son armée. Le Trésor paya des frais immenses de tournée pour le brillant état-major de M. le Directeur général. Mais l’orgueil de ce dernier fut agréablement caressé par cette espèce de parade militaire « .

 

 

En 1820, Le petit almanach législatif ou la vérité en riant sur les députés, donne ce portrait : « M. de Saint-Cricq n’a point de suffisance, point d’astuce, point d’ambition; il n’a jamais varié dans ses principes politiques; on ne l’a pas vu voter le lendemain contre le ministre disgracié qu’il avait encensé la veille; il n’est ni pédant, ni hautain, ni vindicatif; nous ne sommes pas même bien sûrs qu’il soit directeur général des douanes. »
Ce même journal décrit l’attitude de Saint-Cricq face à la montée en puissance de Villèle son ancien adversaire :  » Dés que le pouvoir passa au côté droit, on s’imagina que M. de Saint-Cricq, ami de M. Decazes comme M. de Barante, allait comme ce dernier, perdre sa place de directeur général, et l’on voyait déjà M. Morgan de Belloy à la tête des douanes, branche d’administration dont il est à la chambre le rapporteur perpétuel; mais on connaissait mal M. de Saint-Cricq : une conviction subite le rapprocha des ennemis du ministre dont l’amitié pouvait lui devenir funeste; il sut franchir en un moment tout l’intervalle qui le séparait de ceux contre lesquels il avait voté jusqu’à ce jour. Il resta à l’administration des douanes, et M. Morgan de Belloy resta aux rapports « .

 

Sur le plan de la politique douanière, Octave Noël est assez sévère quand il affirme :  » Bien que partisan, en théorie, d’une certaine modération des tarifs, l’ancien directeur général des douanes ne les admettait guère dans la pratique, et toute infraction aux doctrines pures de la protection lui paraissait une atteinte grave aux intérêts du pays « .

 

 

Léon Amé rapporte que Saint-Cricq mérite d’être considéré comme le chef de l’école des protectionnistes : « Trop pénétrant pour adopter en cette matière des vues systématiques, il ramena le débat à de simples questions d’actualité et de force relative entre les industries rivales. C’est par le travail, disait-il, que les peuples prospèrent et que les consommations s’agrandissent. Or le commerce intérieur, sera toujours le principal agent de travail d’une nation aussi considérable que la nôtre. Il faut donc, avant tout, rechercher à quelles conditions il doit se développer le mieux. M. de Saint-Cricq n’admettait pas que ce pût être en achetant aux étrangers ce qu’ils produisent à meilleur marché que nous, pour leur vendre ce que nous produisons moins chèrement qu’eux-mêmes ».

 

 

Amé poursuit :  » Il ne contestait pas que les droits excessifs et les prohibitions n’eussent pour résultat d’élever le prix de diverses consommations, de restreindre notre commerce maritime et de resserrer l’écoulement de quelques-unes de nos productions. Mais c’étaient là des nécessités qu’un intérêt supérieur lui semblait imposer à la France. Il expliquait que notre industrie, à mesure qu’elle se perfectionnerait sous l’aiguillon de la concurrence intérieure, abaisserait ses prix, que la marine y trouverait son plus sûr aliment, et la production agricole son débouché le plus élastique. « 

 

 

Il mentionne que Saint-Cricq affirme  » qu’il ne faut acheter aux autres que le moins possible de ce que nous pouvons produire nous mêmes ». Il rappelle aussi que « c’est sur ce terrain que se sont maintenus, depuis les joutes oratoires de M. de Saint-Cricq, les défenseurs du régime restrictif ».

 

 

Pour conclure, nous pouvons estimer que Saint-Cricq est plutôt libéral mais il s’est attaché à tenir compte des réalités de l’industrie et de l’agriculture française; Il aurait désiré la levée presque complète des prohibitions et une taxation douanière essentiellement fiscale. Il devait aussi penser qu’il fallait imposer un délai aux industriels pour se perfectionner et ne pas leur donner l’illusion qu’ils pourraient rester indéfiniment à l’abri des barrières douanières…

 

Il est incontestable que sa position en matière de politique douanière a grandement évolué. Est-ce, comme il l’a souvent affirmé pour expliquer ses revirements, pour se conformer au vœu public ? Est-ce qu’il a voulu à tout prix garder sa place et, par exemple, se plier par avance aux exigences de Villèle en qui il voyait un futur homme d’Etat ? Est-ce tout simplement qu’il a voulu faire preuve de pragmatisme et tendre vers un libéralisme modéré à construire progressivement ?

 

C’est plutôt vers cette troisième idée qu’il faut se tourner. Il est possible de conforter ce choix en étudiant son attitude après qu’il eut quitté l’administration. Il est resté modéré dans sa défense du protectionnisme qu’il estimait devoir s’atténuer graduellement. Il a été le directeur général des douanes qui a le plus influé sur la politique douanière de la France. Son rôle au parlement a été particulièrement prépondérant.

 

 

Entouré d’une équipe solide et dévouée, il a fait faire beaucoup de progrès à la législation douanière. Il s’est attaché à améliorer le sort des douaniers : retraite, masse, soins médicaux, meilleur déroulement des carrières, qu’il a taché de garder de toutes les influences extérieures. Il a réussi à ne pas procéder à une épuration mesquine. En de nombreuses occasions, il a défendu la Douane et les Douaniers.

 

 

On lui a reproché  » de faire le prince  » comme l’a écrit Boucher de Perthes, et il est certain qu’il a donné à sa fonction un lustre inégalé depuis. Mais il faut, peut être, replacer cette tendance dans les mœurs du temps.

 

 

Publié dans les Cahiers d’histoire des douanes n°33.
Principales sources :
Jean Clinquart : L’administration des Douanes en France sous le Consulat et l’Empire.
Bernard Léon Amé : Etudes économiques sur les tarifs de douane.
Jacques Boucher de Perthes : Sous dix Rois.
Théodore Duverger : La douane française
Collection des Lois et règlements des douanes françaises.
Collection du Journal de la formation professionnelle.
Collection des Cahiers d’histoire des douanes et des droits indirects.

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